Économie et politique du charbon minéral

En dépit de sa condamnation pour atteintes graves à l’environnement, le charbon minéral n’est pas près de disparaitre du bilan énergétique mondial. Sa régression en Europe et en Amérique du Nord est largement compensée par son essor en Asie, désormais moins en Chine qu’en Inde, dans les autres pays d’Asie du Sud-Est et en Afrique australe. Pourquoi ? Comment ?


On désigne habituellement par charbon minéral des roches sédimentaires d’origine organique, contenant au moins 50% de carbone après séchage [1]. Ces roches formées au cours des âges géologiques se sont transformées en matériaux combustibles d’une très grande variété : houilles, dont anthracites, et lignites, principalement (Lire : Charbon : géologie, ressources et réserves).

Ces black rocks ont été utilisées localement et épisodiquement depuis des temps très anciens par des populations en mal de bois de feu, puis sur une plus grande échelle en Chine bien avant notre ère. Ce n’est cependant qu’avec la crise du bois de feu, en Angleterre à partir du 16ème siècle, qu’elles deviennent une source d’énergie significative pour l’Europe occidentale. Leur substitution au bois suscite des innovations technologiques, notamment dans la sidérurgie (cokéfaction), ou pour assurer l’exhaure des mines (machine à vapeur). Elles constituent le cœur de la première révolution industrielle et soutiennent l’essor de la consommation de charbon minéral durant tout le 19ème siècle (Lire : La consommation mondiale d’énergie avant l’ère industrielle).

Après la Première Guerre mondiale, la diffusion des innovations de la deuxième révolution industrielle (automobile, aviation, éclairage et moteur électriques), associée aux nouvelles sources d’énergie que sont le pétrole, le gaz naturel et l’électricité, semble sonner le glas de la croissance charbonnière un peu partout, sauf dans la jeune Union Soviétique (Lire : Le développement énergétique de l’Union Soviétique de 1917 à 1950). Ce déclin prend fin avec le renchérissement des hydrocarbures, suite aux chocs pétroliers des années 1970, et la croissance quasiment illimitée des besoins énergétiques des économies émergentes, notamment en Asie.

Fig. 1 : Évolution de la consommation mondiale de charbon 2000 - 2016 (en milliards de tonnes, Gt ) – Source : Auteur, données Enerdata

De 3 milliards de tonnes (Gt) à cette date, la consommation mondiale de charbon amorce une croissance au rythme annuel moyen (2,4 %) supérieur à celui des hydrocarbures (2 %), ce qui lui assure en 2013, avec un volume de 8 Gt, la deuxième place dans le bilan énergétique mondial (29 %), derrière le pétrole (32 %), mais devant le gaz (22 %), la biomasse (10 %) et l’électricité d’origine nucléaire, hydraulique et éolienne (7 %).

Cette trajectoire, qui semblait promettre au charbon minéral la première place dans le bilan énergétique mondial avant 2030, s’est interrompue en 2014 et 2015 (Figure 1), mais elle est remontée en 2017 et sans doute en 2018 à hauteur de 7,8 Gt.

Simple accident de parcours ou début d’un déclin définitif ? Un choix entre les deux interprétations exige d’identifier les évolutions sous-jacentes à l’interruption de la croissance puis de s’interroger sur leur caractère provisoire ou permanent.

1. Une croissance vigoureuse de la consommation de 1980 à 2013, désormais cassée

Toutes les régions du monde n’ont pas également participé au grand retour des combustibles solides ni à la rupture des trajectoires observées depuis 2013 (Tableau 1).

Tableau 1 : Évolution de la consommation mondiale de charbon 1980-2016 (millions de tonnes, Mtep et %)

Mt et %
Europe
Ex-URSS Amérique du Nord Amérique latine
Austral
-asie*
Asie Afrique Moyen-Orient Monde (Mt) Monde (Mtep)
1980 1290 716 683 20 69 914 93 3787 1894
2013 921 378 880 75 119 5383 222 7978 3989
2016 877 346 765 77 117 5261 223 7665 3833
TCAM
1980-2013
-1,0% -1,9% 0,8% 4,0% 1,7% 5,5% 2,7% 2,3% 2,3%
2013-2016
-0,3% -0,2% -0,7% -0,2% 0,1% -0,2% 0,0% -0,2% -0,2%
Source : Enerdata. Note : TCAM signifie taux de croissance annuel moyen. Voir les données année par année en annexe.*Australasie : Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Corée.

Entre 1980 et 2013, la consommation de l’Amérique latine (0,5 % de la consommation mondiale en 1980), de l’Afrique (2,5 %) et de l’Australasie (1,8 %) augmente peu, voire diminue. L’évolution de la consommation de ces continents, bien que porteuse d’enjeux régionaux, affecte si peu la trajectoire de la consommation mondiale de charbon qu’il n’en sera que marginalement question par la suite.

1.1. Une chute limitée des consommations en Europe

L’Europe occidentale et centrale qui absorbait encore 34 % du charbon brûlé dans le monde en 1980 ne dépasse plus 13 % en 2012. Après avoir continué à croître à la suite du deuxième choc pétrolier, sa consommation recule fortement au cours des années 1990 avant de se stabiliser entre 900 et 1 000 millions de tonnes (Mt) par an. Derrière ces tendances, plusieurs évolutions. D’un coté la transition vers l’économie de marché des pays d’Europe centrale accélère l’abandon des combustibles solides dans les usages résidentiels et industriels au profit du gaz naturel. De l’autre, la chute des prix des hydrocarbures, accentuée par le contre choc de 1986, et la montée en puissance des programmes nucléaires, confirment la régression des charbonnages au Royaume-Uni, en Allemagne, en France et en Espagne. Au cours des années 2000, cette diminution de la consommation est cependant interrompue par la réactivation de la thermoélectricité charbon particulièrement nette dans quelques pays. En Pologne, toujours resté grand pays charbonnier, la crainte de dépendre d’un approvisionnement gazier en provenance de Russie incite à maintenir en activité le parc thermoélectrique charbon et les houillères qui l’approvisionnent. En Allemagne, l’Energiewende qui consiste remplacer du nucléaire par des renouvelables ne permet pas de réduire la part de la thermoélectricité bien assise sur des mines de lignite et des importations de charbon vapeur. En Turquie, la forte croissance de la demande d’électricité pousse au développement de centrales thermoélectriques alimentées en lignite des bassins d’Afsin-Elbistan et de Karapinar.

1.2. Les charbonnages russes se redressent après l’effondrement des années 1990

La chute de consommation la plus spectaculaire est celle de l’ex-Union Soviétique, divisée par plus de deux entre 1980 et 2009, soit une part de la consommation mondiale qui tombe de 19 à 5 % au cours de cette période, avant la remontée des trois dernières années. Cette évolution résulte de l’effondrement économique qui a suivi la disparition de l’Union Soviétique et d’une politique de vente du gaz à des prix particulièrement bas sur le marché intérieur. Elle fait place, depuis 2010, à une expansion soutenue des exportations, de plus en plus dirigées vers l’Asie, à partir de la mise en exploitation des vastes ressources de Sibérie orientale.

1.3. Le gaz l’emporte sur le charbon aux États-Unis

Fig. 2 : Évolution des prix des combustibles rendus centrales thermiques (en $/ MBtu) – Source : U.S. Energy Information Administration, Agence Internationale de l’Énergie (AIE)

Le poids de l’Amérique du Nord dans la consommation mondiale de charbon s’est aussi sensiblement réduit, de 18 % en 1980 à 11 % en 2012, du fait d’une croissance annuelle moyenne modérée jusqu’en 2008 (1,7 %) puis d’une forte contraction imputable à la chute des prix du gaz (de 8 à 4 $/MBtu) aux États-Unis provoquée par l’extraction massive de gaz de schistes (Figure 2) et le durcissement des normes de protection de l’environnement qu’édicte l’Environment Protection Agency (EPA).

Dans un contexte de quasi-stabilisation de la demande d’électricité, la fermeture et/ou la conversion au gaz d’un certain nombre de centrales thermiques charbon inverse une croissance de la consommation de combustibles solides (Figure 3) qui, selon l’Energy Information Administration (EIA), ne devrait plus guère dépasser 1 % par an d’ici 2035.

1.4. La croissance chinoise stoppée

Fig. 3 : Évolution des parts de chaque filière dans la production d'électricité américaine en % (1950-2016) – Source : U.S. Energy Information Administration, AIE

Reste l’Asie (Moyen-Orient inclus) dont la part dans la consommation mondiale de charbon saute de 24 % en 1980 à 65 % en 2012, suite à une croissance annuelle moyenne de 5,4 % sur toute la période. En cause, les dynamismes démographique et économique de la plupart des pays dont l’industrialisation et l’urbanisation requièrent toujours plus de sources d’énergie moderne.

Fig. 4 : Évolution des rythmes de croissance de la consommation chinoise de charbon (2001-2014) – Source : U.S. Energy Information Administration, China National Bureau of Statistics (NBS), AIE

En tête des pays gros consommateurs de charbon, la Chine qui avec ses 3 467 Mt brûlées en 2012 dépassait 70 % de la consommation du continent (Lire : L’énergie en Chine : la construction du socialisme). Ce résultat s’inscrit cependant sur une trajectoire de croissance qui n’a cessé de diminuer (Figure 4).

Quatre évolutions sous-jacentes à cet essoufflement de la croissance charbonnière sont à l’origine de la baisse de la consommation chinoise en 2014 (-2,9%), en 2015 (-3,7%) et en 2016 (-2,4%) [2].

L’inflexion de la croissance industrielle qui a glissé de 13-15% par an en 2010-11, à 9-10% en 2012-13, 7-8% en 2014 et finalement 6% en 2015-16, tirée vers le bas par les branches grosses consommatrices d’énergie telles que la sidérurgie, la cimenterie, la chimie lourde et la métallurgie [3]. Emblématique de cette évolution, la production d’acier qui recule de 4% par an depuis 2013 et que le gouvernement central voudrait réduire de 150 Mt entre 2016 et 2020.

Conséquence du nouveau cours de la croissance économique, l’intensité énergétique du PIB a commencé à baisser en 2011 à un rythme qui a atteint 4,8% en 2014 et 5,6% en 2015. Dans ce contexte, la croissance annuelle de la consommation d’électricité s’est effondrée de 12% en 2011 à 3,8% en 2014 puis 0,5% en 2015, soit 5 642 TWh, entrainant une chute du nombre d’heures d’utilisation des capacités installées autour de 4 200 [4].

Pour la produire, le charbon minéral n’a plus joui du même engouement qu’au début des années 1980 (Lire : L’énergie en Chine : les réformes de Deng Xiaoping). À son encontre, quelques mesures prises à la fin des années 1990 avaient déjà permis de contenir, ici et là, les rejets de SO2, N0x et les poussières [5]. Elles vont être renforcées dès lors que la société chinoise comprend que qualité de l’environnement et progrès économique ne sont pas totalement antinomiques [6]. L’un des moments forts de cette prise de conscience est la publication par le Conseil d’État, en septembre 2013, de l’Airborne Pollution Prevention and Control Action Plan 2013-2017 qui fixe des lignes d’action sans équivoques :

  • réduction de la part du charbon dans la consommation d’énergie primaire à moins de 65% en 2017 : encore timide par rapport aux 68,4% de 2011, l’objectif doit être le point de départ de réductions ultérieures ;
  • interdiction de construire de nouvelles centrales thermiques charbon dans la région de Beijing-Tianjin-Hebei ainsi que sur les deltas du Yangtze et de la Pearl River ;
  • instauration de nouvelles normes de qualité de l’air impliquant l’abaissement de la concentration en particules, notamment les PM2.5, dans toutes les régions critiques ;
  • publication mensuelle du nom des 10 villes les plus polluées et des 10 les plus propres.

Cette prudence accrue au regard du charbon a joué en faveur d’une progressive diversification du parc de production d’électricité : bien que la puissance de la thermoélectricité charbon ait triplé au cours des dix dernières années, sa part dans le parc électrique s’est réduite de 64 à 61-59%, (Tableau 2). Au cours du premier semestre 2016, sa contribution à la production d’électricité a encore reculé de 3%.

Tableau 2 : Évolution du parc électrique chinois 2005-2015 (en GWe)

GWe 2005 2013 2014 2015
Thermique charbon 303 826 820 880
Thermique fuel-oil 40 11 10 10
Thermique  gaz 10 48 50 67
Hydraulique 105 280 300 293
Nucléaire 9 17 20 26
Eolien 0 78 90 128
Solaire 0 17 30 42
Autres 3 9 10 24
TOTAL 470 1286 1330 1470
Source : Enerdata. Note : Les 3 GWe de 2005 englobent toutes les sources renouvelables. Les données 2014 et 2015 sont à interpréter avec prudence car elles ne concordent pas d’une source à l’autre. La diminution de la puissance thermique charbon en 2014 est contredite par la mise en service d’environ 40 GWe, même si nombre de vieilles centrales ont été déclassées.

Jusqu’en 2013, le gaz n’a pas joué un grand rôle dans cette évolution car peu prisé tant des autorités que des compagnies électriques, du fait de son coût élevé, qu’il soit extrait localement, importé d’Asie centrale et du Myanmar par gazoduc ou acquis sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Depuis 2014, toutefois, dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique urbaine, l’installation de turbines à gaz a fortement progressé [7]. Parallèlement, les filières de production d’électricité non carbonée ont pris de plus en plus de place : les capacités hydroélectriques ont triplé, notamment avec la mise en eau des 22 GWe des Trois Gorges et de quelques autres grands aménagements, mais leur contribution à la capacité électrique totale est restée stable autour de 20% ; les capacités de production nucléaire, solaire et plus encore éolienne, avec des contributions de 1,7 %, 2,8% et 8,7% en 2015, commencent à compter. Toutes ces évolutions autorisent la Chine, début janvier 2017, à se fixer un plafond de consommation et de production de charbon à 4 Gt en 2020.

1.5. L’Inde, l’Asie du Sud-Est et l’Afrique australe tirent désormais la croissance

À l’opposé de son évolution en Chine, la croissance de la consommation de charbon en Inde n’a pas été interrompue en 2014. Sa vigoureuse croissance au taux annuel moyen de 5,4% entre 1990 et 2010 a continué jusqu’à 850 Mt en 2015. En cause, le dynamisme de la sidérurgie et des cimenteries, mais plus encore le développement d’un parc électrique largement appuyé sur la thermoélectricité charbon (Tableau 3).

Tableau 3 : Évolution du parc électrique indien 2007-2015 (en GWe)

GWe

2007

2012

2015

2016

Thermique charbon

71

112

169

185

Thermique diésel

1

1

1

1

Thermique gaz

14

18

23

24

Hydraulique

35

39

41

43

Nucléaire

4

5

6

6

Eolien, solaire, autres

8

25

36

43

TOTAL

133

200

276

302

Source : données d’origines diverses réunies par l’auteur. Il s’agit vraisemblablement de capacités nettes car certaines sources donnent 208 GW thermoélectriques charbon en 2016. Les nombres ont été arrondis.

Cette prééminence (61% des capacités installées en 2016) est liée à la bonne compétitivité de la thermoélectricité charbon, résultant elle-même de ressources charbonnières exploitables à faible coût face aux contraintes pesant sur les autres filières électriques : éloignement des sites hydrauliques des régions himalayennes, très difficile approvisionnement en gaz naturel local ou importé, lent développement du programme nucléaire et, jusqu’en 2012, des nouvelles sources renouvelables. Dans ce contexte inchangé à court terme, le gouvernement indien se fixe une consommation de 1 500 Mt en 2020, dont 1 000 extraites par la Coal of India Ltd (CIL).

Outre le Japon et la Corée du Sud, restés gros consommateurs de houille, la plupart des autres pays asiatiques consomment de plus en plus de charbon. La part de cette source d’énergie dans leur bilan énergétique n’a cessé de croître entre 2010 et 2015: de 7,7 à 16,0% en Indonésie, de 4,7 à 17,0% en Malaisie, de 12,9 à 24,4% aux Philippines, de 0,1 à 9,6% au Sri Lanka, de 10,6 à 11,8% en Thaïlande, de 15,2 à 28,8% au Vietnam [8].

Ces évolutions contrastées dans les différentes régions du monde sont-elles durables ? Quels changements pourraient modifier leurs trajectoires, tant du côté de la demande que de l’offre de charbon ?

2. La compétitivité de la thermoélectricité, clef de la demande de charbon

Dans plusieurs pays, surtout en Asie, des combustibles solides continuent à être utilisés par des ménages pour la cuisson des aliments et le chauffage des habitations dans les régions à hiver froid, comme au Tadjikistan. Ces usages tendent cependant à se réduire avec l’accès à d’autres sources d’énergie (kérosène, gaz liquéfié et électricité) d’abord dans les villes puis dans les campagnes, à l’exception de celles proches d’une mine de charbon en activité.

D’autres usages sont le fait des industries grosses consommatrices d’énergie produisant du ciment, des matériaux de construction ou des métaux non ferreux, mais ils reculent souvent au profit du gaz naturel, préféré pour des raisons de propreté et de qualité de l’environnement.

Outre quelques nouveaux usages tels que la conversion du charbon en carburants, en gaz ou en produits chimiques (coal-to-liquids ou coal-to-gas), les usages importants restent la thermoélectricité charbon et la sidérurgie (Tableau 4).

Tableau 4 : Évolution de la structure de la consommation de charbon (en %)

(en%) 1980 1990 2000 2005 2015
Monde
Production d’électricité 43 50 64 63 65
Sidérurgie 22 17 10 11 16
Autres industries et foyers domestiques 35 33 26 25 19
OCDE

Production d’électricité

61 70 80 82 82

Sidérurgie

22 17 9 9 9
Autres industries et foyers domestiques 17 13 11 9 9
Source: Enerdata

2.1. Des usages sidérurgiques en expansion

Le charbon métallurgique ou cokéfiable (coking coal) ne représente qu’environ 13% de la consommation mondiale de charbon mais il se vend en moyenne deux fois plus cher que le charbon vapeur (steam coal) et a peu de substituts. La croissance de son utilisation ne va cependant pas de soi. Entre le début des années 1970 et la fin des années 1990, son usage avait décru d’environ 1% par an, sous un triple effet : l’expansion très modérée de la production sidérurgique mondiale (1,2% par an) du fait d’un essor de celle des pays émergents compensant à peine la stagnation de celle des pays développés ; les progrès techniques réduisant la consommation de charbon, de la fabrication du coke à celle de la fonte dans le haut-fourneau (mise au mille) [9] ; le doublement de la part de l’acier produit à partir de ferraille dans des fours électriques (Tableau 5).

Tableau 5 : Évolution de la production d’acier, de sa structure par filières et de la consommation de charbon cokéfiable (en millions de tonnes et %)

1970-74

2000

2010

2014

Production mondiale d’acier (Mt)

595

850

1 433

1 665

Taux de croissance annuel moyen (%)

1,2

5,4

3,8

Part de la filière électrique (%)

17,0

33,5

30,8

25,8

Consommation de charbon cokéfiable (Mt)

564

477

878

1 046

Taux de croissance annuel moyen (%)

-1,0

6,3

4,5

Part du cokéfiable dans la consommation totale (%)

18

10

12

Source : Worldsteel Association, Steel statistical yearbook et Enerdata. Note : Pour la période 1970-74, la consommation d’acier est celle de 1970, la consommation de cokéfiable celle de 1973 et la part de la filière électrique celle de 1974.

Depuis les années 2000, l’évolution s’est inversée. Sous la poussée des sidérurgies émergentes, le taux de croissance de la production mondiale d’acier a triplé, entraînant un doublement de la consommation de charbon cokéfiable dont la part dans la consommation totale de charbon est remontée de 10 à 13%. Derrière cette nouvelle trajectoire, la poursuite d’une efficacité accrue des cokeries et des hauts-fourneaux, contrebalancée par une baisse de huit points de la part de l’acier issu des fours électriques du fait d’un manque de ferraille dans les économies émergentes. Jusqu’en 2010, la Chine a tiré pratiquement seule une consommation de charbon cokéfiable qui stagne ou régresse ailleurs, sauf dans l’Asie du Sud-Est devenue la région leader entre 2010 et 2014.

La baisse de 1,7% de la consommation mondiale d’acier en 2015 marque-t-elle une inflexion durable de trajectoire ? Ce qui se passe en Chine inciterait à répondre par l’affirmative : décroissance de la production d’acier de 4% par an depuis 2013 suivie de la décision de réduire sa production de 100 à 150 Mt entre 2016 et 2020, notamment par fermeture des vieilles installations du Dongbei (ancienne Mandchourie). Mais la reprise de la production mondiale en 2016, que prolongent les perspectives en forte hausse de l’Inde, de l’Iran, de la Corée du Sud ou du Mexique, tend à conforter les prévisions de ceux qui tablent sur un rythme de 2,5% entre 2015 et 2030. Au delà, les énormes besoins d’acier des pays qui démarrent leur industrialisation en Afrique justifient le doublement de la consommation mondiale à l’horizon 2050 que retient l’AIE, y compris dans son scénario respectant la limite de hausse de la température de 2°C.

Les sidérurgies des économies émergentes bénéficieront certes de nouveaux progrès réduisant l’intensité énergétique de la tonne d’acier, mais leurs faibles stocks de ferraille ne permettront pas un grand essor de la filière électrique. Même si tous les pays ne s’inscrivent pas sur des trajectoires comparables à celles de l’Inde (7,8% par an depuis 2000), de la Colombie (12,8%) ou de l’Indonésie (20,2%), et même si la sidérurgie chinoise décline, la consommation mondiale de charbon cokéfiable ne peut que croître au cours des prochaines décennies.

Des changements technologiques pourraient-ils freiner la croissance des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui en résultera ? La réduction directe qui agit dans ce sens en remplaçant le charbon cokéfiable par du gaz naturel a peu de chance de s’imposer hors des niches géographiques qui sont les siennes. Les procédés de captage et stockage du CO2 étudiés depuis plusieurs années par les principaux groupes sidérurgistes européens dans le cadre du projet ULCOS (Ultra-Low Carbon Dioxide Steelmaking) sont toujours trop coûteux pour être mis en œuvre. Le lancement par les sidérurgistes suédois SSAB et LKAB associés à l’électricien Vattenfall de recherches sur un procédé de fabrication d’acier sans émissions de CO2 à base d’énergies renouvelables, baptisé Hybrit, pourrait-il changer le cours des choses ? Peut-être, mais pas avant longtemps, puisque ce n’est que vers 2045 que se concrétiserait la filière idyllique « éoliennes – électrolyseurs producteurs d’hydrogène – réduction directe du fer – fabrication d’acier dans des fours électriques »[10].

2.2. Des usages thermoélectriques plus menacés

Depuis 1980, c’est donc bien la thermoélectricité qui tire la consommation mondiale de charbon dont elle absorbe environ 65% et même plus de 80 % dans les pays avancés. Ce débouché aurait été encore plus volumineux s’il n’avait été limité par l’efficacité croissante de la conversion combustibles-électricité qui tend désormais vers les 50 % dans les centrales ultra-supercritiques.

Plusieurs évolutions ont convergé en direction de cette prééminence de la thermoélectricité charbon. Pénalisée par la raréfaction des sites non encore équipés dans de nombreux pays et par le coût élevé de ses investissements initiaux, l’hydroélectricité a crû moins vite que la production totale d’électricité. Le nucléaire, après une percée rapide au cours des années 1980, s’est heurté aux États-Unis puis en Europe à la méfiance des investisseurs qu’ont inquiété la hausse des coûts, les actions en justice et des normes de sureté toujours plus contraignantes. Suite aux fortes hausses des prix du pétrole brut et à un raffinage de plus en plus axé sur la production de carburants, l’usage de fuel lourd pour la production d’électricité n’a cessé de se réduire. Ne sont restées en lice que les filières thermoélectriques gaz et charbon, la forte progression de la première aux États-Unis à partir de 2008 ne parvenant pas à stopper celle plus modérée de la seconde qui, en 2011, a franchi la barre des 40 % à l’échelle mondiale (Tableau 6).

Tableau 6 : Évolution de la production mondiale d’électricité par filières (en TWh et %)

1980

1990

2000

2005

2014

Production brute totale (TWh)

8 282

    11 847

15 460

    18 303

23 816

Hydraulique (%)

 20,9

18,5

17,5

      16,5

16,4

Nucléaire (%)

  8,6

17,0

16,8

      15,1

10,6

Géothermie
Éolien
Biomasse (%)

  0,7

 2,3

2,0

       2,5

6,3

Thermique fuel (%)

19,8

10,3

 7,3

       5,9

4,3

Thermique gaz (%)

12,0

14,6

17,7

     20,0

21,6

Thermique charbon (%)

38,0

37,3

38,7

     40,0

40,8

Source: Enerdata

Fig. 5 : Coûts de production comparés du MWh issu de différentes filières en 2012 – Source : Auteur, d’après Eurelec VGB levelised costs of electricity at 10% discount rate.

Cette moyenne recouvre évidemment des situations très contrastées, tous les pays ne faisant pas appel aussi massivement au thermique charbon que l’Allemagne (44 %), les États-Unis (45 %), le Maroc et la Grèce (55 %), la République tchèque (56 %), l’Inde (69 %), Israël (63 %), le Kazakhstan (70 %), la Chine (79 %), l’Australie (76 %), la Pologne (90 %) ou l’Afrique du Sud (93 %). Pourquoi de telles préférences ? Partout, parce que la technologie de la thermoélectricité charbon est ancienne et bien maîtrisée, y compris par les constructeurs chinois ou indiens qui obtiennent des coûts du MWh beaucoup plus bas que ceux des autres filières électriques (Figure 5). Dans de nombreux pays, en outre, ces capacités installées peuvent être alimentées par du charbon, houille ou lignite, qui est une ressource nationale abondante, gage d’un approvisionnement sûr et bon marché, surtout face à des hydrocarbures importés (Lire : Les industries du charbon minéral en Afrique). Lorsque tel n’est pas le cas, comme au Japon ou en Europe occidentale, l’industrie électrique peut importer à des coûts très avantageux par rapport à ceux du gaz naturel, surtout sous forme de GNL.

Depuis 2012, les coûts de production des diverses filières ont évolué. En Europe et en Amérique du Nord, la thermoélectricité charbon a perdu de sa compétitivité face au thermique gaz et aux renouvelables, éolien et solaire PV, dont les coûts ont beaucoup baissé. En revanche, elle reste avantageuse en Asie, surtout lorsque les systèmes électriques ne disposent pas des moyens pour faire face à l’intermittence et à la variabilité [11]. Il n’en irait sans doute pas de même si était prise en compte le coût des émissions de GES par l’intermédiaire d’un prix du carbone d’au moins 50$/tonne.

En attendant, le charbon minéral demeure un combustible très compétitif dans les gros usages thermiques parce qu’il bénéficie de coûts d’extraction et de transport tirés vers le bas par des évolutions techniques et géopolitiques très favorables.

3. Des réserves abondantes exploitables à des coûts bien maitrisés

Fig. 6 : Réserves et ressources de houille (hard coal) – Source : Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe (BGR) in Hannover, Energy Study 2016

Pour des raisons tenant aux conditions de leur formation, les stocks en terre de charbon [12]  sont abondants, en termes de réserves et plus encore de ressources (Figure 6).

Dans les vieux pays charbonniers, en Europe principalement, l’extraction souterraine de plus en plus profonde de veines de moins en moins épaisses est devenue si coûteuse que les mines ont dû être fermées les unes après les autres au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle. Mais, parallèlement, d’autres ont été ouvertes dans de nouvelles régions du monde et exploitées à l’aide de méthodes assurant des productivités du travail sans commune mesure avec celles des anciennes mines.

En 2016, les grandes régions d’extraction du charbon se sont déplacées vers le Powder River Basin (PRB) dans l’ouest des États-Unis, le Shanxi, le Shaanxi, la province de Mongolie et le Xinjiang en Chine, le Queensland en Australie, le Kalimantan en Indonésie, la Sibérie orientale en Russie, la Mongolie et l’Afrique australe. Les coûts des minerais que l’on peut s’y procurer varient évidemment selon les caractéristiques géologiques des sites miniers et les modalités de leur transport (distances et équipement), mais, de façon générale, ils ont été stabilisés ou même réduits par des changements de méthodes d’extraction et de transport.

Fig. 7 : Une excavatrice géante à l’œuvre dans le désert de Gobi en Mongolie – Source : Passion-liebherr.net

Dans les exploitations qui demeurent souterraines, avec les progrès de la mécanisation, l’abattage en galeries a été remplacé dans les mines qui s’y prêtaient par la méthode des chambres et piliers (room-and-pillar mining). Elle consiste à effectuer l’abattage par les mêmes moyens que ceux employés en galeries mais en laissant sur place, entre des galeries creusées parallèlement les unes aux autres, des piliers de charbon de plusieurs mètres de largeur pour soutenir au moins temporairement le toit de la veine. Cette méthode permet une croissance significative de la productivité du travail puisqu’elle économise le temps dédié au soutènement et facilite la mécanisation mais elle limite à 40-60% le taux de récupération du charbon sauf à reprise des piliers et remblayage du chantier. Initialement mises au point aux États-Unis peu soucieux d’économiser le minerai, les chambres et piliers se sont diffusées dans le monde, mais elles ont été souvent remplacées par la méthode de la longue taille (longwall mining). Cette dernière permet l’automatisation des opérations d’abattage et de chargement ainsi qu’une récupération proche de 100% du charbon. Elle consiste à mettre en œuvre « un soutènement marchand qui protège le travail d’abattage de rabots ou de haveuses qui sont tractés le long de la veine (les chantiers peuvent atteindre 200 mètres de long) et déversent le charbon dans un convoyeur blindé qui l’évacue vers les galeries latérales ».[13]

Aussi performantes soient-elles, les méthodes d’extraction souterraine sont loin d’assurer des productivités du travail et une souplesse de gestion comparables à celles des mines à ciel ouvert (open mining, surface mining, opencast mining) qui s’apparentent à des travaux de terrassement. Rien d’étonnant donc à ce que ces méthodes d’extraction soient choisies lorsque le minerai est peu profond (100 à 400 m) et que l’on peut déplacer aisément les terrains stériles qui le recouvrent avant de les stocker en surface (verses). Les étages de minerai sont alors découverts par niveaux successifs horizontaux, d’où le nom de « découverte ». Le paramètre économique déterminant de ce type d’exploitation est le taux de découverture (stripping ratio), c.à.d. le rapport entre le volume (T) de terre stérile ou mort-terrain (overburden) à déplacer et le tonnage (C) de charbon à extraire. Sa limite est normalement située entre 10 et 15 m3 par tonne de charbon extrait, mais il peut exceptionnellement atteindre 30 avec des scrappers géants (Figure 7), des excavatrices (dragline) à tambour ou à godet de très grande taille ou des roues-pelles débitant 1 000 m3/heure. Le minerai est ensuite évacué par camions-bennes (dumper) d’une capacité pouvant atteindre 150 tonnes et/ou convoyeurs à bande. L’augmentation de taille et de vitesse de travail de ces machines n’a cessé d’étendre leur domaine d’application au cours des dernières décennies.

Fig. 8 : Un train bloc évacuant le minerai dans l'ouest des États-Unis – Source : Ferret.com

Résultat : l’écart n’a cessé de se creuser entre les productivités du travail des diverses régions minières. Exprimées en 1 000t/h/an toutes activités confondues (fond et surface), leurs moyennes, au milieu des années 2000, ne dépassaient pas 0,3 en Chine ; 0,5 à 0,7 en Allemagne et en Pologne ; 4,7-5,4 en Afrique du Sud et en Colombie ; 11,0 à 13,0 dans les mines à ciel ouvert d’Australie, du Canada ou d’Australie.

Parallèlement, les moyens de traitement (lavage, concassage, criblage), d’évacuation et de transport du minerai se sont modernisés. Tapis roulants, trains de barges fluviales poussés ou automotrices, trains compacts sur voie ferrées (Figure 8).

Tous ces changements techniques ont tiré les coûts Free On Board (FOB) vers le bas (Tableau 7). Dans les vieilles régions minières à exploitation majoritairement souterraine, comme le centre Appalaches aux États-Unis, ces mêmes coûts peuvent être multipliés par deux ou trois. Les écarts considérables entre les coûts départ mine (run of mine) sont générateurs de rentes dont profitent les compagnies propriétaires des mines les plus avantageuses.

Tableau 7 : Coût FOB d’un charbon indonésien (en US $ par tonne)

Coût FOB total   (en US $ par tonne)

35.58 – 40.18

– Déboisement et préparation du terrain (land clearing)

2.00

– Extraction (striping ratio de 3 à 5 m3/tonne) y compris TVA

8.58 à 12.98

– Transport par camion (haulage) sur 70 km

5.60 à 7.70

– Broyage du minerai (crushing)

1.50

– Chargement sur barge (barge loading)

4.00

– Transbordement sur minéralier (transshipment)

6.00 à 7.00

– Frais généraux (operation cost)

2.50 à 3.00

– Redevance (royalty)

2.00 à 5.40

Source : Energy Economist, October 2013. Il s’agit de l’exemple de deux mines de tailles différentes dans le Kalimantan en US$/tonne pour des charbons à 4 200 kcal/kg.

4. L’essor des échanges internationaux sur des marchés très concurrentiels

Fig. 9 : Transport de minerai sur un Capesize – Source : Shiptradehouse.com

La baisse des coûts FOB n’aurait pas pu se répercuter sur les prix Cost Insurance and Fret (CIF) dans les pays importateurs de charbon sans une baisse significative des coûts de transport internationaux imputables à l’extension et à la modernisation de la flotte mondiale des vraquiers dont les capacités unitaires sont passées de celle d’un Handymax (50 000 tpl), à celle d’un Panamax (70 000 tpl), d’un Capesize (100 000 tpl) ou d’un Supercapesize (Figure 9), parallèlement à l’extension et à la mécanisation des installations portuaires de chargement (Richards Bay en Afrique du Sud ou Newcastle en Australie) et de déchargement (Anvers-Rotterdam-Amsterdam dits ARA en Europe) dont les capacités ont été multipliées par 12 entre 1980 et 2015. Ces évolutions ont été portées par les armateurs, les compagnies exploitant des mines dans les pays exportateurs parfois relayées par des traders, le plus souvent avec l’appui des gouvernements. Vendeurs et acheteurs de charbon étaient liés par des contrats, à long terme avant 2000. Ils le sont par des contrats annuels ou spot (2 à 3 mois) depuis.

En 2015, 1 311 Mt de houille ont été transportées par voie maritime, soit 17 % de la consommation mondiale. Les flux de charbon cokéfiable (23 % des échanges mondiaux) et de charbon vapeur (77 %) partent majoritairement de quelques grands pays exportateurs (Australie, Indonésie, Russie, Colombie, Afrique du Sud) à destination du Japon, toujours importateur numéro un dans le monde, et de l’Europe occidentale largement dépassée par l’Asie (hors Japon) depuis le milieu des années 2000 (Tableau 8). Producteurs d’appoint (swing producers), les États-Unis ne reviennent sur le marché mondial des charbons cokéfiables, et surtout sur celui Atlantique des charbons vapeur, que lorsque les prix sont suffisamment élevés.

Tableau 8 : Échanges mondiaux de charbon en 2015  (en million de tonnes)

Export/import
(Mt )
Japon
Autres Asie
Europe
Amérique Nord
Amér.lat. Afrique
Total
Australie

124.5

225.5

22.6

3.8

10.8

392.3

Indonésie

35.7

325.9

7.8

0.8

0.4

368.4

Afrique Sud

0.6

46.1

29.6

0.1

15.8

77.3

Russie
Kazakstan

14.2

56.7

106.4

0.1

5.9

182.5

États-Unis

4.9

11.7

40.6

9.2

8.0

67.1

Canada

10.2

14.2

4.9

1.7

1.7

30.5

Colombie

0.2

5.9

60.2

20.2

19.8

82.0

Autres

3.5

50.5

85.0

0.7

1.5

111.0

Total

191.6

737.5

312.1

36.6

63.9

1 311.1

Source : AIE, Coal Information (2016). p. VI 39. La colonne « Total » est supérieure à la somme des colonnes du fait de l’imprécision des données qui exige des ajustements non reportés ci-dessus.

Fig. 10 : Évolution des prix sur le marché des charbon vapeur, février 2012-2017 (en US $ par tonne) – Source : Auteur, données AIE, World Energy Outlook 2016.

En matière de prix internationaux, le charbon bénéficie encore d’un avantage par rapport aux autres grandes sources d’énergie fossiles : sur les marchés des charbons vapeur comme sur celui des charbons cokéfiables, les prix résultent d’une vive concurrence entre un grand nombre de producteurs, dont quelques multinationales (Rio Tinto, Anglo American, BHP Billiton, entre autres) qui n’ont jamais pu exercer un pouvoir de marché. Dès lors, lorsque la demande diminue face à une offre abondante, les prix baissent, ce qui relance la compétitivité, donc la demande et les prix. Il est à noter que la remontée des prix au printemps 2016 résulte de la reprise des importations par la Chine, suite à sa politique trop brutale de réduction de sa production, notamment par diminution des heures de travail dans les mines. Depuis, les corrections intervenues ont fait retomber les importations donc les prix vers un niveau de 80$/t (Figure 10).

5. L’incidence des politiques charbonnières nationales

Les évolutions sous-jacentes à la forte croissance de la consommation mondiale de charbon jusqu’en 2013 (offre abondante et demande soutenue par la compétitivité de la thermoélectricité charbon) n’ont pas disparu en 2013 mais elles ont perdu de la vigueur, principalement du fait de la baisse des coûts de la thermoélectricité gaz dans certaines régions et de la production d’électricité à partir de sources renouvelables. Les effets de ces évolutions ont cependant varié avec les politiques énergétiques nationales plus ou moins engagées en faveur de la protection de l’environnement que menacent l’exploitation et la combustion du charbon. Que sait-on des intentions des principaux pays charbonniers ?

Entre toutes les sources d’énergie, le charbon est sans aucun doute celle dont les impacts environnementaux sont les plus manifestes. Outre les émissions, lors de sa combustion, de SO2, NOx, particules diverses et CO2 (Tableau 9), les conditions de son exploitation à ciel ouvert peuvent être dévastatrices pour le sol, les paysages et les cours d’eau.

Tableau 9 : Émissions de polluants et de CO2

Émissions (g/GJ)

Houille

Lignite

Fuel-oil

Gaz naturel

Polluants
SO2

765

1 361

1 350

0,68

NOx

292

183

195

93

Composés organiques

4,92

7,78

3,70

1,58

Particules

1 203

3 254

16

0,1

Dioxyde de carbone
CO2

94 600

101 000

77 400

56 100

Source : compilation par l’auteur à partir de données publiées par l’AIE.

Dans le cadre de la préparation de la COP 21, la plupart des États ont pris des engagements de réduction de leurs émissions de GES lesquels incluent le plus souvent des réductions d’accès au charbon minéral. En ira-t-il bien ainsi ?

La Chine, producteur et consommateur d’environ la moitié du charbon minéral mondial, est évidemment le pays dont la politique sera la plus déterminante. Sa volonté, pour des raisons de protection de l’environnement (pollution atmosphérique urbaine sans doute plus que limitation des émissions de GES), de ne plus dépasser une consommation et une production de 4 Gt d’ici 2020, puis de les réduire, ne semble pas faire de doute. Pour y parvenir, elle devra cependant surmonter nombre d’obstacles liés aux coûts plus élevés

  • d’une thermoélectricité gaz à partir soit de sources majoritairement importées (GNL ou nouveaux gazoducs depuis la Russie), soit d’une exploitation encore coûteuse des gaz de schistes locaux ;
  • d’une électricité d’origine solaire ou éolienne, produite très loin des grands centres de consommation du sud-est, donc handicapée par des pertes en ligne, par des coûts élevés de transport et par les réticences des compagnies électriques à gérer une production intermittente et éminemment variable.

Aux termes des évolutions observées depuis le début des années 2010, la consommation charbonnière des États-Unis devrait continuer à s’éloigner du 1 Gt atteintes entre 2000 et 2008 (Tableau en annexe) pour les raisons économiques (prix du gaz de schistes) et politiques (législation de l’Environmental Protection Agency (EPA). Qu’adviendrait-il, cependant, si les prix du gaz remontaient durablement au dessus de 3$/Mbtu, parallèlement à un abandon par la nouvelle administration du président Donald Trump de toutes les mesures contraignantes pour les industries charbonnières et électriques en parallèle du retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat ? La fermeture des mines les plus coûteuses des Appalaches serait aisément compensée par l’extension de celles de l’Illinois ou du Powder River Basin.

Avec de grandes agglomérations urbaines menacées par une pollution atmosphérique insupportable et de fréquentes révoltes campagnardes contre l’ouverture de nouvelles mines, l’Inde n’est pas insensible aux méfaits d’une forte addiction aux combustibles fossiles solides. Des mesures ont donc été prises pour élever l’efficacité de la combustion d’un charbon de qualité médiocre (très forte teneur en cendre) et pour leur substituer d’autres sources d’énergie, via notamment un ambitieux programme solaire. Néanmoins, les actuels projets des compagnies électriques et des auto-producteurs qui tendent vers 500 GWe de thermique charbon en 2040, paraissent peu compatibles avec l’engagement COP 21 d’un 40% d’électricité non carbonée en 2030.

Fig. 11 : Vue d'ensemble des clean coal technologies – Source : Auteur, d’après AIE

Dans tous les autres pays de l’Asie du Sud-Est, les constructions de centrales thermoélectriques charbon vont bon train. Même au Pakistan, jusqu’à présent peu séduit par le charbon, 10 GWe de thermique charbon qu’alimenteront les lignites du Thar sont en construction dans le cadre du projet de Corridor sino-pakistanais. Tous ces pays s’approvisionneront aisément sur les marchés internationaux des charbons vapeur et cokéfiables nourris par les productions d’Australie, d’Indonésie, de Mongolie, du Mozambique ou de Russie, en forte expansion. Ni les ventes d’actifs par des multinationales comme Rio Tinto ou Anglo Coal, ni les retraits de projets charbonniers de certaines institutions financières n’auront raison d’une industrie dont les barrières à l’entrée sont suffisamment basses pour attirer nombre de jeunes entreprises.

Pour toutes ces raisons, le charbon ne semble pas sur le point de disparaître de la scène internationale. Plutôt que de vouer sa consommation aux gémonies, mieux vaudrait prendre plus au sérieux la vaste palette des technologies propres du charbon (clean coal technologies) [14] (Figure 11).

Parmi ces technologies, le captage et stockage du carbone (carbon capture and storage – CCS) améliorerait sensiblement la compatibilité des usages du charbon minéral avec la limitation des émissions de GES (Lire : Captage et stockage du carbone).

 

Actualisation d’avril 2023
En forte baisse depuis 2014, la capacité mondiale d’électricité thermique charbon est repartie à la hausse en 2022, soit un total de 537 GW (+12%), uniquement du fait de la Chine, soit un total de 365 GW (+38%), notamment en Mongolie Intérieure. A quoi s’ajouteront bientôt les 86 GW de nouveaux projets en cours. Les diminutions dans le reste du monde, sauf en Inde, ne suffiront donc pas à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, soit l’arrêt de toutes les centrales thermiques charbon en 2040. 

 


Notes et Références

[1] La précision « après séchage » est importante si l’on veut comprendre pourquoi sont dénommés « charbons » certains lignites dont le contenu  « avant séchage » ne dépasse pas 30 ou 40 %.

[2] Toutes les évaluations de consommation doivent être maniées avec précaution car, dans le passé, elles ont fréquemment dû être réévaluées : en 2000, de plus 165 Mt, puis en 2012 de 600 Mt, soit un écart allant croissant. En cause, des consommations locales non déclarées. Certains sont encore plus critiques, estimant sujettes à caution toutes les statistiques chinoises, consommation et production d’énergie (particulièrement charbon) mais aussi PIB. Des comparaisons précises sont apportées à l’appui de ce constat ainsi que des explications convaincantes. Yanjia Wang and Chandler William (2011). Understanding energy intensity data in China. Carnegie Policy Outlook, n° 24 March, p. 21

[3] Wu Ya, Zhang Wanying (2016).The driving factors behind coal demand in China from 1997 to 2012: An empirical study of input-output structural decomposition analysis. Energy Policy, vol. 95, pp. 126-134

[4] Yuan Jiahai and others (2016). Coal power capacity and investment bubble in China during 2015-2020. Energy Policy, vol. 97, pp. 136-144. Au cours du premier semestre 2016, la croissance de la consommation d’électricité semble être remontée à 2,7%.

[5] Ford Neil. (2013). China peaks over the coal horizon. Energy Economist, n° 384, pp. 3-6

[6] Le film « Under the Dome », vu par plusieurs centaines de millions de Chinois en 2015, a joué un rôle certain dans cette prise de conscience.

[7] Xin Li. (2015). Natural gas in China : a regional analysis. The Oxford Institute for Energy Studies, p. 32

[8] Sources : IEA, Coal Information 2016, pp. VI 70-71

[9] Entre 1960 et 2014, l’intensité énergétique de la tonne d’acier a été réduite, en moyenne, de 60%, selon la WorldSteel Association.

[10] Sources : Blog. Changements climatiques, Renouvelables de Cédric Philibert [consulté le 29.06.2016]

[11] L’actualisation des évaluations de coûts des diverses filières peut être faite à l’aide des documents suivants. IEA. (2015) Projected costs of generating electricity et VGB Powertech. Levelised costs of electricity. Issue 2015, 17 p. Les principales conclusions de ces études sont  que, depuis 2010, les coûts de génération de l’électricité n’ont pas augmenté, mais que ceux des renouvelables ont sensiblement diminué. De façon générale, les coûts individuels de chaque filière comptent moins que le coût auquel elles peuvent approvisionner un système électrique de façon sûre et efficace.

[12] En ajoutant le stock en terre de lignite (brown coal), réserves et ressources croissent d’environ 25%.

[13] Giraud Pierre-Noël, Suissa Albert, Coiffard Jean, Cretin Daniel (1991). Géopolitique du charbon. Paris : Economica, 412 p.

[14] Cette expression usuelle désigne toutes les technologies visant à réduire les impacts environnementaux liés à l’extraction et l’utilisation du charbon.


Annexe

Tableau : Évolution de la consommation mondiale de charbon 1980-2016 (million de tonnes)

Mt
Europe
Ex-URSS
Amérique
du Nord
Amérique
 latine
Asie
Afrique
Austral- asie
Monde (Mt)
Monde (Mtep)

Moyen-Orient

1980
1289,80
716,2
683,3
20,2
913,7
93,4
69,3
3786,50
1893,50
1981
1 296,8
726,7
703,6
20,2
938,6
105
69,3
3 860,2
1 930,0
1982
1 325,9
729,7
683,7
21,5
987,6
118,1
74,3
3 940,8
1 970,4
1983
1 348,9
730
715,2
23,3
1 040,5
122
71,9
4,051,7
2 025,9
1984
1 365,4
716,1
762,8
25,8
1 144,7
131,9
73,3
4 200,0
2 100,0
1985
1 435,3
723,2
794
29,6
1 208,4
134,5
80,3
4 405,2
2 202,6
1986
1 443,2
745,8
772,9
31,9
1255,9
140,5
78,8
4 469,0
2 234,5
1987
1 463,6
752,9
809,2
32,8
1329,9
146,5
86,6
4 621,6
2 310,8
1988
1 443,6
763,3
856,5
32,3
1426,0
148,9
89,2
4 760,3
2 380,2
1989
1 438,5
737,4
868,9
34,8
1451,5
141,3
96,7
4 769,0
2 384,5
1990
1 360,5
650,5
865
33,4
1561,1
136,7
96,4
4 703,6
2 351,8
1991
1 248,4
611,6
859,5
34,5
1549,6
143,5
100,1
4 747,2
2 373,6
1992
1 164,6
560,2
873,6
34,1
1594,3
134,6
102,6
4 464,0
2 232,0
1993
1 102,7
501,4
894,8
35,9
1680,0
148,3
101,5
4 464,6
2 232,3
1994
1 063,3
447,9
911,6
39
1775,0
152,5
101,8
4 491,1
2 245,6
1995
1 047,8
414,8
917,2
41,2
1907,0
158,6
103,9
4 590,3
2 295,2
1996
1 047,8
394,2
959,1
43,8
1988,8
161,1
111
4 705,8
2 352,9
1997
1 017,4
356,1
989,2
45,6
2032,40
164,7
117,2
4 722,7
2 363,9
1998
987,9
342,8
989,7
46,9
2035,00
162,4
127
4 691,8
2 345,9
1999
927,4
346,5
996
46
2000,8
168,7
130
4 615,4
2 157,7
2000
972,8
355,9
1 046,5
47,2
2062,4
183
130,1
4 837,7
2 418,9
2001
977,5
345,6
1 024,8
47
2174,0
184
130,8
4 882,9
2 441,5
2002
969,8
344,5
1 032,6
47
2 315,3
190
132,7
5 031,70
2 515,9
2003
997,9
361
1 057,8
51,7
2644,7
198,7
134,1
5 446,0
2 723,0
2004
988,4
349,8
1 065,3
51,5
2951,20
209,6
140
5 755,60
2 877,80
2005
972,1
350
1  078,5
55,9
3 299,9
207,6
142
6 105,90
3 053,00
2006
992,3
365,9
1 068,7
58,5
3611,7
210
144,6
6 451,8
3 143,7
2007
1 018,8
364,1
1 085,6
58,3
3900,6
216,2
144
6 788,0
3 226,0
2008
971,3
391,9
1 077,3
57,3
4038,50
229,1
144,4
6 909,8
3 316,9
2009
902,2
349,6
954,4
53,1
4342,5
213,5
147,7
6 963,0
3 455,0
2010
914,5
368,8
1004,9
64,7
4602,3
219,4
135,9
7 310,5
3 655,3
2011
959
390,4
958,7
71,3
4 982,0
212
131,1
7 704,3
3 852,2
2012
967,7
404,3
851,3
69,5
5198,40
219,3
130,5
7 841,0
3 920,5
2013
921
378
879,8
74,8
5382,70
222,4
119,1
7 977,80
3 989,00
2014
889,2
355,4
872,9
75,3
5386,20
233
113,9
7 926,10
3 963,00
2015
877,1
346
764,8
76,6
5260,50
223,3
116,7
7 665,10
3 832,50
2016
835
351,5
700,4
70,2
5118,50
222
121,5
7 419,20
3 709,50
Source: Enerdata (Juin 2017). Les totaux portent la marque de l’arrondi des valeurs annuelles. Une tonne équivalent pétrole (Tep) = 2 tonnes de charbon.

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