Charbon minéral : une demande toujours soutenue

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Est-il possible de dire adieu au charbon minéral pour protéger l’environnement, dont le climat planétaire ? Un début de retraits et de désinvestissements va bien dans ce sens (1ère partie), mais l’industrie charbonnière demeure vigoureuse dans certaines régions du monde (2ème partie), parce que les débouchés du charbon sont loin d’être taris (3ème partie).


Les appels à tourner le dos au charbon (Lire : Charbon minéral : retraits et désinvestissements se multiplient) ne sont pas encore parvenus à interrompre la croissance de la production mondiale (Lire : Charbon minéral : l’industrie ne baisse pas les bras). Les stratégies des grandes compagnies minières et les politiques des États attachés à la sécurité d’approvisionnement que leur garantit l’abondance du stock en terre jouent évidemment un rôle dans cette évolution. Derrière les unes et les autres, une demande toujours soutenue par la croissance des usages spécifiques du charbon cokéfiable dans la sidérurgie et, plus encore, par la bonne compétitivité de la thermoélectricité charbon dans des régions du monde qui aspirent à s’électrifier. Cette évolution est-elle appelée à durer ? En 2019, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont, pour la première fois depuis 1990, diminué de 3%, sous l’effet d’un fort recul de la production thermoélectrique charbon au Japon (-4%), en Corée du Sud (-5%), mais surtout aux États-Unis (-16%) et dans l’Union européenne (-24%). En revanche, cette même production a progressé dans la quasi-totalité des économies émergentes. D’où vient un tel contraste ?

 

1. Des usages spécifiques peu compressibles

Les utilisations quotidiennes de l’acier font oublier que la plus grande partie de sa production sort d’une filière comportant un haut fourneau que l’on ne sait pas faire fonctionner sans charbon cokéfiable (Tableau 1).

 

Tableau 1 : Évolution de la production d’acier et de la consommation de charbon cokéfiable

 

2000 2010 2014 2017 2018 2019
Production mndiale d’acier (Mt) 850 1 433 1 665 1 690 1 753 1 775
Taux de croissance annuel moyen (%) 1.2 5.4 3.8 0.5 1.2 3.9
Part de la filière électrique (%) 3305 30.8 25.8 25.0 29.0 28.0
Consommatio charbon cokéfiable (Mt) 477 878 1 046 998 992 1 006
Taux de croissance annuel moyen -1.0 6.3 4.5 -1.5 5.2 1.4
Part cokéf. dans cons. totale (%) 10 12 13 15 13 14

Source : Worldsteel Association, Steel statistical yearbook. Filière électrique correspond à EAF (Electric Arc Furnace)

 

La décroissance de la consommation de charbon cokéfiable entre 2014 et 2017 n’est pas appelée à se prolonger. Sur la base d’hypothèses d’une stabilisation de la demande dans les économies matures, mais de croissances annuelles moyennes comprises entre 2,5 et 4,0% dans les économies émergentes, les scénarios présentés à l’OCDE (septembre 2017) aboutissent à une production d’acier de 2 020 Mt en 2035, dont 40% issue de la filière électrique[1]. En supposant la poursuite de l’efficacité énergétique des 60% restant, la consommation de charbon cokéfiable serait encore de l’ordre de 1 000 Mt soit une stabilisation qui n’est réaliste que si la diminution de la consommation en Chine n’est pas largement compensée par son augmentation en Inde, Indonésie et autres pays du Sud-Est asiatique, d’Amérique latine et d’Afrique.

À la demande de charbon cokéfiable par la sidérurgie, s’ajoute, et va s’ajouter de plus en plus, celle de l’industrie chimique engagée dans la transformation de la houille en carburants et en nouveaux matériaux. Historiquement représentée par la Sasol d’Afrique du Sud, cette utilisation de la houille se développe rapidement dans plusieurs pays, mal pourvus en hydrocarbures mais riches en charbon minéral où se multiplient les projets de coal-to-liquids, coal-to-gas, coal-to-olefins, … Dans la seule Chine, désormais pionnière en la matière, début 2018, sept nouveaux complexes sont en construction dont ceux de Chang Xing Dao, Cao Fei Duan, Lian Yun Gang, Cao Jing, Ningbo, Gulei et Huizhou. Nombre d’autres pays tels que l’Inde, le Vietnam, l’Afrique du Sud ou le Mozambique, disent vouloir en faire autant. D’autres usages spécifiques du charbon minéral pourraient devenir encore plus importants si l’industrie des fibres de carbone, largement utilisées dans l’aéronautique, faisait appel à lui[2].

 

2. Des usages thermiques tirés par une thermoélectricité charbon toujours vigoureuse

Les usages du charbon par les ménages (cuisson des aliments et chauffage des habitations) sont en voie de disparition, notamment dans les grandes villes asiatiques. Restent les gros usages thermiques de quelques industries comme les cimenteries et, surtout, la thermoélectricité. C’est donc bien l’évolution du parc thermoélectrique qui va être déterminante. Où en est-elle en 2018 ? Que sait-on de sa trajectoire au cours des prochaines années (Tableau 2) ?

 

Tableau 2 : Évolution des capacités thermoélectriques charbon

 

2018 2019-2040
Capacité totale (GW) dont charbon (GW) Part thermique charbon % Retrait charbon (GW) Adjonction charbon (GW) Différence (GW)
Monde 7 218 2 079 28.8 529 1 081 552
-Amérique Nord 1 429 276 19.3 106 5 -101
-Amérique Sud 359 13 3.6 3 7 4
-Europe 1 305 222 17.0 154 81 -73
-Afrique 244 48 19.7 32 62 30
-Moyen-Orient 331 0 0 0 7 7
-Eurasie 331 68 20.5 55 47 -8
-Asie-Pacifique 3 218 1 452 45.1 179 872 693
dont Chine 1 872 1 006 53.7 83 329 246
dont Inde 396 227 57.3 45 312 267

Source : World Energy Outlook 2019

 

Avec 2 079 GW installés fin 2018, la thermoélectricité charbon représente environ 30% de la puissance mondiale[3]. Depuis, sa contribution à la production mondiale d’électricité a commencé à diminuer sous l’effet de son fort recul en Amérique du Nord et en Europe occidentale. Au cours des deux prochaines décennies, cette tendance devrait se poursuivre vers 18-22% selon les scénarios de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), mais les capacités thermiques charbon pourraient encore augmenter de 171 à 626 GW. Cet écart traduit l’ampleur des incertitudes, mais l’estimation des 552 GW en construction et annoncés, même après les fortes réductions intervenues entre 2016 et 2018[4], laisse penser que le Current Policy Scenario (CPS) est probablement plus proche de la trajectoire effective que le New Policy Scenario (NPS). Ces nouvelles capacités sont mises en place dans une soixantaine de pays, mais elles ne seront supérieures à celles, retirées pour vétusté, que dans certains pays, majoritairement en Asie et en Afrique[5].

 

3. En Europe et en Amérique du Nord, la fin du thermique charbon se rapproche

En Europe, les dernières centrales thermoélectriques charbon du Danemark, de Finlande, d’Espagne, du Portugal, de Hongrie, de France, d’Italie, du Royaume-Uni[6]  seront fermées au cours de la prochaine décennie[7]. L’Allemagne devrait suivre le mouvement, mais, fin 2019, l’autorisation a été donnée de mise en service de Datteln 4, soit 1,1 GW, à l’été 2020. Les grands groupes vendent leurs actifs thermoélectriques charbon, à l’instar d’Engie qui les a réduits de 75% en trois ans, notamment aux Pays Bas et en Allemagne, ou d’ENEL qui, en juin 2019, a vendu ses 3,8 GW sibériens à Kuzbassenergo. Les seuls pays qui resteront fidèles à cette technique seront la Pologne, la Bulgarie et les pays du sud-est de l’Europe[8] : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine du Nord, Kosovo, Serbie[9]. De nouvelles centrales y sont en construction, souvent avec l’appui de la China Development Bank et de Dongfang Electric Corp[10]. En Turquie, Emba Electric Production Co., en joint-venture avec Shanghai Electric Power, annonce, en septembre 2019, la construction de 1,3 GW.

Aux États-Unis, alors que la production d’électricité a repris le chemin de la hausse en 2018, celle issue de la thermoélectricité charbon a continué son déclin. En cause, un prix du gaz naturel, toujours plus bas, soit 2,31 $/MBtu mi-2019 sur Henri Hub, mais aussi la compétitivité accrue de l’éolien, du solaire sur fond de Clean Power Plan décidé en 2015 par l’administration Obama[11] : bien que non entré en vigueur parce que contesté par plusieurs États devant les tribunaux, puis annulé le 19 juin 2019 par l’administration Trump, il constitue une épée de Damoclès en cas de retour des Démocrates au pouvoir. Résultat, le parc thermoélectrique charbon s’est contracté de 15,5 GW en 2018, probablement de 14 autres GW en 2019. La perspective 2025 d’une réduction additionnelle de 37 GW, représentera le quart des capacités restantes[12]. En juillet 2019, Vistra Energy confirme la fermeture prochaine de ses centrales thermiques aux États-Unis et à l’étranger. Résultat, une contribution du thermique charbon à la production d’électricité tombant de 45% à 24% en une décennie, avec la conséquence d’une demande de charbon vapeur qui n’a pas dépassé 270 Mt au cours du premier semestre 2018.

Au Canada, villes et province s’éloignent de la thermoélectricité charbon. Après l’Ontario qui lui a tourné le dos en 2014, l’Alberta a décidé en 2017 de fermer ses 18 centrales avant 2030. Resteront les 2 000 MW du Saskatchewan et du Nouveau Brunswick possiblement en activité jusqu’en 2040.

 

4. En Chine, l’intention de limiter le thermique charbon aux prises avec les faits

Surtout depuis le début de la présidence Xi Jinping en 2013, on ne compte plus les mesures destinées à réduire la consommation de charbon dans les usages thermiques des ménages (cuisson et chauffage), des industries et de la génération d’électricité (Lire : L’énergie en Chine : le tournant de Xi Jinping). Début 2019, le résultat de ces mesures semble, au mieux, un retour au niveau de 2013, la décroissance de 2014-2016 ayant été compensée par la croissance de 2017-2018. Plusieurs évolutions sont à l’origine de cette déconvenue.

Dans l’approvisionnement énergétique des villes, en commençant par Beijing, les déficiences de la desserte en gaz naturel censé remplacer le charbon, ont provoqué les protestations d’habitants incapables de se chauffer et un abandon, au moins partiel, des limitations imposées.

Plus déterminante, la consommation de charbon par les compagnies électriques a continué de s’élever, en réponse à une croissance toujours soutenue de la consommation d’électricité (7% en 2017 et 8,5% au cours du premier semestre 2018) et aux difficultés de diversifier le parc de production dans lequel la thermoélectricité charbon a atteint 1 160 GW en juillet 2019 (Figure 1). À cette date, alors que les autorités centrales avaient décidé de fermer les unités inférieures à 300 MW incapables de respecter les normes environnementales et de diminuer de 150 GW les capacités additionnelles prévues entre 2014 et 2016, et bien que le China Electricity Council ait annoncé que, sur les 42 G$ d’investissement électrique en 2018, la thermoélectricité ne dépasserait pas 28% face aux 26% de l’hydraulique, aux 23% de l’éolien, aux 16% du nucléaire et aux 7% du solaire, les capacités thermiques charbon en construction et planifiées sont toujours comprises entre 220 et 260 GW, avec la perspective d’un parc de 1 300 GW au cours des prochaines années[13].

 

Fig. 1 : Mix électrique. Source : https://notalotofpeopleknowthat.wordpress.com/2017/02/18/china-electricity-stats-for-2016/

 

Derrière la résistance de la thermoélectricité charbon, le refus des autorités locales de respecter les décisions centrales mais aussi le retour de ces dernières sur des objectifs jugés après coup trop ambitieux du fait des limites de réseaux tant électriques que gaziers. Les impacts environnementaux qui en ont résulté ont heureusement été atténués par les performances des nouvelles centrales grâce auxquelles le parc thermoélectrique charbon est à 75% ultra low emission[14]. C’est donc surtout cette dernière évolution qui devrait permettre à la Chine de limiter les émissions de son parc thermoélectrique charbon, notamment dans les régions de Beiging, Tianjin et Hebei, les plus menacées par la pollution.

 

5. Corée du Sud, Japon et Australie, encore fidèles au charbon

Hors de Chine, des centrales thermiques charbon continuent d’être mises en chantier dans de nombreux pays, majoritairement asiatiques.

En Corée du Sud, dont la production d’électricité dépend de la thermoélectricité charbon pour 40%, la production de cette filière a diminué de 4% en 2019, de vieilles centrales vont continuer d’être fermées (14 fin 2019 puis 27 en mars 2020) mais sept nouvelles devraient entrer en activité d’ici 2022. À Taïwan, environ 15 GW sont en construction fin 2018, en réponse à des besoins de sécurité des systèmes électriques qui ne peuvent plus être assurés par l’électronucléaire depuis la catastrophe de Fukushima.

Dans une situation similaire, le Japon a relancé son parc thermique charbon dont la production a décliné de 5% en 2019. La fermeture de 4,8 GW au cours des dix dernières années a été entreprsie mais 12,6 GW en construction courant 2019 devrait faire passer le thermique charbon de 43 à 52 GW en 2023[15].

L’Australie reste aussi fidèle à la thermoélectricité charbon, à l’exception de l’État d’Australie méridionale (South Australia) qui, début 2019, a fermé sa vieille centrale charbon remplacée par des sources renouvelables : Bungala Solar Power project et fermes éoliennes dont la Neoen’s Hornsdale équipée de la plus puissante batterie du monde installée par Tesla. Au lendemain de la réélection du conservateur Scott Morrison, le directeur exécutif du Coal Council of Australia s’est empressé de déclarer que le nouveau gouvernement fédéral devait encourager la construction de nouvelles centrales thermoélectriques charbon qui offrent « the cheapest and cleanest energy for Australian households and businesses« . C’est ce qui a été décidé, début février 2020, avec le lancement du projet de centrale à haute efficacité et faible émission de Collinsville (Queensland).

 

6. Les riverains de l’Océan Indien à la pointe de la croissance thermoélectrique charbon

Les plus actifs des pays toujours séduits par la thermoélectricité charbon sont cependant ceux du Sud-Est asiatique, en commençant par l’Inde qui réaffirme son objectif d’un accès universel à l’électricité au cours des années 2020, alors qu’en 2017 environ 170 millions d’habitants n’y avaient toujours pas accès. Pour y parvenir, les 300 GW de sources renouvelables projetés à l’horizon 2030 n’y suffiront pas, d’où l’intention de doubler les 224 GW de capacité actuelle de thermique charbon qui absorberaient 70% d’une possible consommation de 1,9 Gt de combustibles solides en 2040[16]. Dès à présent, les 36 GW en construction, aussi bien par NTPC Limited que par Adani et d’autres[17], concourent à cet objectif. Pour limiter les émissions de GES, la première centrale commandée par NTPC, mi-2019, sera une ultra-super-critique de 660 MW, implantée à Khargone (Madhya Pradesh), dont l’efficacité de 41,5% représentera un gain de 3,3% sur les dernières centrales construites. Nombre d’obstacles se dressent cependant sur le chemin de la thermoélectricité charbon, en commençant par la cinquantaine de GW inutilisés du fait des déficiences d’approvisionnement en charbon ou des pénuries d’eau de refroidissement ou l’insuffisante mobilisation des financements privés. En réponse, outre ses incitations à produire plus de combustibles (Lire : Charbon minéral : l’industrie ne baisse pas les bras), le gouvernement indien envisage de considérables investissements d’infrastructures portuaires et ferroviaires[18].

Au sud du sous-continent indien, l’Indonésie redoute que ses exportations ne menacent sa capacité de satisfaire une demande domestique de charbon qui a crû de 16% en 2017, suite notamment à l’essor de la thermoélectricité. Le mouvement n’est pas prêt de s’interrompre avec le plan de construction 35 GW, dont 57% en thermique charbon, adopté fin 2017 et confirmé depuis, à la fois par la grande compagnie électrique PLN et par les deux principaux candidats à l’élection présidentielle de 2019. Parmi les acteurs de cette expansion de la thermoélectricité charbon, la compagnie charbonnière Adaro, en partenariat avec les compagnies japonaises Itochu Corporation et Electric Power Development, entreprend début 2019 la construction des 2 GW de Batang dans le centre de Java. La Bukit Asam annonce un projet d’1 GW dans le sud-Sumatra, début 2020.

Dans huit autres pays de la région (Thaïlande, Philippines, Malaisie, Cambodge, Bangladesh, Pakistan, Myanmar et Sri Lanka), ce ne sont pas moins de 12 GW qui sont en construction et de 48 qui sont annoncés. Début 2020, aux Philippines, les compagnies annoncent qu’elles vont accroître leur capacité thermoélectriques charbon de 5,5 GW, soit un saut de production de 52 à 70% du mix électrique. Au Cambodge, CIIDC Erdos Hongiun Electric Power lance la construction de sa nouvelle unité (350 MW) de Preah Sihannuk. Le Bangladesh sollicite la coopération de l’Australie pour garantir l’approvisionnement de sa trentaine de projets de centrales (40 GW en 2030) dont une bonne partie en thermique charbon. Avec 10 GW en construction et 33 annoncés, le Vietnam table aussi sur cette filière pour électrifier rapidement tout son territoire. Plus prudent, le Myanmar, dont 33% de la production d’électricité vient de la combustion de charbon, hésite, mi-2019, à poursuivre son projet de JV avec des compagnies Thaï et japonaises en vue de construire une nouvelle centrale.

Derrière nombre de ces projets, la compagnie thaïlandaise Egco, mais surtout les compagnies chinoises dont l’engagement est particulièrement remarquable dans un pays comme le Pakistan qui ne recourait pratiquement pas à la thermoélectricité charbon[19] jusqu’à la création du China Pakistan Economic Corridor. Depuis, les projets se sont multipliés tels celui d’Engro Powergen Thar (660 MW) relié au réseau fin 2018, celui de la China Power Hub Generation (1 320 MW) qui l’a été mi-2019 et celui d’Oracle Power et Sichan Provincial Investment Group (700 puis 1 400 MW) en préparation. Début 2020, les 2 500 MW en activité pourraient devenir 9 000 à l’horizon 2022.

 

7. L’Afrique n’entend pas s’électrifier sans thermique charbon

Sur le continent africain, les parcs électriques sont bien moins développés que sur le continent asiatique, mais l’intérêt pour la thermoélectricité charbon s’y enracine aussi dans des besoins inextinguibles d’électricité difficiles à satisfaire uniquement par d’autres filières surtout lorsque existe un stock de charbon en terre[20]. Fin 2018, les capacités en construction se limitent à 6 352 MW en République d’Afrique du Sud, 670 au Zimbabwe, 132 au Botswana et 1 386 au Maroc, mais 25 670 sont annoncés dans les trois premiers pays listés ci-dessus ainsi que dans 14 autres pays : Malawi, Mozambique, Tanzanie, Nigéria, Kenya, Égypte, Ghana, Côte d’Ivoire, Zambie, Madagascar, Swaziland, République Démocratique du Congo, Guinée et Niger (Lire : Les industries du charbon minéral en Afrique : histoire et perspectives).

Tous ces projets ne verront pas le jour, mais leur nombre traduit l’attrait de la thermoélectricité charbon, toujours vif en République d’Afrique du Sud où, après l’achèvement laborieux des deux très grandes centrales de Medupi et Kusile (9,6 GW), la Chine vient d’apporter son appui à la construction de 4,6 GW dans la province du Limpopo (Figure 2). On la retrouve aussi dans la plupart des autres pays, le plus souvent sous forme partenariale avec de jeunes compagnies africaines telle que Mbeya en Tanzanie, Mabesekwa ou Thlou Energy au Botswana, Kibo Mining ou Ncondezi Energy au Mozambique[21].

 

Fig. 2 : Centrale de Medupi. Source : Wikipedia

 

Beaucoup plus au nord, en Égypte, c’est le consortium formé de Shanghai Electric et de Dongfang Electric qui construira les 6,6 GW ultra super-critiques d’Hamarwein sur les bords de la mer Rouge, ce en total décalage avec Israël qui, fin 2019, annonce son abandon total du charbon au profit du gaz naturel devenu abondant en Méditerranée orientale (Lire : Les marchés du gaz naturel et du GNL).

En bref :

La faveur dont jouit la thermoélectricité charbon dans de nombreuses régions tient à sa forte compétitivité, notamment dans les pays qui disposent de ressources abondantes et aisément exploitables, mais aussi à la disponibilité de techniques très performantes et de financements avantageux. L’un et l’autre découlent de stratégies nationales d’expansion à l’échelle mondiale dont la plus puissante s’exprime à travers la China Belt and Road Initiative. Dans ce cadre et avec son appui, la Chine aurait participé, entre 2001 et 2016, à la construction de 240 centrales alimentées au charbon, soit 251 GW répartis entre 65 pays dont l’Inde, l’Indonésie, la Mongolie ou la Turquie. Début 2019, elle est encore engagée dans la réalisation de 102 GW de thermique charbon, soit des investissements estimés à 36 G$ dans au moins une dizaine de pays au premier rang desquels le Vietnam, le Bangladesh, l’Afrique du Sud ou le Pakistan[22].

Cette évolution ne joue évidemment pas en faveur de la qualité de l’environnement, dont la stabilité climatique que menacent les émissions de GES. Ces dernières, pour éviter une surchauffe, devrait diminuer annuellement de 11% jusqu’en 2030. Cet objectif restera hors de portée tant que la thermoélectricité charbon constituera la voie la plus intéressante pour répondre à la soif d’électricité dans toutes les économies émergentes. Ses effets néfastes ne pourront être qu’atténués par le progrès des techniques de combustion[23] ou un recours au stockage du carbone (Lire : Captage et stockage du carbone).

 

 

L’actualisation ci dessous par Robert Jules (2022). Transition énergétique : la nécessaire et difficile désintoxication du charbon. La Tribune, 16/11/2022. Juliette Raynal (2022). Plusieurs pays riches apportent 20 milliards de dollars à l’Indonésie pour l’aider à sortir du charbon. La Tribune, 16.11.2022.

Le nouveau rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) sur le charbon « Coal in Net Zero transitions » est formel : sa combustion
en fait le premier contributeur aux émissions mondiales de CO 2 , avec 15 milliards de tonnes (Gt) rejetées en 2021, sur un total de 36,3 Gt.
Si rien n’est fait, 330 Gt de CO 2 seront rejetées à l’horizon 2050. Mais comment réduire ces émissions alors que le charbon est à l’origine
de 36% de l’électricité dans le monde, donc numéro 1, notamment dans quelques économies émergentes telles que l’Indonésie, la
Mongolie, la Chine, le Vietnam, l’Inde et l’Afrique du Sud ?
Selon le scénario de l’Announced Pledges Scenario (APS), basé sur les engagements pris par les gouvernements, la demande mondiale de
charbon devrait baisser de 70% d’ici 2050, et même de 90% selon le scénario plus ambitieux Net Zero Emissions (NZE), qui vise à la
neutralité carbone à cette date. Pour ce faire, la production d’électricité devrait être complètement décarbonée d’ici 2035 dans les
économies développées, et d’ici 2040 à l’échelle mondiale. Or sur les 9.000 centrales électriques au charbon actives en 2022 dans le monde, 75% sont installées dans les économies émergentes, avec la particularité d’être en fonctionnement en moyenne depuis 15 ans,
contre 40 ans dans les pays développés. Il est, en outre, impossible d’oublier les 8,4 millions de personnes travaillant dans le secteur de la
houille à l’échelle mondiale.
En réponse, l’AIE recommande de transférer massivement les investissements dans le secteur des sources d’énergie renouvelables et de
l’extraction des métaux stratégiques (cuivre, nickel, lithium), indispensables à la fabrication des batteries et des réseaux électriques. Les
engagements pris en faveur de l’Afrique du Sud et de l’Indonésie vont dans ce sens.

 

Actualisation d’avril 2023
En forte baisse depuis 2014, la capacité mondiale d’électricité thermique charbon est repartie à la hausse en 2022, soit un total de 537 GW (+12%), uniquement du fait de la Chine, soit un total de 365 GW (+38%), notamment en Mongolie Intérieure. A quoi s’ajouteront bientôt les 86 GW de nouveaux projets en cours. Les diminutions dans le reste du monde, sauf en Inde, ne suffiront donc pas à atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, soit l’arrêt de toutes les centrales thermiques charbon en 2040. 

 

Notes et références

[1] Dont la diffusion dépend en grande partie de l’évolution du stock de ferraille très variable d’une région à l’autre https://www.oecd.org/industry/ind/Item_4b_Accenture_Timothy_van_Audenaerde.pdf

[2]Coyne Dennis (2018). World coal, op cit

[3]Mais près de 40% de sa production.

[4]Voir Global Energy Monitor, Greenpeace Environment Trust et Sierra Club (2018). Boom and bust 2018. Tracking the global coal plant pipeline, 16p.

[5] L’estimation de 1 600 centrales en construction doit être lue avec prudence car utilisée à des fins partisanes par les pro et les anti charbon. Voir, par exemple, Carrington Damian. (2019). Global « collapse » in number of new coal fired plants. The Guardian (2019), March 28.

[6]Le pays s’enorgueillit de ne pas avoir brûlé de charbon pour produire son électricité entre le 1er et le 8 mai 2019.

[7]Voir l’excellente synthèse de tout ce sujet in : Rentier Gerrit, Lelieveld Herman, Kramer Gert Jan (2019). Varieties of coal-fired power phase-out accross Europ. Energy Policy, vol. 123, September, pp. 620-632.

[8]La situation de la Grèce est encore incertaine car le gouvernement dit (septembre 2019) vouloir sortir de la thermoélectricité charbon en 2020 mais il est muet sur le sort de Ptolemaida V en construction.

[9]Dans tous ces pays, mais aussi en Hongrie, Pologne, Slovaquie et république Tchèque, la compagnie EPH, basée dans ce dernier pays, n’hésite cependant pas à racheter des centrales thermoélectriques charbon.

[10]En mai 2019, la compagnie anglo-kosovarde Contour Global annonce son intention de construire 500 MW de thermique charbon au Kosovo, mais début mars 2020, elle y renonce car soucieuse de ne plus investir dans le charbon.

[11] Le Plan contraint chaque compagnie électrique à réduire de 32% les émissions de GES de ses centrales thermiques.

[12]Quelques compagnies résistent telle la Farmington qui tente de maintenir en activité sa centrale San Juan (New Mexico) en étudiant un dispositif CCS.

[13]Début octobre 2019, nouvelle annonce de la fermeture avant la fin de l’année de toutes les centrales thermiques d’une capacité inférieure à 50 MW et de celles comprises entre 50 et 100 MW dans les zones bien desservies par le réseau.

[14]Performances se traduisant aussi par une diminution de 86% des émissions de SO2, de 89% de NOx et de 85% des poussières entre 2012 et 2017. Aux dires de la NASA qui observe le pays par satellites, ces résultats sont sur-évalués.

[15]Les arguments avancés et les moyens mis en œuvre pour parvenir à ces résultats sont analysés par Trencher Gregory and others (2019). Discursive resistance to phasing-out coal-fired electricity: Narratives in Japan’s coal regime. Energy Policy, vol. 132, September, pp. 782-796.

[16]Accès encore interdit aux 200 millions de ruraux sans raccord au réseau et aux très nombreux urbains victimes de coupures quotidiennes.

[17]Début mars 2019, le gouvernement vient d’approuver la construction des 1 320 MW de thermique charbons projetés depuis 2015 à Buxar (Bihar) et Khurja (Uttar Pradesh).

[18] 200 G$ (!) selon Coalweeks du 09.08.2019.

[19] Soit 1% de sa production électrique en 2017.

[20]Le offgrid (kits solaires ou microgrids) gagne du terrain dans de nombreux pays, mais il ne peut remplacer les réseaux pour alimenter les villes ou les industries.

[21]Dans le cadre d’un partenariat stratégique signé en mai 2016, la Chine appuie plusieurs projets dont celui de Benga (150-300 MW) par Kibo Energy, et celui de Ncondezi Energy (300 MW dans une perspective de 1 800 !) qui a signé avec China Machinery Engineering Corporation en juillet 2019, les deux projets sur le bassin charbonnier du Tete.

[22] “We can’t require a developing country that is less developed than China to start decreasing coal consumption now, that is not possible”, explique Li Junfeng, directeur de la China’s National Centre for Climate Change Strategy.Coal Weeks 06.02.2019.

[23] Aux Etats-Unis, certains y croient avec le développement, qu’appuie le Department of Energy (DOE), de la Coal First Initiative, FIRST signifiant Flexible, Innovative, Resilient, Small Transformative. Dans son cadre, le National Energy Technology Laboratory (NETL) conduit plusieurs programmes de recherche. En Europe, la Commission soutient plusieurs projets tels que la gazéification du lignite par la REW en collaboration avec la Technical University de Damstadt

 


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