Gaz naturel : l’avenir des réseaux à basse pression

A l’heure de la transition énergétique vers un bilan énergétique mondial plus respectueux de l’environnement, l’avenir du gaz naturel est en suspens. S’il est exclu des bouquets énergétiques au nom de la lutte contre l’effet de serre, que deviendront ses infrastructures de transport, stockage, distribution et utilisation ? Peuvent-elles, et à quel coût, être reconverties au profit de l’hydrogène et/ou du biométhane ?

Cet article a été initialement publié sous le titre The Future of Low-Pressure Gas Networks dans la revue The Future of Gas (Oxford Institute for Energy Studies). Il a été traduit en français par Clara Mourey et Mathilde Hot, étudiantes en première année du master LEA parcours Traduction spécialisée multilingue de l’UFR Langues étrangères (Université Grenoble Alpes), sous la supervision de Cécile Frérot. Tous ces intervenants sont sincèrement remerciés.

 L’avenir des réseaux de gaz est incertain et controversé, essentiellement à cause des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane rejetées par les systèmes de gaz naturel. De nombreux pays utilisent des réseaux de gaz pour approvisionner les consommateurs industriels, commerciaux et particuliers en gaz naturel, fournissant ainsi l’énergie nécessaire à de nombreux services, tels que le chauffage des locaux, le chauffage de l’eau et la cuisson (Lire : Gaz naturel, la filière technico-économique). Cependant, les nouveaux objectifs de plus en plus contraignants en matière de réduction des émissions de carbone excluront probablement le recours toujours aussi fréquent au gaz naturel. De nombreux pays pourraient alors être amenés à mettre hors service les infrastructures de leur vaste réseau de gaz, si une utilisation décarbonée de ces infrastructures n’était pas mise en place.

1. Les réseaux à basse pression

Les réseaux à basse pression existants sont étendus : on estime ainsi que les gazoducs couvrent 2,8 millions de kilomètres à l’échelle mondiale. Les réseaux à basse pression de gaz naturel fournissent chaque année une quantité importante d’énergie aux consommateurs commerciaux et particuliers, soit plus de 8 000 TWh au niveau mondial. La grande majorité de l’énergie fournie sert à chauffer des bâtiments (figure 1). Cependant, le recours toujours aussi intense au gaz naturel dans le secteur domestique et le secteur commercial ne sera probablement pas compatible avec les objectifs en matière de changement climatique. Les émissions de carbone rejetées par la combustion de gaz naturel dans des chaudières à gaz modernes sont comprises entre 230 et 318 grammes équivalent CO2 (gCO2eq) par kWh de chaleur, en incluant les émissions de méthane qui émanent de la chaîne d’approvisionnement (Lire : Les émissions de méthane du gaz naturel : les comprendre et les réduire).

 

Fig. 1. Chauffage des bâtiments. [Source : Pixabay]

Les émissions de CO2 et de méthane générées par les systèmes de gaz naturel, ainsi que leur capture difficile au niveau des utilisations finales, qu’elles soient de nature domestique, commerciale, ou bien plus encore industrielle, s’avèrent problématiques au regard des objectifs mondiaux de réduction des émissions de carbone. Les projections au niveau national montrent que les réseaux de gaz joueront un rôle réduit à l’avenir, privilégiant souvent l’électricité et les pompes à chaleur pour décarboner les services énergétiques domestiques et commerciaux. Cependant, l’électrification du chauffage fait face à d’importants freins techniques et économiques, mais aussi en lien avec les consommateurs, qui ont rendu difficile l’adoption généralisée du chauffage électrique. Compte tenu de ces préoccupations, il est de plus en plus répandu que les réseaux de gaz décarbonés pourraient jouer un rôle majeur dans le futur système énergétique et contribuer de manière significative à la décarbonation. Quelles sont les différentes options, leurs coûts et les gaz à effet de serre (GES) que ces réseaux émettent ?

 

2. Options de décarbonation du réseau de gaz

Réduire les émissions de GES générées par les réseaux de distribution du gaz peut impliquer de décarboner le gaz présent dans le réseau ou bien de réduire suffisamment son utilisation pour ne pas dépasser les objectifs en matière d’émissions. Cette dernière option suppose de consommer du gaz naturel uniquement pendant les pics de consommation d’électricité, par le biais de pompes à chaleur hybrides gaz/électricité ou d’autres systèmes hybrides gaz/électricité à l’échelle des habitations ou des quartiers (Lire : Les couplages intersectoriels power-to-gas et power-to-heat, quel rôle dans la transition énergétique ?). Peu de preuves attestent de la viabilité de cette option. En revanche, on dispose d’éléments probants quant à la décarbonation du gaz et à ses implications pour les réseaux gaziers (Lire :Biogaz, biométhane et Power-to-gas).

  • Les filières de décarbonation

On distingue trois aspects principaux dans la décarbonation des réseaux de gaz :

  • les options de production de gaz, pour l’hydrogène et le biométhane ;
  • les problèmes de réseau découlant de ces options, impliquant notamment de déterminer quelles nouvelles infrastructures ou quelles transformations pourraient s’avérer nécessaires ;
  • les conséquences de la décarbonation des réseaux de gaz pour les consommateurs.

L’hydrogène et le biométhane sont les deux principaux gaz susceptibles de fournir de l’énergie décarbonée. L’hydrogène peut servir à produire de la chaleur ou de l’électricité, ou peut être utilisé comme carburant destiné au transport (Lire : L’hydrogène). Il présente un avantage majeur par rapport au gaz naturel puisqu’il n’émet pas de CO2 lors de sa combustion. L’hydrogène peut aussi être exploité dans les piles à combustible grâce à la conversion électrochimique, un procédé qui ne génère pas d’émission directe de CO2 (Lire : Les piles à combustibles).

Plusieurs techniques sont utilisées pour produire de l’hydrogène, on distingue :

  • la conversion du gaz naturel en hydrogène par un procédé de reformage ;
  • la séparation de l’eau en hydrogène et en oxygène à l’aide de l’électricité et d’un électrolyseur ;
  • la conversion de combustibles solides, y compris la biomasse forestière ou le charbon, en hydrogène par un procédé de gazéification (Lire : La gazéification);
  • la conversion de la biomasse humide en hydrogène par digestion anaérobie, en utilisant parfois un gaz naturel comme intermédiaire.

On estime que 48 % de la production mondiale totale d’hydrogène, qui représente 55 millions de tonnes par an, provient du vaporeformage du méthane. Le reformage du pétrole y contribue pour environ 30 %, la gazéification du charbon pour 18 % et l’électrolyse de l’eau pour 4 %.

Le biométhane est issu de matières premières organiques telles que les matières végétales ou les déchets (figure 2). Le biométhane peut être un substitut direct du gaz naturel, avec un impact limité sur les infrastructures situées en aval et les consommateurs, dans la mesure où les spécifications du gaz sont respectées. Le biométhane peut être produit à partir de plusieurs procédés, mais la plupart d’entre eux sont basés sur la digestion anaérobie ou sur la méthanation de l’hydrogène (Lire : Biomasse et énergie : des ressources primaires aux produits énergétiques finaux).

 

Fig. 2. Matière première du biométhane. [Source : GRDF]

  • Les infrastructures de transport et distribution

Ces moyens multiples d’obtenir du gaz décarboné ont des conséquences diverses sur les besoins des infrastructures. Tout d’abord, différents types d’usines à gaz sont nécessaires selon la méthode de production de l’hydrogène ou du biométhane. Ces usines ont alors besoin d’être reliées au réseau de gaz. En ce qui concerne le biométhane, les besoins en infrastructures sont généralement minimes. Des canalisations sont nécessaires pour relier une usine au réseau de gaz, le plus souvent au niveau du réseau de transport local ou à un niveau inférieur. L’hydrogène a besoin d’un réseau de transport comme celui qu’est, au Royaume-Uni, le National transmission System (NTS) qui transporte d’importants volumes de gaz à haute pression. Deux raisons expliquent que le réseau existant soit peu utilisé pour l’hydrogène :

  • l’acier utilisé dans les canalisations du réseau de transport britannique n’est souvent pas un matériau approprié pour le transport de l’hydrogène à haute pression en raison de problèmes de fragilisation nuisant à l’intégrité des canalisations ;
  • le réseau existant sera probablement nécessaire pour transporter le gaz naturel vers les clients du secteur industriel et les producteurs d’électricité. Ces derniers peuvent avoir la possibilité de décarboner par captage et stockage du dioxyde de carbone, permettant ainsi de maintenir la compatibilité du gaz naturel avec les objectifs climatiques (Lire : Captage et stockage du carbone (Carbon Capture and Storage – CCS)).

En revanche, les canalisations de distribution à basse pression peuvent constituer une infrastructure adaptée au transport de l’hydrogène. La modernisation des systèmes de distribution du gaz, qui implique souvent le remplacement des anciens tuyaux en fer et en acier par des matériaux plastiques, souvent du polyéthylène moyenne ou haute densité, a en partie facilité ce système de transport. Cette nouvelle canalisation semblerait davantage compatible avec l’hydrogène. Ce constat est au cœur d’un certain nombre de propositions de projets au Royaume-Uni, qui prévoient de transporter l’hydrogène jusqu’aux consommateurs de gaz domestique par le biais du réseau existant de distribution de gaz.

  • Le stockage

Le stockage du gaz constitue un autre défi pour le vecteur gaz décarboné. Le réseau de gaz actuel repose sur une association de gaz stocké en canalisation et de sites de stockage dédiés pour gérer les fluctuations de la demande quotidienne et saisonnière. Alors que le biométhane peut utiliser les infrastructures existantes avec peu d’aménagements, l’hydrogène a probablement besoin d’une capacité de stockage de gaz sur mesure. Les propositions de projets répondent souvent à cette nécessité en préconisant la création de nouvelles installations de stockage en cavité saline pour le stockage intersaisonnier de l’hydrogène.

  • Les utilisations

Les conséquences pour le consommateur final sont également significatives. Alors que les consommateurs d’hydrogène peuvent utiliser les technologies des piles à combustible afin de générer de la chaleur et de l’électricité, plusieurs propositions récentes portent sur l’utilisation de l’hydrogène comme combustible dans les chaudières à hydrogène, les appareils de cuisson et les poêles à gaz. Dans les deux cas, les appareils existants devront vraisemblablement être modifiés ou remplacés afin d’être compatibles avec l’hydrogène. Parmi les autres changements apportés aux équipements des ménages, on peut citer le remplacement ou la modification des compteurs de gaz et des canalisations allant du compteur aux appareils ménagers.

  • La disponibilité de matière première

Une implication importante du passage à l’hydrogène concerne la quantité de ressources nécessaires pour faciliter la production de gaz à des volumes suffisants. La production de biométhane dépend de la disponibilité des ressources en biomasse. Ces dernières sont naturellement limitées et peuvent être concurrencées par un certain nombre d’autres utilisations, telles que la production d’électricité et le carburant pour les transports. Les estimations des ressources disponibles pour le biométhane indiquent qu’elles pourraient, à l’avenir, suffire à satisfaire 5 % de la demande de gaz au Royaume-Uni. L’ajout des déchets solides locaux comme source d’énergie renouvelable peut compléter cette estimation de l’offre. Cependant, elle satisfera probablement moins de la moitié de la demande de gaz au Royaume-Uni. Les pays avec une faible demande en gaz, et avec des sources de biomasse appropriées plus nombreuses, peuvent répondre à une plus forte demande en gaz grâce au biométhane. Quel que soit le pays concerné, la réduction de la demande future et la priorité donnée à la biomasse pour la production de gaz réduiront le déficit entre la disponibilité des ressources et la demande. Toutefois, la probabilité que la biomasse devienne la source dominante de gaz décarboné en Europe ou dans le monde est faible. La production d’hydrogène à partir du méthane a également des conséquences sur les ressources. Les pertes d’efficacité subies lors de la conversion du gaz naturel en hydrogène augmentent la demande en gaz naturel de 10 à 35 %. Ces solutions ont des conséquences à la fois sur les coûts et sur les émissions de GES.

 

3. Coûts de la décarbonation du réseau de gaz

Chaque possibilité de décarbonation du réseau de gaz implique des coûts différents, tels que les coûts de production, de réseau et de stockage, qui créent ensemble différentes implications en matière de coût pour l’utilisateur final. Les coûts sont liés non seulement à l’infrastructure du réseau, mais aussi aux éventuelles conséquences de chaque option sur la chaîne d’approvisionnement au sens large. Estimer l’ensemble des incidences de certaines options sur le système sans recourir à des outils de modélisation de l’ensemble du système est difficile. En effet, l’impact sur les coûts du système est de nature interdépendante.

Le coût final pour les consommateurs est la somme du coût de la production de gaz, du coût du transport du gaz par les réseaux de gaz, du coût des appareils et des services pour l’utilisateur final. Les coûts administratifs, les bénéfices et les taxes sont également pris en compte tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Les estimations des coûts des différentes options de gaz décarboné varient considérablement. Le prix au détail réalisable sur la base de ces coûts pourrait être de 0,052 à 0,161 €/kWh pour le biométhane (avec une moyenne de 0,096 €/kWh) et de 0,058 à 0,218 €/kWh pour l’hydrogène (avec une moyenne de 0,11 €/kWh).

Pour les utilisateurs, ces tarifs excluent les coûts de conversion à des systèmes compatibles en hydrogène. Les estimations peuvent être comparées au prix au détail moyen du gaz naturel dans l’UE, soit 0,066 €/kWh, et au prix au détail moyen de l’électricité dans l’UE, soit 0,209 €/kWh (données de 2015). Si le rendement futur des chaudières au méthane ou à l’hydrogène est de 90 %, le coût de la chaleur fournie se situera entre 0,058 et 0,178 €/kWh pour le biométhane et 0,064 et 0,241 €/kWh pour l’hydrogène. À titre de comparaison, avec un rendement de 250 % et un prix au détail de l’électricité de 0,201 €/kWh, les pompes à chaleur pourraient produire de la chaleur pour 0,08 €/kWh (figure 3).

 

Fig. 3. Estimation du prix au détail du biométhane et de l’hydrogène vert. [Source : The Future of Gas, Oxford Energy]

Pour les consommateurs, le coût supplémentaire lié à la conversion aux réseaux d’hydrogène peut s’élever à plus de 3 500 € par ménage, y compris les appareils et ce qui les entourent tels que les compteurs et les raccordements domestiques. Au Royaume-Uni, ce coût peut être comparé à celui de l’installation de thermopompes à air (4 700 à 13 000 €) ou de pompes géothermiques (15 400 à 23 600 €).

 

4. Émissions de carbone provenant des options du réseau de gaz

La raison principale conduisant à évaluer le rôle des réseaux de gaz dans les futurs systèmes énergétiques est de déterminer leurs effets dans la réalisation d’objectifs permettant d’éviter des hausses dangereuses de température de plus de 1,5 à 2 °C. Une évaluation approfondie des émissions de GES associées aux différentes options est donc nécessaire. Il est important que les options technologiques permettent à la fois une réduction immédiate de l’impact climatique et la possibilité d’une meilleure décarbonation à l’avenir.

Le reformage du gaz naturel en hydrogène sans captage et stockage du carbone, par exemple, entraînera davantage d’émissions de GES que le gaz naturel par unité d’énergie produite, ce qui souligne la nécessité à l’avenir de réglementer soigneusement le développement des marchés de l’hydrogène.

Les estimations des émissions de CO2 pour les différentes méthodes de production de gaz à faible teneur en carbone varient :

  • de 371 à 642 gCO2eq/kWh pour l’hydrogène et,
  • de 50 à 450 gCO2eq/kWh pour le biométhane.

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