Chaleur renouvelable et réhabilitation thermique des logements, deux voies complémentaires pour la transition bas carbone

Dans une politique de transition énergétique comportant sobriété et sources d’énergie décarbonées, le chauffage des logements est un secteur essentiel. Comment en satisfaire les besoins ? Parmi les solutions possibles, la complémentarité entre rénovation thermique des logements et utilisation des réseaux de chaleur renouvelable mérite une attention particulière.

La réhabilitation thermique fait la une de l’actualité alors que la chaleur renouvelable est absente du discours public. Pourtant, l’une comme l’autre sont des solutions alternatives ou complémentaires permettant de décarboner le secteur du logement. Dans le cas de 2 000 logements chauffés au départ au gaz naturel, l’évaluation des performances énergétique, environnementale et économique de différentes combinaisons de ces deux solutions, pour la collectivité et l’usager final, en apporte la preuve. La chaleur renouvelable présente de bons résultats en termes de réduction des gaz à effet de serre (GES) et d’économie pour l’usager. La réhabilitation thermique est moins efficace mais a d’autres atouts tels que l’amélioration du bâti et le confort des occupants. Passer à une vitesse supérieure en matière de transition énergétique suppose de redonner toute sa place à la chaleur renouvelable, de relancer la taxe carbone dans le segment du chauffage pour mieux garantir aux propriétaires et aux locataires un avantage financier, d’agréger des financements publics et privés (guichet unique régional) ainsi que de simplifier les procédures de montage des projets tout en s’adaptant aux réalités du terrain.

 

1. L’enjeu environnemental et économique

Début 2021, la transition énergétique, en lien avec la Convention Citoyenne pour le Climat et le plan de relance de l’économie en préparation occupent le devant de la scène. On parle tout particulièrement de la réhabilitation thermique des bâtiments publics et des logements, lesquels représentent 45 % de la consommation d’énergie finale hexagonale (Figure 1), dont 28 % pour le logement seul (Lire : Les besoins d’énergie).

 

Figure 1 : Répartition de la consommation d’énergie finale en France. [Source : Ministère de la transition écologique et solidaire, avril 2020]

Curieusement, les pouvoirs publics, comme les grandes Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les médias s’intéressent peu et n’évoquent guère les énergies renouvelables thermiques (bois énergie, géothermie et solaire thermique) ou de récupération (usine d’incinération des déchets ou chaleur industrielle fatale), lesquelles constituent une autre solution pour décarboner les secteurs résidentiel et tertiaire qui devrait être combinée largement à la rénovation thermique des logements (Lire : Cogénération et stockage saisonnier de la chaleur pour habitat-tertiaire).

Les performances énergétiques du parc de logements sont globalement médiocres (Figure 2). Dans leur classification en sept catégories de performances de consommation d’énergie par m², on observe qu’environ 60 % d’entre eux appartiennent aux trois dernières classes (E, F, G). On les qualifie communément de « passoires thermiques ». Les émissions de CO2 sont évidemment proportionnelles aux consommations par logement, pondérées par le contenu en carbone de l’énergie utilisée.

 

Figure 2. Nombre de logements par catégorie de consommation énergétique. Source : Service de l’observation et des statistiques du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, 2014.

Les programmes de rénovation thermique des logements sont ambitieux puisque, selon le plan de rénovation énergétique des bâtiments du Ministère de la transition écologique et solidaire de 2018, ils visent environ 500 000 logements par an (Lire : Réhabilitation thermique habitat en France). En pratique, ces objectifs ne sont pas atteints. Les statistiques en la matière sont lacunaires et contradictoires. D’après plusieurs sources croisées[1], on peut estimer à 300 000 les logements effectivement réhabilités par an, avec franchissement a minima d’une classe de performance supérieure.

 

 

Les chiffres du logement en France

On dénombre environ 35 millions de logements en France, dont 82 % de résidences principales[2]. Parmi elles, environ la moitié de logements est occupée par des propriétaires et l’autre moitié par des locataires de logements appartenant à des bailleurs privés ou à des organismes HLM, soit respectivement 36 et 13 %.

Au sein des logements occupés par les propriétaires bailleurs ou locataires non HLM, plus de 70 % d’entre eux sont équipés de chauffage individuel (convecteurs électriques, chaudières individuelles gaz, fioul ou propane, appareils de chauffage au bois).

 

Les énergies fossiles et l’électricité demeurent très largement majoritaires dans l’habitat collectif comme dans les maisons particulières, malgré une forte présence du bois énergie en zone rurale et périurbaine. Les réseaux de chaleur alimentent environ 1,4 millions d’équivalent-logements, non seulement des HLM et des copropriétés privées, mais aussi des établissements publics, des bâtiments tertiaires marchands ou des entreprises.

Dans le logement collectif, seuls 12 % des logements sont desservis par un réseau de chaleur, lesquels, selon le Syndicat National du Chauffage Urbain (SNCU), font désormais appel à 59 % d’énergies renouvelables et de récupération (Figure 3). On peut ainsi estimer les logements raccordés à un réseau de chaleur à 600 000, soit moins de 10 % de l’habitat collectif public et privé, ce qui est très faible. Une trajectoire ambitieuse de chaleur renouvelable distribuée par réseaux a été fixée par les pouvoirs publics, soit, selon la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE), de 2019, une multiplication par 2,2 à 2,6 d’ici 2028, par rapport à 2017[3]. Cet objectif de 10 TWh supplémentaires, soit un million d’équivalents logements, apparaît difficile à atteindre, dans un laps de temps aussi court, en l’absence de remontée du prix des énergies fossiles concurrentes.

 

Figure 3. Énergie principale des maisons particulières et appartements en France (Insee / RP 2015)

 

Les renouvelables dans les réseaux de chaleur en France

En France, le chauffage urbain est ancien : le réseau parisien a été créé en 1928 ! Nonobstant un fort développement autour des ZAC dans les années 1960-70 et une relance à la charnière des années 2010, son poids dans la fourniture de chaleur demeure modeste : 800 unités en 2019 pour une livraison de 26 TWh d’énergie, sur une consommation totale de chaleur de l’ordre de 500 TWh.

Point positif : la proportion des énergies renouvelables et de récupération a doublé en 10 ans et atteint désormais 59 % du mix énergétique des réseaux en 2020, selon le SNCU, avec :

·         – 6,3 TWh de chaleur fatale issue d’unités de valorisation énergétique (24,8%),

·         – 6,1 TWh issus de la biomasse (23,8%),

·         – 1,4 TWh issus de la géothermie (5,3%),

·         – 1,4 TWh issus d’autres énergies vertes (biogaz, chaleur industrielle, entre autres – 5,5%).

Les objectifs de la Loi de Transition énergétique sont très ambitieux et ont pour objectif d’atteindre 61 TWh de chaleur livrée par des réseaux à l’horizon 2030, dont environ 40 TWh d’Energies Renouvelables et de Récupération (EnR&R), soit une multiplication par 2,3 en 10 ans.

Pour mesurer la marche à franchir, il faut noter que l’énergie livrée par les réseaux de chaleur a seulement augmenté de 10 % sur la période 2009-2019. (Lire : Les réseaux de chauffage urbain)

 

Pour réhabiliter, comme pour passer à une énergie renouvelable, les contraintes et les difficultés rencontrées sont nombreuses et varient beaucoup selon le type de logement (maison individuelle ou collectif), le statut des occupants (propriétaire ou locataire) et les revenus/capacités des propriétaires pour financer les travaux. Mais le choix de tout un chacun dépendra de la même incitation : l’intérêt économique qu’il peut en escompter, lequel est actuellement très faible, voire nul ou négatif, du fait des faibles prix des combustibles fossiles, gaz naturel en particulier. En cause, une conjoncture énergétique déprimée depuis plusieurs années, et, depuis 2019, le gel de la taxe carbone, alors que la trajectoire prévue par la loi de finances 2018 prévoyait un quasi-triplement du prix du carbone à l’horizon 2022, par rapport à 2017 (Lire : La transition énergétique : un concept à géométrie variable). La France se serait ainsi rapprochée de la Suède, pays pionnier en la matière, qui a su, en parallèle, réussir le développement du chauffage urbain à base de renouvelables en s’appuyant entre autres sur les incitations créées par la taxe carbone (figure 4).

 

Fig. 4. Évolution du montant de la taxe carbone en France et en Suède depuis 2011

 

2. L’éventail de combinaisons de chaleur renouvelable et de réhabilitation thermique : une comparaison

Les situations sur le terrain sont extrêmement variées, qu’il s’agisse de la taille des bâtiments, de leur âge, de la qualité des constructions ou de leurs déperditions thermiques. Le comparatif entre une référence fossile, ou « tout électrique », et la situation résultant d’une réhabilitation thermique ou du passage à la chaleur renouvelable doit être établi au cas par cas, avec évidemment de forts écarts entre eux selon l’équipement à changer et le choix effectué.

2.1. Hypothèses

Face à cette diversité, la méthode choisie pour comparer différents cas consiste à partir d’un exemple « moyen » dans une zone climatique « intermédiaire » et une situation de référence relativement simple : 2 000 logements répartis dans une quarantaine de résidences (copropriétés privées et immeubles HLM), avec une surface par logement de 80 m² ([4]) et une étiquette énergétique moyenne E ([5]), toutes équipées d’une chaudière collective au gaz naturel en pied d’immeuble. Il s’agit de procéder à une analyse coût-bénéfice pour situer les performances et les gains environnementaux au regard des investissements à consentir par l’occupant ou le propriétaire et les pouvoirs publics dans quatre options :

– Scénario 1 : raccordement à un réseau de chaleur renouvelable (bois pour cet exemple) ;

– Scénario 2 : réhabilitation énergétique des logements (gain d’une classe énergétique) ;

– Scénarios 2 bis : identique au scénario 2 mais avec gain de deux classes énergétiques ;

– Scénario 3 : combinaison du raccordement à un réseau de chaleur bois et réhabilitation énergétique des logements (avec gain d’une seule classe énergétique).

On considère dans le scénario de base que la production d’énergie pour assurer les besoins de chauffage et d’eau chaude sanitaire des 2 000 logements, répartis dans 40 résidences, est effectuée à partir de 40 chaufferies collectives au gaz naturel dont le rendement moyen de production d’énergie est de 85 %.

Dans les scénarios avec réseau de chaleur (1 et 3), les chaufferies gaz dans chaque immeuble sont remplacées par des sous-stations d’échange alimentées par un réseau de chaleur, lui-même transportant l’énergie thermique produite par une chaufferie centrale mixte bois/gaz[6] (le taux de couverture bois est de 90 % de l’énergie distribuée par le réseau). Le réseau de chaleur (scénario 1) correspond à un investissement de 10 millions d’euros (M€), comprenant la chaufferie centrale, les canalisations isolées et les sous-stations d’échange dans chaque immeuble[7].

Dans les scénarios 2 et 2 bis, l’hypothèse est faite que les 40 chaufferies gaz de la situation de référence sont conservées. Du fait des travaux de réhabilitation énergétique, les besoins de chauffage des logements sont abaissés pour une même consigne de température, ce qui se traduit par une baisse de consommation de gaz naturel.

En croisant plusieurs estimations des coûts de réhabilitation énergétique par logement[8], la réhabilitation énergétique des immeubles est évaluée à des investissements de 12 à 24 M€, selon l’intensité des travaux (gain d’une ou deux classes énergétiques). Le scénario 3 cumule les investissements du scénario 1 (réseau de chaleur bois) et du scénario 2 (réhabilitation énergétique avec gain d’une classe énergétique) et correspond à un investissement global de 22 M€.

2.2. La prise en compte des aides et subventions

Les aides aux réseaux de chaleur renouvelable et de récupération sont apportées par le Fonds chaleur de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), abondé par les Régions et/ou le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER). Les subventions publiques atteignent généralement entre 40 et 45 % du montant de l’investissement des projets de réseaux de chaleur de taille moyenne (2 000 équivalents logements).

Les aides et subventions à la réhabilitation énergétique sont nombreuses : Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat (ANAH), crédits d’impôts, éco-prêts à taux Zéro, TVA à taux réduit, entre autres. Ces dispositions complexes ne sont pas toujours bien connues du grand public. L’enquête (2015) de l’Observatoire Open data des territoires révélait qu’à cette date, 40 % des rénovations thermiques n’avaient pas bénéficié d’aides publiques. Les responsables professionnels du bâtiment ont récemment dénoncé leur manque de lisibilité pour le commun des usagers potentiellement concernés[9]. Rappelons par ailleurs qu’elles sont pour la plupart soumises à des conditions de revenu et que la réalisation des travaux doit être effectuée par des entreprises certifiées Reconnues Garantes de l’Environnement (RGE) (Lire : Précarité énergétique : comment la combattre ?).

Dans les différents scénarios, a été choisi un montant « d’équivalents subventions » de 40 % de l’investissement afin d’obtenir une comparaison objective de chaque situation, ainsi qu’un amortissement des travaux sur une durée de 30 ans à un taux moyen de 2,5 %.

2.3. Le calcul coût-bénéfice

L’analyse en coût global permet de comparer une solution dite « de référence » à des solutions alternatives sur les mêmes bases. Chaque calcul intègre l’ensemble des coûts de conception, réalisation, financement (avec des subventions identiques), exploitation (approvisionnement en combustible, conduite de l’installation, fourniture de chaleur) et maintenance sur la durée de vie de l’opération.

A partir de ces hypothèses, est simulé le coût moyen du chauffage et de l’eau chaude sanitaire des 2 000 équivalent-logements en considérant l’amortissement des travaux direct (réhabilitation énergétique) ou indirect (réseau de chaleur), les charges complémentaires de combustibles (gaz et bois[10]), d’électricité, d’exploitation/maintenance et de gros entretien/renouvellement. Dans un second temps cette simulation est effectuée, avec le prix de base du gaz actuel, augmenté d’une taxe carbone de 125 € / tonne, soit le montant en vigueur en Suède.

3. Les performances énergétiques, environnementales et économiques des 4 scénarios

Les performances fournies par les simulations concernent les consommations de gaz naturel, les émissions de CO2 et le bilan économique.

3.1. La consommation de gaz naturel

Par rapport à la situation de référence initiale, on constate une très forte baisse, voire une quasi-substitution, des consommations de gaz naturel, respectivement moins 89 et moins 92 % pour les scénarios avec réseaux de chaleur 1 et 3 (Figure 5). Les scénarios 2 et 2 bis permettent des diminutions de consommations de gaz comprises entre moins 24 et moins 40 %, en phase avec l’intensité des travaux de réhabilitation énergétique effectués.

 

Figure 5 : Comparaison des consommations de gaz naturel dans chaque scénario (2020)

3.2. Les émissions de CO2

Résultat de la neutralité vis à vis de l’effet de serre, du cycle du carbone renouvelable, la substitution du gaz naturel par le réseau de chaleur bois permet d’éviter 50 000 tonnes de CO2 dans les scénarios 1 et 3. Les quantités de CO2 émises lors de l’oxydation thermochimique du combustible bois, qui se substitue à une énergie fossile, sont considérées comme strictement identiques à celles absorbées par la plante pendant sa croissance, puis par sa suivante supposée la remplacer dans le cadre d’une exploitation raisonnée et durable des forêts.

Les réhabilitations énergétiques dans les scénarios 2 et 2bis engendrent une économie de 15 000 à 25 000 tonnes de CO2 par an selon l’importance des travaux.

3.3. Le bilan économique

Les investissements par logement sont similaires en scénarios 1 avec réseau de chaleur et 2 à faible intensité de travaux de réhabilitation (Figure 6).

 

Figure 6. Comparaison des investissements par logement dans chaque scénario (2020)

 

L’impact sur le coût annuel de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire est toutefois très différent dans chaque scénario (Figure 7) :

– gain de 39 € par logement et par an dans le scénario 1,

– surcoût de 21 € par logement et par an dans le scénario 2.

A contrario, les scénarios 2bis à forte intensité de travaux et 3 avec réseau + faible intensité travaux sont similaires en termes d’investissement et se traduisent l’un et l’autre par un coût global plus élevé que celui de la référence gaz :

– de 93 € par logement et par an dans le scénario 2 bis,

– de 20 € par logement et par an dans le scénario 3.

 

Figure 7. Comparatif des gains économiques sur le coût final des usagers par logement dans chaque scénario (2020)

 

Avec une approche différente de la nôtre, une autre étude basée sur un panel TNS-SOFRES de 10 000 logements[11], parvient à des conclusions similaires: « le bénéfice net actualisé de l’investissement moyen (en réhabilitation thermique) » est très négatif, et ce, même en intégrant un coût évité des émissions de carbone à 250 €/t CO2. Les auteurs calculent un temps de retour brut sur investissement de 120 ans … mais soulignent le co-bénéfice d’amélioration du confort.

Ainsi seul le scénario « réseau de chaleur bois » permet aux usagers de faire une économie par rapport à la situation de référence gaz naturel, grâce notamment à une TVA à taux réduit sur l’énergie au compteur, économie qui est acquise dès lors que la chaleur renouvelable dépasse 50 % de l’énergie produite. Mais ce résultat ne peut être atteint que si le gestionnaire du réseau, concessionnaire en général, maîtrise parfaitement les coûts d’investissement, les dépenses d’entretien et de grosses réparations ainsi que les coûts de combustibles (bois énergie). On peut remarquer qu’avec une taxe carbone à 125 €/tonne de CO2 (niveau suédois), tous les scénarios aboutissent à un gain économique pour l’usager, sauf dans le scénario 2 bis à forte intensité de travaux où il est nul. A noter par ailleurs qu’avec ce niveau de taxe, le réseau de chaleur bois n’aurait plus besoin d’être subventionné par les pouvoirs publics. Il deviendrait, sans subvention, économiquement plus attractif que la situation de gaz initiale (-12 %). En effet la taxe renchérirait le prix de l’énergie de l’ordre de 30 % (avec le prix de référence gaz naturel-entrée-chaudière), cette augmentation venant compenser, voire au-delà, l’effet d’une subvention sur les investissements. Celle-ci permet d’abaisser la part amortissement dans le prix final de la chaleur, soit une baisse globale de celle-ci de l’ordre 10 à 15 % en moyenne.

Les investissements sont similaires dans les scénarios 1 et 2 (gain d’une classe énergétique) ainsi que dans le scénario 2 bis (gain de deux classes énergétiques) et le scénario 3, mais ramené à la tonne de CO2 évitée, l’investissement est 2 à 5 fois plus important dans les scénarios de réhabilitation énergétique que dans ceux avec le réseau de chaleur renouvelable (Figure 8). Du fait de la forte quantité d’émissions de CO2 évitées dans le scénario 1 (réseau de chaleur seul), le ratio d’investissement par tonne de CO2 y est le plus efficient parmi les quatre solutions étudiées. Par voie de conséquence, il en est de même des aides publiques allouées aux travaux.

 

Figure 8. Comparatif des investissements par tonne de CO2 évitée dans chaque scénario (2020)

 

4. Comment passer à la vitesse supérieure : choix des cibles, outils et financements

Réseaux de chaleur renouvelable et réhabilitation thermique des logements, qui ne sont pas concurrents, ne doivent évidemment pas être opposés. L’un et l’autre ont un rôle important à jouer dans la décarbonation du résidentiel et du tertiaire en France. D’ailleurs ces deux options ne sont pas de même nature et strictement comparables :

– d’une part l’option réseau de chaleur suppose la disposition, localement, d’une source énergie renouvelable qui vient se substituer à une énergie fossile, alors que ressources renouvelables ou de récupération ne sont pas disponibles en tous lieux et en quantité suffisante ;

– d’autre part, la réhabilitation énergétique relève de l’exploitation de « negatep », c’est-à-dire vise à la réduction de consommations d’énergie gaspillées, ce qu’exprime le slogan bien connu : « l’énergie la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas ». De plus, un programme de réhabilitation lourde d’un ensemble immobilier ne porte pas seulement sur l’aspect thermique, mais aussi sur l’amélioration du bâti, sur l’esthétique, sur le confort, y compris d’été… autant de questions qui sont exclues de la problématique de réduction des émissions par substitution d’une forme d’énergie par une autre et/ou par amélioration de l’efficacité énergétique.

Cependant, comme la réhabilitation thermique est systématiquement mise en avant dans le discours officiel, il convient d’attirer l’attention sur le fait qu’elle n’épuise pas la question de la transition énergétique : seule, elle ne pourra pas aboutir à une décarbonation complète du secteur du bâtiment et des logements existants sans le concours à grande échelle de la chaleur renouvelable.

4.1. Redonner toute sa place à la chaleur renouvelable

Études de cas et expérience de terrain mettent en évidence qu’une solution « chaleur renouvelable » est vertueuse, tant au niveau des investissements par tonne de CO2 évitée que du gain économique final pour l’usager sur son coût de chauffage et d’eau chaude sanitaire. Dans un rapport de 2018 sur le soutien aux énergies renouvelables, la Cour des Comptes avait souligné l’efficacité du Fonds chaleur géré par l’ADEME et plus généralement des aides aux investissements : « une comparaison des filières en termes de performance énergétique (€/MWh EnR produit) et d’efficacité environnementale (€/t CO2 évitée) devrait conduire à réinterroger l’équilibre du soutien public en faveur des énergies renouvelables thermiques ». Était demandée par ailleurs une mise en cohérence « du niveau de la taxe carbone à l’horizon 2030 et des objectifs des pouvoirs publics en matière d’ENR thermiques » (Lire : Valorisation de la chaleur fatale par production d’électricité).

4.2. Garantir une économie en coût global pour les propriétaires et pour les locataires

Dans les cas étudiés, tout particulièrement dans ceux relatifs à la réhabilitation énergétique, les gains économiques sont faibles et même négatifs pour l’usager, ce qui résulte de prix beaucoup trop bas des énergies fossiles, taxes comprises. Or, pour obtenir l’adhésion des acteurs économiques et sociaux concernés, il faudrait créer un réel attrait économique des solutions alternatives aux fossiles (ou au chauffage électrique), pour ne pas avoir à passer par des dispositions réglementaires/autoritaires de type obligation de rénover, ce qui peut être très tentant. Pour les réhabilitations thermiques, le secteur de l’immobilier est globalement défavorable aux dispositifs autoritaires, craignant ses effets pervers sur le marché, y compris de la location.

En tout état de cause, cette méthode ne saurait prévaloir pour la chaleur renouvelable qui concerne principalement les acteurs des réseaux de chauffage et leurs mandants. La promotion des réseaux et le choix des sources d’énergie relèvent de compétences optionnelles pour la collectivité et il faut souvent se soumettre au principe de liberté de raccordement à un réseau, choix laissé à l’appréciation de chacun. D’où souvent la nécessité de se plier à des exercices de démocratie participative, parfois assez longs, pour faire aboutir un projet. Le classement des réseaux ne concerne que le neuf et les réhabilitations lourdes (plutôt dans les grandes des villes) et ne facilite qu’à la marge les raccordements en question.

Les quarante dernières années ont vu se succéder les réglementions thermiques, au gré des chocs et contre-chocs pétrolier et gazier. Celles-ci ont démontré qu’elles étaient opérantes dans le neuf. Par contre dans l’existant, qui constitue la majorité du parc de logements, les décisions de travaux des entreprises et des ménages ont toujours peu ou prou, avec des décalages, suivi le cours des énergies fossiles et des aides publiques.

La combinaison des deux solutions, chaleur renouvelable et réhabilitation thermique, solution du scénario 3, ne doit pas être systématique : elle est très coûteuse en investissements, en besoin d’aides publiques et n’améliore pas significativement les économies d’énergies fossiles et les émissions de GES. On ne peut pas gagner sur les deux tableaux à la fois.

4.3. La taxe carbone pour accroître le bénéfice associé aux solutions vertueuses

Ni les pouvoirs publics ni les consommateurs ne maîtrisent les cours des énergies fossiles qui relèvent des stratégies des pays producteurs (Lire : Après la Covid-19, une nouvelle ère pétrolière ?). Seule une taxation du carbone dont la croissance serait programmée sur 10-15 ans à l’avance peut garantir un prix durablement élevé des combustibles liquides et gazeux, facteur décisif pour attirer entreprises et ménages vers les solutions vertueuses.

La Suède en a fait la démonstration, avec une taxe carbone qui bénéficie d’un très large soutien dans l’opinion publique parce qu’elle a été bien expliquée et compensée par une baisse d’autres fiscalités. Les réseaux de chaleur (biomasse et incinération des déchets) se sont multipliés au fil des années, démontrant leur compétitivité par rapport aux solutions fossiles qui ont disparu au fil du temps (Figure 9) (Lire : Les retours d’expérience (REX) au service de la transition énergétique).

 

Figure 9. L’effet levier de la taxe carbone en Suède.

 

En France, le prix du carbone fait consensus parmi les experts, sous certaines conditions qui doivent résulter d’arbitrages issus du dialogue social, entre les parties prenantes[12]. Pour ce faire, il est possible :

– de compenser les plus fragiles, entreprises et ménages, par exemple en visant les trois déciles de revenu inférieur, plus un bonus pour la ruralité continentale et montagnarde ;

– baisser des impôts et charges, notamment dans les industries de main d’œuvre, pour favoriser l’emploi et le pouvoir d’achat ;

– flécher l’usage des ressources de la taxe vers des investissements de transition écologique prioritaires.

4.4. Simplifier et harmoniser les aides publiques et les financements privés

Le développement des réseaux de chaleur renouvelable et la réhabilitation des logements ne pourront émerger à grande échelle qu’avec des outils et des moyens nouveaux et étendus :

– la simplification des financements publics et privés des projets avec guichet unique régionalisé, afin de faciliter et réduire les délais d’obtention des subventions et des prêts (Lire : L’action locale en faveur de l’efficacité énergétique);

– l’extension du Fonds chaleur (qui a fait ses preuves) à la réhabilitation énergétique des logements (et bâtiments tertiaires) et aux installations dites « secondaires » sous forme d’aides aux conversions des immeubles en individuel gaz ou « tout électrique » au chauffage collectif pour raccordement à des réseaux EnR.

Les systèmes d’aides à la réhabilitation énergétique des logements n’ont jamais donné les résultats attendus. Une simplification était nécessaire. Les déclarations gouvernementales de juillet 2020 semblent aller dans ce sens : « Ma Prime Renov’ » sera accessible sans condition de revenu à tous les propriétaires, bailleurs compris, de même qu’aux copropriétés prises dans leur globalité à partir de 2021[13]. Mais il faudra du recul pour juger de l’efficacité de cette évolution a priori positive!

Dans le logement collectif privé par exemple, des aides à la réhabilitation énergétique des immeubles selon les caractéristiques énergétiques du bâtiment, et indépendamment des revenus des propriétaires bailleurs ou occupants, permettraient d’engager des opérations qui sont bloquées : absence de majorité en assemblée générale (AG) de copropriété, bailleurs sociaux qui ne s’y retrouvent pas car les économies de chauffage profitent au locataire, mais ne couvrent pas les charges de financement des travaux à consentir par les propriétaires.

4.5. Décliner les interventions en fonction des situations concrètes

Au-delà de la mise en place d’un cadre d’intervention facile à décrypter, il faut adapter les aides publiques et les financements privés par grandes familles de projets. Tout d’abord, il faut bien distinguer le collectif et les maisons particulières, deux contextes totalement différents et, dans le collectif, le logement social et les copropriétés privées qui ne relèvent pas des mêmes processus décisionnels.

Pour le raccordement à un réseau de chaleur comme pour la réhabilitation énergétique dans les logements sociaux, la décision est prise par le conseil d’administration qui s’intéresse à deux questions : la capacité de financement du bailleur social (et l’étalement des travaux à l’échelle de son parc dans le temps) et l’intérêt résultant pour les locataires (couple loyer/charges).

Pour les copropriétés privées comportant des propriétaires ayant des moyens financiers parfois très différents, il faut prendre en compte le point de vue des propriétaires occupants et celui des bailleurs et de leurs locataires, puis évaluer leurs intérêts respectifs : valorisation du patrimoine d’un côté, baisse des charges de chauffage de l’autre, avec ou sans partage des gains (s’ils existent) entre les deux, en appliquant la loi du 24 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, dite loi Molle. Cette question se pose pour une réhabilitation énergétique, mais pas pour un réseau de chaleur. Dans ce dernier cas c’est l’occupant, propriétaire ou locataire, qui paye la facture globale de la chaleur toutes charges d’investissement et de fonctionnement comprises (Lire : Précarité énergétique : comment la combattre ?).

5. Messages à retenir

Il apparaît pertinent de favoriser la mise en place de réseaux de chaleur EnR en milieu urbain et dans les quartiers fortement urbanisés, tout en supprimant les « passoires énergétiques », notamment pour le confort des usagers. En zone plus diffuse, il faut privilégier la réhabilitation énergétique. A cet égard il serait opportun que les collectivités élaborent des schémas d’aménagement énergétique de leur territoire en distinguant à moyen terme (10 ans) les zones où la création d’un réseau de chaleur est à envisager, et en identifiant les immeubles aptes à s’équiper d’une chaufferie renouvelable dédiée, ceux où une réhabilitation thermique est urgente, comme on le voit en matière de planification énergétique au Danemark. L’idéal serait de marier procédures simples et actions sur le terrain, adaptées à des réalités diverses. Comme le dit le proverbe, « le diable se niche dans les détails » : ici, le détail est le quotidien des professionnels du bâtiment et du génie thermique.

 

Notes et références

[1]Articles du Moniteur de février 2020 (interview d’Anne-Lise Deloron, coordinatrice interministérielle du plan de rénovation énergétique des bâtiments) et du cabinet Inalcad du 17/09/2019. Discours de Julien de Normandie de Novembre 2019 pour présenter les avancées du plan de rénovation des bâtiments.

[2]Chiffres base de données INSEE 2018

[3]Source : Ministère Transition écologique et solidaire, dossier de presse 2019

[4] Chiffres Insee : Moyenne nationale lorsqu’on divise la surface totale des logements par le nombre de logements concernés

[5]Chiffres Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie : Etiquette E la plus représentée dans le logement en France (30 % des logements classés en E)

[6]On conserve toujours une chaudière gaz en chaufferie centrale pour faire les appoints les jours les plus froid et pour sécuriser le service public de distribution de chaleur en cas d’imprévu / d’incident sur la chaudière bois. On a considéré des rendements de production de 85 % pour la chaudière bois et 90 % pour la chaudière gaz puis 87 % pour le rendement de distribution réseau.

[7]Chiffres basés sur retours d’expérience de réseaux de chaleur bois alimentant environ 2 000 équivalents logements

[8]Sources des chiffres utilisés pour établir les valeurs moyennes (prudentes) de rénovation énergétique : union pour l’habitat, Ademe, Site du réseau des acteurs contre la pauvreté et la précarité énergétique dans le logement, Anah, CIRED…Source enquête TREMI Ademe 2015 sur les maisons individuelles

[9]Tribune de la Fédération Française du bâtiment sur le site Bati-actu du 17/07/2020

[10]Prix du bois considéré : 22 €HT / MWh PCI (moyenne de prix du bois pour ce type de proejts) / prix du gaz naturel en appoint secours : 40 € HT / MWh PCI

[11]Gaël Blaise, Matthieu Glachant (2019) « Quel est l’impact des travaux de rénovation énergétique des logements sur la consommation d’énergie ? Une évaluation ex post sur données de panel », Revue de l’Energie, n° 646, septembre-octobre.

[12]Tribune de Géraud Guibert (Président de La Fabrique Ecologique, fondation transpartisane) et Christian de Perthuis (Professeur à l’université Paris Dauphine-PSL, fondateur de la chaire Economie du climat) du 24 juillet 2020 : « Urgence climatique : Pour une conférence sur la tarification du carbone, en septembre »

[13]Annonce d’Emmanuelle Wargon dans un entretien au journal Le Figaro le 24 juillet 2020.

 

 

Cet article a été publié en français dans la Revue de l’Energie, n°652 Septembre-Octobre 2020. Il est partiellement reproduit ici avec l’autorisation de la Revue de l’Energie que nous remercions.

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