Argentine : pourquoi la fracturation hydraulique ?

Pourquoi la fracturation hydraulique en Argentine ?

L’Argentine pourrait-elle imiter les États-Unis dans leur extraction à grande échelle des gaz de schistes ? La libéralisation de l’industrie pétrolière et l’épuisement des ressources conventionnelles y incitent, mais le recours à la nouvelle technologie de la fracturation hydraulique n’est pas sans danger pour l’environnement.


Cet article publié en espagnol : ¿ Por qué el fracking en Argentina ? a été traduit par Margaux BARBOTIN et Manon BERTHET, formation: Master 1 Traduction spécialisée multilingue, Université Grenoble Alpes


L’Argentine a atteint l’autosuffisance en pétrole et en gaz naturel à la fin des années 1970 presque exclusivement grâce à la compagnie pétrolière argentine Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF), qui appartenait alors à l’État. Cela signifie que les hydrocarbures qui étaient consommés en Argentine étaient extraits des gisements argentins eux-mêmes. Les exportations étaient très faibles, tout comme les importations : une petite quantité de gaz naturel était importée de Bolivie pour des raisons géopolitiques.

Dans l’entreprise d’État, on disait que l’Argentine était un pays avec du pétrole mais pas un pays pétrolier. Le gaz naturel remplaçait progressivement le fioul dans les centrales électriques thermiques; de même pour l’eau et les combustibles nucléaires. L’idée était de réduire la consommation de pétrole. Même au début des années 1980, après le retour de la démocratie, on a commencé à utiliser le carburol (alcool de canne mélangé avec des naphtes), en particulier dans la zone Nord, Nord-Est de l’Argentine (NEA) et dans le centre du pays.

 

1. Les conséquences de la libéralisation

Cependant, dans les années 1990, avec le gouvernement Menem-Cavallo, la politique énergétique a changé, notamment celle concernant le pétrole et le gaz naturel. YPF, Gasdel Estado et presque toutes les entreprises électriques, à l’exception des binationales (Salto Grande, Yacyretá, les centrales nucléaires d’Atucha et d’Embalse ainsi que quelques entreprises provinciales) ont été privatisées. On disait de l’État qu’il était un mauvais entrepreneur et qu’avec le secteur de l’énergie aux mains du privé, il allait y avoir beaucoup d’énergie, moins chère et à des prix internationaux.

En matière de pétrole et de gaz naturel, les entreprises étrangères, en particulier Repsol, qui avait acheté YPF très bon marché, ont commencé à augmenter fortement leur production. Elles ont même construit des gazoducs afin d’exporter la grande quantité de gaz naturel au Chili, par exemple.

L’exploration a été arrêtée pour remplacer les réserves et celles-ci ont diminué considérablement de presque 12 ans au début des années 1990 à presque dix ans en 2013 (avec une production de presque 30 % en moins) pour le pétrole, et de presque 20 ans à moins de huit ans pour le gaz naturel. YPF forait environ 120 à 150 puits d’exploration par an lorsqu’elle était publique et ensuite, l’ensemble des entreprises ont baissé à 60, 50, voire 30 puits par an.

Sans exploration, les réserves s’épuisaient et il fallait importer de plus en plus. À la fin des années 1990, près de 40 % du pétrole produit et une bonne partie du gaz naturel étaient exportés. Le pétrole était exporté à 22 dollars américains le baril et le gaz naturel à moins de 3 dollars le million de BTU. En 2013, il a fallu importer du pétrole (sous forme de dérivés) à près de 120 dollars et du gaz naturel liquéfié (GNL) à presque 18 dollars, soit quatre à cinq fois plus cher.

Le fait est que les entreprises ont consacré presque tous leurs efforts à exporter de grandes quantités afin de récupérer au plus vite l’argent dépensé dans l’achat d’YPF, d’envoyer les profits vers l’extérieur et d’augmenter les dividendes à leurs actionnaires. Les devises obtenues par les exportations ne passaient pas par la Banque centrale et le pétrole était en libre disponibilité. Cette situation s’est prolongée jusqu’en 2011.

En 2013, le gaz naturel local n’a pas été suffisant pour répondre aux besoins de la consommation des industries, des centrales électriques et parfois même des clients résidentiels, malgré le fait que plus de 40 % de la population manquait de gaz naturel. De plus, la construction de centrales hydroélectriques et nucléaires a été arrêtée. Étant donné qu’il n’y a pas eu non plus d’investissements pour développer la capacité des raffineries, il faut aujourd’hui importer du gazole, en partie pour remplacer le gaz naturel dans les centrales électriques, et parfois des naphtes et du fioul.

Ces importations provoquent un déficit important dans la balance commerciale qui, ajouté aux importantes subventions destinées au secteur de l’énergie, principalement pour acheter du GNL, et aux niveaux très bas des tarifs de gaz naturel et d’électricité, contribue également à créer un déficit dans le budget national. Tout cela engendre une situation très difficile pour le pays, qui se reflète en partie dans les difficultés des budgets provinciaux qui parfois ne sont même pas en mesure de payer les salaires des fonctionnaires.

Face à cette situation de chute des réserves et de production de pétrole et de gaz naturel, le gouvernement a décidé, judicieusement et tardivement, de récupérer la gestion d’YPF, en achetant 51 % des actions à Repsol. La compagnie Enarsa1 (Energía Argentina Sociedad Anónima), qui avait été créée au début des années 2000, n’a pas pu contribuer à la résolution de ce problème.

L’autre problème – celui des subventions pour les tarifs de gaz naturel et d’électricité – continue d’être reporté (à l’inverse, les prix des dérivés du pétrole augmentent progressivement). Cela entraîne de sérieux inconvénients pour CAMMESA, l’entreprise administratrice du secteur électrique qui achète l’électricité aux centrales avec ces subventions de l’État, puisque les entreprises de distribution, qui à leur tour achètent l’électricité à CAMMESA, lui doivent chaque jour plus d’argent à cause du gel des tarifs.

 

2. L’exploitation conventionnelle des hydrocarbures

Les structures qui contiennent du pétrole et du gaz naturel se trouvent dans le sous-sol, généralement à des profondeurs de plus de 1 000 mètres, bien que dans certains cas elles atteignent presque 4 000 mètres.

Elles ne se présentent pas comme des nappes ou des rivières souterraines de pétrole et de gaz naturel, mais ces derniers se trouvent dans des capillaires, de petits tubes, parfois non connectés entre eux, dans des roches solides mais qui ont la propriété d’être poreuses (des espaces sont occupés par des hydrocarbures) et perméables (les hydrocarbures peuvent s’écouler), c’est-à-dire qu’ils peuvent se déplacer. Ils sont déposés dans ce que l’on appelle des pièges : on peut imaginer la partie intérieure d’un chapeau dont la partie supérieure serait une roche imperméable qui contient les hydrocarbures et empêche qu’ils ne s’échappent. Le gaz naturel occupe la partie supérieure des capillaires, le pétrole la partie intermédiaire et l’eau la partie inférieure.

Pour les extraire, comme ils sont piégés sous haute pression (il y a 1 000 à 4 000 mètres de couches de roche par-dessus), il faut parvenir au chapeau grâce à un puits vertical foré depuis la surface. Ce puits est foré avec un outil spécial appelé trépan, placé au bout d’une série de barres articulées. Le puits commence avec un diamètre de 50 à 60 cm à la surface et finit, dans le piège, avec un diamètre de 8 à 10 cm. Quand le trépan arrive à l’endroit où se trouvent les hydrocarbures, c’est-à-dire lorsqu’il fore le dessus du chapeau, le pétrole sort par le tubage du puits vertical jusqu’à la surface,emporté par le gaz naturel et poussé par l’eau. Les puits forés sont verticaux et depuis une vingtaine d’années, en Argentine, on fore aussi en direction horizontale. Cela signifie que le puits arrive verticalement à la zone où se trouvent les hydrocarbures, puis, avec un outil spécial, il est dévié à l’horizontale. Ainsi, on peut en extraire beaucoup plus que s’il était seulement vertical.

Pour que le trou du puits en cours de forage ne s’obstrue pas à cause des petits morceaux de roche concassée et pour refroidir le trépan, on ajoute, par le centre du tubage, un fluide appelé boue de forage, qui est une boue formée avec de l’eau et un minéral spécial appelé barytine. Il n’est pas polluant et, selon la nature du terrain à forer, il contient parfois des produits chimiques tels que le gazole, par exemple. La boue de forage parcourt un circuit depuis la bouche du puits jusqu’au trépan, en profondeur, puis remonte à la bouche du puits en emportant les petits morceaux de roche concassée. La boue de forage utilisée est récupérée, les morceaux de roche en sont retirés puis elle est réinjectée. À la fin du forage, la boue de forage restante est rejetée dans un bassin adjacent au puits.

Cette boue de forage contient généralement du pétrole. Si le bassin n’est pas traité et que le pétrole n’est pas éliminé, cela devient une zone polluée qui détruit le sol et qui est très nocive pour les oiseaux. Il existe des techniques pour y remédier, mais l’histoire du forage de puits en Patagonie présente des milliers de bassins abandonnés, non traités, qui constituent d’importants passifs environnementaux. Dans la province de Chubut, on en compte plus de 5 000. En effet, l’État a très peu contrôlé les compagnies pétrolières.

Une des caractéristiques des gisements d’hydrocarbures est que leur production diminue au fil du temps car le gaz naturel, une des principales forces permettant leur extraction, perd peu à peu de la pression et s’épuise. C’est pourquoi, pour prolonger leur durée de vie, on injecte généralement de l’eau et du gaz sous pression depuis la surface. En Argentine, la moyenne de production d’un puits de pétrole est d’environ huit à dix mètres cubes (m3) par jour alors qu’au début de sa production elle peut être de 80 ou 100 m3. Cette diminution se produit en général lentement, sur 10 ou 15 ans. Les grands pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient produisent quelque 500 m3 par jour et par puits, c’est-à-dire presque 50 fois plus qu’en Argentine. Cette faible productivité des puits d’Argentine, qui produit à peine 0,2 % du pétrole mondial, fait que le pays se trouve parmi les cinq pays ayant le plus grand nombre de puits forés. Ainsi, pour obtenir la quantité produite par un puits en Arabie Saoudite, il faut 50 puits en Argentine.

 

3. La fracturation hydraulique

Le pétrole et le gaz naturel proviennent de ce que l’on appelle roche mère. Là, durant des centaines d’années, dans des lits de mers anciennes, la matière organique ensevelie s’est décomposée et a généré le pétrole et le gaz naturel, d’où le nom de roche mère. Mais le pétrole et le gaz naturel migrent depuis la roche mère et se déplacent jusqu’à ce qu’ils soient pris au piège dans des formations spéciales qui forment une barrière de roches imperméables, les empêchant de continuer à remonter vers la surface. Ainsi retenus, ils forment un gisement.

Aujourd’hui, la technologie permet de récupérer entre 30 et 50 % du pétrole issu de la roche mère, le reste demeurant dans le sol. On ne peut pas en récupérer plus, pour des raisons techniques et économiques. Dans les gisements conventionnels, les pores de la roche dans laquelle se trouve le pétrole ne sont parfois pas reliés entre eux et, pour en récupérer plus, on réalise ce que l’on appelle la fracturation hydraulique, qui est presque aussi ancienne que l’industrie pétrolière. Cette technique consiste à injecter, depuis la tête du puits, de l’eau sous pression mélangée à une substance chimique, qui arrive à la roche où se trouve le pétrole. Cela augmente la porosité et permet soit de produire du pétrole, soit d’augmenter la production.

Ainsi, la fracturation hydraulique est une technique ancienne. Mais où se réalise aujourd’hui le fracking, qui est une fracturation multiple ? Le procédé et ses impacts sont schématisés sur l’image 1.

Dans les formations où le pétrole et le gaz naturel se trouvent dans des roches de très faibles porosité et perméabilité, ou dans des argiles très compactes, y compris à l’intérieur de la roche mère, on les appelle: shale oil ou shale gas (huile de schiste ou gaz de schiste) ou encore tight oil ou tight gas (pétrole de réservoir compact ou gaz de réservoir compact).

La fracturation hydraulique consiste en une injection d’eau, de sable et de produits chimiques à grande pression, non pas dans la partie verticale mais dans la partie horizontale du puits. La partie horizontale peut mesurer 1 000 mètres et la verticale 2 000 à 3 000 mètres. Les parois de la partie horizontale doivent être perforées au moyen d’explosions contrôlées, qui produisent une série de trous le long de la partie horizontale. L’eau passera par ces trous à très haute pression, avec le sable et les produits chimiques, provoquant des fractures multiples dans la zone de la roche située autour de la conduite horizontale. Ainsi, ces roches deviennent plus poreuses et perméables alors qu’elles ne l’étaient pas à l’origine, permettant au pétrole et au gaz naturel de s’évacuer par le tubage.

Une grande quantité d’eau est utilisée : presque 20 000 m3 par puits, auxquels sont ajoutées environ 400 tonnes de produits chimiques dilués dans de l’eau, de façon à ce que la solution soit composée de 2 % de produits chimiques et de 98 % d’eau. Le sable empêche que les trous de la conduite horizontale se bouchent.

Ce type d’exploitations se compose de batteries de puits appelées plateformes (2 ou 3 par km²) et pour chacune, entre six et huit puits très proches les uns des autres sont forés. Aussi, le nombre de puits est très important. La production de chaque puits est ensuite recueillie dans la plateforme, c’est-à-dire que les puits convergent vers la plateforme. Près de 15 fractures sont réalisées dans chaque puits, ce qui donne une idée de la quantité d’eau et de produits chimiques à utiliser.

Les entreprises ne dévoilent pas la composition des produits chimiques, alléguant que c’est un secret commercial, mais on suppose qu’il est question d’environ 500 substances chimiques : 17 substances toxiques pour les organismes aquatiques, 38 toxiques aiguës, 8 reconnues cancérigènes. En général, il s’agit d’oxydants, de biocides, d’aromatiques, de sulfure de carbone, de pyridines, etc.

En résumé, une grande quantité d’eau, de produits chimiques polluants et toxiques et une expulsion de gaz naturel dans l’atmosphère, car tout ne peut pas être récupéré. Cette expulsion de gaz naturel accroît l’effet de serre, le pouvoir d’effet de serre du gaz naturel étant 23 fois celui du principal agent de ce type, le dioxyde de carbone. Une grande quantité du fluide injecté retourne à la surface (entre 30 et 50 %) ; ce fluide est hautement polluant. Celui qui reste dans le sous-sol peut migrer vers des nappes phréatiques et les polluer. Dans la province de Neuquén, les 500 premiers mètres de la conduite verticale devront être cimentés, pour éviter la pollution des nappes d’eau sous-jacentes. Cependant, le fluide pollué peut monter jusqu’à ces nappes à travers les fissures générées dans les roches par les injections d’eau, de sable et de produits chimiques.

Les puits de pétrole et de gaz qui perdent leur intégrité structurelle filtrent également du méthane et d’autres polluants par les revêtements et les libèrent dans l’atmosphère et dans les sources d’eau. Pourquoi y a-t-il autant de puits avec des fuites ? Les pressions souterraines, les variations de température, les mouvements de terre dus au forage de puits voisins, ainsi que la contraction, fissurent et endommagent la mince couche de ciment qui est censée sceller les puits. Il est extrêmement difficile de maintenir le ciment en parfait état tandis que le forage progresse de manière horizontale dans le schiste. Une fois que le ciment est endommagé, le réparer à des milliers de mètres sous terre est cher et,bien souvent, l’opération échoue. Les industries de pétrole et de gaz essaient de résoudre ce problème depuis plusieurs décennies2.

Pour les fluides sortants, il existe deux alternatives. La première consiste à les traiter dans des installations se trouvant au pied de chaque plateforme ; mais dans ce cas, où vont les polluants séparés ? Sont-ils déplacés ? La deuxième serait de les évacuer par camions et de les déposer ailleurs pour ensuite les déplacer de nouveau. Pour ce qui est des exploitations conventionnelles, il y a presque 5 000 bassins pollués rien que dans la province de Chubut. La durée de vie de ces puits non conventionnels est très limitée et leur production s’épuise en cinq ou six ans. Cela contribue à multiplier les forages. Une fois dépassée la durée de vie des puits, il faut les abandonner et les sceller avec des bouchons de ciment.

Le transport d’eau, de matériaux et d’intrants provoque une circulation considérable de camions, notamment de camions-citernes, qui empruntent des chemins ruraux. À Neuquén, on pense que l’eau proviendrait du lac Mari Menuco ou des cours d’eau Colorado, Neuquén ou Río Negro. La consommation d’eau provenant des nappes souterraines serait interdite et seule l’eau de surface pourra être utilisée. Le gouvernement de Neuquén a même annoncé la construction, à la charge de la province, d’un réseau d’aqueducs pour approvisionner les sociétés pétrolières. Le problème ne serait pas la consommation d’eau mais sa pollution et le stockage des boues de forage recyclées depuis les puits forés.

Dans tous les cas, il existe des techniques de travail qui permettent d’économiser la consommation d’eau. Selon l’entreprise de services pétroliers Schlumberger, les opérations non conventionnelles de cinq opérateurs qui travaillent dans le bassin de Neuquén demandent une moyenne annuelle de 1 800 000 m3 d’eau pendant une étape de lancement d’exploration ou de semi-développement. De cette quantité, environ 600 000 m3 remontent à la surface (ce que l’on appelle « eau de reflux »), un volume qui doit être traité et réinjecté. C’est précisément ce qui constitue le problème pour le traitement et le stockage de ces eaux.

Les entreprises déclarent qu’au lieu de 1 800 000 m3, elles pourraient en utiliser seulement 1 million, voire moins. Il s’agirait néanmoins d’un défi technique considérable, qui requerrait l’aide de nouveaux logiciels. Il faudrait en effet prendre en compte qu’entre 40 et 50 % des puits fracturés ne produisent finalement jamais. Par conséquent, il faudrait réaliser plus d’analyses détaillées à tous les niveaux jusqu’à réussir à finaliser l’opération. Toutes ces variables devraient être intégrées sur une même plateforme afin de réduire les coûts et d’augmenter la production.

Selon les entrepreneurs, il est déjà tout à fait viable de modéliser les fractures non conventionnelles (qui sont irrégulières et présentent de nombreuses ramifications) pour mieux pronostiquer les endroits avec un potentiel productif plus important. En optimisant les fractures, on peut aussi diminuer la consommation d’eau. La technique à utiliser serait celle de la fracturation par chenal qui a été créée en Argentine et qui est déjà effectivement utilisée dans de nombreux pays, y compris les États-Unis. Ainsi, au lieu d’injecter du sable de manière continue durant toute la fracturation, on procèderait à des injections de sable et de fluides de fracturation, permettant l’économie de cette matière première.

En définitive, les entreprises affirment qu’il est possible d’utiliser jusqu’à 60 % d’eau en moins dans l’industrie du schiste, en combinant deux techniques déjà éprouvées et en tirant parti de l’expérience et des connaissances disponibles dans le pays. Elles parviendraient à une telle économie, pour 20 %, grâce à la sélection des fractures, en intégrant l’information et en l’utilisant afin de prendre de meilleures décisions. Pour les 40 % restants, ce serait à travers cette technique de fracturation par chenal, qui, en plus de stimuler les économies d’eau, aurait d’autres avantages parmi lesquels, en particulier, une plus grande conductivité. Quoi qu’il en soit, le volume d’eau utilisée, même réduit de presque 60 %, doit être traité et réinjecté. Tel est justement le problème :le traitement et le stockage de ces eaux appelées eaux de reflux. Cela signifie que le problème principal n’est pas la consommation d’eau, dont la diminution serait bienvenue, mais le stockage final des eaux polluées. Il ne s’agit plus d’un problème de quantité mais de qualité.

 

4. Les hydrocarbures non conventionnels : réserves ou ressources ?

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), certains pays possèdent d’énormes réserves de pétrole et de gaz qui, jusqu’à récemment, ne pouvaient pas être exploitées. D’ailleurs, ils ne l’envisageaient même pas. Grâce aux progrès technologiques, ces hydrocarbures non conventionnels peuvent désormais être extraits plus facilement et à des prix suffisamment raisonnables. Le shale oil et le shale gas, leur nom en anglais (en français, ils portent d’autres noms tels que sables bitumineux, huile et gaz de schiste), pourraient finir par révolutionner la carte énergétique mondiale. Selon les dernières estimations du département de l’Énergie des États-Unis, le monde dispose de gisements qui contiennent environ 345 milliards de barils de pétrole non conventionnel, soit 10 % du total des réserves de pétrole brut de la planète. Il comporte également presque 7 300 billions de pieds cubes de gaz naturel non conventionnel, soit 32 % de l’ensemble des réserves mondiales. Des chiffres qui représentent déjà un tournant dans la conception de l’avenir des énergies fossiles(ils impliquent une augmentation des réserves mondiales de 11 % pour le pétrole brut et de 47 % pour le gaz naturel) et qui, en outre, peuvent être très sous-estimés en ce qui concerne les réserves réelles de gaz et huile de schiste que comporte la planète.

Le rapport de l’Agence d’information sur l’énergie (EIA) des États-Unis considère les réserves présentes uniquement dans 42 pays et porte seulement sur les ressources qui peuvent être extraites en utilisant les technologies déjà employées aujourd’hui. De plus, il ne tient pas compte d’autres gisements potentiels qui se trouveraient sous les grands puits de pétrole brut du Moyen-Orient et de la région de la mer Caspienne et qui pourraient s’avérer bien plus importants que ceux que l’on connaît déjà. Les nouvelles techniques de fracturation hydraulique (fracking) et de forage horizontal servent à découvrir de nouveaux gisements de pétrole brut et de gaz piégés dans la roche.

Cela pourrait même aller beaucoup plus loin. Les énormes réserves détectées peuvent permettre une révolution du secteur de l’énergie, mais il faut rester prudent quant aux réelles possibilités d’exploitation future. « Le rapport montre un potentiel significatif du pétrole et du gaz non conventionnels à l’échelle internationale. Néanmoins, il n’est pas encore évident de savoir dans quelle mesure les ressources techniquement récupérables sont aussi exploitables en termes économiques », indique Adam Sieminski, directeur de l’EIA. Les nouvelles réserves peuvent marquer un tournant dans le statu quo de l’énergie mondiale. Aujourd’hui, seuls les États-Unis et le Canada exploitent leurs réserves de gaz et de pétrole brut non conventionnels à des quantités vraiment industrielles. Ils sont appelés à être les acteurs principaux de ce boom des nouveaux hydrocarbures. Il semble que les États-Unis en seront le grand bénéficiaire. L’AIE a d’ailleurs déjà dépeint il y a quelques mois une nouvelle situation mondiale dans laquelle, grâce à leurs réserves non conventionnelles, les États-Unis deviendraient le plus grand producteur mondial de gaz naturel en 2015 et seraient également leader dans la production de pétrole en 2017. D’autres pays qui n’exploitent pas encore tout le potentiel de leurs gisements non conventionnels peuvent toutefois devenir eux aussi des géants mondiaux dans ce nouveau secteur. Les États-Unis sont aujourd’hui la grande puissance en matière de pétrole brut non conventionnel, mais la Russie les dépasse largement par ses réserves d’huile de schiste. Le géant russe concentre un cinquième de toutes les réserves mondiales de pétrole brut non conventionnel techniquement récupérables (avec 75 milliards de barils), puis viennent les États-Unis (58 milliards) et plus loin la Chine (32 milliards), l’Argentine (27 milliards) et la Libye (26 milliards). Ces cinq pays réunissent plus de 60 % de toutes les réserves d’huile de schiste de la planète.

La lutte pour la première place mondiale en matière de gaz naturel non conventionnel sera beaucoup plus serrée. Les estimations de l’EIA reconnaissent la Chine comme étant le pays avec les plus grandes réserves de gaz de schiste (1 115 billions de pieds cubes), suivie par l’Argentine (802) et l’Algérie (707). Les données officielles du gouvernement américain prévoient que leurs réserves se maintiendront à 665 billions de pieds cubes de gaz, les laissant en quatrième position. Cependant, les quantités estimées par certains consultants augmentent les volumes des États-Unis jusqu’à les placer en tête du classement mondial. Le groupe Advanced Resources International fixe les réserves américaines à 1 161 billions de pieds cubes, dépassant ainsi la Chine en tant que grande puissance du gaz de schiste. Toutefois, d’autres opinions, en particulier en Europe, dans quelques États des États-Unis et au Canada, manifestent des inquiétudes bien fondées au sujet des impacts environnementaux négatifs de l’exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels. Enfin, mis à part aux États-Unis et au Canada où ils sont déjà produits commercialement, dans les autres pays, les chiffres fournis laissent plus penser à des ressources qu’à des réserves car il reste encore à mener un important travail d’exploration et de vérification du comportement de ces structures en régime d’exploitation.

 

5. Pourquoi la fracturation hydraulique en Argentine?

Plusieurs raisons expliquent l’intérêt de l’Argentine pour cette technique.

Tout d’abord, de plus en plus de pétrole et de gaz naturel sont importés : cela affecte la balance commerciale et il existe presque un risque que les importations évoquées absorbent l’excédent commercial. D’où viendrait alors l’argent pour les importations dont le pays a besoin pour le fonctionnement du secteur industriel et pour payer la dette extérieure ? En effet, les réserves de la Banque centrale ne sont pas illimitées et sont en partie engagées.

D’autre part, les subventions pour le secteur énergétique (pour le gaz naturel et l’électricité) et celles destinées au secteur des transports sont une des causes principales du déficit budgétaire et le gouvernement retarde inexplicablement un changement de politique tarifaire. Si des subventions croisées étaient appliquées, de manière progressive, dans les échelles tarifaires pour que les clients résidentiels gros consommateurs et le secteur tertiaire paient plus par unité consommée que les clients résidentiels à faibles revenus et que le secteur industriel, les entreprises pourraient avoir un tarif moyen qui couvrirait leurs coûts et une expansion appropriée de leurs investissements.

Enfin, on a arrêté d’explorer à la recherche de pétrole et de gaz naturel conventionnels et un rapport de l’AIE place l’Argentine en troisième position, après les États-Unis et la Chine, des pays avec le plus de ressources de gaz naturel non conventionnel. Des ressources qui équivaudraient à presque 70 fois les réserves prouvées existantes de gaz naturel. Les ressources se trouveraient dans le bassin de Neuquén (YPF, Petrobras, Pluspetrol, Pan American Energy, Apache, Exxon, Shell et l’entreprise provinciale mènent actuellement des recherches sur 14 gisements dans les formations Los Moles et VacaMuerta), le bassin du golfe San Jorge (Aguada Bandera), dans le bassin Chaco-Paraná et le bassin austral de Magellan. En 2013, VacaMuerta a été exploitée et l’entreprise Apache a produit environ 1 000 m3 de pétrole par jour, ce qui équivaut à 1,4 % de la production totale de pétrole du pays.YPF place ses plus grands espoirs dans le reste de la structure VacaMuerta et estime qu’avec la production obtenue elle atteindrait l’autosuffisance en pétrole en 4 à 6 ans. Ainsi, l’importation de GNL cesserait. D’un point de vue entrepreneurial (YPF), l’un des inconvénients les plus graves est l’ampleur des investissements nécessaires pour explorer (il faut convertir les ressources en réserves) et exploiter ces structures. Un puits avec fracturation hydraulique coûte entre 12 et 18 millions de dollars alors qu’un puits d’exploration conventionnel ne dépasse pas 4 millions tout au plus. Les besoins d’investissement sont considérables, on parle de pas moins de 7 milliards de dollars par an pendant pas moins de cinq ans et aujourd’hui YPF ne dispose pas de telles sommes. En ce qui concerne la disponibilité technologique, sans minimiser, s’il est vrai qu’YPF ne dispose pas de l’expérience nécessaire, elle peut l’acquérir rapidement puisqu’elle maîtrise depuis de nombreuses années ses deux éléments essentiels : le forage horizontal et la fracturation hydraulique.

 

6. Principaux impacts environnementaux de la fracturation hydraulique

Le développement de la fracturation hydraulique devra prendre en considération plusieurs impacts environnementaux.

6.1. Les risques pendant le forage

Comme indiqué précédemment, il est nécessaire d’employer des techniques de forage particulières pour pouvoir procéder ensuite à la fracturation hydraulique. Par conséquent, les risques spécifiques des puits déviés s’ajoutent aux risques habituels liés au forage d’hydrocarbures. Il s’agit de risques d’explosion, de fuites de gaz et de sulfure d’hydrogène (très toxique en faibles concentrations), et d’éboulements de la formation sur le tubage. Ces derniers sont bien plus fréquents dans le cas des puits déviés, comme ceux réalisés pour la fracturation hydraulique. Il faut rappeler qu’en moyenne six à huit puits sont forés par plateforme et qu’il y a entre 1,5 et 3,5 plateformes par km2. C’est pourquoi, bien que le risque qu’un tel accident se produise par puits est a priori faible, il s’accroît de manière alarmante avec l’augmentation du nombre de puits à forer.

6.2. La pollution de l’eau

Une des principales inquiétudes concernant la fracturation hydraulique est son impact sur les aquifères souterrains. Lorsqu’on fracture le sous-sol, il existe une possibilité qu’une des fractures induites atteigne un aquifère, polluant ainsi l’eau avec les fluides de fracturation et le gaz de la formation. En plus de ce risque, un contact avec un ancien puits mal isolé est également possible. Le gaz pénètre alors facilement dans l’aquifère et remonte à la surface. Ce type d’accident s’est déjà produit par le passé, lorsqu’un aquifère a été pollué par un puits abandonné dans les années 1940.

6.3. Les risques chimiques liés aux additifs

Comme cela a été mentionné plus haut, chaque forage nécessite l’emploi de quelque 400 tonnes de produits chimiques, dont la plupart sont hautement polluants. Dilués à 2 % dans de l’eau, leur niveau de toxicité est fortement réduit. Néanmoins, ces produits chimiques sont acheminés jusqu’à la plateforme sans être dilués. Le risque d’accident durant le transfert doit être pris en compte. Le nombre de transports en camions à réaliser pour la densité de puits forés est élevé (ce qui d’ailleurs provoque également une pollution sonore et une insécurité routière). Pour chaque plateforme, le nombre de déplacements de camions est estimé à au moins 4000, dont beaucoup sont affectés au transport de produits chimiques. Là encore, même si le risque d’un accident provoquant un déversement de produit chimique est faible, le grand nombre d’opérations à effectuer le convertit en un risque élevé.

6.4. La pollution de l’air

Tout au long du processus de forage et de fracturation, une grande quantité d’additifs est utilisée, la plupart étant des composés volatiles. Il en va de même par la suite pour l’étape de production, durant laquelle il est nécessaire de conditionner le gaz extrait afin de l’injecter dans le gazoduc. Tous ces composés passent en plus ou moins grande quantité dans l’atmosphère et peuvent par exemple générer de l’ozone ou du BTX (benzène-toluène-xylène).

6.5. Les tremblements de terre

Dans les zones où le développement de la fracturation hydraulique est plus important, une augmentation de la sismicité coïncidant avec les périodes de fracturation hydraulique a été constatée. Il faut savoir que durant les opérations de fracturation hydraulique, le sous-sol est soumis à une pression plus d’une centaine de fois. Cette surcharge à laquelle il est soumis peut suffire à provoquer des déplacements de failles souterraines et par conséquent des tremblements de terre, comme cela s’est produit dans le Lancashire au Royaume-Uni, où l’entreprise Cuadrilla Ressources a reconnu que ses forages avaient causé deux tremblements de terre locaux.

6.6. L’effet de serre

Le gaz non conventionnel, compte tenu des conditions dans lesquelles il se trouve, est généralement constitué en quasi-totalité de méthane. Ce dernier est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2lui-même, à savoir 23 fois plus. Cela signifie que toute fuite de ce gaz durant le forage, la fracturation et la production est bien plus dangereuse que les gaz qui sont générés ensuite, lors de sa combustion.

L’autre problème des techniques de fracturation hydraulique concernant les fuites de gaz est l’eau de fracturation lorsqu’elle remonte à la surface. Comme celle-ci a été en contact avec le gaz dans le sous-sol, elle en a absorbé une quantité qui, en remontant à la surface, est émise dans l’atmosphère. On estime que, pour un puits dans lequel on a réalisé une fracturation hydraulique, la hausse des émissions de méthane est de 2%. Un rapport de l’Université de Cornell estime par conséquent que le gaz de schiste entraîne une augmentation des émissions de gaz à effet de serre comprise entre 30 %et 100 %en comparaison avec le charbon.

6.7. L’occupation de terrains

À cela s’ajoute le problème de la grande occupation de terrains pour ce type d’exploitation. Comme indiqué précédemment, il est nécessaire de réaliser un grand nombre de puits afin de bien exploiter les ressources. On fore généralement entre 1,5 et 3,5 plateformes par km2, avec une occupation de deux hectares par plateforme. L’impact visuel de cette accumulation de puits est très important.

 

7. Conclusions

Au niveau mondial, il faut réduire la consommation d’hydrocarbures à travers un changement des modèles de consommation de la société actuelle, en économisant l’énergie et en remplaçant de manière progressive ces hydrocarbures par des énergies renouvelables (hydroélectrique, solaire, éolienne) et nucléaires, sachant que,  de toute façon, ils ne vont pas disparaître.

Dans le cas de l’Argentine, outre ce qui est mentionné dans le paragraphe précédent, il faudrait:

  • insister sur la recherche de pétrole et de gaz naturel conventionnels, puisque depuis presque 15 ans on n’explore pratiquement plus les bassins matures et le territoire continental;
  • explorer la plateforme continentale dont le potentiel est encore inconnu;
  • augmenter la production des gisements matures, c’est-à-dire les vieux gisements. Un bon exemple serait celui de la longue existence du gisement Cerro Dragón dans la province de Chubut.

Au vu des impacts environnementaux que provoque l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels par la technique de la fracturation hydraulique, il faut déclarer un moratoire pendant que les spécialistes désignés prennent le temps d’analyser minutieusement toutes les répercussions liées à cette technologie, et ensuite obtenir un contrat social concédé par les habitants des régions concernées, ainsi que par ceux qui y réalisent des activités de production.

 


ANNEXE : L’ACCORD YPF-CHEVRON

Il convient dans un premier temps de préciser que le contenu de l’accord est secret, et qu’ainsi, ce que l’on en sait provient réellement d’informations officieuses divulguées par les autorités, censées dire la vérité.

 

1. Contenu succinct

L’accord est signé entre YPF et l’entreprise internationale Chevron, une des principales entreprises pétrolières au monde, privée, d’origine nord-américaine et qui a mal agi en matière de respect de l’environnement et des droits des peuples autochtones. En ce qui concerne l’Argentine, l’entreprise d’État YPF, bien qu’elle n’ait pas été un exemple en ce qui concerne le respect de l’environnement, a été créatrice de villages qui ont subsisté malgré la baisse de production du pétrole.

 

Investissements et objectifs de l’accord

Montant CHEVRON Montant YPF Période Superficie Puits
106 US$ 106 US$ Nombre d’années En km2 Nombre
1 240 260 1.5 20 100
4 500 4 500 5 375 900
8 250 8 250 28.5 395 1 677
13 990 13 010 35 395 2677

10 millions de dollars par puits. Source : Informations non officielles émanant de l’accord

 

Une concession est cédée, c’est-à-dire que l’on remet une superficie déterminée de la province de Neuquén (395 km2) afin d’en extraire les hydrocarbures pendant 35 ans. En échange, Chevron investit 1,24 milliards de dollars pendant 18 mois pour forer100 puits sur 20 km2. C’est ce qu’ils appellent un travail pilote.

Si tout se passe bien, c’est-à-dire si les puits produisent des quantités intéressantes pour les entreprises, les autres investissements en vue de développer le gisement sur les 375 km2 restants seraient réalisés à parts égales par YPF et Chevron. Durant les cinq années suivantes, chacune d’elles investirait 4,5 milliards de dollars pour forer 900 puits. Dans les années qui restent pour atteindre les 35 ans, elles investiraient chacune 8,25 milliards de dollars pour perforer 1 677 puits supplémentaires.

C’est YPF qui exploite la zone, c’est-à-dire qui endosse la responsabilité des travaux avec l’apport des connaissances techniques de Chevron. Le pétrole et le gaz naturel qui sont extraits sont répartis en parts égales. Lorsque le pays atteindra un niveau de production suffisant pour ne pas avoir à importer du pétrole et du gaz naturel, Chevron, après cinq ans d’opération, pourra exporter le pétrole et le gaz naturel en ayant la possibilité d’envoyer librement à l’extérieur jusqu’à 20 % de l’argent issu de cette vente. Si le pays continuait à importer, Chevron pourrait lui vendre ces 20 % comme s’il les exportait et envoyer les dollars correspondants à l’extérieur.

Pour que cet accord soit effectif, la province de Neuquén, propriétaire des hydrocarbures de VacaMuerta, doit donner son approbation. Le gouverneur a donné son accord à travers un décret qui doit être approuvé par le corps législatif de cette province. Ce décret étend principalement la concession dans une des zones jusqu’en 2048. En échange, il semblerait que Neuquén percevra des bénéfices spéciaux: une redevance et ce qu’on appelle une responsabilité,qui s’élèvent à 65 millions de dollars. De plus, la province se décharge de la subvention au gaz naturel destinée aux usines de méthanol, dorénavant prise en charge par le gouvernement national, qui donnera également 1 milliard de pesos pour des travaux dans différentes localités voisines de VacaMuerta. En outre, Neuquén recevra 5% des bénéfices laissés par le partenariat YPF-Chevron après l’année 2027. Pour se protéger, la province a inclus dans le décret une clause de réassurance qui déclare nulle la concession et qui lui réattribue la zone si les entreprises ne respectent pas leur plan d’investissements. Cela signifie qu’elle reçoit des promesses concrètes d’argent si le projet, motif de l’accord, aboutit.

Pour ne pas que l’on pense que cet accord était conclu seulement dans l’intérêt de Chevron, le pouvoir exécutif national a promulgué le décret 929 du 15 juillet 2013, qui prévoit des conditions similaires pour les entreprises qui investissent au moins 1 milliard de dollars durant les 5 premières années d’exploitation.

 

2. Observations et commentaires

Tout d’abord, il faut mentionner les impacts environnementaux potentiels qu’implique une opération telle que la fracturation hydraulique multiple. Cette technologie est particulièrement remise en cause aux États-Unis (pays dans lequel elle a été le plus utilisée), a été interdite dans certains pays d’Europe et s’est vu attribuer une attestation négative de la part de la Commission de l’environnement de la Communauté économique européenne. Par impacts environnementaux, on entend essentiellement la pollution de l’eau utilisée pour les opérations (elle contient certains agrégats de produits chimiques dangereux pour la santé des êtres vivants), plus que la quantité d’eau utilisée. Une partie de cette eau remonte à la surface et on ne sait pas où elle sera stockée ni comment elle sera traitée une fois à la surface pour qu’elle redevienne propre. Outre une pollution éventuelle, l’eau utilisée à forte pression pour réaliser les fractures hydrauliques peut s’infiltrer par les fissures des roches du sous-sol jusqu’à des nappes d’eau douce souterraine, même si celles-ci sont très éloignées du lieu où ont été réalisées les fractures. Du gaz naturel peut également s’échapper à l’extérieur, comme cela s’est produit en Amérique du Nord, causant des dommages importants à l’environnement car cela augmente la température de la Terre. Bien sûr, les entreprises se défendent en répondant qu’elles peuvent apporter des solutions à ces problèmes.

Autrement dit, le problème principal n’est pas la consommation d’eau, dont la baisse serait bienvenue, mais le stockage final des eaux polluées. Il ne s’agit donc plus d’un problème de quantité mais de qualité.

 

Productivité des puits non conventionnels et conventionnels

Pétrole

Type Pétrole non conventionnel Pétrole conventionnel
Production initiale 350 bl/jour 350 bl/jour
Production au bout de 5 ans 50 205
Puits additionnels 4 fois
Investissement par puits 10-12 millions de US$ 1- 4 millions de US$

Source : Tecpetrol, Views & Strategies for Long-Term Development of Unconventional Resources in Argentina, 17 juillet 2013.

 

Pour le pétrole conventionnel : estimations propres.

Gaz naturel

Type Gaz naturel non conventionnel Gaz naturel conventionnel
Production initiale 255 000 m3/jour 255 000 m3/jour
Production au bout de 5 ans 11 300 m3/jour 180 000
Puits additionnels 15 fois

Source: Tecpetrol,Views & Strategies for Long-Term Development of Unconventional Resources in Argentina, 17 juillet 2013.

 

Pour le gaz conventionnel : estimations propres.

– L’absence d’information et de consultation sérieuse des populations qui vivent dans les zones où se réaliseront les exploitations, stipulées par l’Organisation Internationale du Travail (Convention n°169 de juin 1989) et la Loi générale sur l’environnement en Argentine (Loi 25.675 de novembre 2002).

– Le fait que l’accord soit secret et pas de notoriété publique, ou du moins pas connu des législateurs, soulève des interrogations quant aux clauses non bénéfiques pour le pays qu’il peut contenir. On nous dit que c’est pour préserver le secret industriel.

– Le partenariat d’entreprises publiques et privées internationales ou nationales est aujourd’hui pratique courante dans presque tous les pays (y compris le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie). Tout dépend de comment se font ces partenariats et comment l’intérêt national est protégé. Les objectifs des entreprises pétrolières privées (où prime le profit, base du système capitaliste) sont différents de ceux des entreprises publiques (où devrait primer le fait d’offrir le meilleur service à moindre coût en pensant aux générations actuelles et futures).

– Le fait que les entreprises puissent s’octroyer 20 % des recettes (dans le cas présent, après la cinquième année d’exploitation) est mieux que ce qui se passait dans les années 1990. À cette époque, le décret n°1589 de 1989 permettait l’envoi de 70 % des devises obtenues vers l’étranger et ne respectait pas la condition selon laquelle le pays devait être autosuffisant en pétrole avant d’exporter.

– Si l’on souhaite arrêter d’importer en augmentant la production, il faut tenir compte du fait qu’aujourd’hui YPF ne possède pas l’ensemble des gisements du pays mais produit seulement 36% du pétrole et 24% du gaz naturel du pays.

-Avec cet accord, en supposant que le travail pilote mené sur la surface de 20 km2 satisfasse les entreprises, une quantité de pétrole (10 000 m3 par jour) serait produite en 2048 mais ne parviendrait pas à compenser la chute normale de la production de pétrole entre 2013 et 2048 qui serait, en calculant très prudemment, de 16 000 ou 20 000 m3 par jour. Cela signifie que ce qui serait généré par cet investissement de presque 28 milliards de dollars entre 2013 et 2048 ne couvrirait même pas la diminution naturelle des gisements actuels d’YPF.

– D’autre part, pour les gisements de pétrole non conventionnel, la production diminue d’année en année (par exemple, les puits de pétrole produisent au départ 350 barils par jour, puis 50 au bout de cinq ans, et ceux de gaz naturel produisent au départ 255 000 m3 par jour contre 11 300 m3 au bout de cinq ans). Cela oblige à forer un grand nombre de puits par an et à dépenser beaucoup d’argent, comme en Amérique du Nord. En revanche, les gisements conventionnels de pétrole commencent par produire 350 barils par jour, puis 205 au bout de cinq ans, et ceux de gaz naturel produisent 255 000 m3par jour et 180 000 m3 au bout de cinq ans. Cela suppose donc moins de dépenses et moins de puits à forer.

– Cet accord vise essentiellement à produire du pétrole et accessoirement une petite quantité de gaz naturel, alors que le combustible dont le pays a le plus besoin est le gaz naturel, qui représente, entre ce qui est acheté à la Bolivie par gazoduc et ce qui est importé sous forme liquéfiée par bateau, presque 7 dollars sur 10 des dépenses liées à l’importation de combustibles.

– L’investissement proposé se rapprocherait des possibilités du pays et d’YPF, dans le cas où il serait opportun d’exploiter aujourd’hui VacaMuerta, car cela impliquerait 620 millions de dollars par an jusqu’en 2015, 1,8 milliards de dollars par an entre 2016 et 2020 et 600 millions de dollars par an entre 2021 et 2048.

– On ne possède pas encore les connaissances requises pour réaliser l’exploitation mais elles peuvent être achetées en recrutant et en payant des spécialistes étrangers jusqu’à ce que les nôtres les acquièrent.

– Selon l’auteur, vu les caractéristiques de ce type d’exploitation, au-delà même de l’accord YPF-Chevron, les vraies gagnantes sont les entreprises qui vendent des équipements et des services spécialisés, et toutes sont étrangères.

 

3. Pourquoi cet accord ?

Pour résumer grossièrement, il y a eu en Argentine depuis le début du 20ème siècle et à travers l’histoire, deux types de politiques en ce qui concerne les hydrocarbures. La première est une politique à caractère national (sous les gouvernements d’Irigoyen, d’Alvear et d’Illia, ainsi que sous la première et la troisième présidence de Perón et en partie sous celle d’Alfonsín) qui pensait d’abord au pays et à l’usage des ressources naturelles pour le bien-être du peuple plutôt qu’aux profits privés. L’autre politique (sous tous les autres gouvernements) favorisait les capitaux privés nationaux et étrangers, cédait ces richesses et ne favorisait pas les compagnies énergétiques de l’État. En 2012, étant donné l’expropriation de 51 % des actions de Repsol, il a semblé que l’entreprise d’État YPF réapparaîtrait, mais de nombreux doutes subsistent et l’accord YPF-Chevronne contribue pas à les dissiper.

La production de pétrole et de gaz naturel en Argentine ne cesse de diminuer d’année en année tandis que leur consommation augmente. Cette situation s’explique principalement par la baisse de la capacité de production d’YPF, ainsi que par la vente à un prix relativement bas d’YPF à Repsol, entreprise espagnole. Cette entreprise s’est consacrée à produire une grande quantité de pétrole et de gaz naturel déjà découverts par YPF, pour les exporter et récupérer le plus rapidement possible l’argent du rachat d’YPF. Repsol a arrêté d’investir, c’est-à-dire de dédier de l’argent à l’exploration, pour remplacer le pétrole qu’elle exportait. Le pays s’est donc retrouvé sans réserves de pétrole et de gaz naturel. Ces derniers ont été vendus à l’étranger à une époque où les prix étaient presque quatre fois inférieurs au coût actuel de leur importation.

En conséquence, le pays doit aujourd’hui dépenser beaucoup d’argent pour importer le pétrole et le gaz naturel nécessaires à sa consommation. Les importations de combustibles, en particulier de gaz naturel, utilisent 15 % de l’argent gagné par les exportations. Il reste donc moins d’argent pour acheter à l’extérieur ce dont le pays a besoin pour faire fonctionner les industries et l’agriculture, par exemple. Les autres combustibles importés sont le fioul et le gazole consommés pour produire de l’électricité et pour les industries qui utilisaient auparavant du gaz naturel.

En outre, au cours des 20 dernières années, il n’y a pas eu non plus d’investissements suffisants dans la construction de nouvelles raffineries qui transforment le pétrole en naphtes, en gazole ou en fioul. Ces deux derniers doivent donc être de plus en plus importés, car il n’y a pas assez de gaz naturel pour les remplacer, surtout pour la production d’électricité. Le vent abondant n’est pas non plus mis à profit, ni de nouvelles centrales hydroélectriques, ni les centrales nucléaires, qui pourraient éviter de consommer plus de gaz naturel.

La troisième cause mentionnée pour justifier l’accord avec Chevron est la suivante: selon les experts internationaux, l’Argentine possède beaucoup de pétrole et de gaz naturel dans des gisements dits non conventionnels. Ils affirment que les réserves (c’est-à-dire ce que l’on peut extraire des roches) peuvent être, dans la seule zone de VacaMuerta, dix fois supérieures aux réserves de pétrole et 70 fois supérieures à celles de gaz naturel que possède le pays actuellement. Cette hypothèse n’est cependant pas encore confirmée. Extraire ce pétrole et ce gaz naturel non conventionnels des roches souterraines coûte très cher (presque trois à quatre fois plus cher que le pétrole et le gaz naturel extraits aujourd’hui à d’autres endroits du pays). De plus, on dit qu’YPF ne sait pas comment les extraire et ne possède pas les connaissances, autrement dit la technologie, pour le faire. En d’autres termes, on ne dispose pas de l’argent ni de la technologie nécessaires pour produire ce pétrole et ce gaz naturel non conventionnels sans l’apport et les connaissances d’entreprises étrangères.

Pour résumer, les causes évoquées pour justifier la signature de l’accord sont les suivantes: la chute de la production, l’augmentation des importations, le manque d’argent pour investir et de technologie pour produire dans la zone de VacaMuerta de la part d’YPF.

 

4. Alternatives envisageables

Le problème énergétique du pays n’est pas seulement lié au pétrole et au gaz naturel mais plutôt à l’ensemble des formes d’énergie pouvant être utilisées (électricité produite par l’eau, par les combustibles nucléaires, par le vent et par le soleil ainsi que par ce que l’on peut obtenir d’un traitement adéquat des végétaux). Cela veut dire qu’avant de conclure des accords favorisant le pétrole et le gaz naturel, il faut élaborer un plan énergétique qui tienne compte de toutes les énergies et qui soit utile au futur pays que nous voulons. En d’autres termes, nous devons savoir quel genre de pays nous voulons dans 30 ans.

Il faut modifier la structure des tarifs de l’électricité et du gaz naturel et les augmenter progressivement pour les clients résidentiels à revenus moyens et élevés et pour le secteur commercial, et dans une moindre mesure pour les industries. De cette manière, le prix des bombonnes de gaz se rapprochera de celui du gaz naturel. De plus, il y aura une diminution du montant actuellement très élevé des subventions à l’énergie que reçoivent en grande partie les personnes aisées pouvant payer des tarifs plus élevés.

Au lieu de se focaliser sur le pétrole et le gaz naturel issus de gisements comme celui de VacaMuerta, il faut allouer une somme d’argent, d’environ 1 milliard de dollars par an,pour forer entre 200 et 250 puits d’exploration dans des zones où l’on peut trouver du pétrole et du gaz naturel conventionnels. Le coût de forage de puits dans des zones non conventionnelles comme VacaMuerta est trois à quatre fois plus élevé que dans des zones conventionnelles. De plus, ces 20 dernières années, depuis la privatisation d’YPF, l’effort d’exploration est presque nul. Sans exploration, il est impossible de découvrir du pétrole et du gaz naturel. Il faut trouver plus de pétrole et de gaz naturel conventionnels. En revanche, les ressources non conventionnelles (comme à VacaMuerta) ont déjà été découvertes et la grande question est de savoir quelle quantité de pétrole et de gaz naturel sera finalement extraite, et à quel coût environnemental, social et économique. Nous obtiendrons des réponses à ces questions après avoir investi 1,24milliards de dollars dans la première étape de VacaMuerta et après avoir mesuré la baisse annuelle des productions de gaz naturel et de pétrole.

L’idéal aurait été qu’un groupe de spécialistes étudie les aspects énergétiques, environnementaux, sociaux et économiques qu’entraîne l’exploitation de zones comme VacaMuerta, avant de se lancer dans un plan massif de forages. Les résultats seraient ensuite communiqués à la population, en particulier aux populations autochtones qui vivent dans la zone et, seulement alors, des décisions seraient prises, comme signer des contrats avec des entreprises privées, ou bien laisser l’entreprise publique gérer seule si elle en est capable. Il faut décréter un moratoire sur le développement des zones comme VacaMuerta jusqu’à ce que toutes les informations nécessaires soient recueillies avant de procéder ou non aux exploitations.

 Fig. 1 : Comment fonctionne la fracturation hydraulique ?

Fig. 2 : Nouvelle carte de l'énergie dans le monde

 


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