Pétrole : les anciennes concessions pétrolières du Venezuela et du Moyen-Orient

L’évolution de l’économie pétrolière est indissociable de celle des contrats entre les compagnies pétrolières et les propriétaires des ressources du sous-sol. Leur évolution est retracée par Jesus Mora Contreras, professeur de l’Universidad de los Andes à Merida (Venezuela), en quatre articles tirés de son ouvrage « Contratos de exploracion y produccion de petroleo : origen y evolucion », 2012, Mérida, Universidad de Los Andes, 146 p.

Cet article publié en espagnol sous le titre : Contratos de exploración y producción de petróleo : reforma y renegociación del régimen del upstream en Venezuela y en el Medio Oriente, a été traduit par Benjamin CLAUDON, Formation: Master 1 Traduction Spécialisée Multilingue, Université Grenoble Alpes, sous la direction de Sandrine Rol.


Fig. 1 : Carte de Venezuela

Au cours de la première moitié du 20ème siècle, les compagnies pétrolières ont été en mesure d’imposer le système d’exploration et de production en amont (régime de l’upstream) aux propriétaires de pétrole tant au Venezuela que dans certains pays du Moyen-Orient[1]. À elles seules, ces deux régions ont été responsables – à côté des États-Unis, de l’ex-URSS et d’autres pays comme le Mexique – de 27 % de la production cumulée de pétrole dans le monde jusqu’en 1950[2].

Fig. 2 : Carte du Moyen-Orient - Source : Le-lutin-savant.com

Les réglementations qui ont permis aux compagnies pétrolières d’accéder aux activités d’exploration, de production et d’exportation de pétrole figuraient, au Venezuela, dans les lois et contrats et au Moyen-Orient, dans les contrats des concessions pétrolières. La simple existence de lois minières et pétrolières au Venezuela constituait une différence notable entre ce pays et ceux du Moyen-Orient. Dans les deux cas, le type de rapports qui liait autrefois les compagnies pétrolières et les propriétaires de cette ressource naturelle a changé, d’un point de vue institutionnel. Alors que le Venezuela (Figure 1) est parvenu à se doter d’institutions nationales (codes, lois, et règlements, entre autres) qui ont établi une réglementation régissant les activités techniques des industries minières et pétrolières, les pays du Moyen-Orient n’ont pu en faire autant (Figure 2).

Fig. 3 : Loi minière française de 1810 - Source : www.generationlibre.eu

Lorsque l’industrie pétrolière a commencé à se développer au Venezuela et au Moyen-Orient, le Venezuela était une république indépendante et souveraine, pourvue d’institutions minières coloniales réformées sous l’influence des principes de l’importante Loi française concernant les mines, les activités  minières et les carrières de 1810 (Figure 3). Ce n’était pas le cas des pays du Moyen-Orient. Jusqu’au milieu du 20ème siècle, ils étaient généralement soumis aux régimes coloniaux européens par le biais de protectorats ou de mandats, et donc assujettis aux institutions coloniales. Ainsi, pour expliquer le régime de l’upstream des anciennes concessions pétrolières du Venezuela, il faut s’intéresser à la législation minière et pétrolière nationale. En effet, ces concessions ont été conclues conformément aux dispositions contenues dans ces lois. Il en est allé différemment au Moyen-Orient, car il n’existait pas de lois minières ou pétrolières ; par conséquent, le régime de l’upstream des anciennes concessions n’était mentionné que dans les contrats.

1. Anciennes concessions pétrolières du Venezuela

Le régime de l’upstream des anciennes concessions pétrolières vénézuéliennes était principalement encadré par la législation nationale, et dans une moindre mesure par les contrats conclus en vertu de ces lois. Jusqu’en 1920, les normes appliquées à l’exploration et à la production pétrolières au Venezuela étaient inscrites dans les codes, lois, décrets et règlements miniers promulgués jusqu’alors et dans les contrats conclus conformément à cette vaste réglementation juridique minière[3]. Mais à partir de 1920, ces normes figurent dans la législation sur les hydrocarbures et dans les attributions juridiques correspondantes que l’État octroie aux compagnies pétrolières conformément aux dispositions légales. En 1920, une transition institutionnelle entre « le passé minier » et « l’avenir pétrolier » s’est opérée au Venezuela. La Loi sur les hydrocarbures et les autres combustibles minéraux de 1920 a représenté une rupture juridique qui a marqué cette transition institutionnelle. La conception de cette loi a tenu compte de l’expérience des États-Unis et du Mexique.

1.1. Régime des concessions pétrolières au Venezuela

Au Venezuela, contrairement au Moyen-Orient, il n’existait pas un modèle unique de contrat ou de concession pétrolière. On y trouvait plusieurs types de contrats, portant des noms divers : contrats spéciaux, concessions ou contrats d’amodiation[4] (Lire : Pétrole : les contrats d’amodiation de pétrole et de gaz aux États-Unis). Ces différences étaient liées au cadre juridique en vigueur au moment de l’octroi de la concession. En fonction de l’application de ces différents cadres réglementaires, les droits et obligations des contractants variaient également. Par exemple, les concessions minières octroyées en vertu des dispositions antérieures à la promulgation du Décret réglementaire de 1918 sur le charbon, le pétrole et autres substances similaires ne payaient aucun impôt tant que la concession n’entrait pas en phase d’exploitation. Ainsi, les concessionnaires maintenaient sous leur emprise de vastes zones ayant déjà fait l’objet d’une phase d’exploration, mais qui n’étaient pas encore exploitées. Cependant, une fois ce décret promulgué, les nouveaux concessionnaires étaient imposables dès la signature du contrat d’amodiation.

Malgré la diversité des anciens cadres réglementaires et la multiplicité des dispositions associées, on distingue clairement deux groupes de réglementations encadrant les anciennes concessions pétrolières du Venezuela. Un nombre limité mais significatif de concessions était régulé par les lois contenues dans le Code minier de 1910. Mais tous les autres contrats étaient régis par la Loi sur les hydrocarbures et autres combustibles minéraux de 1922. Tant le code que la loi comprenaient une clause d’adaptation permettant aux concessionnaires d’adapter les contrats et titres préalablement octroyés aux nouvelles dispositions en vigueur. Ainsi, les nouvelles lois n’étaient pas rétroactives et le principe de sécurité juridique était respecté, code et loi contenant cependant tous les deux des dispositions plus favorables aux concessionnaires.

Selon le code de 1910, les concessionnaires s’engageaient à verser à l’État un impôt sur l’exploitation (ou redevance) de 2 bolivars (Bs.) par tonne exploitée (la parité-or du bolivar était de 5,20Bs. pour un dollar). Cet impôt n’était dû qu’à partir du moment où la concession entrait en phase de production. La Loi sur les hydrocarbures et les autres combustibles minéraux de 1922, pour sa part, prévoyait que le concessionnaire paie une redevance équivalant à 10 % de la valeur moyenne du pétrole déterminée dans le port vénézuélien de chargement au cours du mois précédent, et que le montant de cet impôt ne soit jamais inférieur à 2 Bs. par tonne de pétrole brut extrait. Dans les deux cas, le concessionnaire avait le droit d’importer librement, sans payer de droits de douane, les marchandises nécessaires à ses opérations. De plus, en vertu du code de 1910, les concessionnaires étaient exonérés de tout impôt autre que ceux, fixes et immuables, convenus dans le contrat. Toutefois, les contrats étaient rédigés en espagnol, la langue officielle du Venezuela, ils étaient publiés dans le journal officiel national et dépendaient de la juridiction nationale. Ils  n’étaient donc pas soumis aux arbitrages internationaux.

1.2. Acteurs des concessions pétrolières au Venezuela

Fig. 4 : Exploitation pétrolière du Tachira

Plusieurs gouvernements vénézuéliens, agissant en qualité d’administrateurs de biens publics nationaux, ont octroyé des milliers de concessions pétrolières à des personnes physiques – de nationalité vénézuélienne ou étrangère – et à des compagnies étrangères. Six Vénézuéliens, avec à leur tête Manuel Pulido, se sont fait l’écho de ce qui allait plus tard être connu comme l’esprit d’entreprise de l’entrepreneur « schumpétérien », et ont ainsi constitué en 1878 une modeste compagnie pétrolière : la Compañía Petrolia del Táchira[5]. Ils ont envoyé un des associés se former dans le domaine de l’industrie pétrolière, en Pennsylvanie, lieu d’où il fit expédier une foreuse de pétrole démontée. Les activités de la compagnie, limitées à l’exploitation pétrolière, le raffinage du pétrole brut et la distribution de kérosène destiné à la combustion dans les lampes de l’État de Táchira au Venezuela et du département du Nord de Santander en Colombie, ont cessé en 1934, quand la concession octroyée 50 ans auparavant est arrivée à échéance (Figure 4).

Fig. 5 : Juan Vicente Gómez (1857-1935) président des premières concessions. - Source : Wikimédia Commons

Les autres personnes physiques, vénézuéliennes et étrangères, qui avaient obtenu des concessions se caractérisaient, au contraire, par un comportement de rentiers. Elles ont négocié la cession légale de leurs licences à des compagnies étrangères en échange de gains personnels importants. La législation minière et pétrolière de l’époque prévoyait en effet que les licences, les contrats et les concessions puissent être cédés. Et c’est ce qui s’est passé. Entre 1907 et 1912, sept concessions pétrolières ont été octroyées : six à cinq citoyens vénézuéliens et une à un citoyen anglais. Ces sept contrats, encadrés par le Code minier de 1910, ont été cédés à la filiale vénézuélienne de la compagnie anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell, installée au Venezuela depuis 1911. De même, « entre 1919 et 1940, 4 208 licences d’exploration et d’exploitation et 4 471 licences d’exploitation ont été octroyées »[6]. La majorité de celles-ci, octroyées à des Vénézuéliens, ont finalement été cédées aux filiales locales des compagnies américaines Standard Oil of New Jersey et Gulf Oil Company, installées au Venezuela depuis 1921 et 1925 respectivement (Figure 5).

Au cours de la première moitié du 20ème siècle, une partie de l’élite dirigeante au pouvoir dans le pays a essayé, à trois reprises, de tirer des profits directs (lucratifs) des activités pétrolières par le biais de réformes institutionnelles. Ces tentatives se sont concrétisées sous la forme de dispositions contenues dans le Code minier de 1910, dans la Loi sur les hydrocarbures et les autres combustibles minéraux de 1920 et dans la Loi sur les hydrocarbures de 1938. Le code indiquait que si l’exploitation pétrolière se faisait sur un terrain privé, le propriétaire était en droit de percevoir un tiers des bénéfices générés par l’exploitation. Dans la loi de 1920, une disposition prévoyait que sur les terrains privés, seuls les propriétaires pouvaient faire la déclaration d’exploration pétrolière et qu’elle devait se faire au cours de la première année suivant la promulgation de la loi. Enfin, la loi de 1938 obligeait l’État à reverser 0,5 % des redevances au propriétaire du sol. Cependant, cette élite au pouvoir n’a atteint son but de s’enrichir de manière directe « que » par la loi de 1920. En effet, en ce qui concerne la première tentative, la Cour suprême a déclaré la disposition inconstitutionnelle. La troisième tentative, elle, a échoué, car le pouvoir exécutif a suspendu l’octroi de concessions avant que la loi de 1938 ne soit promulguée, afin de mieux comprendre le secteur et d’exiger une plus grande participation aux bénéfices.

1.3. Développement des concessions au Venezuela

Fig. 6 : Ancien siège social de la Mene Grabde Oil Company. - Source : Wikimédia Commons

Du pétrole a rapidement été trouvé dans les anciennes concessions octroyées au Venezuela. Le premier puits (appelé Bababui-1) a été foré entre 1912 et 1913 dans l’est du pays. Deux ans plus tard, le puits Zumaque-1 a été foré dans l’ouest du pays et a permis la découverte de l’immense gisement sur le champ de Mene Grande (Figure 6).  Néanmoins, le déclenchement de la Première Guerre mondiale a retardé l’exploitation du pétrole au Venezuela de quelques années. La production à l’échelle commerciale a commencé en 1917 avec 121 000 barils extraits, dont 57 000 affectés à l’exportation. La taille et le nombre de gisements découverts étaient d’une telle ampleur qu’en 1928, le Venezuela a atteint le rang de deuxième producteur mondial de pétrole (seulement devancé par les États-Unis) et le rang de premier exportateur mondial.

Jusqu’en 1933, le groupe Shell a conservé le titre de premier producteur du Venezuela grâce à ses filiales locales (Venezuelan Oil Concessions, Shell Caribbean Petroleum Company,entre autres), mais en 1934, le groupe Standard Oil of New Jersey et ses filiales (Lago Petroleum Company, Creole Petroleum Corporation, etc.) ont pris la relève en tant que leaders. Au début des années 1940, au Venezuela, 99,5 % de la production de pétrole étaient assurées exclusivement par les trois grandes compagnies implantées dans le pays : Standard (45,7 %), Shell (33,2 %) et Mene Grande Oil Company (20,6 %). Cette dernière, au départ filiale intégrée à la Gulf Oil Co. a peu à peu vu son capital divisé entre les trois grands groupes en 1936 et 1937. Au final, Gulf détenait 50 % de ses parts, Standard 25 % et Shell 25 %.

2. Anciennes concessions pétrolières du Moyen-Orient

Au cours de la première moitié du 20ème siècle, les compagnies pétrolières ont réussi à imposer le régime de l’upstream aux propriétaires du pétrole au Moyen-Orient. Les règles qui régissaient les rapports entre les compagnies pétrolières et les États propriétaires de cette ressource naturelle en Iran, en Irak, en Arabie saoudite, au Koweït, à Bahreïn et au Qatar, étaient strictement contenues dans les contrats des concessions pétrolières. En raison de leur dépendance aux protectorats, mandats et autres zones d’influence exercés par les puissances coloniales européennes, ces pays manquaient de souveraineté et d’institutions indépendantes et considéraient les contrats comme des instruments exclusifs de régulation des rapports entre les compagnies pétrolières en amont (upstream) et l’État. Le contrat constituait le seul lien juridique entre celui-ci et le concessionnaire.

2.1 Régime des concessions pétrolères au Moyen-Orient

En général, les anciennes concessions pétrolières du Moyen-Orient ont toutes suivi le même modèle de contrat et ont plus ou moins repris les mêmes règles du jeu. Le contrat était le seul instrument régulant les relations nationales entre l’État et les compagnies pétrolières. En acceptant ce régime contractuel, le pays hôte reconnaissait que ses rapports avec les compagnies pétrolières étaient réglementés comme si les deux parties étaient des opérateurs économiques privés, à l’image des pratiques pour les terrains privés aux États-Unis. C’est pourquoi il était stipulé dans les anciens contrats des concessions du Moyen-Orient que les autorités publiques du pays hôte n’étaient pas autorisées à en modifier unilatéralement les clauses. Ces dernières ne pouvaient être modifiées que dans le cadre d’un accord entre les parties. L’influence exercée par les puissances coloniales européennes sur les territoires du Moyen-Orient, grâce à des protectorats, des mandats et des zones d’influence, explique l’affaiblissement du pouvoir central de leurs gouvernements respectifs et la perte de souveraineté politique. Elle justifie également que les règles du jeu des contrats ne puissent pas être modifiées unilatéralement par les autorités publiques du pays hôte.

En dépit de la multiplicité des pays impliqués dans ces contrats (Iran, Irak, Bahreïn, Arabie saoudite, Koweït et Qatar) avant la naissance de l’OPEP en 1960 et des trois décennies qui se sont écoulées entre l’octroi de la première concession (1901) et de la dernière (1935), les normes applicables étaient relativement simples et les concessions avaient toutes des caractéristiques similaires, à savoir :

  1. la taille très importante des terrains octroyés aux compagnies dans ces pays, contrairement, aux États-Unis et au Venezuela, où les terrains amodiés pour l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures étaient relativement de petite taille, sauf dans le cas exceptionnel des sept licences d’exploration octroyées au Venezuela entre 1907 et 1912 ;
  2. les concessions couvraient la totalité ou la quasi-totalité du territoire du pays hôte, ce qui donnait un avantage concurrentiel aux concessionnaires, puisque le contrat de concession leur permettait ainsi, d’une part, d’éliminer des concurrents potentiels et d’établir des monopoles territoriaux dans chaque pays et, d’autre part, leur assurait l’exclusivité des droits pour mener toutes les activités de l’industrie : exploration, production, transport, raffinage et commercialisation du pétrole et du gaz naturel ;
  3. la durée notable des concessions (de 55 ans à Bahreïn à 75 ans en Irak, au Koweït et au Qatar), bien que les concessions bahreïniennes et koweïtiennes aient pu être prolongées jusqu’à 90 et 92 ans, respectivement ;
  4. l’existence de clauses extrêmement avantageuses pour les compagnies pétrolières, absolument inimaginables dans les contrats américains. Deux stipulations en particulier méritent ce qualificatif : la « clause de stabilité budgétaire », selon laquelle le concessionnaire est exonéré de tout impôt national ou local, sauf dans le cas de la concession irakienne de 1925, et la clause admettant le recours à l’arbitrage international « conformément aux principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées ». La clause d’arbitrage spécifiait également que la version du document qui prévalait pour l’arbitrage était soit la française soit l’anglaise, selon la langue dans laquelle avait été rédigé le contrat ;
  5. deux droits garantis aux concessionnaires faisaient de l’industrie pétrolière du Moyen-Orient et du Venezuela une activité économique mal intégrée dans l’économie nationale, isolée dans une sorte d’enclave : d’une part, le droit d’importer librement tout bien nécessaire au fonctionnement de la concession ou à la consommation des employés, sans payer de taxes ni de droits de douane ; d’autre part, le droit d’employer du personnel étranger. De plus, dans les pays du Moyen-Orient et au Venezuela, l’industrie pétrolière était pratiquement la seule activité économique moderne d’importance. En revanche, aux États-Unis, où cette industrie coexistait avec d’autres activités économiques modernes, il s’agissait d’une industrie nationale qui produisait du pétrole brut et des produits pétroliers destinés au marché urbain en plein essor, du moins au départ ;
  6. enfin, le concessionnaire s’engageait par contrat à céder à l’État la propriété des biens immeubles existants à l’échéance de la concession, sans versement d’indemnité. Cependant, il existait également une clause de prolongation du contrat que le concessionnaire pouvait invoquer lorsqu’il manquait à ses obligations en raison d’un événement de force majeure ne lui étant pas imputable.

Quels avantages économiques les anciennes concessions pétrolières offraient-elles donc aux pays hôtes du Moyen-Orient ? Essentiellement, ces avantages étaient liés au droit de propriété publique et étatique sur la ressource naturelle non renouvelable. De fait, la rente pétrolière, c’est-à-dire le montant versé au propriétaire de la ressource naturelle ayant cédé l’exercice de son droit sur cette ressource, constituait le seul facteur économique par le biais duquel les concessions contribuaient au développement de l’industrie dans leurs pays respectifs. Par conséquent, dès le début de leur relation contractuelle avec les compagnies, les pays hôtes du Moyen-Orient sont devenus de simples États rentiers.

Le montant de la rente pétrolière était stipulé dans le contrat sous la forme de deux engagements financiers que le concessionnaire acceptait de verser au pays hôte. Il y avait le bonus (ou prime), un montant payé en espèces au moment de la signature du contrat, et la redevance, une somme d’argent versée annuellement. Cette dernière était égale, soit à un pourcentage des revenus nets annuels de la compagnie (16 % pour la concession persane de 1901), soit à un montant fixe relatif au volume de pétrole produit (4 shillings-or par tonne dans la concession irakienne de 1925) : « La valeur de 4 shillings-or, à 35 dollars l’once, équivalait à 1,65 dollar »[7] par tonne, soit environ 23,6 centimes de dollar par baril.

2.2. Acteurs des concessions pétrolières au Moyen-Orient

Les anciennes concessions pétrolières au Moyen-Orient comptaient très peu d’acteurs : deux citoyens de nationalité arménienne et britannique, une poignée de grandes compagnies pétrolières d’origine anglo-néerlandaise, américaine et française, et les gouvernements de l’Iran, de l’Irak, de Bahreïn, de l’Arabie saoudite, du Koweït et du Qatar. Les gouvernements de ces pays, agissant en qualité de propriétaires publics et étatiques de leurs ressources naturelles, n’octroyaient des concessions qu’aux personnes ou entités étrangères (personnes physiques et/ou entreprises privées ou sociétés d’économie mixte). Jamais aucune concession n’a été octroyée aux ressortissants de ces pays, à l’inverse de ce qui avait pu se passer autrefois aux États-Unis et au Venezuela. Au Moyen-Orient, au contraire :

Fig. 7: William Knox d'Arcy (1849-1917) - Source : Wikimédia Commons

  • en 1901, le gouvernement de l’Iran (l’ancienne Perse) a octroyé une concession à un citoyen britannique : William Knox D’Arcy (Figure 7). En 1933, le gouvernement a renégocié les termes de la concession avec la société d’économie mixte britannique Anglo-Persian Oil Company Limited ou APOC (devenue Anglo-Iranian Oil Company ou AIOC en 1935, puis British Petroleum ou BP en 1954). Enfin, en 1954, il a négocié les termes de la concession pour la troisième fois et a fini par l’octroyer au consortium formé de capitaux privés et publics britanniques (BP), anglo-néerlandais (Shell), américains (Jersey, Texas, Standard Oil Company of California, Gulf, Socony et Iricon) et français (Compagnie Française des pétroles -CFP) ;
  • en 1925, le gouvernement irakien a octroyé sa première concession pétrolière à la Turkish Petroleum Company (devenue Iraq Petroleum Company Limited en 1929), une joint-venture à laquelle participaient des entreprises britannique (BP), anglo-néerlandaise (Shell), française (CFP), américaines (Jersey et Socony) et un citoyen d’origine arménienne (Calouste Sarkis Gulbenkian) ;
  • en 1930, le gouvernement bahreïnien a octroyé une concession pétrolière à la Bahrain Petroleum Company, une filiale canadienne de la compagnie américaine Standard Oil Company of California (Socal) ;
  • en 1933, le gouvernement saoudien a octroyé une concession pétrolière à la Socal (aujourd’hui devenue Chevron), puis, en 1936, une autre compagnie américaine (Texaco) a racheté la moitié des parts de la concession. En 1944, la compagnie a pris le nom d’Arabian American Oil Company (Aramco). Enfin, en 1948, Aramco a été partiellement rachetée par deux autres compagnies américaines (Jersey et Socony) ;
  • en 1934, le gouvernement koweïtien a octroyé une concession pétrolière à la Kuwait Oil Company Limited, joint-venture à laquelle participaient des entreprises britannique (APOC) et américaine (Gulf) ;
  • en 1935, le gouvernement qatarien a octroyé une concession pétrolière à l’AIOC (aujourd’hui BP), société britannique d’économie mixte.

2.3. Développement des concessions au Moyen-Orient

En moyenne, la découverte de pétrole dans les concessions du Moyen-Orient a pris quatre ans. Cette rapidité a révélé au monde entier les avantages comparatifs au niveau géologique que présentaient les gisements d’hydrocarbures découverts. En 1938, cette région comptait déjà 15 % des réserves mondiales estimées de pétrole. Cependant, le développement des exportations a été lent, car divers obstacles, notamment la Seconde Guerre mondiale, les ont ralenties (Lire : Moyen-Orient : Le piège de la rente pétrolière). Néanmoins, une fois ces obstacles levés, la production et l’exportation ont augmenté de façon spectaculaire. En 1950, l’Iran, l’Arabie saoudite, le Koweït et l’Irak produisaient 15,3 % du pétrole mondial[8].

Pour conclure, d’un point de vue strictement juridique, il est possible d’affirmer que le contrat de concession a joué pour l’industrie pétrolière du Venezuela et du Moyen-Orient le même rôle que le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz pour l’industrie pétrolière aux États-Unis. Ces deux instruments, à leur manière, ont permis le développement technique et économique de l’industrie sur le long terme. Mais leur ressemblance s’arrête là, leurs différences étant immenses, comme le montre la synthèse offerte par le Tableau 1.

Ces différences ont donné lieu à un vaste mouvement de réformes et de renégociations du régime de l’upstream au Venezuela et au Moyen-Orient.

Tableau 1 : Contrats et clauses aux États-Unis, au Venezuela et au Moyen-Orient

États-Unis
Terrains privés
États-Unis
Terrains fédéraux
Venezuela
Iran, Irak, Arabie saoudite, Koweït, Bahreïn et Qatar
Type de contrats
Contrats d’amodiation
Contrats d’amodiation
Concessions
Concessions
Propriétaires des terrains
Privés
État
République
État
Amodiataires ou
Concessionnaires
Nationaux
Nationaux
Nationaux et étrangers : Standard, Shell et Gulf
Étrangers :
BP, Standard, Shell, Gulf, Texaco, Socony et CFP
Droits cédés
Entrer, explorer, exploiter et vendre
Entrer, explorer, exploiter et vendre
Explorer, exploiter et exporter
Explorer, exploiter et exporter
Taille des parcelles
2 ha
Exploration : 1 036 ha
Exploitation : 260 ha
Exploration : jusqu’à 27 millions d’hectares
Exploitation : 200 ha
L’intégralité ou la quasi-intégralité du territoire du pays
Nombre de parcelles par compagnie
Indéterminé
Au maximum 3 parcelles de 260 ha
Indéterminé
Durée
Exploitation : indéterminée
Exploration : 2 ans
Exploitation : 20 ans (prolongeable)
Pour certaines concessions : 25-50 ans
Pour d’autres : 40 ans
De 55 à 92 ans
Primes
À la signature du contrat et en l’absence de forage (clause drill or pay)
1 dollar pour 0,4 ha
Aucune
À la signature du contrat
Redevance
12,5 % du prix à la sortie du puits
5 % et 12,5 % minimum du prix à la sortie du puits
2 Bs. par tonne
16 % et 4 shillings-or par tonne
Impôts
Locaux et nationaux
Locaux et nationaux
0,10 Bs par ha et de 2 Bs. à 5 Bs. par an
Exonération d’impôts
Biens, équipements et personnel
Nationaux
Nationaux
Étrangers
Étrangers
Langue de rédaction des contrats
Anglais
Anglais
Espagnol
Anglais ou français
Résolution des différends
Relevant de la juridiction nationale
Relevant de la juridiction nationale
Relevant de la juridiction nationale
Relevant de l’arbitrage international
Source : tableau élaboré par l’auteur.

Notes et références

[1] Le Moyen-Orient comprend dans cette section l’Iran, l’Irak, l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn et le Qatar.

[2] World Oil, in Ministerio de Energía y Minas de Venezuela (1976). Petróleos y Otros Datos Estadísticos. Caracas, p. 141.

[3] Egaña Manuel (1979). Venezuela y sus Minas. Caracas, Banco Central de Venezuela. p. 274.

[4] Contrat d’amodiation : contrat par lequel le concessionnaire d’une mine ou d’une carrière en remet l’exploitation à un tiers moyennant une redevance.

[5] Le mot « Petrolia » vient peut-être de Pennsylvanie, car c’est ainsi que l’on appelait la région pétrolière de cet État américain au xixe siècle. Black Brian (2000). Petrolia: The Landscape of America’s First Oil Boom. Baltimore, The Johns Hopkins University Press, p. 235.

[6] Egaña Manuel (1941). Introducción a la Memoria del Ministerio de Fomento presentada al Congreso de los Estados Unidos de Venezuela. Caracas, Cooperativa de Artes Gráficas, p. xxxix.

[7] Cattan Henry (1967). The Evolution of Oil Concessions in the Middle East and North Africa. New York, Oceana Publications Inc., p. 4.

[8] Darmstadter Joel (1971). Energy in The World Economy. A Statistical Review of Trends in Output, Trade, and Consumption Since 1925. Baltimore, The Johns Hopkins University Press, p. 876.

 


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