Gaz naturel : une histoire très ancienne

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À l’heure de la transition énergétique vers un bilan énergétique mondial plus respectueux de l’environnement, l’avenir du gaz naturel est à la croisée des chemins. Il peut être condamné à régresser comme le charbon et le pétrole ou prendre leur place parce que moindre émetteur de gaz à effet de serre (GES). Mais qu’est-ce que le gaz naturel ? Depuis quand le connait-on ? Dans quelles circonstances est-il devenu une grande source d’énergie ?


Sous le titre « Si le gaz naturel m’était conté », cet article anonyme a été initialement publié par la revue Gaz de France informations à une date non précisée par la Revue de l’Énergie qui l’a repris dans son numéro spécial « Le gaz naturel, ressources et perspectives » numéro 366 d’août-septembre 1984. Nous le republions après en avoir demandé l’autorisation à Engie qui a succédé à Gaz de France et à la Revue de l’Énergie. La plupart des illustrations de l’article n’ayant pu être reprises, d’autres leur ont été substituées.

De nombreux manuels écrivent que l’exploitation des hydrocarbures (pétrole, gaz naturel) par l’homme date du siècle dernier et cette opinion demeure fort répandue. En fait, il n’en est rien : aussi anciens que notre planète, les hydrocarbures se sont manifestés partout, à toutes les époques connues de l’histoire et même de la préhistoire. Il n’est pas une seule civilisation de quelque importance déjà étudiée qui n’ait révélé que ses membres connaissaient certains de leurs usages. Le pétrole avait été industrialisé par les Sumériens et par les Incas bien avant l’ère de la machine moderne. Au Moyen-Âge, chez nous, on l’utilisait comme médicament. Les Babyloniens l’appelaient « bitume », les Incas « copey », les Persans « naft », les Aztèques « chapopotli », les Grecs « pissasalphate », les Indonésiens « minyaktanah ». La Bible ne précise-t-elle pas notamment que, quelques 6 000 ans avant notre ère, Noé calfeutra son arche de deux couches de bitume à l’extérieur et d’une à l’intérieur ? Tout au long de son histoire, le gaz naturel – ce frère jumeau du pétrole – fut handicapé par son état gazeux qui le rendait beaucoup moins décelable, sauf en cas de combustion ; mais alors sa flamme mystérieuse inspirait le plus souvent la craintive vénération due aux manifestations des dieux.

 

1. Les adorateurs du feu

Les plus anciens documents que l’on possède sur les manifestations du gaz naturel concernent les feux éternels du Moyen-Orient. Trois millénaires avant l’ère chrétienne, les mages sumériens interrogeaient déjà ces émanations pour deviner l’avenir. 2 000 ans plus tard, les Assyriens écouteront cette voix des dieux à travers les gaz qui s’échappent des puits mésopotamiens de Hit. La Bible nous lègue ensuite l’histoire de Moïse et du buisson ardent : « L’ange de l’éternel lui apparut dans une flamme de feu au milieu d’un buisson, Moïse regarda ; et voici, le buisson était tout en feu et il ne se consumait pas. » De même, la colonne de feu qui guida les Hébreux lors de l’exode, afin qu’ils ne s’arrêtassent point de marcher la nuit, fait penser à des feux d’origine plus terrestre.

À Baba-Gugur ,près de Kirkouk, dans le nord de l’Irak, s’étend actuellement l’un des plus grands gisements d’hydrocarbures du monde. Depuis des temps immémoriaux des « flammes éternelles brûlent à cet endroit, émanation de gaz naturel, allumées peut-être par la foudre ou la main de l’homme ». Aujourd’hui encore elles continuent de brûler, entourées d’une grande vénération des indigènes, Plutarque en fait déjà état dans sa vie d’Alexandre. Le chroniqueur arabe Massoudi écrit pour sa part ; « Il y avait à Qômis, un temple célèbre du feu. On assure qu’Alexandre après avoir conquis la ville ne le toucha pas et n’éteignit point la flamme. » Ce feu est appelé « Achvarishna », c’est-à-dire « qui brûle sans aliment ».

1.1. Ainsi parlait Zarathoustra

Près de Bakou sur la mer Caspienne, dans la péninsule d’Apchéron, des feux éternels sont aussi connus et vénérés depuis la nuit des temps (Figure 1). Lorsqu’au 7ème siècle avant notre ère le grand réformateur de la religion des mages Zoroastre (Zarathoustra) prêcha dans cette région du Caucase, il est probable que ces cultes du feu existaient déjà. Si l’on en croit les Arméniens, ces follets mystérieux auraient été allumés par un ange au moment où Noé mettait le pied hors de l’arche, échouée sur le sommet de l’Ararat. Jamais la main de l’homme ne pourra les éteindre et ils brûleront jusqu’au jugement dernier.

 

Fig. 1. Les feux éternels dans le Caucase. Source : Tsar Voyages Caucase. https://www.tsarvoyages-caucase.com/site/yanar-dag-la-montagne-qui-brule

 

À la suite de Zoroastre, le culte du feu prit en tout cas un nouvel essor. Le prophète enseignait que le monde était le champ de bataille de deux divinités : Ormuzd (Ahura-Mazda), dieu du bien de la lumière et du bonheur, combattant sans cesse Ahrimane, dieu des ténèbres et du malheur. Selon le livre sacré, le Zend-Avesta, le soleil, astre du jour, est un corps immense constitué de la même façon que la terre mais percé de toutes parts d’orifices d’où sortent des effluves inflammables qui entretient au sein de l’univers la vie, l’amour et la pensée. C’est en nourrissant cette lampe immense et éternelle par d’inépuisables émanations qu’Ormuzd lutte contre Ahrimane, le terrasse et fait reculer son empire des ténèbres.

On comprend alors pourquoi les émanations de gaz naturel faisaient l’objet d’un culte si important chez les disciples de Zoroastre. Pour eux la presqu’île d’Apchéron était un morceau du soleil descendu sur la terre et ils devaient adorer et entretenir ces flammes divines pour lutter contre les puissances du mal. Sur ce territoire sacré, de nombreux temples furent construits sur des émanations naturelles d’hydrocarbures qui étaient autant de centres de pèlerinages pour les Mazdéens (adorateurs de Mazda).

La chute de l’empire des Perses et la domination romaine n’entraînèrent pas la disparition des pèlerinages ; par contre, l’empereur d’Orient Héraclius Ier, à la suite de ses victoires, renversa les temples et massacra les prêtres. Le cruel despote ne savoura pas longtemps sa victoire car il fut vaincu à son tour par les Arabes qui occupèrent les lieux au 7ème siècle. Les Mazdéens se scindèrent alors en deux groupes : les Guèbres qui restèrent dans la contrée et les Parsis qui émigrèrent aux Indes où ils se fixèrent notamment dans la région de Bombay.

1.2. O profanation !

En 1753, un émissaire de la Grande-Bretagne du nom d’Hanway visita le pays. Il rapporta que le culte du feu avait été presque totalement extirpé de la région mais que le sanctuaire de Sourakhany, où les Parsis venaient en pèlerinage depuis leur pays, comportait encore une cinquantaine de disciples. Ces pauvres gens avaient sur leurs toits des jets enflammés mais ce n’était que pour frapper l’œil du profane. Ils entretenaient à l’intérieur du temple devant l’autel une flamme plus spécialement divine, allumée à l’extérieur d’un tube percé de petits trous, qui avait été fiché en terre. Ils prétendaient que la flamme ne pouvait disparaître de ce district sacré et que quand un infidèle l’éteignait à un endroit, elle reparaissait aussitôt à un autre.

120 années plus tard, en 1870, M. Koechlin-Schwartz, parent de Jules Ferry, visita le Caucase : le feu brûlait encore mais il n’y avait plus qu’un seul prêtre dans le sanctuaire désert proche du Bakou moscovite. À cette époque, l’exploitation industrielle du pétrole avait commencé dans la région, notamment sous l’impulsion de la compagnie suédoise Nobel (l’inventeur de la dynamite et le fondateur des prix Nobel). Un peu plus tard le feu sacré n’était entretenu que par deux misérables Parsis auxquels les usiniers du voisinage consentaient de temps à autre à faire l’aumône d’une partie du gaz qu’ils captaient à des usages commerciaux ! Les touristes occidentaux avaient remplacé les pèlerins et ces mécréants s’amusaient à enflammer le gaz qui se dégageait des fissures du sol, et ô suprême injure, à l’éteindre en le piétinant !

À l’Exposition universelle de 1889, Nobel était fier d’exposer à son stand, au milieu des vues de ses derricks, un dessin représentant le temple des adorateurs du feu. Aujourd’hui dans les nuits claires de la Perse ou du Caucase les derniers Mazdéens ont – peut-être – la consolation de voir que le feu sacré n’est pas éteint : il brûle sans discontinuer au sommet des torchères des compagnies pétrolières, hommage gigantesque et involontaire au Sage Seigneur Eternel.

 

2. Les puits de feu des fils du ciel

Tant au Japon qu’en Chine, l’exploitation du gaz naturel précède de plusieurs siècles ce que fera le reste du monde.

2.1. Kasakudzu

Au Japon, la première exploitation moderne d’hydrocarbures eut lieu en 1891 dans la région d’Echigo, sur la côte de l’île principale qui regarde l’Asie. En fait ces derniers étaient connus et utilisés depuis le début de notre ère dans la province d’Echigo. En l’année 615 après J.C. l’histoire nous apprend que des puits de pétrole et de gaz naturel y étaient déjà exploités. Le pétrole était appelé « l’eau qui brûle » et le gaz « Kasakusodzu » ce qui signifie, à peu près : « l’air qui sent mauvais ». En 668 du pétrole et de l’asphalte de cette province furent présentés à la cour de l’empereur Tenji. Le zèle de son successeur Mommu pour l’industrie minière fut si vif qu’il publia un fameux code minier. Un sage bouddhiste très connu, KoboDaish, fit au 9ème siècle, selon la tradition, plusieurs miracles dans la province d’Echigo, l’un d’eux est un feu perpétuel venant du centre de la terre. On pense aussitôt au gaz naturel.

En 1613, neuf siècles plus tard, il y eut même un projet d’utilisation du gaz naturel des gisements du village de Garameki dans le même secteur. À cette époque les puits qui pouvaient atteindre 100 m de profondeur étaient creusés à la main par un ouvrier descendu au bout d’une corde et à l’aide d’une échelle. Ce n’est qu’au début du 19ème siècle que les méthodes se perfectionnèrent notamment sous l’influence chinoise.

2.2. Les fils de Han

Ces derniers constituaient sans nul doute les plus grands foreurs de notre ère avant l’emploi des méthodes rotative modernes. Ils creusaient surtout pour obtenir du sel mais ils tombaient parfois sur des poches de gaz naturel qu’ils utilisaient pour cette industrie. Selon des auteurs anglo-saxons les puits remontaient en l’an 900 avant J.C. (Lire : L’énergie en Chine : du début de notre ère à l’instauration du communisme).

Le premier auteur qui ait révélé à l’Europe savante l’existence de ces gaz combustibles est le grand empereur Kan-Hi (1654-1722) qui ouvrit sa cour aux missionnaires chrétiens. Ses observations sont insérées dans le quatrième volume des Mémoires sur les Chinois publié par les jésuites dans le courant du 18ème siècle. Ce fils du ciel nous apprend que dans le pays de Mongouth sur les rives du Tai-Kong-Kiang, il suffit de creuser dans le sol un trou d’une dizaine de centimètres pour en tirer des gaz facilement inflammables.

Dans la province de Tsé Chouen, arrosée par le fleuve bleu (Yang-Tsé-Kiang), les puits de saumure sont très nombreux : on n’en compte pas moins de dix mille le long d’une bande étroite d’une quarantaine de kilomètres carrés (Figure 2). Une description précise de cette industrie nous est fournie par Monseigneur Imbert, missionnaire apostolique, dans deux lettres publiées dans les Annales de la propagation de la Foi de 1828 (p. 369 à 381).

 

Fig. 2. Tubage de bambou pour extraire du gaz naturel. Source : Anciennes civilisations.

 

Après avoir décrit la façon dont les Chinois creusaient les puits et ramenaient l’eau salée à la surface, le missionnaire parle des puits de feu et de la façon dont le gaz est utilisé dans la fabrication des blocs de sel : « L’air qui sort de ces puits est très inflammable. Si l’on présentait une torche à la bouche d’un puits quand le tube plein d’eau est près d’arriver, il s’enflammerait en une grande gerbe de feu de 20 à 30 pieds de haut et y brûlerait la halle avec la rapidité et l’explosion de la foudre… Il est de ces puits d’où l’on ne retire point de sel, mais seulement du feu ; on les appelle puits de feu…»

« L’orifice du puits est surmonté d’une caisse en pierre de taille qui a six ou sept pieds de hauteur, de crainte que par inadvertance ou par malice, quelqu’un ne mette le feu à l’embouchure du puits. À un pied sous terre, sur les quatre faces du puits sont enterrés quatre énormes tubes de bambou qui conduisent l’air sous les chaudières. Un seul puits fait cuire plus de trois cents chaudières. Chaque chaudière a un tube de bambou, ou conducteur de feu. Sur la tête du tube de bambou est un tube de terre glaise, haut de six pouces, avant au centre un trou d’un pouce de diamètre. Cette terre empêche le feu de brûler le bambou. D’autres bambous mis en dehors éclairent les rues et les grandes halles ou cuisines. On ne peut employer tout le feu. L’excédent est conduit par un tube hors de l’enceinte de la saline, et y forme trois cheminées, ou énormes gerbes de feu, flottant et voltigeant à deux pieds de hauteur au-dessus de la cheminée. »

« Les porteurs d’eau salée, des aqueducs en tubes de bambou, fournissent l’eau. Elle est reçue dans une énorme citerne ; et un chapelet hydraulique, agité jour et nuit par quatre hommes, fait monter l’eau dans un réservoir supérieur, d’où elle est conduite par des tubes, et alimente des chaudières. L’eau, évaporée en 24 heures, forme une pâte de sel de six pouces d’épaisseur, pesant environ trois cents livres; il est dur comme la pierre… ».

Le rapport de Monseigneur Imbert, nous dit M. Forbes, « eut une profonde influence sur le développement des premières méthodes de forage européennes car il fut aussitôt reproduit dans de nombreux journaux techniques de l’époque. »

Et M. de Fonvielle écrit pour sa part, avec humour, en 188 ? : « Nos ancêtres erraient encore sous les chênes des forêts gauloises, que les ingénieurs habitants du SeTchouen connaissaient déjà l’art de se servir de ces hydrogènes carbonés. L’exploitation du gaz dans nos grandes capitales européennes n’est en réalité qu’un plagiat de ces installations naïves, avec cette seule différence, considérable il est vrai, que ce n’est plus la terre elle-même qui sert de gazomètre et de générateur. »

Comme on va le voir en effet, les émanations de gaz naturel des fontaines de feu de l’Antiquité et du Moyen-Âge en Europe intriguèrent beaucoup nos prédécesseurs mais, contrairement au cas de la Chine, n’aboutirent jamais à une exploitation quelconque.

 

3. Les fontaines ardentes

Des auteurs grecs et latins firent mention à plusieurs reprises de phénomènes que l’on peut attribuer aux hydrocarbures : gaz naturel ou gaz de pétrole. Plutarque (60-140 de notre ère) mentionne une lampe qui brûla pendant des siècles sans s’éteindre sur la porte du temple égyptien de Jupiter Ammon. Saint-Augustin (354-430) décrit la lampe perpétuelle du temple d’Isis que « ni le vent ni l’eau ne purent éteindre ». Pour le jésuite Athanaisus Kircher (1602-1680), ces lampes furent secrètement alimentées par les prêtres au moyen d’un conduit les reliant à des réservoirs de pétrole dont l’Égypte était riche.

3.1. Pythie au gaz ?

Des auteurs anglo-saxons rapportent la légende de la fondation du sanctuaire grec de Delphes et se demandent s’il ne faut pas l’attribuer à une émanation de gaz naturel : « Environ 1 000 ans avant notre ère un pâtre grec vit ses chèvres étrangement affectées par des vapeurs s’échappant sur le versant du mont Parnasse. Avec plusieurs de ses camarades il essaye de percer le mystère mais voilà qu’ils perdent la tête et commencent à parler de façon incohérente et mystérieuse. Se croyant en présence d’une force surnaturelle, ils font venir une prêtresse et construisent un temple pour abriter l’oracle ». Mais cette histoire n’est pas reprise par les historiens européens et on peut douter de son authenticité étant donné qu’on n’a jamais trouvé de traces de gaz dans cette région. Le même problème se pose pour la Sybille de Cumes en Italie mais il semble là qu’il s’agisse plutôt de vapeurs sulfureuses.

Strabon, Plutarque et d’autres auteurs grecs font mention dans leurs écrits de feux perpétuels issus de fissures de rochers. Ce dernier parle aussi des fontaines de feu sortant de terre près d’Appolonia (Yougoslavie) et Hamadan (Iran).

3.2. La fontaine ardente du Dauphiné

En France, au Moyen-Âge, de telles fontaines étaient célèbres notamment celle de Saint-Martin-du Gua au sud de Grenoble. Saint-Augustin en parle au 7ème chapitre du 21° livre de la Cité de Dieu et Symphorien Champier la cite comme la première des quatre merveilles du Dauphiné dans son ouvrage : Les gestes, ensemble de la vie du preux chevalier Bayard, paru à Lyon en 1525 (Figure 3).

À quelques kilomètres de cette fontaine qui existe toujours, bien qu’aucun guide ne la mentionne, une pierre encastrée dans le clocher de l’église de Vif porte l’inscription latine suivante :

 

IGNIBVS AETERNIS IVL   PLACIDIANVS V.C. PRAEF. PRAE.   TORI EX VOTO PROSVIT

Fig. 3. La fontaine ardente du Dauphiné. Source : Isère.Annuaire.com. https://www.isere-annuaire.com/sites-a-visiter/fontaine-ardente-le-gua.html

 

Ce qui signifie « Aux feux éternels, Placidianus, sénateur, préfet du prétoire, a consacré ce monument en exécution de son vœux ». Placidianus est un personnage romain connu des historiens : il fut envoyé en Gaule sous le règne de l’empereur Claude en 269 de notre ère. Il ne fait pas de doute que la pierre ainsi gravée faisait partie d’un monument élevé sur son ordre. Le fut-il en l’honneur de la fontaine qui brûle ou bien les termes « ignibus aeternis » désignent-ils simplement, comme certains savants le prétendent, la lune ou le soleil ? La question reste ouverte.

Le docteur Jean Tardin de Tournon observa la fontaine et écrivit en 1618 un traité intitulé « Histoire naturelle de la fontaine qui brûle près de Grenoble avec la recherche de ses causes et principes, et ample traité des feux souterrains ». L’auteur conclut qu’« il y a grande conjecture que la matière de ce feu est le bitume, d’autant qu’auprès de ces bains il se trouve des mines de charbon de pierre, lequel est un espèce de bitume ». Se livra-t-il à des expériences de gazéification de la houille? Certains le prétendent, d’autres le nient. Là encore la question reste posée.

3.3. Un précurseur méconnu

En 1881, M. Piret, ingénieur mineur revenant du Canada où il avait observé les débuts de l’exploitation des hydrocarbures s’intéresse au phénomène. Il fonde la société de la fontaine ardente au capital de 20 millions dans le but de trouver du gaz pour la chauffe des fours Siemens ainsi que du pétrole. Il détourne le torrent qui gêne l’accès et fore jusqu’à 131,50 m. Il obtient du gaz et le stocke dans un gazomètre de maçonnerie ; mais ce dernier explose. Un four est établi à quelque distance où des expériences sont faites pour l’utilisation du gaz dans la métallurgie et la fabrication du ciment. Mais une mésentente surgit entre lui et les bailleurs de fonds si bien que l’affaire tourne court. En 1904 des témoins rapportaient que le dégagement gazeux était très réduit. Entourée d’une grille sur trois côtés, elle comportait au centre un tuyau métallique vertical laissé par les foreurs au sommet duquel on pouvait encore allumer une petite flamme.

Il existe en France une autre fontaine ardente. En Auvergne, selon M. Forbes, elle devait être voisine du puits de Pège, entre Clermont-Ferrand et Riom, mais on manque d’autres précisions à son sujet.

3.4. Le burning well de Wigan

De l’autre côté de la Manche, les mêmes phénomènes furent observés. On rapporte que dans le Yorkshire une lampe perpétuelle brûlait sur la tombe de Constantin le Grand depuis le 3ème siècle. Mais c’est surtout le puits enflammé (burningwell) de Wigan (Lan-cashire) qui excita les imaginations.

En 1667, M. Shirley décrivit cette fontaine. Il déclara nettement que ce n’était pas l’eau qui brûlait mais le gaz qui l’accompagnait. Selon lui, il provenait de veines de charbon voisines et il était possible de se procurer le même gaz par le traitement de la houille. Il apparaît cependant que ces remarques pertinentes ne reçurent pas la moindre attention.

Plusieurs décennies après, le révérend John Clayton fit à son tour des observations sur la même fontaine. Il décrit « une fosse dont l’eau flambe comme un punch, et cela avec une telle intensité de chaleur qu’un jour des étrangers curieux y firent cuire des œufs et que les gens assurent qu’il y a trente ans, on y mit à bouillir une pièce de bœuf ». Il reprend les conclusions de son devancier et réalise des expériences sur la distillation de la houille.

L’industrie du gaz manufacturé n’est pas encore née mais une série d’expériences réalisées ici et là par différentes personnes prouve que l’idée était dans l’air. Tel est le cas du rapport du docteur Haie publié dans ses vegetable statics de 1726 sur la distillation de la houille de Newcastle et de la communication de sir James dans les Transactions of the Royals Society de 1733 sur l’air inflammable d’un puits de mine près de Whitehaven. Dans ce dernier cas, le gaz de grisou était collecté dans un conduit haut de 30 m au-dessus du sol où on l’utilisait à de nombreuses expériences. En 1765 une proposition fut faite aux magistrats de la ville de canaliser le gaz pour l’éclairage public. Ces derniers refusèrent, bien que l’instigateur de ce projet, lord Lounsdale, ait montré la chose possible en éclairant son cabinet de travail avec le dit gaz.

Il faut enfin noter que le docteur Waters, évêque de Llandaff, fut le premier à avoir noté dans ses Chemical Essays de 1767 la propriété du gaz de houille de conserver son inflammabilité après passage dans l’eau. Il est aussi le premier à émettre l’idée de fabriquer artificiellement du gaz de houille à des fins d’éclairage.

 

4. La naissance de l’industrie du gaz

Il fallut attendre, à la fin du siècle, les expériences décisives de Murdoch en Angleterre et de Le Bon en France pour que naisse l’industrie du gaz de houille qui allait dominer tout le 19ème siècle, tandis que celle du gaz naturel faisait discrètement son apparition dans le nouveau monde. Rien ne serait plus faux que de présenter cette histoire du gaz naturel comme une épopée triomphante. Elle se caractérise au contraire par des débuts extrêmement difficiles, des retours en arrière, des gaspillages insensés, une technologie balbutiante, enfin et surtout, par un mépris généralisé pour la nouvelle énergie.

Il y a deux raisons essentielles à cet état de choses.

  • La première est que, lorsque le gaz naturel voit le jour au Nouveau Monde, le gaz manufacturé y est déjà solidement implanté. Ainsi, aux États-Unis, quand la première société pour l’exploitation du gaz naturel est fondée à Fredonia, État de New-York, en 1858, 297 compagnies exploitent le gaz d’éclairage dans les principales villes du pays. Elles desservent cinq millions de clients, soit le sixième de la population totale. La première société de production de gaz de ville américaine a été en effet, fondée 42 ans auparavant à Baltimore en 1816, soit quatre ans après la première compagnie londonienne de Winsor (1812), mais trois ans avant la Société royale de Paris (1819).
  • En second lieu, il est remarquable de constater que la découverte de gaz naturel n’est jamais dans cette période le résultat d’une volonté délibérée. En fait, les prospecteurs cherchaient toujours dans la première période de l’eau ou du sel ou, à partir de 1860, du pétrole, et tombaient par hasard sur du gaz naturel. Ce dernier, handicapé par son état gazeux, fut considéré d’abord comme un sous-produit inexploitable et de surcroît dangereux, puis comme un auxiliaire dans la production du pétrole. En fait, l’histoire de la mise en valeur du gaz naturel se confond moins avec celle de la découverte de gisements que celle de la lente amélioration des techniques de transport qui permirent de les exploiter.

 

5. Les États-Unis

Des premières découvertes au début de l’installation d’un réseau gazier interrégional, la route a été très longue.

5.1. Les premières découvertes

Curieusement la première mention de la présence du gaz naturel sur le continent américain est faite par le général Georges Washington, premier président et fondateur du nouveau pays. En 1775, il observe sur les rives de la rivière Kanawha, à 14 km en amont de la ville de Charleston, en Virginie de l’ouest, une fontaine ardente. Washington écrit à ce sujet : « Ce terrain de 123 acres a été acquis de moitié par le général Andrew Lewis et moi-même à cause d’une fontaine bitumeuse qu’il contient. Sa nature est si inflammable qu’elle brûle aussi vivement et facilement que les spiritueux et est presque aussi difficile à éteindre ». Cette fontaine et le terrain alentour furent légués par le président au pays pour devenir un parc national. En 1815, on rapporte, de même, la découverte de gaz naturel dans un puits de sel situé à Charleston. Quelques années plus tard, cette contrée allait se révéler le centre de la première région productrice de gaz des États-Unis : le champ des Appalaches.

En 1820, du gaz fut découvert sur la rive sud de l’Ohio, à l’intérieur des limites actuelles de la ville de Pittsburgh. Les propriétaires d’une mine de sel avaient creusé un puits pour accroître leur fourniture d’eau salée. Se faisant, ils rencontrèrent une nappe de gaz qui prit feu et détruisit tous les bâtiments de l’usine. Finalement, on parvient à éteindre le puits et à arrêter le flot de gaz.

À Westfield, État de New York, du gaz fut trouvé dans le lit d’un ruisseau au bord du lac Erie. En 1828-1829, un contrat fut passé par d’ingénieux exploitants avec le gouvernement des États-Unis pour alimenter le phare de Barcelona Harbour. On utilisa un baril à poissons comme gazomètre, puis on construisit une canalisation jusqu’au phare distant d’environ 800 m. Ce gazoduc était constitué de troncs de pin évidés en leur centre et assemblés bout à bout par emboîtement. Au sommet du phare, le gaz était conduit dans 144 brûleurs qui fournissaient une lumière brillante et continue, visible à de nombreux kilomètres à la ronde. On rapporte que le puits fonctionna pendant 25 ans. Le phare, depuis longtemps hors service, existerait toujours et servirait encore de point de repère pour les pêcheurs locaux.

On rapporte également qu’en 1840, du gaz naturel était utilisé près de Centerville, comte de Butler, Pennsylvanie, pour évaporer la saumure dans une exploitation de sel. Ce fut probablement la première fois que du gaz naturel fut utilisé à des fins industrielles aux États-Unis. Par contre, la première utilisation domestique pour l’éclairage eut lieu à Fredonia, État de New-York, à environ 70 km de Buffalo.

5.2. La première compagnie de gaz naturel du monde

Cette découverte avait été effectuée à Fredonia, en 1821, par de jeunes garçons. Il existe deux versions de cet évènement historique. Selon la première, les enfants, bien obéissants, avaient reçu l’ordre de leurs parents d’éteindre le four situé dans le jardin dans lequel leur mère venait de confectionner du pain. Ils saisirent des brandons enflammés et les jetèrent dans la rivière toute proche. L’un d’eux remarqua alors que lorsqu’un brandon atterrissait à un certain endroit, une flamme s’élevait. Les parents, une fois prévenus, pensèrent alors que c’était du gaz combustible qui s’échappait des berges de la rivière. Selon l’autre version, les enfants, turbulents comme il se doit, auraient allumé un feu de camp et joué aux indiens en dansant en cercle autour du brasier, puis en jetant au loin les tisons enflammés. Ils auraient ainsi découvert les émanations de gaz. Quoi qu’il en soit, l’important est que ce gisement, découvert par hasard, allait être exploité.

Un armurier du nom de William Aaron Hart réalisa un premier puits, profond de 8 m ; sa tête était équipée d’un couvercle en fer et le gaz canalisé au moyen de troncs d’arbres vers les maisons voisines. Le général français La Fayette fit à l’occasion du demi-centenaire de la guerre d’indépendance américaine une tournée triomphale aux États-Unis. Il fut accueilli le 4 juin 1825, à 2 heures du matin, par les anciens combattants locaux à Fredonia qui, pour la circonstance, avait été brillamment illuminée, en son honneur, au gaz naturel. L’auberge locale, Abel House, était elle-même éclairée au gaz et notre célèbre compatriote déclara, paraît-il, qu’il valait mieux partir de cet endroit rapidement « car il était trop près de l’enfer » (Figure 4).

 

Fig. 4. Le gaz de Fredonia. Source :Timetoas. https://www.timetoast.com/timelines/1670315

 

Cette première utilisation du gaz naturel ne passa pas inaperçue car Fredonia était une étape de diligence sur la route qui partait de Buffalo vers l’Ouest. Le Fredonia Censor, journal local fondé en 1821, rapporte les faits en détail. Dans son enthousiasme, le rédacteur, quelque peu optimiste au sujet des réserves, n’hésite pas à écrire Gaz avec un G majuscule ! Par la suite, en 1831, Silliman aîné, professeur au collège de Yale, publia un rapport sur l’expérience. Cette dernière se poursuivit tout en se perfectionnant. En 1857, un nouveau puits, en forme de cône renversés fut creusé à la profondeur de 10 m. Son diamètre était de 4,50 m à la partie supérieure et 2 m au fond. Ce fond était percé de deux trous de sonde ordinaire, profonds de 10 et 15 m, qui recueillaient le gaz. En 1858, une compagnie fut fondée pour l’éclairage des rues du village. Cette Fredonia gas light and water works co. restera dans l’histoire comme la première société connue aux États-Unis et dans le monde pour l’exploitation du gaz naturel. En 1859, elle construisit un gazomètre d’une capacité de 600 à 700 m3 et étendit son entreprise à l’éclairage des maisons particulières.

Cette même année, le colonel Drake découvrait du pétrole, près de Titusville, en Pennsylvanie. Il s’ensuivit une véritable ruée vers l’or noir dans toute la région. Les historiens considèrent généralement que cette année constitue le point de départ de la recherche pétrolière aux États-Unis. Désormais, la découverte du gaz naturel allait presque toujours s’effectuer à la faveur de forages destinés à trouver du pétrole.

5.3. Le gaz des champs, parent pauvre

Lorsque ces pionniers rencontraient du gaz naturel au lieu de pétrole, l’usage était de le canaliser et de le brûler. Faute de connaissances géologiques précises, ils pensaient, en effet, que le gaz étant plus léger que le pétrole, il y avait toujours du pétrole sous le gaz. Et ils se débarrassaient du gaz avant de poursuivre le forage. Des millions de mètres cubes furent ainsi brûlés en pure perte dans les régions pétrolières qui, la nuit, étaient éclairées par des centaines de torches gigantesques (Figure 5).

 

Fig. 5. Le gaz brûle en torchère. Source : Geological Society, London https://sp.lyellcollection.org/content/specpubgsl/465/1/1.1/F7.large.jpg

 

Dès le début, ces prospecteurs avaient reconnu la valeur calorifique du gaz naturel mais ils n’avaient pas de moyen pour l’exploiter. Les puits étaient en pleine nature, généralement trop loin des villes, il y avait tantôt trop de gaz, tantôt trop peu. La pression était variable, on ne connaissait pas de moyen de stockage et comme le charbon étaient bon marché, les producteurs n’avaient aucun intérêt économique à surmonter ces difficultés.

Du côté des consommateurs, on comprenait mal pourquoi il fallait payer une énergie qui venait gratuitement de la terre alors que la fabrication du gaz manufacturé demandait un travail qu’il était juste de rémunérer. De plus, la distribution n’était pas satisfaisante : les brûleurs étaient mal adaptés au gaz naturel, l’hiver la pression tombait brusquement et parfois un gisement s’arrêtait de produire au bout de quelques mois, faute d’une évaluation correcte des réserves. Toutes ces difficultés furent cependant peu à peu surmontées, à partir de l’année 1870, au cours de réalisations d’importance croissante qui marquèrent le début de la nouvelle industrie.

5.4. Les premiers transports

En 1865, un vaste gisement de gaz avait été décelé près de West Bloomfield, État de New-York, à 146m de profondeur. Son débit fut grossièrement estimé à plus de 5000 m3/į. Mais, comme on ne trouvait pas de pétrole, le puits fut abandonné et le gaz brûla durant cinq ans !

En 1870, il fut acheté par des gens qui formèrent la Bloomfield and Rochester gas light Co. Un gazoduc formé de troncs de pin emboîtés fut posé sur 40 kilomètres jusqu’à Rochester. La canalisation avait 30 cm de diamètre extérieur et 20 cm de diamètre intérieur ! Après deux ans de difficultés considérables, le gaz arriva chez les consommateurs, mais ceux-ci, habitués au gaz de ville pour l’éclairage, trouvèrent le nouveau gaz trop inférieur. L’affaire se solda par la faillite de la compagnie.

Le premier transport réussi de gaz eut lieu en 1872 entre le puits de Newton et Titusville, État de Pennsylvanie, grâce à des tubes de fer boulonnés ensemble. La ligne, longue de 9 km, avait 5 cm de diamètre intérieur ; elle fonctionnait à la pression de 5,6 bars environ. En 1873, le gaz naturel fut utilisé pour la première fois dans l’industrie céramique à East Liverpool (Ohio), puis l’année suivante à Leechburg (Pennsylvanie) dans les usines métallurgiques.

Jusqu’ici, c’étaient les industriels eux-mêmes qui avaient construit leur gazoduc à partir de puits forés par d’autres, mais peu après des compagnies se créèrent pour remplir cette fonction. La première fut la Chartiers valley gas Co., formée en 1883, pour conduire le gaz vers les usines de Pittsburg. L’année suivante, près de 500 km de canalisations distribuaient aux industriels de la ville une quantité de gaz naturel équivalente à 10 000 t de charbon par jour. Le gaz provenait du puits de Haymaker qui, avant d’être utilisé, avait débité, en pure perte, plus d’un demi-million de mètres cubes de gaz par jour pendant cinq ans.

En 1891, deux canalisations, en tubes de fer boulonnés de 20 cm de diamètre, furent posées sur 192km entre le nord de l’Indiana et Chicago. Le gaz avait une pression initiale de 35 bars environ. Cette réalisation marque les débuts des transports de gaz à longue distance et forte pression aux États-Unis (Figure 6). Le mouvement, désormais lancé, allait s’étendre à l’ensemble du pays : Buffalo, Cleveland, Salt Lake City (1897), Kansas City (1907), Los Angeles (1913). Cependant, avec la découverte, en 1909, de l’énorme gisement de Monroe, en Louisiane, puis d’autres dans l’Oklahoma et le Texas, le centre de gravité de la production de gaz naturel se trouva déplacé des Appalaches vers le sud.

 

Fig. 6. Les gazoducs se multiplient. Source : Wikipédia. https://es.m.wikipedia.org/wiki/Archivo:Welding_Big_Inch_pipe_by_the_stove_pipe_method.jpg

 

En 1908, on comptait 21 300 puits en activité aux États-Unis dont 8 300 en Pennsylvanie, 3 100 en Virginie de l’Ouest, 3 200 au Kansas et 2 300 dans l’Illinois.

Bien que le fait soit généralement méconnu, il faut signaler que, même pendant cette période « historique », la consommation de gaz naturel a dépassé très largement en volume celle de gaz manufacturé. Ainsi, en 1906, le gaz naturel représentait déjà 76 % des ventes totales de gaz, chiffre qui s’élevait à 80 % en 1929. Cependant, le chiffre d’affaires relatif au gaz naturel ne représentait même pas 50 % de celui du gaz manufacturé, tellement était importante la différence de prix entre les deux énergies ! Dans ces conditions, on comprend tout l’avantage que les abonnés avaient à consommer du gaz naturel. Aussi, leur nombre augmenta-t-il rapidement, passant de 880 000 clients domestiques, en 1906, à 3 232 000, en 1923. Dans le même temps, les abonnés industriels augmentaient de 9 000 à 18 000.

En 1913, le gaz naturel entra pour la première fois dans le domaine de la législation lorsque l’État d’Oklahoma vota, enfin, le premier, une loi interdisant le gaspillage des ressources gazières et fixant un statut aux compagnies de transport. En 1915, un premier stockage souterrain de gaz fut établi dans un gisement épuisé de Welland, dans la province canadienne de l’Ontario. L’année suivante, un second était constitué, dans les mêmes conditions, à Concord, État de New-York, pour desservir la ville de Buffalo, à 45 km au nord.

En 1918 et 1919, étaient successivement découverts les gisements de Panhandle et de Hugoton (Kansas). Ils sont encore considérés comme les plus importants du pays à ce jour.

En 1925, centenaire de la première exploitation de gaz naturel de Fredonia, le gaz naturel desservait 3,5 millions d’abonnés dans 23 États, grâce à des canalisations de transport atteignant parfois 480km. La même année, furent posés, les premiers gazoducs en acier, sans soudure longitudinale, soudés électriquement bout à bout. Cette nouvelle technique, qui rendait possible le transport interrégional de gaz, marque la fin de la période historique du gaz naturel aux États-Unis et le début de l’époque moderne.

 

6. Le Canada

Comme aux États-Unis, ce fut le gaz manufacturé qui prit le premier son essor au Canada. La première compagnie, celle de Montréal, remonte à 1836. Mais quand le pays obtint son indépendance, en 1867, plus d’une douzaine de villes bénéficiaient déjà de l’éclairage au gaz.

6.1. Visitez les fontaines ardentes du Niagara

Jusqu’à cette date, le gaz naturel n’était considéré que comme une curiosité. Par exemple, une lettre du gouverneur Simcoe, en date du 10 novembre 1794, soit près d’un siècle plus tôt, nous apprend qu’à trois kilomètres des chutes du Niagara « se trouve une source qui produit un gaz, ou air inflammable, qui, canalisé dans un tuyau allumé à son extrémité, peut faire bouillir l’eau d’une théière en 15 minutes ». « Ce phénomène, poursuit le gouverneur, pourra-t-il être utilisé de façon efficace grâce à un dispositif ? L’avenir en décidera. Cette source a été découverte en brûlant la végétation pour débroussailler les berges de la rivière en vue de la construction d’un moulin. Après que les buissons furent consumés, le feu continua à brûler au grand étonnement des gens de la contrée. »

En 1817, Robert Gourlay mentionne, de même « plusieurs sources de gaz inflammables qui viennent sourdre des rives du fleuve Niagara » qui, canalisées, brûlent en permanence. Qui plus est, soucieux, dès cette époque, de sa promotion touristique, le district de Niagara faisait de la publicité pour « les merveilleuses fontaines de feu des chutes du Niagara, Canada ». On rapporte, à ce sujet, qu’une vieille pancarte, détériorée par les ans, qui dirigeait les touristes vers ces fontaines de feu, survécut long temps aux fontaines elles-mêmes.

En 1859, le succès des forages de Drake, aux États Unis, attira l’attention sur ce secteur du Niagara et ses fontaines de feu. Une compagnie se forma pour trouver du pétrole. À 128m, du gaz sulfureux fut atteint. Déçus, les prospecteurs l’utilisèrent pour chauffer la chaudière de la machine à vapeur qui actionnait la sonde. Mais des nappes d’eau vinrent obstruer le puits et le gaz n’arrivait plus que par saccades, de temps à autre, même il y avait une explosion ou un incendie.

6.2. Deux astucieux compères

Les chercheurs abandonnèrent le gaz et revinrent au bois pour l’alimentation de la machine ; finalement, ils abandonnèrent le puits à 256m qui crachait toujours du gaz et de l’eau.

Vers 1870, un habitant des environs, Jefferson Steele, s’amusait à recueillir ce gaz dans une vessie de porc pour éclairer sa maison, Il montra ce phénomène à un nommé Robertson, venu de Pennsylvanie, qui le persuada d’exploiter le puits, comme on le faisait déjà là-bas. Ils utilisèrent un cuvelage en cuir, puis un tuyau de 19mm pour canaliser le gaz vers la ferme. Deux petites citernes en bois, l’une dans l’autre, séparaient le gaz de l’eau. Comme le gaz laissait trop de noir sur les casseroles, les deux compères inventèrent un mélangeur air-gaz en fer blanc. C’est le premier exemple cité d’utilisation domestique du gaz naturel au Canada. Il date de 1880 environ.

6.3. En cherchant de l’eau

La région canadienne du Niagara ne fut pas la seule à présenter des indices de gaz. En 1859, par exemple, le Dr M.C. Tweedle, qui cherchait du pétrole, trouva du gaz et du pétrole près de Moncton, dans le New-Brunswick, sur la côte Est. Mais des fuites d’eau empêchèrent l’exploitation du puits. En 1866, de même, du gaz sulfureux est découvert dans le sud-ouest de l’Ontario, près de Port Colborne.

C’est par hasard, en 1883, que le gaz fut décelé pour la première fois, dans l’Alberta, province qui devait se révéler, par la suite, une des plus riches du monde en cette énergie. Les ingénieurs, qui construisaient le Canadian Pacific Railways à travers la Prairie, cherchaient, en effet, de l’eau pour alimenter leurs locomotives à vapeur. À Suffield, à 40 km au nord-ouest de Medecine Hat, ils trouvèrent du gaz à 340 m. Un second puits foré l’année suivante, confirma la présence du gaz à la même profondeur. À cette date, cependant, aucune de ces découvertes de gaz naturel n’avait donné lieu à une seule exploitation sérieuse. L’honneur en revint, en 1889, à Eugène Coste, jeune homme à l’époque, mais auquel les historiens décernèrent, par la suite, le titre de « père de l’industrie canadienne du gaz naturel ».

6.4. Les Coste

L’histoire commence comme un véritable roman d’aventures. En 1850, un fermier canadien français, du nom de Roubidoux, établi dans le comté d’Essex, Ontario, voit arriver chez lui un adolescent trempé et affamé qui lui déclare avoir sauté d’un bateau naviguant sur la rivière de Detroit et gagné le rivage à la nage parce qu’il était maltraité par le capitaine. Il s’appelle Napoléon Coste, né à Marseille, en 1835 ; son père l’avait confié à un capitaine d’un navire en partance pour l’Amérique, pour faire son apprentissage. Le jeune homme s’établit chez ses hôtes, devient instituteur et épouse Mathilde, la fille de la maison. En 1856, à 21 ans, il opte pour la nationalité anglaise, ce qui lui permet d’être élu président du conseil municipal de Malden, en 1860, et membre du conseil du comté d’Essex.

Fig. 7. Eugène Coste. Source : Historic sites and museum. Government of Alberta. http://history.alberta.ca/energyheritage/gas/creation-of-an-industry/default.aspx

En 1863, il revient à Marseille et pendant dix ans participe à la construction du canal de Suez. Après un court séjour en Angleterre, il revient Canada où il s’établit comme importateur. De ses quatre enfants, Eugène, né en 1857, est le plus brillant : il est reçu à l’Ecole polytechnique en 1879, puis à l’école nationale supérieure des Mines de Paris en 1883 (Figure 7). Dans le monde anglo-saxon de l’époque, on croyait que pétrole et gaz naturel étaient de nature organique. À Paris, au contraire, on enseignait que les hydrocarbures avaient une origine volcanique. Vraie ou fausse, cette théorie allait être à l’origine des découvertes des Coste.

 

6.5. Grandeur et décadence du gisement d’Essex

Financé en partie par son père, Eugène, aidé par son jeune frère Denis, se lance dans la recherche du pétrole qui faisait fureur à l’époque. En 1888, il fore le puits Coste no 1 à Gosfield, dans le comté d’Essex ; le 23 janvier 1889, il trouve du gaz. Le débit est énorme pour l’époque : 264 000 m3/j. D’autres compagnies se précipitent ; la région se couvre de derricks. À elle seule, l’Ontario natural gas company des Coste fore une centaine de puits. Les découvertes se succèdent. On croit se trouver en présence d’un gisement inépuisable. Trois à quatre ans après, le gaz est distribué aux villes voisines. En 1895, un gazoduc est construit jusqu’à Detroit, aux États-Unis, d’où le gaz poursuit son chemin, grâce à un gazoduc déjà existant, jusqu’à Toledo.

Les réserves de ce gisement sont cependant trop modestes et leur extraction trop malhabile pour que cette exploitation dure longtemps : la pression du gaz baisse. En 1901, à la suite d’une pétition, le gouvernement canadien interdit l’exportation du gaz. Cette mesure conservatoire intervient trop tard : le 1er avril 1904, 12 ans après la découverte, le gisement est épuisé.

6.6. Retour au Niagara

La même année 1889, où les Coste découvraient le gisement d’Essex, ils mettaient à jour celui de Welland, à 3 320km de là, toujours dans l’Ontario, mais cette fois-ci, près des chutes du Niagara. Quatre ans auparavant, en 1885, la Port Colborne natural gas light and fuel company avait trouvé du gaz dans le secteur, mais son exploitation avait été limitée à la vente du gaz dans le village pour l’éclairage. Coste établit, en 1890, un gazoduc jusqu’à Buffalo, de l’autre côté de la frontière marquée par le Niagara. Dès lors, recherches et découvertes se multiplièrent dans le secteur.

Il est remarquable de constater qu’à cette époque où les compteurs n’existaient pas, le gaz naturel était vendu ridiculement bon marché. À Port Colborne, par exemple, la Mutual national gas company facturait le gaz à 2$ par mois pour un poêle, 1$ pour une cuisinière, et 15 cents pour l’éclairage, cela sans limitation de consommation ! Ce système aboutissait à des gaspillages choquants : pendant le jour, les abonnés n’éteignaient même pas les lumières. Interrogés, l’un d’eux répondit : « l’éclairage au gaz est moins cher que la lumière du soleil » ! Les poêles fonctionnaient jour et nuit et les gens disaient « qu’ils en voulaient pour l’argent qu’ils versaient à la compagnie du gaz » !

De 1889 à 1919, il n’y eût pratiquement pas de contrôle du gouvernement sur la production. Le gaz était en surabondance pour les besoins d’un marché très limité et les gisements paraissaient inépuisables. En 1919, il y avait déjà plus de 80 000 abonnés domestiques au gaz naturel dans la province de l’Ontario et quelque 500 clients industriels, quand fut voté le Natural Gas Act pour mettre un terme au gaspillage. En 1921, une nouvelle loi permit au gouvernement provincial d’intervenir dans la fixation des prix du gaz.

6.7. À l’ouest, rien de nouveau

Si l’Ontario fut le berceau du gaz naturel canadien, d’autres provinces allaient bientôt révéler leurs richesses secrètes. L’année 1904 marque, en effet, la découverte du gros gisement de Medecine Hat et l’alimentation en gaz de cette ville, la première de l’Alberta. En 1908, c’est au tour de Calgary, où le gaz est utilisé pour l’éclairage public. La même année, Eugène Coste met à jour le gisement de Bow Island, au sud-ouest de Medecine Hat. Le débit est si important qu’on décide, en 1912, de conduire le gaz jusqu’à Calgary par un gazoduc de 273 km sur 400 mm de diamètre. La pose de cette conduite, exceptionnelle pour l’époque, est réalisée en 86 jours seulement.

Peu de temps avant le début de la Grande Guerre, les principaux gisements de cette province sont mis à jour : Turner Valley, en 1913 (Figure  8), Jumping Pound, en 1914, Viking au sud-est d’Edmonton, en 1914. En 1930, c’est enfin au tour du Saskatchewan de produire du gaz naturel.

 

Fig. 8. Turner Valley Gas Plant. Source : FootHills Tourism. https://foothillstourism.com/blog/turner-valley-gas-plant

 

Désormais, le temps des pionniers est terminé, l’industrie du gaz naturel est née. . (Lire : Gaz naturel : la formation d’une grande industrie au 20e siècle (1ère partie) et (2ème partie)) (Lire : Gaz naturel : la filière technico-économique)

 


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