L’énergie en Inde : de Jawaharlal Nehru à Indira Gandhi

Jawaharlal Nehru-Indira Gandhi

Avec une consommation totale d’énergie supérieure à 1 milliard de tonnes d’équivalent pétrole (Gtep) en 2020, l’Inde occupe la troisième place dans le monde. Cette position résulte d’une forte croissance démographique mais aussi d’un modèle de développement et d’un approvisionnement énergétique mis en œuvre entre l’indépendance politique de 1947 et le tournant libéral des années 1990. Quelles en sont les caractéristiques ? D’où viennent les germes de la libéralisation qui va s’imposer au cours des trois décennies suivantes ?

En 1947, année de son indépendance politique, l’Union Indienne, séparée du Pakistan, compte environ 340 millions d’habitants disposant d’un Produit Intérieur Brut (PIB) estimé à 600 dollars par tête, soit le tiers de celui du Japon, mais 50% de plus que celui de la Chine[1]. Environ 60% de ce produit provient de l’agriculture qui occupe plus de 70% de la population active ; le reste résulte d’activités secondaires et tertiaires parmi lesquelles l’industrie ne dépasse pas 15% ; cette dernière contribution tombe même à 6% si l’on ne prend en compte que la grande industrie moderne.

A ce sous-développement économique correspond une consommation d’énergie de quelques dizaines de kilo équivalent pétrole (kep) par tête, dont 75% à partir de sources traditionnelles, telles que bois de feu, déchets végétaux et animaux ou traction animale. Les 25% de sources dites commerciales sont du charbon minéral pour 80%, des hydrocarbures et de l’hydroélectricité pour le reste (Lire : L’énergie en Inde, la genèse de sa puissante industrie charbonnière). Déjà très déficiente dans le cadre d’une société majoritairement rurale, cette base énergétique est évidemment inadaptée à la vision industrialiste des nouveaux dirigeants indiens.

Comment ces derniers vont-ils transformer cet approvisionnement par la construction d’un système énergétique moderne, toujours basé sur le charbon minéral, principale ressource nationale, mais de plus en plus ouvert aux produits pétroliers, plus tardivement au gaz naturel, le tout prolongé par une industrie électrique capable d’exploiter l’atome aussi bien que l’hydraulique, l’éolien ou le solaire ?

 

1. Le nouveau contexte institutionnel et son évolution

La vision du système économique qui prévaut en 1947 est portée par le Parti du Congrès dont le leader Jawaharlal Nehru a été impressionné par les réalisations soviétiques des premiers Plans quinquennaux[2] (Lire : Le développement énergétique de l’Union Soviétique, 1917-1950). Les résolutions des Congrès de Lahore (1929) puis de Karachi (1931) reflètent l’orientation de la majorité du Parti vers les idées de planification, de contrôle public des grandes industries et de limitation des intérêts étrangers dans l’économie[3]. Cette inspiration soviétique est cependant tempérée par « une idéologie gandhienne en faveur du développement rural », soit « une sorte de soviétisme rural »[4].

Précisées à plusieurs reprises en 1944 et 1945, ces orientations sont officiellement affichées par la première résolution de politique industrielle, l’Industrial Policy Resolution d’avril 1948 : l’Inde opte pour une économie mixte dans laquelle le capital privé aura sa place, mais la propriété publique sera totale sur les chemins de fer, l’armement et l’énergie atomique ; dans les charbonnages, la sidérurgie, la construction aéronautique, les chantiers navals, le téléphone-télégraphe et l’industrie minérale, le Gouvernement se réserve un droit exclusif sur les décisions d’investissement ; aucune nationalisation n’aura lieu pendant au moins 10 ans.

Plus précise encore, la deuxième résolution de 1956 renforce les pouvoirs de l’État : un monopole ou un droit exclusif lui est attribué sur 16 industries telles que la production d’électricité, la sidérurgie et la plupart des activités minières, dont les charbonnages ; il dispose d’un droit de contrôle sur les investissements de 12 autres qui comprennent les machines-outils, les ferro-alliages et les engrais ; il oriente les activités laissées au secteur privé par les objectifs du Plan et les autorisations d’importation.

Entre les deux résolutions de politique industrielle, la planification a été mise en place : le Premier Plan (1951-1956) encore très axé sur le développement de l’agriculture, puis les deux suivants (1956-1961 et 1961-1966)) dont les objectifs de croissance économique sont plus ambitieux et les orientations socialistes plus marquées en faveur des industries lourdes[5]. Jawaharlal Nehru, au zénith de son influence politique, tente de pousser les feux (figure 1). Il bute, hélas, sur une croissance démographique mal anticipée, une agriculture toujours soumise aux caprices de la mousson et une dépendance des capitaux et des technologies étrangères difficile à repousser. Avec les transports, pourtant prioritaires dans les Plans successifs, le secteur de l’énergie devient l’un des goulets d’étranglement du développement indien.

 

Jawaharlal Nehru - Mahatma Gandhi

Figure 1. Jawaharlal Nehru en compagnie du Mahatma Gandhi. [Source : Medium.com]

Au cours de la deuxième moitié des années 1960, les nuages s’accumulent : guerre de quatre mois contre le Pakistan, mauvaises moussons de 1965 et 1966, grave crise de production agricole donc d’alimentation, inflation, tensions exacerbées entre forces politiques. Après les 20 mois de gouvernement de Lal Bahadur Shastri, Indira Gandhi accède au pouvoir et tente, dans une économie contrainte de s’ouvrir, de revenir à un certain dirigisme. En 1969, les 14 plus grandes banques sont nationalisées ; l’année suivante, la troisième résolution de politique industrielle recentre les interventions de l’Etat sur les industries lourdes (acier, pétrole, engrais) ; en 1973, le Foreign Exchange Regulation Act (FERA) limite à 40% les participations étrangères dans le capital des sociétés indiennes. Entre temps, toute l’industrie charbonnière a été nationalisée[6].

Au début de la décennie 1990, l’étatisation de l’économie touche à sa fin. Suite à une période politique quelque peu mouvementée, marquée notamment par l’assassinat de Rajiv Gandhi qui avait succédé à sa mère en 1984, la nomination de P.V. Narasimba Rao comme premier ministre et de Manmohan Singh comme ministre des finances donne un coup d’accélération à la libéralisation de l’économie indienne.

 

2. Croissances énergétique, démographique et économique

Estimée à une centaine de millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) en 1950, la consommation indienne d’énergie primaire a presque quadruplé en 1990, soit un taux de croissance annuel moyen (tcam) d’un peu plus de 3% (tableau 1).

Tableau 1. Évolution de la consommation totale d’énergie en Inde. [Source : BP Statistical Review et nos estimations]. Les données 1950 diffèrent légèrement de celles du tableau 2, in Énergie en Inde : la genèse de sa puissante industrie charbonnière, notamment pour des raisons de conversion en tep de la consommation électrique.

 

  Consommation non commerciale (Mtep) Part de cette consommation (%) Consommation
commerciale (Mtep)
Part de cette
consommation (%)
Consommation
totale (Mtep)
Tcam sources commerciales (%) Tcam total(%)
1950 85 80 19.5 20 104.5
1955 91 79 24.5 21 115.5 4.7 2.0
1960 98 75 33.3 25 131.3 6.3 2.6
1965 109 67 52.6 33 161.6 9.6 4.2
1970 119 65 64.8 35 183.8 4.3 3.0
1975 131 62 81.8 38 212.8 4.8 2.6
1980 147 59 102.3 41 249.3 4.6 3.2
1985 155 54 133.4 46 288.4 5.5 3.0
1990 169 46 198.9 54 367.9 8.3 5.0

Cette croissance énergétique est indissociable de l’augmentation de la population totale passant de 361 millions d’habitants en 1950 à 870 en 1990, soit à un rythme de 2,2% par an, mais aussi du développement économique se traduisant, entre autres, par le passage des sources d’énergie dites non commerciales ou traditionnelles aux sources commerciales ou modernes, soit 80%-20% en 1950 à 46%-54% en 1990.

Les premières l’emportent, tout au long de la période, dans les milliers de villages fidèles à une organisation communautaire traditionnelle, qui continue à tirer, de la biomasse et de la traction animale, l’énergie dont elle a besoin pour se nourrir, assurer les travaux des champs, fabriquer ses ustensiles quotidiens ou se déplacer. Dans les campagnes, « les femmes récoltent la bouse des vaches soit sous forme de galettes séchées comme combustible soit utilisées comme engrais. La plupart des maisons sont en pisé, éclairées à la bougie ou à la lampe à pétrole »[7]. Comment estimer cette partie de la consommation d’énergie ? Sur la base d’un taux d’urbanisation passant de 17 à 26% (tableau 2), la population rurale a pu passer de 300 millions d’habitants (Mh) en 1950 à 644 en 1990, mais elle a dû faire de moins en moins appel aux sources traditionnelles au fur et à mesure de la pénétration des sources modernes (charbon minéral, diésel, électricité) dans les campagnes, soit une consommation des premières reculant de 235 kep/habitant en 1950 à 194 en 1990 (figure 2).

 

traction animale campagne

Figure 2. La traction animale dans l’énergie des campagnes.

 

Beaucoup plus rapide, la croissance de la consommation de sources dites commerciales qui a été multipliée par dix, soit une croissance annuelle moyenne de 6% avec des pointes proches de 10%, a été tirée par l’expansion urbaine, l’industrialisation et l’explosion des déplacements d’hommes et de marchandises, toutes ces évolutions s’exprimant par un quintuplement du PIB en dollars constants (tableau 2).

 

Tableau 2. Croissance démographique et économique. [Source : Angus Maddison (2001). L’économie mondiale. OCDE, 400p, pour POP et PIB. M signifie million et G milliard].

  Population

M

Urbanisation

%

PIB
G$ constants
Activités primaires
%
Secondaires
%
Tertiaires
%
1950 361 17 222 59 15 26
1960 450 18 327 41 21 38
1970 554 20 470 40 23 37
1980 697 23 637 33 31 36
1990 870 26 1 098 27 36 37

 

Dans ce contexte, les pouvoirs publics n’ont cessé d’accroître la part de leurs investissements consacrés au développement des sources modernes d’énergie, en la faisant passer de 16,4% (1960-65) à 18,9% (1966-75) et 21,6% (1976-1980). Sur ce total, les investissements de production et de transport de l’électricité, notamment vers le monde rural, arrivent largement en tête[8].

 

3. Essor des sources d’énergie dites commerciales

A quelles sources d’énergie l’Inde a-t-elle fait appel pour répondre à la croissance de ses besoins en sources d’énergie moderne ? A des sources primaires (tableau 3), dont une partie a été transformée en électricité (tableau 4).

Tableau 3. Évolution des consommations de source commerciale primaire. [Source : BP Statistical Review, complété par nos soins]. Le total des sources commerciales est donné par la colonne 3 du tableau 1. La consommation d’électricité de ce tableau est uniquement celle dite primaire, d’origine presque exclusivement hydraulique.

 

  Charbon (Mtep) % Pétrole (Mtep) % Gaz (Mtep) % Electricité (Mtep) %
1950  15.0 77  3.9 20  0.6 3
1955  19.0 78  4.5 18  1.0 4
1960  26.0 78  5.2 16  0.1  2.0 6
1965  35.5 67 12.6 24  0.2 1  4.3 8
1970  37.6 58 19.5 30  0.5 1  7.2 11
1975  48.1 59 23.3 28  0.9 1  9.5 12
1980  56.7 55 31.6 31  1.0 1 13.0 13
1985  73.7 55 43.3 32  3.7 3 12.7 10
1990 109.7 55 57.9 29 14.8 7 16.5 9

Pour faire passer la part de ses sources dites commerciales de 20% à 54% d’une consommation totale d’énergie qui a été multipliée par 3,5 entre 1950 et 1990 (tableau 1 et 3), l’Inde a continué à s’appuyer majoritairement sur sa production de charbon minéral, mais elle a aussi progressé vers un bilan énergétique plus diversifié.

  • Multipliée par plus de sept, la consommation de charbon est restée incontournable dans tous les usages qu’il est capable de satisfaire, de la cuisson des aliments et du chauffage des maisons dans les régions qui le justifient, à la consommation des industries grosses consommatrices d’énergie (sidérurgie, cimenterie, chimie) et à la production de gaz manufacturé ou d’électricité.
  • Au même moment, l’urbanisation et l’extension du transport routier favorisent la croissance de la consommation de produits pétroliers, mais la part de cette source d’énergie ne dépassera jamais 32% de la consommation totale de sources commerciales, pour des raisons tenant aux déficiences de l’industrie pétrolière indienne (voir plus loin).
  • Plus timidement encore, le gaz naturel ne pénètre réellement le bilan énergétique indien qu’à partir des années 1980.
  • D’importants efforts ont été consentis en faveur du développement de l’hydroélectricité, mais l’éloignement des sites équipables et le coût des investissements n’ont pas permis d’aller très loin sur la voie de l’électricité primaire en attendant le nucléaire, l’éolien et le solaire photovoltaïque.

Bien supérieure à celle de la consommation de sources primaires, la croissance de la production brute d’électricité a bondi de 7,1 TWh en 1950 à 287,8 TWh en 1990, soit un rythme annuel proche de 10%, de plus en plus appuyé sur une production thermique, alimentée principalement en charbon minéral (voir plus loin).

Comment l’Inde est-elle parvenue à ces résultats ? Quelles ont été les étapes et les modalités de construction de ses industries énergétiques dans le contexte institutionnel évolutif des quatre premières années de son indépendance ?

 

4. Les difficiles adaptations de l’industrie charbonnière

L’industrie charbonnière indienne n’a pas été bouleversée par l’indépendance politique et la partition Inde-Pakistan du 15 août 1947, mais les changements profonds de son environnement institutionnel vont progressivement modifier sa trajectoire. Le 2,0% de sa croissance annuelle moyenne depuis 1920 saute à 4,1% entre 1950 et 1970 puis à 6,0% entre 1970 et 1990 (tableau 4). Cette accélération de rythme est accompagnée de changements organisationnels dont le point focal est la nationalisation de l’industrie charbonnière entre 1971 et 1973[9].

 

Tableau 4. Production de charbon 1945-1990. [Source. Henderson P.D. (1975). India : The energy sector. A World Bank Publication, Oxford University Press, 188 p (p. 45), complété par nos soins].

Houille (Mt) dont cokéfiable (Mt) Lignite (Mt)
1950  32.8
1955  38.8  14.3
1960  52.6  16.7   0.05
1965  67.2  17.0  2.3
1970  73.7  18.0  3.5
1975  95.9  18.0  2.8
1980 111.0 18.1  5.1
1985 150.5  25.8 7.8
1990 211.2 36.1 14.1

 

Jusqu’en 1985, l’Inde vit en quasi-autarcie charbonnière avec des flux d’exportations et d’importations très limités (moins de 2 Mt/an) et qui s’équilibrent. Au cours des années 1985, les premiers demeurent stables tandis que les seconds commencent à croître, jusqu’à dépasser 6 Mt en 1990 (Annexe 1). En dépit de sa réorganisation, l’industrie nationale peine à satisfaire la demande. Pourquoi ?

4.1. Les succès limités des Premiers Plans

Au cours de la décennie qui suit l’Indépendance, les nouveaux gouvernants sont conscients du goulot d’étranglement que constitue l’insuffisant approvisionnement énergétique. Dès 1950, ils établissent un Working Party for the Coal Industry chargé de proposer au Gouvernement les grandes lignes d’une politique charbonnière. L’année suivante, cet organisme recommande un développement zonal de la production, des moyens de transport charbonnier supplémentaires, une concentration des mines déficitaires, et l’autorisation préalable du Gouvernement à toute ouverture de mine.

Modeste au cours du Premier Plan (20%), la croissance de la production s’élève au cours du Deuxième (36%). Presque 80% des entreprises sont restées privées grâce aux exceptions prévues dans la résolution de politique industrielle de 1948, mais elles sont surveillées par un Coal Controller. L’ouverture de nouvelles mines s’effectue dans le cadre réglementaire défini par le Mines and Minerals Regulation and Development Act de 1957, complété par les Mineral Concession Rules de 1960, qui s’appliquent à toutes les activités minières, mis à part le pétrole et le gaz naturel. A côté du secteur privé, un secteur public se met cependant en place. Dès 1948, l’Etat d’Andhra Pradesh crée la Singareni Collieries Company (SECL) dont il détient 60% du capital, aux côtés du Gouvernement central propriétaire de 39% par l’intermédiaire de la Coal Mines Authority (figure 3).

 

Singareni collieries

Figure 3. Les Singareni collieries. [Source : Energy News]

En 1956, la 2e Résolution et le 2e Plan quinquennal accentuent la volonté gouvernementale d’un contrôle public sur le développement des mines de charbon. Elle se traduit par l’institution d’un Amalgamation Committee chargé d’organiser la fusion des petites mines non rentables en unités d’au moins 10 000 tonnes/an sur une surface de 100 acres : après l’échec du volontariat (22 accords sur environ 500 mines concernées), l’opération deviendra obligatoire. La volonté politique s’exprime aussi par l’institution du Coal Production and Development Commissionner (CPDC) et la mise sur pied de la National Coal Development Corporation (NCDC) chargée de réunir diverses mines publiques appartenant aux compagnies ferroviaires ou à certains Etats de l’Union et d’accroître rapidement l’extraction, surtout dans les régions excentriques. L’entrée de capitaux publics dans l’industrie charbonnière ne suffit cependant pas à dynamiser une croissance qui s’essouffle : 36% de 1955 à 1960, 28% de 1960 à 1965 et 10% de 1965 à 1970. Les productions effectives s’éloignent de plus en plus des objectifs des plans quinquennaux : 54 Mt au lieu de 60 Mt en 1961-62 ; 68 Mt au lieu de 97 Mt en 1965-66.

4.2. La nationalisation

Le changement d’organisation commence en octobre 1971 par l’intégration de toutes les mines de charbon cokéfiable dans la nouvelle compagnie publique Bharat Coking Coal Limited (BCCL), puis par leur nationalisation formelle en mai 1972. Les mines de charbon thermique suivent peu après : conformément au Coalmines Nationalisation Act de mai 1973, elles rejoignent, avec les anciennes mines publiques de la National Cooperative Development Corporation (NCDC), la nouvelle Coal Mines Authority Limited (CMAL).

Désormais, tous les charbonnages indiens relèvent de trois entités publiques : les Singareni Collieries (SCCL), la CMAL et la BCCL, cette dernière étant rattachée à l’administration de la Steel Authority of India Limited (SAIL), avant que toutes les entreprises charbonnières soient placées sous la tutelle du ministère de l’Energie, créé en octobre 1974. L’année suivante, la CMAL et la BCCL forment la Coal India Limited (CIL), holding de huit compagnies à compétences territoriales[10]. Outre la SCCL, une autre compagnie publique s’est développée hors du giron de la CIL : la Neyveli Lignite Corporation Ltd, dont 6% du capital est entre les mains d’actionnaires privés, exploitera par des moyens très mécanisés, les gisements de lignite de l’Etat du Tamil Nadu, à l’extrême sud du pays, au profit d’une grosse centrale thermique (tableau 5).

N’échappent au secteur public que les mines des sidérurgistes (officiellement à partir de 1976), de certaines compagnies électriques (à partir de 1993) puis des cimenteries : Tata Iron and Steel Company (TISCO), Indian Iron and Steel Ltd (IISCO), Damodar Valley Corporation (DVC), Jammu and Kashmir Minerals Ltd (JKML), Bengal Emya Coal Mines Ltd (BECML), Bihar States Mineral Development Corporation (BSMDC) et quelques autres relèvent de ces dérogations. Toutes ces compagnies extraient 5% du charbon indien, mais elles ne peuvent l’utiliser que pour satisfaire leurs propres besoins, ce qui justifie la dénomination de « captive » donnée à leurs mines[11].

 

Tableau 5. Organisation de la CIL. [Source. CIAB. Coal, op. cit, p. 47]. La North Eastern Coalfields Ltd est gérée directement par la CIL.

 

Etats Nombre de mines Production

(Mt) en 2000

% production

à ciel ouvert

Bharat Coking Coal Ltd Bihar, West Bengal 109 26  64
Central Coalfield Ltd Bihar  71  31.8  90
Eastern Coalfields Ltd West Bengal, Bihar 119 28  53
Mahanadi Coalfields Ltd Orissa  22  44.8  95
Northern Coalfields Ltd Madhya Pradesh

Utta Pradesh

  9  41.4 100
South-Eastern Coalfields Ltd Madhya Pradesh  78  60.3  72
Western Coalfields Ltd Etats de l’Ouest  97  35.2  70
North-Eastern Coalfields Ltd Etats du Nord   6   0.7  72
Coal India Ltd 518 268.2

 

Au cours de toute cette période, les Gouvernements successifs n’ont rien fait pour pénaliser une demande de charbon favorisée par des prix restés très compétitifs. Ce n’est donc pas, d’abord, du côté de la demande qu’il faut rechercher les causes de la perte de dynamisme de la croissance charbonnière. Les pénuries de combustible solide dont souffrent la sidérurgie, l’industrie cimentière du Tamil Nadu et du Gujarat ou les centrales thermiques du West Bengal, au début des années 1970, en apportent la preuve[12]. Les freinages viennent du côté de l’offre, tant au stade du transport qu’à celui du traitement et de l’extraction (figure 4).

 

charbonnages indiens

Figure 4. Certains aspects archaïques des charbonnages indiens. [Source : Afriexporter. https://www.google.com/search?q=India+coal+industry&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved]

La nationalisation des charbonnages coïncide avec le premier choc pétrolier et la préparation du 5ème Plan quinquennal (1973/74-1978/79). Dans un pays qui n’est toujours pas parvenu à produire des volumes de brut à la hauteur de ses besoins, la hausse des prix pétroliers internationaux est un handicap supplémentaire sur la voie de son industrialisation. Tout en se fixant un objectif ambitieux de 11,4 Mt de pétrole brut (+ 58%), le 5e Plan compte surtout sur le charbon dont il veut porter la production à 135 Mt (+ 73%). Ce résultat sera loin d’être atteint en 1978-79 (à peine plus de 100 Mt), mais, après la stagnation de la décennie précédente, la croissance est de retour. Au cours des deux quinquennats suivant 1980, elle atteint 6,3% et 6,9%. Comment les entreprises publiques, qui fournissent désormais plus de 95% de la production, ont-elles remis l’industrie indienne sur le chemin de l’expansion ?

4.3. Les déficiences de l’industrie charbonnière

Les obstacles à une croissance plus forte de l’extraction tiennent à l’organisation de l’industrie, à l’état des techniques utilisées et à la gestion des entreprises.

A l’issue des deux premiers plans quinquennaux, l’industrie charbonnière indienne est toujours éclatée entre 800 sièges d’extraction, dont un tiers produisent moins de 6 000 tonnes par an ! Globalement, la productivité du travail y est très basse et ne progresse que lentement : de 136 tonnes/homme/an (fond et jour) en 1961 à 190 en 1971, soit une croissance moyenne annuelle de 3%. En cause, pour une grande part, les méthodes d’extraction : du ciel ouvert encore limité à 20% de la production totale ; un abatage toujours majoritairement au pic ; 36% des volumes abattus par coal-cutters dans 226 mines, mais un chargement mécanisé uniquement dans 22 d’entre elles (3% de la production totale), et des convoyeurs dans 39 (10%).

A quoi s’ajoutent de nombreuses interruptions du travail par coupures d’électricité ou des capacités de production inutilisées par manque de rails ou de pièces de rechange. Ces déficiences auraient contraint une grande mine à ciel ouvert à travailler 5 ans à 50% de sa capacité[13]. Sous-investissement ? Sans doute, mais pour quelles raisons ? Sur un fond de manque d’intérêt pour une mécanisation à laquelle n’incitent pas les faibles salaires des mineurs, s’est sans doute greffée la mauvaise volonté des propriétaires de mines après la deuxième résolution de politique industrielle de 1956 qui place les charbonnages parmi les 16 industries relevant du monopole des pouvoirs publics. Ces derniers commencent, certes, à prendre la relève, mais à trop petits pas pour remplacer le dynamisme défaillant du secteur privé dont la production stagne à partir de 1965 puis recule après 1969.

Une réorganisation des sièges d’extraction a suivi de peu la nationalisation. Les plus anciens ou les plus petits, la plupart sur les gisements de Raniganj et de Jharia, ont été fermés ou réunis. Les 300 sièges d’exploitation du premier ont ainsi été réduits à 86. Dans le domaine des cokéfiables, la Bharat en a fait autant, en passant de 388 à 87. Dès les années 1980, le secteur public ne gérait plus que 300 sièges extrayant en moyenne 240 000 tonnes/an chacun. Depuis, le nombre de ses sièges d’exploitation souterraine a légèrement augmenté mais, la concentration se poursuivant, leur production moyenne a atteint 500 000 tonnes/an. Le changement décisif est cependant venu d’ailleurs, c’est-à-dire de l’ouverture de nombreuses mines à ciel ouvert (open-cut) : au nombre de 164, elles ont une production annuelle moyenne de 2 Mt et même de 5 dans le cas du lignite (figure 5). Depuis sa création, l’industrie publique indienne qui leur a consacré 2,3 milliards de dollars (G$), contre 1,5 aux mines souterraines, leur doit l’essentiel de la croissance de sa production et de sa productivité (tableau 6).

4.4. L’élévation de la productivité

De 50% au-dessus de celle des mines souterraines durant les années 1970, la productivité des mines à ciel ouvert leur est presque 10 fois supérieure au tournant du 21ème siècle[14]. Leur exploitation a été presque entièrement mécanisée, à l’aide de pelleteuses (shovels) et de camions-bennes (trucks) lorsque la couche de mort-terrain (low stripping ratio) n’est pas trop épaisse ; de grues excavatrices (draglines) dotées de godets de 20 à 30 m3, dans le cas contraire (figure 5). La carrière ouverte, le charbon est arraché par des excavatrices de 5 à 20 m3 et emporté par des chargeurs lourds (heavy dumper) d’une capacité de 35 à 170 tonnes. Dans les mines souterraines, la part de l’extraction mécanisée est certes passée de 3 à 40% dans l’ensemble des mines indiennes, mais elle a buté sur des obstacles géologiques. La longue taille a été introduite en 1978 dans la mine Moonidih, sur le gisement de Jharia, mais en 1992, la CIL et la SCCL n’avaient équipé que 20 chantiers dont la moitié seulement fonctionnait[15]. Les chambres et piliers (bord and pillar) sont donc restées la méthode d’exploitation la plus usuelle jusqu’ au début des années 2000 : 69% (Bharat Coking Coal Ltd), 83% (Central Coalfields Ltd), 81% (Eastern Coalfields Ltd), 51% (Mahanadi Coalfields Ltd), 30% (South-Eastern Coalfields Ltd). Dans le cadre de cette méthode d’exploitation, les taux de mécanisation sont variables d’une mine à l’autre, mais généralement assez bas, surtout au stade de l’évacuation du minerai.

 

mines - mines ciel ouvert

Figure 5. Mines à ciel ouvert. [Source : Basta]

La plus grande partie de la production charbonnière indienne souffre d’un taux élevé de cendre qui handicape la combustion et gonfle inutilement les volumes transportés. Le lavage systématique des minerais, susceptible de surmonter cet obstacle, n’a jamais pu être réalisé.

Ce handicap a affecté particulièrement les charbons cokéfiables. Alors qu’ils représentaient encore près de 40% de la production totale au début des années 1950, ils tombent à 25% en 1965. Qui plus est, pour être cokéfiés dans de bonnes conditions, ils ont besoin d’être triés et lavés. Afin d’assurer la réalisation des objectifs de croissance de la production d’acier, le IIe Plan quinquennal avait planifié la construction d’une grande installation de lavage de 2 Mt pour desservir les aciéries de Rourkela et de Bhilai, suivie d’une autre de capacité similaire près de Dourgapour. Les retards de leur construction sont tels que, fin 1959, elles ne sont toujours pas achevées alors que les nouveaux fours à coke sont déjà en exploitation et contraints de s’approvisionner à l’étranger[16].

Accroître l’extraction de charbons de qualité médiocre ne constituerait qu’un demi-succès, sans moyens supplémentaires pour les traiter avant carbonisation ou combustion. D’autant qu’une extraction plus profonde dans les gisements les plus anciens, type Jharia, s’est traduite par une élévation du taux de cendre des charbons (de 18-24 à 26-37%), bien au-delà de ceux admis par les cokeries indiennes intégrées (17%). Tentées, dans un premier temps, de laisser les compagnies sidérurgiques adapter leurs installations à la qualité des combustibles livrés, les entreprises charbonnières ont progressivement pris la mesure des enjeux et installé des lavoirs pour les charbons cokéfiables[17]. Depuis le milieu des années 1990, elles avancent à pas comptés en direction du lavage des charbons thermiques. La réduction du taux de cendre offre en effet plusieurs avantages : elle diminue le coût du transport en évitant de déplacer des volumes de matériaux inutiles (mi-1990, moins 10% de cendre économise 4$/tonne transportée sur 1 000 km, soit presque le coût du lavage estimé à 5$/tonne) ; elle élève l’efficacité de la combustion car la consommation spécifique de charbon est réduite de 0,77 à 0,53 kg/kWh.

Tableau 6. Productivité à ciel ouvert versus souterraine 1975-1990. [Source. CIAB. Coal, op. cit, 108 et ICR. 11 November 1994]. Les productivités sont données en tonne/homme/poste. Il s’agit de celles de la CIL, peu différentes de celles de la Singareni.

  % ciel ouvert Productivité

ciel ouvert

Productivité

souterrain

Productivité totale
1975-76 23.4 0.90 0.60 0.65
1980-81 32.1 1.50 0.50 0.70
1985-86 53.7 2.24 0.53 0.92
1990-91 67.1 3.31 0.53 1.30

4.5. Des transports toujours déficients

Face à des utilisateurs industriels dont un grand nombre sont localisés dans le Maharashtra (Mumbai) ou le Gujarat (Ahmedabad), la concentration de 80% de la production charbonnière indienne dans le West Bengal et le Bihar implique un recours massif au transport des combustibles dont 90% s’effectue par rail[18]. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’un tiers des capacités de transport ferroviaire ait été occupé par le trafic charbonnier et que ce dernier soit devenu de plus en plus défectueux au point de paralyser certaines cokeries et cimenteries pendant que des stocks s’accumulaient parfois sur le carreau des mines. Parmi les multiples causes de ces déficiences, des grèves de cheminots, une mauvaise coordination entre compagnies charbonnières et ferroviaires, une gestion déplorable d’un parc de wagons vétustes et un déficit d’infrastructures. Les planificateurs en ont-ils été les responsables ? Sans doute, si l’on impute le goulet d’étranglement des transports à la chute des investissements ferroviaires observée à partir de 1964[19]. Mais cette dernière coïncide aussi avec le début d’une période difficile, tant sur le plan économique (le 3ème Plan quinquennal a dû être abandonné) que politique (le conflit sino-indien précède de peu la mort de Jawaharlal Nehru).

Ce délicat problème du transport a, en outre, été compliqué par plusieurs évolutions depuis la nationalisation. La production charbonnière ne s’étant pas développée également dans tous les États de l’Union, les flux en direction des centres de consommation se sont modifiés. Les deux grands États producteurs de l’est d’où provenaient 65% du charbon indien au milieu des années 1970, ont accru leur production depuis (de 66 à 96 Mt, à partir des mines du Bihar), mais n’apportent plus que 30,8% de la consommation totale. La plus grande partie de la croissance est venu d’États situés plus à l’ouest (Madhya Pradesh et plus récemment Uttar Pradesh) et/ou plus au sud (Orissa, Maharashtra et Andhra Pradesh). Si l’on ajoute les importantes quantités de lignite extrait et brûlé dans le Tamil Nadu, on observe un net rapprochement des lieux de production et de consommation qui limite la longueur des itinéraires. Au début des années 1990, les combustibles du West Bengale sont surtout utilisés sur place, ceux du Bihar majoritairement dirigés vers New Delhi, l’Hapyana et le Punjab, tandis que ceux de l’Andhra Pradesh ou de l’Orissa approvisionnent les marchés du sud. Les grands centres industriels de Mumbai et du Gujarat trouvent des combustibles plus près de chez eux, dans le Madhya Pradesh.

Cette évolution n’a pas supprimé les longues distances, mais elle a réduit à moins de 30% les transports sur plus de 1 000 km, au profit de ceux compris entre 200 et 500 qui dépassent les 60%. Par quels moyens sont-ils effectués ? Les volumes sur route ont doublé, mais leur proportion n’a pas augmenté (16%). Les Indian Railways transportent toujours 50% du charbon extrait dans le pays, à l’aide de wagons de plus grande contenance. Un changement plus significatif est venu de la part prise par les transports sur rail dédiés, mis en place par les industriels : le merry-go-round, qui relie directement le carreau de la mine au parc de stockage des centrales thermiques, est passé de 2% en 1977 à 23% des volumes transportés fin des années 1990 (figure 6). Ces derniers pourraient-ils être réduits en concentrant les centrales sur le carreau des mines ? Sans doute, mais pas au-delà d’un certain niveau de concentration, si l’on veut éviter des pollutions excessives.

 

train charbonnier

Figure 6. Train charbonnier en continu. [Source : ETEnergyworld.com]

Les progrès réalisés ne signifient pas, hélas, la fluidité et le bas prix des transports d’un produit qui représente 48% du trafic marchandise. Le fret atteint encore 70% du coût de certaines livraisons sur la côte ouest. La responsabilité en incombe pour partie à l’industrie charbonnière qui continue à faire transporter des charbons non lavés, mais elle pèse plus encore sur le réseau de chemin de fer, divisé depuis l’époque coloniale en trois largeurs de voie, sur lesquelles doivent circuler des wagons à hauteurs d’essieu différentes[20]. Qui plus est, les nouveaux wagons sont parfois trop larges pour les infrastructures de chargement et déchargement, tandis que les voies uniques contraignent les trains de marchandises à attendre le passage des trains de voyageurs qui roulent plus vite. Résultat : des vitesses ferroviaires moyennes qui ne dépassent pas 20-25 km/heure, d’où la tentation fréquente de leur préférer des camions qui ne sont pas beaucoup plus rapides sur des routes « percées de nids de poule aux revêtements qui se dégradent »[21].

 

5. La pénétration du pétrole dans le bilan énergétique

Bien que relativement fermée, l’économie indienne n’a pas vécu à l’écart des grandes évolutions énergétiques mondiales. Les nouveaux modes de motorisation et les avantages de la combustion des produits pétroliers sur le charbon dans nombre d’usages domestiques et industriels ont joué en faveur du pétrole dont la part dans le bilan des sources commerciales est passée de 20% en 1950 à 30%à partir du début des années 1970 (tableau 3).

5.1. L’inégale croissance des consommations de produits pétroliers

Le rythme annuel moyen de 7% de la consommation pétrolière sur l’ensemble de la période est le fruit de la montée en puissance des années 1950 (8% par an) et 1960 (presque 10%), suivie d’un taux plus modéré, inférieur à 6% car largement influencé par les 3% des années du premier choc pétrolier en 1973 et 1974 (tableau 7).

 

Tableau 7. Évolution de la consommation des divers produits pétroliers. [Source : De 1951 à 1961 : P.D. Henderson. India, op. cit, pp. 51-52]. Pour la suite : Ministry of Statistics. Energy Statistics 2013. Les autres produits légers comportent le GPL. Les autres produits lourds, le petcoke.

 

Mt 1951 1961 1970-71 1980-81 1990-91
Produits légers 0.91 1.00 2.53 4.26 9.42
 Essence 0.82 0.88 1.45 1.52 3.55
Naphta 0.90 2.33 3.45
Autres (dont GPL) 0.09 0.12 0.18 0.41 2.42
Produits moyens 1.90 4.59 8.90 16.83 32.75
Kérosène 1.06 2.20 3.28 4.23 8.42
Diesel 0.72 2.05 4.93 11.47 22.65
Autres 0.12 0.34 0.69 1.13 1.68
Produits lourds 1.09 2.67 6.10 9.26 11.75
Fuel-oils 0.90 1.89 4.66 7.47 8.99
Lubrifiants 0.18 0.36 0.55 0.59 0.89
Bitumes 0.41 0.78 1.06 1.58
Autres 0.01 0.01 0.11 0.14 0.29
Total ventes 3.90 8.27 17.53 30.35 53.92
Raffinerie et pertes 0.03 0.14 1.61 1.93 3.83
Total 3.93 8.41 19.14 32.28 57.75

 

Tous les produits pétroliers ne contribuent pas également à cette croissance :

– la part du kérosène qui domine en 1951, 27% de la consommation pétrolière totale, décline assez régulièrement jusqu’à 6% en 1990-91, au fur et à mesure de l’abandon des lampes et réchauds à huile sous l’effet de l’urbanisation ou de l’accès à l’électricité dans les campagnes[22] ;

– la part des carburants, en revanche, se renforce, de 39% en 1951 à 45% en 1990-91, mais alors que la croissance de la consommation d’essence ne dépasse pas 3,8% par an sur toute la période, celle des diésels (high speed et light) avoisine 10% et aboutit à une part de ces produits largement supérieure en Inde (47% de la consommation pétrolière totale en 1972) à ce qu’elle est aux Etats-Unis (29%) et en Europe occidentale (32%) ; en cause, une diésélisation de plus en plus accentuée des transports ferroviaires, fluviaux, maritimes et surtout routiers (78% de la consommation de high speed en 1978), parallèlement à la diffusion de petits groupes électrogènes utilisés dans l’industrie et le pompage de l’eau dans les campagnes ;

– de leur côté, les fuels progressent de 6% par an, en moyenne, notamment dans la thermoélectricité, mais ils perdent du terrain en passant de 23% de la consommation pétrolière totale en 1951 à 16% en 1990-91, parce qu’en compétition avec du charbon minéral moins cher dans les gros usages thermiques ;

– restent les produits pétroliers utilisés à d’autres fins que la combustion, tels que les lubrifiants, les goudrons ou le naphta pour l’industrie chimique de plus en plus consommé avec l’expansion de cette dernière à partir des années 1960 ; leur part ne dépassera cependant pas 8% de la consommation pétrolière totale en 1990-91.

En réponse à la croissance de ces marchés, l’Inde développe d’abord son raffinage, puis s’efforce de réduire ses importations de brut par l’expansion de son extraction de pétrole brut.

5.2. Le développement du raffinage

Très tôt, au cours des deux dernières décennies du 19ème siècle, l’Inde avait tenté de répondre à sa demande de kérosène par du pétrole extrait de son sous-sol, via la Burmah Oil Company (BOC) exploitant et raffinant à Digboi le brut extrait dans l’Assam et le Punjab. Cependant, en se rapprochant de l’Anglo-persian Oil Company, devenue British Petroleum (BP), la BOC avait préféré, entre les deux guerres mondiales, importer du brut et des produits pétroliers iraniens (Lire : L’énergie en Inde, la genèse de sa puissante industrie charbonnière).

Résultat, la capacité de raffinage indienne n’évolue plus. Au début des années 1950, les 3,93 Mt de produits pétroliers consommés sont importées à 95% par des sociétés étrangères qui imposent leurs produits à des prix exceptionnellement élevés. « Ainsi, en 1956, le prix de l’essence en Inde (frais de transport et taxes intérieures non compris) était plus élevé de 35% qu’à Londres, malgré la proximité des sources de ravitaillement »[23]. La nouvelle hausse de juin 1957 coûte plus de 60 millions de Reis (MRs) au consommateur indien et contribue au déficit croissant du commerce extérieur.

Pour limiter une telle dépendance de l’importation de produits pétroliers, le développement du raffinage s’impose. Les 0,30 Mt raffinés en 1950 atteindront 20,81 en 1974 et plus de 50 en 1990. Cette expansion s’est appuyée d’abord sur des investissements privés, puis publics à partir du milieu des années 1960 et finalement mixtes (tableau 8).

 

Tableau 8. Origine des capacités de raffinage. [Source : P.H. Henserson. India, op. cit, p. 58]. Les données ci-dessus correspondent à la production, légèrement inférieure à la capacité qui en 1974 atteint 24,5 Mt.

 

Mt 1950 1960 1970 1974 1978/79
Privé 0.30 6.09  7.47 5.68
Public  6.34 7.28
Mixte  4.65 7.85
Total 0.30 6.09 18.46 20.81 32.40

 

Les trois raffineries en activité au cours de la deuxième moitié des années 1950 sont celles de Burmah Shell et d’Esso à Mumba, et celle de Caltex à Vishakhapatnam sur la côte Est (figure 7). Ce parc est complété au cours de la décennie suivante par les deux raffineries publiques dont la construction a été décidée dans le cadre du Deuxième Plan, à savoir celle de Nunmati ou Gauhati (Assam) avec l’aide de la Roumanie, celle de Barauni (Bihar) avec l’aide de l’Union Soviétique et celle de Koyali (Gujarat). Toutes ces raffineries seront exploitées par l’Indian Refineries Private Ltd (IRPL) au capital de 300 MRs jusqu’à son intégration dans l’Indian Oil Company (IOC), dite aussi Oil Indian Ltd (OIL), créée en juin 1959.

 

Raffinerie Vishakhapatnam

Figure 7. Raffinerie de Vishakhapatnam. [Source :  https://www.alamyimages.fr/photo-image-raffinerie-de-petrole-visakhapatnam-andhra-pradesh-inde-asie-90376217.html]

 

C’est à cette date que commence aussi la production des diverses raffineries construites conjointement à l’aide de capitaux publics et privés : celle de Cochin contrôlée à 52,4% par le secteur public et à 26,4% par Phillips Petroleum ; celle de Madras qui l’est à 74% par le premier et à 13% chacune par la National Iranian Oil Company et l’Amoco. Cette mixité privé-public est complétée par les prises de participation de l’Etat dans les compagnies de raffinage d’Esso, Caltex et Shell. Suivront, au cours des années 1970, outre l’extension des capacités de Barauni, Madras et Koyali (+4,3 Mt), la construction des nouvelles raffineries de Haldia (2,5 Mt), Bongaigon (1,0 Mt) et Mathura (6,0 Mt).

Le principal résultat de ces développements est la chute de la part des produits pétroliers importés dans la consommation totale, de 90% en 1950 à environ 15% en 1980. Il n’en va pas de même de l’extraction du brut destiné à ce raffinage.

5.3. Le difficile essor de l’extraction de brut

Au lendemain de l’Indépendance, la production de pétrole brut, quasi- totalement sous contrôle d’une entreprise privée, l’Assam Oil Company (AOC), filiale de la BOC, n’est pas prioritaire dans les projets de développement industriel financés par des crédits publics. Au cours du Premier Plan quinquennal (1951-56), 450 MReis, soit 15% des crédits publics totaux, sont consacrés au développement du raffinage mais la production de brut ne figure pas dans l’énumération des activités financées. L’exploration bénéficie cependant de quelques initiatives :

– un programme de recherche géologique et minière est confié à plusieurs organismes : le Geological Survey of India (GSI), l’Indian Bureau of Mines (IBM), la Commission du Pétrole et du Gaz naturel ainsi que divers laboratoires nationaux ;

– au terme d’un accord conclu en 1953 et 1955, l’Etat indien s’associe aux recherches entreprises dans le Bengale occidental par la Standard Vacuum Oil Company Ltd ;

– des licences de recherche et d’exploitation sont accordées à l’AOC dont la production croît au cours de la première moitié des années 1950.

Avec le Deuxième Plan (1956-61), l’intérêt public pour le pétrole s’accroît. Suite à la création en 1955 d’une Division du Pétrole et du Gaz naturel auprès du ministère des Ressources Naturelles, puis d’un ministère des Mines et des Combustibles :

– environ 70 MRs de crédits publics sont consacrés à la recherche pétrolière qui, par ailleurs, bénéficie d’une importante coopération de l’Union Soviétique ;

– la Oil and Natural Gas Commission (ONGC), créée en 1956, bénéficie de droits exclusifs d’exploration et de production dans tous les bassins onshore, à l’exception des quelques zones de l’Assam réservées à l’AOC et à l’IOC ;

– un accord est conclu entre l’Etat et la BOC pour exploiter un nouveau gisement découvert dans l’Assam, construire et utiliser un oléoduc.

Résultat : après la quasi-stagnation des années 1950, la production de brut est multipliée par plus de dix au cours des années 1960, puis, à nouveau par cinq au cours des décennies suivantes. Sous la houlette de l’ONGC et de l’IOC, la production indienne de brut est devenue très majoritairement publique (tableau 9).

 

Tableau 9. Évolution de la production de pétrole brut. [Source : jusqu’à 1974, P.D. Henderson. India, op. cit, p. 56]. Pour la suite : Energy Statistics, op. cit. Malheureusement, cet annuaire ne précise pas la part de chaque compagnie.

 

Mt AOC IOC ou OIL ONCG Total
1951 0.269  0.269
1956 0.307 0.089  0.396
1961 0.184 0.319 0.010  0.513
1965 0.158 1.742 1.122  3.022
1970 0.107 3.070 3.632  6.809
1974 0.072 3.080 4.338  7.490
1980/81 10.510
1985/86 30.170
1990/91 33.020

 

Cette production est cependant encore très loin de satisfaire une demande qui tend vers 20 Mt au début des années 1970, puis vers 60 Mt en 1990 (tableau 8), ce qui contraint à des importations de plus en plus coûteuses[24]. Alors que l’AOC se limite à exploiter le champ de Digboi, dans l’Assam, et que l’IOC est cantonnée sur 3% de ce même territoire, l’ONGC accentue ses efforts d’exploration onshore et offshore.

Sur le territoire indien, l’entreprise entame le développement de la zone Mumbai High, dans le bassin de Cambay, que les géologues soviétiques avaient estimé digne d’intérêt tant en termes de réserves que de coûts d’exploitation plus avantageux que ceux de l’Assam.

Hors de l’Inde, l’ONGC noue des alliances avec des compagnies étrangères en vue de contrôler des sources de brut :

– sa filiale privée Hydrocarbons India Ltd s’associe avec la National Iranian Oil Company (NIOC), l’Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) et la Phillips Petroleum Company, pour explorer 8 000 km2 en offshore dans le Golfe ;

– en novembre 1973, l’Iraq National Oil Company (INOC) confie à l’ONGC l’exploration de 4 500 km2 à proximité de la zone neutre du Koweit.

Au lendemain du premier choc pétrolier de 1973, 45% des crédits initialement inscrits au 5ème Plan sont destinés à l’exploration dont sont attendues 8,4 Mt de l’ONGC qui doivent permettre de porter à 11,4 Mt en 1978/79 la production nationale de 7,2 Mt en 1973/74. Compte-tenu de la possible réduction des volumes extraits à Ankleshwar (Gujarat), l’ONGC devra pousser les feux dans l’Assam, via des forages à grande profondeur (4 500 mètres), sur les nouveaux champs mis en exploitation tant en onshore qu’en offshore dans le bassin de Cambay et sur l’extension de ses oléoducs, dont celui de Salaya-Koyali-Mathura (1 400 km) entre la côte du Gujarat et le nord de New Dehli.

 

6. L’accès au gaz naturel à partir des années 1980

Jusqu’aux années 1980, avec des consommations annuelles inférieures à 1 Mtep, le gaz naturel compte peu dans le bilan énergétique indien (tableau 3).

Côté demande, deux utilisations dominent, la production d’électricité et celle d’engrais azotés, mais alors que la part de la première recule de 40 à 28%, celle de la seconde s’accroît de 29 à 44%, entre 1970 et 1990. Le reste est destiné à l’industrie et aux ménages, mais la part de ces derniers ne dépasse jamais 10%[25].

Côté offre, jusqu’à la fin des années 1970, le gaz naturel provient de son association à la production de pétrole brut de l’Assam ou des petites quantités de gaz sec en provenance du bassin de Cambay dans le Gujarat[26]. Du fait de cette origine, et en l’absence d’un réseau de transport, plus de la moitié de la production brute est soit réinjectée soit surtout brûlée en torchères (tableau 10).

 

Tableau 10. De la production à la production nette (consommation) de gaz naturel. [Source : Energy Statistics 2013, p. 29]. Les statistiques indiennes assimilent production nette et consommation. Notons quelques légères différences de production d’avec d’autres données : 139 Mm3 (0,4% de la consommation de sources commerciales) en 1960 ; 400 Mm3 (0,7%) en 1965. Darmstadter Joel (1971). Energy, op. cit, pp. 641 et 677. Elle atteint 1,4 Gm3 en 1980.

 

Gm3 Production brute Réinjection Torchères Production nette
1965 0.74 0.39 0.35
1970/71 1.45 0.04 0.76 0.65
1975/76 2.37 0.16 1.08 1.13
1980/81 2.36 0.07 0.77 1.52
1985/86 8.13 0.07 3.12 4.94
1990/91 18.00 0.10 5.13 12.77

 

La trajectoire de production brute s’infléchit à la hausse au cours de la deuxième moitié des années 1970, suite à la mise en exploitation du gisement offshore Mumbai High découvert par l’ONGC en 1974, mais les volumes extraits annuellement ne dépassent pas 20 Gm3 au début des années 1990, date de la libéralisation et des réformes de l’industrie pétrolière  Transformée d’entité administrative à la soviétique en entreprise publique, l’ONGC redouble d’efforts dans le delta du Krishna-Godavari (Andhra Pradesh) et sur la côte du Probandar (Gujarat), mais elle n’est plus seule. Gas Authority of India Ltd (GAIL), créée en 1984, a formé un consortium avec Gazprom pour explorer l’offshore du Bengale tandis que Reliance India Ltd (RIL) s’appuie sur les compétences de la canadienne Niko Resources. En outre, GAIL met en place le premier gazoduc interrégional Hazira–Vijaypur–Jagdishpur (HVJ) sur lequel se brancheront bientôt les réseaux urbains de distribution (Lire : Gaz naturel, la formation d’une grande industrie au 20ème siècle).

L’Inde pouvait-elle compléter sa production par des importations ? Dès les années 1960, l’achat de gaz iranien a été envisagé, mais jamais concrétisé au cours des décennies suivantes du fait de l’impossible traversée du Pakistan pour des raisons politiques[27].

En dépit de ces limites, un marché gazier s’organise. Tant que l’offre n’atteint pas des réseaux de distribution urbaine, les prix du gaz sont fixés par un comité d’experts, puis, à partir du milieu des années 1970, ils sont négociés entre les compagnies publiques et des groupes d’utilisateurs. Finalement, en 1987, le gouvernement institue un Administered Pricing Mechanism qui permet aux producteurs de vendre à un prix formé de leurs coûts complétés par un taux de retour sur investissement, prix qui est subventionné pour le gaz utilisé dans les Etats du Nord-Est jugés peu développés[28].

 

7. Un parc électrique en forte croissance mais toujours dominé par le thermique charbon

Outre un accès de plus en plus large aux produits pétroliers et, tardivement, au gaz naturel, les Indiens se familiarisent avec l’électricité dont l’essor de la production brute (tableau 13) autorise une croissance de la consommation de 6,4 TWh en 1950 à 190,4 TWh en 1990 (tableau 12). Qui en sont les utilisateurs ? De quelles filières provient l’électricité produite ? Comment a évolué l’organisation de l’industrie électrique, de la production à la distribution ?

7.1. L’électricité se diffuse dans l’économie et la société indiennes

Au cours des décennies 1950-60, l’électricité n’atteint que marginalement les paysans pauvres qui continuent à brûler des déchets animaux ou végétaux et du bois de feu qui tous tendent à se raréfier[29]. Son utilisation se concentre dans l’industrie et, à moindre titre, dans les services et les usages domestiques de quelques groupes urbains privilégiés (tableau 11).

 

Tableau 11. Évolution de la consommation d’électricité. [Source : jusqu’en 1970/71, P.H. Henderson, India, op. cit, p. 73, puis Energy Statistics, op. cit, p. 53.]

 

  Total (TWh) Industrie (%) Agriculture (%) Domestique (%) Services (%) Chemin de fer (%) Autres (%)
1960/61 16.9 73.7 4.9 8.8 5.0 2.7 4.9
1965/66 30.6 72.8 6.3 7.8 5.5 3.5 4.1
1970/71 48.5 67.6 10.3 8.7 6.0 3.2 4.2
1975/76 60.3 62.4 14.4 9.6 5.8 3.2 4.6
1980/81 82.8 58.0 17.5 11.1 4.9 3.3 5.1
1985/86 123.2 54.4 19.0 14.0 5.9 2.6 4.1
1990/91 190.4 44.2 26.4 16.8 5.9 2.2 4.5

 

L’usage de l’électricité, de loin le plus important, est celui de l’industrie. Au début des années 1970, les 33 TWh qu’elle consomme annuellement sont principalement destinés aux productions d’aluminium (3,6), d’acier (3,2), de coton (3,1), d’engrais (2,8), de produits chimiques (1,8), de ciment (1,4), de papier (1,1) et de machines (1,0). Au cours des 20 années qui suivent, cette croissance se poursuit mais à un rythme moindre que celui des autres usages.

Parmi eux, c’est celui de celui de l’agriculture qui est le plus élevé puisque sa part dans la consommation totale quintuple entre 1960 et 1990 sous l’effet de l’électrification des campagnes qui rend possible la diffusion des pompes électriques pour le drainage des cultures. De 21 000 pompes dans 3 100 villages électrifiés en 1950/51, leur nombre saute à 2 440 000 dans 156 000 villages en 1973-74, soit 27,5% des 570 000 que compte l’Inde à cette date. Géographiquement variable, cette électrification atteint 100% dans l’Haryana, 97% dans le Tamil Nadu, 85% dans le Kerala, et 55% dans le Punjab[30]. Cette forte croissance est encore renforcée par la création en 1970 de la Rural Electricity Corporation (REC) qui prête des ressources aux State Electricity Boards (SEBs). Le nombre de villages électrifiés va ainsi passer à 249 799 en 1980 et 470 838 en 1990.

Le troisième usage de l’électricité en forte croissance est celui des services urbains (tramway, éclairage, commerces, administrations) et des ménages à revenu élevé dont la part, stable jusqu’à la décennie 1980, croît très rapidement ensuite avec le développement des réseaux de distribution.

Mais d’où vient cette électricité ? Comment est-elle produite ?

7.2. Un parc de production toujours dominé par le thermique charbon

Jusqu’au début des années 1980, la production d’électricité n’a pratiquement que deux sources, l’hydroélectricité et le thermique charbon (tableau 12), le reste provenant de petits groupes diesel disséminés sur tout le territoire (on en comptait déjà plus de 400 en 1952) ou des quelques centrales brûlant du fuel-oil à Mumbai, dans le Gujarat et dans le Bihar. A partir de cette date, trois nouvelles filières entrent en jeu : la thermoélectricité-gaz, le nucléaire et, de façon très marginale, le solaire photovoltaïque et l’éolien. Aucune de toutes ces filières ne pourra cependant détrôner le thermique-charbon dont la part croît de 60% en 1950 à 66% en 1990, en dépit de difficulté d’approvisionnement comme celles rencontrées avec le lignite du Tamil Nadu.

 

Tableau 12. Évolution de la production d’électricité. [Source : Energy Statistics, op. cit. Ces données diffèrent très légèrement certaines années de celles du BP Statistical Review.]

 

TWh Total Hydro Thermique charbon Thermique hydrocarb. Nucléaire Autres Tcam total (%)
1950   7.1  2.5   4.3  0.3
1955  10.9  3.8   6.8  0.3  9.0
1960  20.1  7.8  11.9  0.4 13.0
1965  36.8 19.2  17.2  0.4 12.9
1970  61.2 30.4  29.1  0.4 1.3 10.7
1975  85.9 39.7  43.6  0.5 2.1  7.0
1980 119.3 55.4  60.5  1.0 2.4  6.7
1985 186.4 51.8 116.0 13.7 4.5  9.3
1990 287.8 66.4 191.6 23.3 6.4 0.2  9.1

 
Cette croissance de la production brute s’est appuyée sur l’extension d’un parc de production qui atteint 64 GW en fin de période (tableau 13).

 

Tableau 13. Évolution du parc de production électrique 1950-1990. [Source : Energy Statistics, op. cit. et Government of India. Ministry of Power. Growth of Electricity sector in India from 1947-2020. October 2020, 75 p.]

 

MWe Charbon Gaz Diesel Nucléaire Hydro Renouvelables Total Tcam %
1947  756  98  508  1 362
1950   1 104 149  560  1 713 7.9
1956   1 597 228  1 060  2 886 9.1
1961   2 436 300  1 917  4 653 8.6
1966   4 417   137 352  4 124  9 027 14.2
1974   8 652   165 241  640  6 966 16 664 6.2
1979 14 875   168 164  640 10 833 26 680 9.9
1985 26 311   542 177 1 095 14 460 42 585 8.1
1990 41 236 2 343 165 1 565 18 307 63 636 8.4

Les capacités de production hydrauliques sont déjà très importantes en 1950 (37% du parc) parce que le potentiel hydraulique indien, compris entre 6 et 13 GW, avait commencé à être exploité dès la fin du 19ème siècle avec la construction de grands projets tels les 400 kW de Crompton à Darjeeling (West Bengale) dès 1897, puis les 15 MW de Cauvery Falls (Karnataka) et surtout les 45 MW de la Tata Hydro-Electric Power Supply Co Ltd, installés sur des réservoirs de 300 millions de m3 (Mm3) alimentés par la mousson, dans les Ghats à 80 km environ de Bombay. Inaugurée en 1915, la centrale de Khopoli était constituée de quatre turbines Pelton de 10,25 MW chacune fournissant un courant transporté en 100 000 volts sur 70 km vers les déjà nombreuses usines de Bombay (Lire : L’énergie en Inde, la genèse de sa puissante industrie charbonnière). Par la suite, les aménagements se sont poursuivis, au rythme annuel moyen de 8,7%, bien que les conditions climatiques et géologiques difficiles des régions sub-himalayennes (70% des capacités hydrauliques totales) aient augmenté le coût déjà lourd de l’investissement initial. Parmi les grands projets mis en chantier après 1950 : Damodar (dans le West Bengal), Hirakud (Orissa), Bhakra et Nangal (dans le Punjab et l’Haryana), Kosi (Northern Bihar et Népal) et Tungabhadra (Andhra Pradesh et Mysore)[31].

L’Inde est le premier pays d’Asie à s’être lancée dans le production électronucléaire avec la mise en service de son réacteur à eau bouillante de Tarapur en 1969 et de son Candu canadien en 1973, mais en raison de la dimension militaire de son programme, dans un contexte de tension avec le Pakistan, elle n’a pu continuer sur sa lancée initiale[32]. Frappée d’embargo à partir de l’explosion de sa première bombe atomique dans le désert du Thar en 1974, elle n’a jamais voulu signer le Traité de Non-Prolifération (TNP) ce qui lui a théoriquement interdit tout commerce de matière nucléaire, civile ou militaire (Lire : La non-prolifération des armes nucléaires). Elle a donc privilégié une technologie nationale capable de fonctionner à base de thorium dont elle détient de vastes réserves au prix d’une croissance de sa puissance installée beaucoup plus lente que celle des autres grands pays asiatiques. Cette voie n’a pas été abandonnée puisque, ultérieurement, début novembre 2011 elle annoncera la construction d’un nouveau prototype au thorium à faible radioactivité.

Au démarrage du parc nucléaire s’ajoutent, à partir de 1980, des capacités thermoélectriques alimentées par le gaz désormais disponibles au large de Mumbai et dans le Gujarat.

Jusqu’à cette date, le parc indien s’est donc développé essentiellement sur une base thermoélectrique-charbon, la moins chère, la plus rapide à mettre en œuvre et la mieux maîtrisée par la Bhavat Electricals Ltd (BHEL), principal fournisseur d’équipements électriques, ce, en dépit la faible efficacité de la consommation de charbon (en moyenne 680 gr/kWh, contre 340 au Japon), imputable à la mauvaise qualité des combustibles et à une gestion défectueuse du parc de centrales (facteur de charge de 66% en moyenne contre 85-90% dans les pays industriellement avancés, entre autres). A quoi s’ajoute, mais ceci vaut pour toute la consommation d’électricité, un taux de perte anormalement élevé des réseaux de transport et de distribution (jusqu’à 23% en 1990), dû en partie au vol de courant.

7.3. Evolution de l’organisation de l’industrie électrique

Le développement du système électrique indien n’aurait pas été concevable sans une évolution de ses institutions.

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, production, transport et distribution sont toujours régies par la loi de 1910, inspirée de l’Electrical Lighting Act britannique de 1888, qui donne tout pouvoir aux autorités locales. Dans ce contexte, de multiples entreprises électriques ont été créées. Elles vont des grands groupes industriels tels Tata Power Co à Bombay ou Calcutta Electric Supply Corporation (CESC) aux petites compagnies gérant une mini-centrale et un réseau de distribution de ville ou même de quartier. Les interconnexions entre toutes ces entreprises sont quasi-inexistantes[33].

Cette organisation de l’industrie électrique n’est pas bouleversée par l’Indépendance politique de 1947 mais complétée, dès 1948, par l’Electricity Supply Act qui institue la Central Electricity Authority (CEA) chargée de développer une industrie publique à l’échelle nationale en s’appuyant sur des State Electric Boards (SEBs) à qui incombent les investissements dans chaque Etat. En 1990, l’Inde en comptera 18 sur les 25 Etats de l’Union.

Entre temps, conscientes des faiblesses engendrées par l’émiettement du système électriques, la plupart de ces SEBs, restées distributrices à l’échelle de leur Etat, ont mis en place de grandes compagnies publiques, pour produire et transporter le courant :

– la National Thermal Power Corporation (NTPC), mise en place en 1975 pour développer la thermoélectricité,

– la National HydroElectric Power Corporation (NHPC), en charge de l’hydroélectricité, de l’éolien et de l’énergie des marées,

– la Power Grid Corporation, en charge, à partir de 1989, de la haute tension, dans le cadre d’un réseau de transport qui passera de 23 238 km en 1948 à 4 407 501 en 1990.

A la production de ces grandes compagnies publiques qui, en 1990, représente plus de 80% de l’électricité produite en Inde, s’ajoute celle

– des grandes compagnies privées, à la fois productrices et distributrices : Tata Electric Company, Ahmedabad Electric Supply Company, Surat Electricity Supply Company, Bombay Suburban Supply Company, Calcutta Electric Supply Corporation ;

– des auto-producteurs, via notamment les groupes diésel, dont la contribution ne dépassera jamais 10% de la production brute.

Propos d’étape

Au début de la décennie 1990, l’économie étatisée construite depuis l’Indépendance de 1947 touche à sa fin. En un peu plus de quarante ans, le goulot d’étranglement énergétique a été desserré. Les 100 Mtep de consommation d’énergie primaire de 1950 ont été multiplié par presque quatre, dont 54% à partir de sources modernes au lieu de 20%. Pour y parvenir, l’industrie charbonnière a été totalement réorganisée, une industrie des hydrocarbures, pétrole et gaz naturel, mise sur pied, une industrie électrique structurée.

Tout est cependant loin d’être parfait. En dépit d’une électrification rurale à marche forcée, les campagnes indiennes dépendent encore de sources traditionnelles limitées, surtout dans une perspective de protection de l’environnement. A partir de mi-1980, la production de charbon ne suit plus la consommation, celle de pétrole reste toujours très insuffisante et celle de l’électricité handicapée tant par manque de capacités adaptées aux besoins que de moyens de transport et de distribution. En témoignent les coupures de courant qui paralysent régulièrement la plupart des villes indiennes.

Parmi les nombreuses causes de ces déficiences, l’étatisation du système énergétique est de plus en plus montrée du doigt. Il faut le libéraliser, entend-on, de divers côtés. La nomination de P.V. Narasimba Rao comme premier ministre et de Manmohan Singh comme ministre des finances répond à cette attente (Lire : L’énergie en Inde, la libéralisation des années 2000 et ses conséquences, en préparation).

 

Notes & références

[1] L’estimation est en dollars internationaux Geary-Kharmis de 1990. Maddison Angus (2001). L’économie mondiale. Une perspective millénaire. Paris : OCDE, 400 p. (p. 322).

[2] Sukhamoy Chakravarty (1934-1990), qui fut aux côtés de P.C. Mahalanobis l’un des principaux acteurs de la planification indienne, évoque fort bien la genèse des idées économiques de Nehru, modernisateur par excellence, dans le premier des articles réunis par Ignacy Sachs, in Chakravarty Sukhamoy. (1987). La planification du développement économique. L’expérience indienne. Paris : Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 151 p.

[3] Jaffrelot Christophe (1996). L’Inde contemporaine de 1950 à nos jours. Paris : Fayard, 742 p (pp. 86-87).

[4] Boillot Jean-Jacques (1985). Industrialisation et ouverture de l’Inde 1950-1985. Full text CEPII, pp. 61-94, in Google

[5] La superposition des années s’explique par le début de l’année civile indienne le 1er avril. Le premier plan commence le 1er avril 1951 pour s’achever le 31 mars 1956, et ainsi de suite.

[6] Existait-il une autre solution pour desserrer le goulet d’étranglement de l’approvisionnement charbonnier ? Gilbert Etienne le pense en jugeant que c’est « par démagogie » qu’Indira Gandhi a nationalisé les charbonnages et les banques. Etienne Gilbert (2007). Chine-Inde, la grande compétition. Paris : Dunod, 224 p. (p. 56).

[7] Etienne Gilbert (2007). Chine-Inde,op. cit, p. 11.

[8] Judge Ahluwalia Isher (1985). Industrial growth in India. Oxford University Press, 234 p (p. 77).

[9] Les données statistiques sur l’industrie du charbon sont tirées de Etemad Bouda et Jean Luciani (1991). World Energy Production, Genève, Librairie Droz, 272. Elles ont été complétées après 1985 par les données du Coal Information de l’International Energy Agency. Ces données sont identiques à celles publiées par le Ministère indien du charbon, sauf pour les volumes de cokéfiable toujours supérieurs de 10 Mt/an à partir de 1985.

[10] Sauf l’une d’entre elles, le Central Mine Planning and Design Institute Limited qui est au service des sept autres.

[11] Par manque d’informations, il est difficile de traiter des mines illégales, exploitées par de petits paysans dans les régions où les affleurements rendent cette exploitation possible. Il semble que ces mines n’aient jamais eu en Inde une importance comparable à celle de la Chine mais on ne saurait les ignorer. Lahiri-Dutt K. Informal coal mining in Eastern India: Evidence from the Ranaiganj Coalbelt. Natural Resources Forum, February 2003, vol. 27, n°1, pp. 68-77.

[12] Henderson P.D (1975). India: The Energy Sector. A World Bank Publication by the Oxford University Press, 190 p, (p. 100).

[13] Henderson P.D. India, op. cit, p. 101.

[14] Une description détaillée des techniques de production utilisées par chaque entreprise est donnée par Coal Industry Advisory Board (CIAB). Coal in the Energy Supply of India. Paris: OECD, 2002, 115 p.

[15] « Longwall applications have been beleaguered by a wide array of problems including design shortfalls with inappropriate selection of sites with geological surprises, inappropriate selection of equipment, lack of outbye clearance, and the overall efforts have been bedevilled also by a lack of mechanisation culture” selon le professeur A.K. Ghose de l’Indian School of Mines. Inside Brief, op. cit, p. 2.

[16] Bettelheim Charles (1962). L’Inde indépendante. Paris: Armand Colin, 522 p, (pp. 324-325).

[17] Inside Brief: India. International Coal Report, 11th November 1994. Cet article donne la liste des installations de lavage des cokéfiables entre 1958 (Kargali) et 1989 (Mohuda).

[18] Une carte des principales localisations industrielles en 1947 figure dans Tomlinson B.R. India, op. cit, p. 96. La sidérurgie reste concentrée près des mines de charbon sur les sites de Asansol et de Jamshedpur. Les cimenteries sont réparties sur tout le territoire.

[19] Ce que fait Isher Judge Ahluwalia. Industrial Growth in India. Stagnation since the mid-sixties. Delhi: Oxford University Press, 1985, 235 p (pp. 76-87).

[20] On trouve dans Headrick Daniel R. (1988). The Tentacles of progress. Oxford University Press, 406 p (pp. 58-68), l’histoire détaillée des origines de cette aberration.

[21] Etienne Gilbert. Chine-Inde, op. cit, p. 140.

[22] Et vraisemblablement aussi du recul de son utilisation comme carburant jusqu’au milieu des années 1970 lorsque sa taxation a été alignée sur celle du diésel. P.D. Henderson, India, op. cit, p. 53.

[23] Bettelheim Charles. L’Inde, op. cit, pp. 322-324.

[24] Déjà en 1959, l’Inde dépensait plus de 25% de ses recettes d’exportations en achat de pétrole et de produits pétroliers ou d’équipements destinés à l’industrie pétrolière. A défaut d’une expansion rapide de la production de brut, le ministre Malaviya prévoyait qu’à la fin du 3ème Plan quinquennal, l’Inde devrait consacrer 60% de ses recettes d’exportation à l’achat de brut. Charles Bettelheim. L’Inde, op. cit, p. 324. Cette situation a évidemment empiré lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979.

[25] Azhar Muhammad (2007). Natural gas in India’s energy management. OPEC Review, vol XXXI, 1, pp. 53-72.

[26] Henderson P.D (1975). India, op. cit.

[27] Verma Shiv Kumar (2007). Energy geopolitics and Iran-Pakistan-India gas pipeline. Energy Policy, vol. 37, issue 6, June, 3281-3301.

[28] Jain Anil and Sen Anupama (2011). Natural gas in India: an analysis of policy. The Oxford Institute for Energy Study, Apri, 45 p.

[29] Lucas Nigel J.D. L’Inde : quelques aspects de la politique énergétique (pp. 203-220). Energie Internationale, 1988-1989. Paris: Economica, 1988, 422 p. Pachauri R.K. India’s Energy Challenge. Public Policy Research, September-December 2006, pp. 200-205.

[30] Henderson P.D. India, op. cit, p. 74.

[31] Lanthier Pierre. Les quatre phases de l’histoire de l’électricité en Inde de 1890 à nos jours. https://www.peterlang.com/view/9782807600287/chapter26.xhtml

[32] Cet intérêt pour l’électronucléaire remontait à l’institution en 1948 de l’Atomic Energy Commission, puis en 1957 des premiers réacteurs de recherche dont Apsara en 1957.

[33] Lanthier Pierre. Les quatre phases, op. cit.

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