L’Agence Internationale de l’Énergie : genèse, rôle et actions

Les risques associés à des accidents d’approvisionnement du monde en énergie justifient un suivi attentif, ce que fait l’Agence Internationale de l’Énergie. Dans quelles circonstances a-t-elle vu le jour ? Qui sont ses membres ? Quel rôle joue-t-elle ? Par quels moyens peut-elle prévenir d’éventuels dysfonctionnements ?

L’Agence internationale de l’énergie (AIE), plus connue hors de France sous son acronyme anglais International Energy Agency (IEA) est une organisation intergouvernementale créée en 1974 entre 17 États membres de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE) qui regroupe les pays les plus industrialisés et à économie de marché.

 

1. Origine et organisation

La création de l’Agence a été la conséquence de la crise pétrolière de 1973, au cours de laquelle l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) avait organisé un embargo sur les exportations de pétrole à destination des États-Unis et des Pays-Bas, qui avaient soutenu Israël lors de la guerre du Kippour (Lire : Qu’est-ce que l’OPEP ?).

Les États-Unis se rendirent compte qu’ils étaient mal préparés à ce genre de crise et qu’il n’était pas concevable qu’ils en soient une nouvelle fois affectés. Sous l’impulsion très active du secrétaire d’État Henry Kissinger, ils convainquirent donc un certain nombre de pays de l’OCDE de la nécessité de disposer de stocks d’urgence de pétrole ou de produits pétroliers et d’en confier la gestion collective, et donc l’utilisation éventuelle en cas de crise, à un secrétariat placé sous la responsabilité d’un organisme dépendant de l’OCDE.

Un accord sur un programme international de l’énergie (International Energy Program- IEP) fut signé le 18 novembre 1974. Il comportait la création d’une agence autonome, c’est-à-dire disposant de son propre budget et de son propre conseil d’administration, le Governing Board, composé des représentants des États membres, hébergée par l’OCDE et ayant donc son siège à Paris. L’accord disposait également que chaque Etat membre s’obligeait à conserver sur son territoire des stocks de pétrole ou de produits pétroliers égaux à au moins quatre-vingt-dix jours d’importation nette, selon des modalités laissées à la discrétion de chaque pays.

Les 17 États signataires à l’origine étaient l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, les États-Unis, l’Irlande, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse et la Turquie. La Norvège disposait d’un statut spécial en raison de sa position d’exportateur de pétrole.  Le premier président du Conseil d’administration fut le ministre belge des affaires étrangères Étienne Davignon (figure 1).

 

Figure 1. Étienne Davignon. [Source : © Institut Jacques Delors. https://institutdelors.eu/wp-content/uploads/2020/08/etienne-davignon]

Parmi les pays de l’OCDE n’ayant pas souhaité à l’époque se joindre à l’Agence, le cas le plus notable était celui de la France, d’autant plus visible que le siège de l’Agence était à Paris. Cette situation s’explique par le contexte politique de ce pays au début de 1974, pendant les négociations. Le président de la République Georges Pompidou étant mourant, le dossier était traité en direct par le ministre des Affaires étrangères Michel Jobert. Ce dernier, bien que marié à une américaine, s’insurgeait contre la politique des États-Unis qu’il considérait comme hégémonique et voulait, en outre, préserver ce qu’on appelait « la politique arabe » de la France, qui pourrait être compromise par une adhésion à un organisme trop clairement anti-OPEP. Ce n’est qu’en 1992, dix-huit ans plus tard, que la France devint membre, trop tard pour pouvoir empêcher que l’anglais reste la seule langue de travail de l’Organisation. Avant ou après la France, douze autres pays de l’OCDE ont rejoint l’Agence : la Grèce (1976), la Nouvelle-Zélande (1977), l’Australie (1979), le Portugal (1981), la Finlande (1992), la Hongrie (1997), la république Tchèque (2001), la Corée du Sud (2002), la Slovaquie (2007), la Pologne (2008), l’Estonie (2014) et le Mexique (2018).

Sous la surveillance du Governing Board, l’Agence est dirigée par un directeur exécutif assisté d’un directeur exécutif adjoint. Une règle non écrite veut que le directeur exécutif soit européen et l’adjoint américain (généralement un diplomate). Si le second point a toujours été respecté, le premier a subi une exception de 2007 à 2011, avec la nomination du japonais Nobuo Tanaka. Voici la liste des directeurs exécutifs successifs : Ulf Lantzke (Allemagne, 1975), Helga Steeg (Allemagne, 1984), Robert Priddle (Royaume-Uni, 1994), Claude Mandil (France, 2003), Nobuo Tanaka (Japon, 2007), Maria van der Hoeven (Pays-Bas, 2011) et Fatih Birol (Turquie) depuis 2015 (figure 2).

 

Figure 2. Fatih Birol. [Source : © Unesco]

Les dépenses de fonctionnement sont couvertes pour l’essentiel par des contributions des Etats membres selon une clé de répartition qui tient compte de leur Produit Intérieur Brut (PIB) et de leur niveau d’importation nette de pétrole et de produits pétroliers.

 

2. Les missions de l’Agence

Le Traité constitutif du 18 novembre 1974 (IEP), bien que marqué par la priorité donnée alors à la sécurité d’approvisionnement, confère néanmoins à l’Agence, dès l’origine, la mission plus large de conseiller les Etats membres sur l’ensemble des domaines de la politique énergétique : politique à long terme, efficacité énergétique, diversification des approvisionnements, politique de recherche et de développement, transparence, communication.

Ces missions ont été maintenues depuis l’origine et ont été progressivement complétées par celle relative au développement durable et en particulier à la lutte contre le changement climatique (Lire : L’environnement dans les politiques de l’énergie). De fait, si l’organisation interne de l’agence (le « secrétariat ») a évolué en fonction des priorités et des personnalités, la mise en œuvre de la relation avec les Etats membres est restée stable depuis l’origine et repose sur quatre piliers : le conseil des Gouverneurs, les comités, les données statistiques et les publications.

2.1. Le Conseil des gouverneurs (Governing Board)

Il est composé

–  d’un représentant de chaque Etat membre,

–  mais deux pour les Etats-Unis et le Japon, les deux plus gros contributeurs,

–  auquel s’est ajouté ultérieurement un représentant de la Commission européenne (CE).

Alors que les membres du Conseil de l’OCDE sont toujours les ambassadeurs représentants permanents auprès de l’OCDE, les membres du Governing Board sont le plus souvent des hauts fonctionnaires en poste dans leurs capitales respectives, généralement des directeurs généraux de l’énergie.

Le Governing Board se réunit fréquemment (tous les deux mois en moyenne) sous la présidence d’un de ses membres, élu par ses pairs (figure 3). Tous les deux ans il est réuni au niveau ministériel, soit les ministres chargés de l’énergie.

 

Figure 3. Réunion du Governing Board. [Source : Twitter. https://www.google.com/search?q=IEA+Governing+Board&source=lnms&tbm=isch&sa]

2.2. Les comités

Le traité a prévu la création de quatre comités spécialisés, composés de représentants des administrations des Etats-membres avec, le cas échéant, la participation d’experts.  Chacun est présidé par un membre du Governing Board.

  • Le groupe permanent long terme (Standing group on long term issues – SLT), traditionnellement présidé par le représentant du département d’Etat américain, approuve notamment les projets de rapports de l’Agence relatifs aux politiques énergétiques et environnementales dont les études pays (voir ci-après).
  • Le groupe des questions d’urgence (Standing group on emergency questions – SEQ), accueille en son sein des représentants des compagnies pétrolières des Etats membres, assure la préparation de l’Agence et de ses membres à l’éventualité d’une crise des approvisionnements.
  • Le Comité sur la recherche et la technologie (Committee on Energy Research and Technology – CeRT), tente, avec un succès limité, de faciliter la coopération scientifique et technologique entre organismes de recherches des Etats membres, par l’intermédiaire d’accords-cadres (Implementing Agreements) : son rôle s’est renforcé à mesure que grandissait le nombre de rapports de l’Agence consacrés aux technologies pour la transition énergétique.
  • Le Comité pour les pays non-membres (Non-members Committee – NMC) suit les relations avec les autres principaux pays importateurs d’énergie. Plusieurs de ces pays ont rejoint l’Agence, et surtout la création en 2015 du « programme d’association » qui a ouvert les activités de l’Agence à huit grands pays consommateurs, associés sans être membres : le Brésil, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Maroc, Singapour, la Thaïlande et l’Afrique du Sud, ce qui a renforcé la représentativité de l’AIE comme Agence des pays consommateurs.

2.3. Publication de statistiques

L’AIE a considéré depuis l’origine que sa mission supposait la collecte et la diffusion de données statistiques fiables, cohérentes et transparentes pour tout ce qui concerne l’énergie dans le monde (production, consommation, échanges). Elle s’appuie sur une division statistique puissante, qui recueille notamment sous forme harmonisée les données que le Traité impose aux Etats-membres de transmettre. Ces données sont disponibles sur le site de l’Agence et sont le matériau essentiel permettant la rédaction des nombreux rapports qu’elle publie. Parmi ces rapports il faut mentionner quatre collections donnant lieu à des publications régulières.

  • L’Oil Market Report (OMR), publié tous les mois selon un calendrier annoncé à l’avance, est l’outil essentiel de tous ceux qui interviennent sur les marchés pétroliers.
  • Le World Energy Outlook (WEO), publié à l’automne de chaque année, est une somme de toute l’évolution énergétique au cours de l’année précédente, globalement, par grande zone et par Etat, avec chaque année un coup de projecteur sur une zone ou sur un thème spécifique. Plus important, le WEO établit des projections à moyen terme en bâtissant des scénarios contrastés (figure 4).

 

Figure 4. World Energy Outlook 2019, IEA

 

  • Le rapport Energy Technology Perspectives (ETP), lancé en 2005 et publié tous les deux ans, fait un point précis sur l’évolution des technologies de l’énergie, en particulier celles qui contribuent à la transition énergétique.
  • Des analyses de la politique énergétique de chaque Etat-membre (Country reviews), établies pour chaque pays tous les quatre ans, sous forme de peer review, ce qui signifie que les rapports sont établis à la suite d’une mission de deux semaines dans le pays considéré, comprenant non seulement des membres du secrétariat mais aussi des représentants d’autres Etats-membres.

 

3. Les relations avec l’OPEP

Les objectifs et les circonstances de la création de l’AIE mettaient clairement l’Agence en opposition frontale avec l’OPEP : pays consommateurs contre pays producteurs, tenants de l’économie de marché contre « cartel » d’États intervenant sur les quantités et les prix, création d’un outil de protection contre une éventuelle agression.

De fait les deux secrétariats se sont ignorés pendant deux décennies, alors même que les soubresauts des marchés pétroliers, marqués par une série de chocs et de contre-chocs, rendaient de plus en plus évidente la nécessité d’un dialogue entre producteurs et consommateurs. Ce dialogue fut lancé en dehors de l’AIE et de l’OPEP par une initiative conjointe de la France et du Venezuela, qui organisèrent en 1991 une conférence internationale à Paris. Cette conférence fut boudée par les États-Unis et l’AIE, dont les délégués se refusèrent à prendre la parole, mais elle eut suffisamment de succès pour que les participants décident de la renouveler tous les deux ans. Ces réunions sans objectif précis eurent comme effet de modifier les regards portés par les uns sur les autres, et lorsque les prix du pétrole se mirent à baisser durablement à partir de 1997, compromettant non seulement l’équilibre budgétaire des pays producteurs mais aussi la santé financière des grandes compagnies pétrolières occidentales, et donc leur incitation à investir, chacun comprit qu’il était temps de passer de l’anathème au dialogue (figure 5).

 

Figure 5. Visite des responsables de l’IEA au siège de l’OPEP à Vienne en 2018. [Source : © OPEC]

L’occasion en fut d’abord fournie par les Congrès Mondiaux du Pétrole, manifestations considérables organisées tous les trois ans par l’industrie pétrolière mondiale, compagnies nationales comme compagnies privées : le directeur général de l’AIE et le secrétaire général de l’OPEP acceptèrent de se plier à une initiative des organisateurs, à savoir un « déjeuner AIE-OPEP » au cours duquel les deux dirigeants échangeaient arguments et opinions devant les congressistes. La confiance commençait à naître. Elle fut renforcée par la gestion commune de la crise de 2003, suite à l’invasion de l’Irak par la coalition sous direction américaine.

 

4. Les interventions de l’Agence en temps de crise (jusqu’en 2007)

Dès la création de l’AIE s’est posée la question de la doctrine d’utilisation des stocks d’urgence : fallait-il mettre ces stocks à disposition des consommateurs uniquement en cas de risque de pénurie réelle à court terme, ou devait-on les utiliser également pour réduire les tensions sur les marchés en cas d’envolée des cours ?

La seconde thèse avait de nombreux partisans, notamment lors du second choc pétrolier en 1980. L’Agence et les principaux Etats-membres s’y sont toujours refusés, s’en tenant à la première thèse. L’argument invoqué était que les stocks, d’environ dix milliards de barils (Gb) étaient très largement suffisants pour compenser une pénurie de plusieurs mois, mais que pour s’opposer à des mouvements de hausse des marchés, il fallait entrer en compétition avec la spéculation qui pouvait échanger chaque jour des quantités dix fois supérieures aux consommations physiques et qu’à ce rythme les stocks seraient épuisés avant d’avoir pu servir à compenser une interruption réelle.

A ceux qui remarquaient qu’avec un tel raisonnement, les stocks d’urgence ne seraient peut-être jamais utilisés, l’Agence rétorquait qu’ils donnaient de toute façon des degrés de liberté en politique étrangère, de même qu’un filet de sécurité ne sert presque jamais, mais permet au trapéziste une exhibition plus audacieuse.

De fait les utilisations des stocks ont été très rares : en 1991 (intervention militaire alliée à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak), l’Agence a préventivement annoncé une mise sur le marché, craignant la perte des productions du Koweït et du sud de l’Irak, mais les opérations militaires furent interrompues après peu de jours et la mesure ne fut pas exécutée. En 2003 ((Invasion de l’Irak), l’AIE, le secrétariat de l’OPEP et le ministre du pétrole saoudien s’entendirent pour publier le jour même trois communiqués identiques s’engageant à ce que le marché reste approvisionné, ce qui signifiait donc que l’AIE ne libérerait ses stocks que si l’Arabie Saoudite ne parvenait pas à compenser la perte éventuelle de pétrole irakien (Lire : L‘Arabie saoudite et l’OPEP). Les cours du pétrole reprirent leur niveau normal en deux jours, confirmant ainsi la validité de la thèse du filet de sécurité.

 

Figure 6. Les ouragans Rita et Katrina. [Source : Wikipedia]

La première intervention sérieuse des stocks d’urgence eut lieu, très curieusement, à l’été 2005, pour une raison que les fondateurs n’avaient absolument pas prévue : les ouragans Rita et Katrina venaient de dévaster le sud des États-Unis et en particulier de noyer les immenses raffineries de la côte du Golfe du Mexique (figure 6). Les Etats-Unis, et plus généralement le marché mondial, ne manquèrent pas de pétrole (et les stocks d’urgence des États-Unis étaient pleins de pétrole brut) mais il n’y avait plus de raffineries disponibles pour le transformer en produits ! L’Agence libéra donc des stocks de produits raffinés, qui se trouvaient surtout en Europe, et grâce à l’excellente coopération de la chaine logistique des compagnies pétrolières, l’opération fut un succès complet et très apprécié.

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