Pétrole : le contrat de partage de production en Indonésie

L’évolution de l’économie pétrolière est indissociable de celle des contrats entre les compagnies pétrolières et les propriétaires des ressources du sous-sol. Leur évolution est retracée par Jesus Mora Contreras, professeur de l’Universidad de los Andes à Merida (Venezuela), en quatre articles tirés de son ouvrage « Contratos de exploracion y produccion de petroleo : origen y evolucion », 2012, Mérida, Universidad de Los Andes, 146 p.

Cet article publié en espagnol sous le numéro 015 : Contratos de exploración y producción de petróleo : el contrato de producción compartida, a été traduit par Daniel CAPELLE, Formation: Master 1 Traduction Spécialisée Multilingue, Université Grenoble Alpes, sous la direction de Sandrine Rol.


 

Fig. 1 : Carte de l'Indonésie - Source : Translation: User:Mutichou [CC BY 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/3.0)], via Wikimedia Commons

 

Le premier contrat moderne de partage de production (Production sharing agreement ou encore Production sharing contract) a vu le jour en Indonésie en 1966, après que le gouvernement de cette république naissante a déclaré son indépendance vis-à-vis des Pays-Bas et a mis fin au système colonial des concessions de Shell, Stanvac et Caltex (Figure 1). Ces dernières ont été remplacées par un nouveau système de contrat confiant les activités pétrolières à des compagnies publiques, au premier rang desquelles Pertamina.

Dès lors, le gouvernement indonésien a eu recours à ce type de contrat à maintes reprises sur son territoire afin de développer sur le long terme les activités d’exploration et de production de pétrole et de gaz naturel tout en coopérant étroitement avec des entreprises étrangères.

 

1. Objectifs du contrat

Le contrat initial de partage de production accordait à une compagnie pétrolière étrangère ayant remporté un appel d’offres le droit d’explorer une zone géographique  donnée pour rechercher du pétrole sur une durée initiale pouvant s’étendre jusqu’à dix ans. Pour ce faire, elle devait respecter un programme de travail et un budget de dépenses libellé en devises, approuvé par le gouvernement, sous contrôle de l’entreprise publique. La compagnie étrangère avait le droit de récupérer ses dépenses engagées, mais uniquement si elle découvrait et extrayait du pétrole provenant de gisements exploitables[1].

Le contrat prévoyait ensuite que les parties conviennent de partager le pétrole extrait de la zone d’exploration sur une durée de 20 ans, renouvelable pour 20 ans supplémentaires. Chaque partie se voyait attribuer un pourcentage du pétrole net produit, c’est-à-dire, une fois déduits les coûts et les impôts (redevances non incluses), avec une part de 65 % revenant à l’entreprise publique et de 35 % revenant à l’entreprise étrangère. La particularité de ce contrat était précisément de partager la production, et non pas les revenus, comme dans le cas des contrats de concession et d’amodiation de pétrole et de gaz qui, de ce point de vue peuvent être dits « contrats de partage des revenus ». Néanmoins, avant de procéder à la répartition du pétrole extrait, l’entreprise étrangère était en droit de récupérer jusqu’à 40 % par an de sa production pour couvrir ses coûts liés à son extraction (operating costs). Ces charges, incluant les coûts d’exploration et de production, les dépenses en capital et les frais administratifs,  étaient calculées à partir de  formules comprenant le prix auquel était vendu le baril à un port d’embarquement à l’exclusion des rabais. On parle de cost oil ou cost recovery pour désigner la part du pétrole extrait destinée à couvrir les coûts et de oil sharing pour désigner la part du pétrole extrait devant être distribuée entre les parties, après déduction des impôts. C’est ce partage qui a donné  le nom du contrat. Enfin, on parle de profit oil  pour désigner la part de la production qui rémunère l’entreprise étrangère qui a pris le risque.

 

2. L’ expérience de l’Indonésie

 

Fig. 2 : Siège de Pertamina à Jakarta - Source : Wikimédia Commons

 

Après avoir payé les impôts dus par la compagnie étrangère à un taux de 45 % de l’impôt sur le revenu, Pertamina (Figure 2) lui réglait le cost oil et le profit oil  en volumes de  brut. Par la suite, elle lui cédait le titre de propriété pour le volume d’hydrocarbure payé à un point de livraison déterminé (defined delivery point) ou à un port d’exportation particulier. Cependant, le contrat stipulait également que la compagnie étrangère avait pour obligation de mettre en vente jusqu’à 25 % de profit oil  sur le marché interne à un prix fixé par le gouvernement (0,20 $ américains le baril pour les premiers contrats).

La compagnie était obligée de privilégier le marché interne pour l’achat de biens et d’équipements ainsi que pour recruter le personnel. Elle ne pouvait importer ces ressources que lorsqu’elle ne les trouvait pas localement, pour des raisons de qualité, de quantité, de prix, de garantie de livraison dans les délais, de service après-vente pour les biens et équipements, et de qualification du personnel. Dans ce cas, l’importation des biens et d’équipements était exonérée d’impôts. Cette même obligation existait pour l’obtention d’informations techniques, sismiques et géologiques. Tous les biens et équipements acquis par la compagnie et toute information récoltée devenaient alors la propriété de la compagnie publique mais la compagnie étrangère en conservait le droit d’usage. Cette obligation était conforme au paiement prévisionnel des charges d’exploitation, mais elle n’incluait pas les équipements loués à des sous-traitants, c’est pourquoi la plupart des compagnies ont préféré la location à l’achat d’équipements.

La compagnie étrangère était tenue de verser au gouvernement un ensemble de primes (bonus), qui, dans l’industrie pétrolière, sont habituellement versées au propriétaire de la ressource naturelle, comme par exemple : la prime de signature de contrat [2],la prime pour de formation du personnel et la prime de production cumulée [3]. Ces charges non incorporables aux coûts de production pouvaient en revanche être déductibles du résultat imposable de l’entreprise. Enfin, après un certain délai, l’entreprise étrangère conservait une partie de la zone initiale et restituait la partie restante. Ces questions relevaient du droit indonésien et de sa juridiction nationale, y compris le recours à l’arbitrage.

Plus tard, le gouvernement indonésien a ajouté au contrat la clause de participation, qui obligeait l’entreprise étrangère à offrir à des partenaires indonésiens une place dans le consortium.. Il a également intégré dans l’objet du contrat les activités d’exploration et de production de gaz naturel. Le gouvernement a supprimé la limite maximale annuelle de recouvrement des coûts, pour la réintroduire par la suite (elle a atteint jusqu’à 90 % en 2014) et il  a restreint la liste des biens et services incorporables aux coûts.

Le contrat de partage de production a beaucoup évolué en Indonésie depuis sa forme originelle jusqu’à sa forme actuelle, en passant par cinq phases, toutes différentes les unes des autres par la manière de partager le pétrole produit entre les entreprises [4].

Lors de la seconde phase qui a débuté en 1976, le gouvernement indonésien a augmenté la part du pétrole partagé revenant à Pertamina à 85 % et donc réduit la part pour l’entreprise étrangère à 15 %. En revanche, durantla troisième phase (1988), le gouvernement a introduit une incitation supplémentaire pour les entreprises étrangères qui exploiteraient des hydrocarbures dans des zones d’exploitation à hauts risques (isolées ou en offshore) baptisée première tranche (First Tranche Petroleum) selon laquelle 15 à 20 % de la production revenait à l’entreprise étrangère, avant de recouvrer les dépenses engagées et sans possibilité de partage avec le gouvernement. Au cours de la quatrième phase (1994), le gouvernement a mis en place un autre moyen pour encourager les entreprises à investir dans des zones reculées et limitrophes des régions orientales du pays : il a porté à 35 % la part du pétrole à partager qui revenait aux entreprises, après paiement des impôts.

Enfin, depuis 2008,date qui a marqué le début de la cinquième et dernière phase, et donc de la dernière évolution des contrats de partage de production en Indonésie, il est établi que :

  1. la première tranche de pétrole produit (10 %) revient au gouvernement, sans partage avec les entreprises;
  2. seuls sont reconnus comme coûts d’exploitation de la zone de travail objet du contrat récupérables, ceux avalisés par le plan de développement des champs pétrolifères initiaux et à venir ;
  3. sont accordés aux entreprises des crédits les incitant à investir ;
  4. des négociations sont ouvertes pour définir la part du pétrole partagé, après règlement des impôts.

Ces derniers contrats obligent les entreprises à inclure dans leurs lignes budgétaires  des charges incorporables pour financer et réaliser des études et des programmes sur l’impact environnemental dans les zones d’exploitation et zones avoisinantes afin de :

  • financer et mettre en place des programmes de développement communautaire, en collaboration avec les gouvernements locaux ou  les communautés voisines de la zone d’exploitation;
  • et nettoyer et restaurer les sites lorsque les travaux sont achevés.

 

3. L’intérêt du partage de la production

Ces manières historiques de partager la production de pétrole en Indonésie et d’expliquer les cinq phases d’évolution de ce contrat particulier, reflètent également les deux périodes que traversent en général les pays ou régions riches en ressources naturelles non renouvelables. Une première période de croissance, au cours de laquelle le pays ou la région en question peut devenir exportateur net de ressources (c’est le cas de la Pennsylvanie et de son pétrole aux États-Unis durant la seconde moitié du 19ème siècle) et même membre d’une organisation internationale d’exportateurs (c’est le cas de l’Indonésie, membre de l’OPEP depuis 1962). Puis une seconde période de régression, au cours de laquelle ce même pays ou cette même région devient un importateur net de ressources (comme pour les deux pays mentionnés précédemment), et doit suspendre son adhésion à l’organisation internationale des exportateurs ce que le fit l’Indonésie avec l’OPEP en 2009 avant de réintégrer l’Organisation en juillet 2016 (Figure 3).

Dans certains contrats de partage de production modernes un pourcentage de la production brute à verser au gouvernement avant de recouvrer les coûts a été ajouté à la redevance (royalty). Ce pourcentage peut être fixe, variable, voire minimum. De façon générale, il fluctue selon le volume produit (sliding scale royalty) et la rentabilité du gisement mais il peut aussi être calculé en fonction des bénéfices nets de la compagnie. La compagnie étrangère est également devenue un sous-traitant de l’entreprise publique et du gouvernement, agissant ensemble comme une seule et même partie du contrat. Enfin, une clause relative au partage de production par tranche a été ajoutée. Cependant, quelle que soit la portée économique, juridique et politique de ces récentes modifications, le contrat conserve encore certains éléments des contrats formels, ce qui le rend unique. Il est depuis longtemps l’instrument juridique et économique préféré des acteurs qui y ont recours pour le développement technique de l’upstream dans des pays tels que l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Chine, le Yémen, l’Angola, la Guinée équatoriale, le Nigeria, la Tanzanie, le Gabon, l’Azerbaïdjan, Trinité-et-Tobago, le Pérou, le Guatemala, Cuba, le Brésil et peut-être le Mexique. Mais quel est l’intérêt de ces contrats pour eux ?

Ce type de contrat permet de transférer le risque financier sur l’entreprise publique [5] car c’est elle qui doit s’acquitter des impôts. Mais l’intérêt pour ce type de contrat des États qui possèdent des ressources naturelles s’explique aussi par une raison historique, « les contrats de partage de production représentent un effort important pour compenser le fameux déséquilibre entre les pays producteurs de pétrole et les compagnies pétrolières étrangères »[6]. Il y a également une autre raison pragmatique : dans ce type de contrat, l’État ne transfère ni les droits de propriété des réserves une fois découvertes ni les droits de propriété de la totalité des ressources extraites. Seuls sont cédés à la compagnie étrangère les droits de propriété de la partie des ressources extraites qui reviennent à cette dernière comme cost oil et profit oil, le reste appartient à l’État. Cette caractéristique permet de différencier le contrat de partage de production du contrat d’amodiation de pétrole et de gaz (oil and gaslease) et des concessions pétrolières, car dans ces deux contrats, la propriété de la totalité des ressources extraites à la sortie du puits (wellhead) revient en général à la compagnie pétrolière (Lire : Pétrole : les contrats d’amodiation de  pétrole et de gaz Etats-Unis et Pétrole : les anciennes concessions pétrolières du Venezuela et du Moyen-Orient).

De plus, pour les compagnies étrangères, le contrat de partage de production représente désormais une des seules options viables dont elles disposent pour explorer et exploiter le pétrole et le gaz naturel hors de l’Amérique du Nord où le contrat d’amodiation de pétrole et de gaz est privilégié. En Europe de l’Ouest, on utilise des licences et des permis alors que certains pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont recours à des contrats de co-entreprises ou joint ventures. Dans les pays membres de l’OPEP, ce type de contrat est conclu pour encourager les investissements étrangers dans l’upstream (Nigeria, Angola, Libye, Irak, Émirats Arabes Unis).

Un document de travail élaboré par la Banque mondiale relatif aux systèmes fiscaux applicables aux hydrocarbures recommandait aux gouvernements des pays producteurs de pétrole de mettre en place des systèmes fiscaux souples (avec des taux d’imposition sur les bénéfices progressifs ou avec un partage de la production), stables (sans réformes ultérieures des taux d’imposition ni création de nouveaux impôts) et neutres (suppression des redevances, des primes et des limites au recouvrement des coûts pour partager les revenus avec les compagnies étrangères [7]. Toutefois, un autre document conventionnel sur les contrats de partage de production suggérait plutôt aux gouvernements des pays producteurs de pétrole « d’imposer des redevances pour générer un flux de revenus minimum garantis » [8] car maximiser le recouvrement des frais signifie que le reliquat de pétrole à partager est moindre.

 

 

Notes et références

[1] Contrat Pertamina-IIAPCO (Independent Indonesian American Petroleum Co des États-Unis) signé le 18/08/1966, et dont la date d’échéance, après renouvellement, est prévue pour 2017.Duval Claude, Le Leuch Honoré, Pertuzio André et Jacqueline Lang Weaver, International Petroleum Agreements-1 : Politics, oilpricessteerevolution of deal forms. Oil&Gas Journal, 07/09/2009.Disponible en ligne : http://www.ogj.com/articles/print/volume-107/issue-33/general-interest/international-petroleum.html consulté le 21.03.2012.  Ce contrat a été « utilisé comme référence pour l’élaboration des contrats ultérieurs, bien que certaines de ses dispositions aient été améliorées »Fabrikant Robert (1975). Production Sharing Contracts in the Indonesian Petroleum Industry. 16 Harvard International Law Journal, pp. 303-351

[2] Entre 1 et 15 millions de dollars, par exemple. Mais, en 1999, BP, TotalFinaElf et Exxon Mobil ont versé une prime de 300 millions de dollars au gouvernement angolais pour la signature du contrat.

Kayser Mark et PulsipherAllan (2004). Fiscal system analysis: Concessionary and contractual systems used in offshore petroleum arrangements. U.S. Department of the Interior, Mineral Management Service, Gulf of Mexico OCS Region, New Orleans, La. OCSStudyMMS 2004-016. 78p.

[3] Cinq millions de dollars lorsque la production est supérieure 25 millions de barils, 10 millions de dollars à partir de 50 millions de barils, etc.

[4] PriceWaterhouseCoopers (2010). Oil and Gas in Indonesia. Investment and Taxation Guide. May

[5] Wälde Thomas (1996). International Energy Investment. Energy Law Journal, Vol 17, No. 1, pp. 191-215

[6] Fabrikant Robert. Op. Cit. p. 351

[7] Tordo Silvana (2007). Fiscal Systems for Hydrocarbons. Washington, World Bank Working Paper Nº 123.

[8] Bindeman Kirsten (1998). Production Sharing Agreements: An Economic Analysis. Oxford, U.K., Oxford Institute for Energy Studies, WPM 25, October.

 

Bibliographie complémentaire

MORA CONTRERAS Jésus (2012). Contratos de exploración y producción de petróleo: Origen y evolución. Mérida, le Conseil des publications et la faculté des sciences économiques et sociales de l’Université des Andes, avec l’appui de la Banque centrale du Venezuela, 146 p.

 


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