Des réseaux électriques aux smart grids

Des réseaux électriques aux smartgrids

Les innovations dont bénéficie l’approvisionnement en électricité ne se limitent pas aux techniques de production. Avec la libéralisation, la décentralisation et les sources renouvelables intermittentes, la conception des réseaux de transport et de distribution n’ont cessé de devenir plus intelligents. Ce qui suit en apporte la preuve.


Les réseaux électriques, après plusieurs décennies de lente évolution, sont en train de connaître un développement de grande envergure avec l’apparition des énergies renouvelables et la multiplication des acteurs issue de la libéralisation des marchés de l’énergie. La complexité croissante de leur fonctionnement va conduire à l’introduction massive d’intelligence qui entraînera le concept de smart grids.

 

1. Le nouveau paradigme énergétique

Le fonctionnement actuel des réseaux électriques est basé sur quatre segments issus de la construction du système électrique global (Lire : L’électricité : éléments essentiels, génération et transport) :

– une  production en grande majorité sous la forme d’unités de grande puissance installées en des lieux stratégiques pour leur fonctionnement en lien avec le réseau ;

– l’acheminement vers les centres de consommation par un réseau de transport hautement instrumenté et dont la gestion hiérarchisée est fortement centralisée ;

– les réseaux de distribution qui sont l’interface entre le réseau de transport et le consommateur final ; ils sont connectés au réseau de transport en des nœuds appelés poste source à travers des transformateurs et sont, pour des raisons économiques et de simplicité, le plus souvent exploités en structures radiales ; ils sont donc caractérisés, en l’absence de sources de production locales importantes, par un sens unidirectionnel de circulation de l’énergie (l’énergie circule toujours dans le même sens du transformateur vers les consommateurs) ;

– les consommateurs sont des acteurs passifs qui sont des charges non pilotables et ne contribuent aucunement à la gestion du système.

 Les trois premiers segments, bien que séparés institutionnellement avec des domaines de responsabilités clairement définies, dépendent les uns des autres et sont régis par les lois de fonctionnement physique liées notamment à l’équilibre entre la production et la consommation ou au respect des contraintes techniques. Ce système dans son ensemble a été conçu dans l’objectif de produire, transporter et distribuer l’électricité dans les meilleures conditions de qualité et d’économie. Considéré comme le système le plus complexe jamais construit par l’homme, il est composé des millions de kilomètres de lignes et câbles, de points de connexions, il intègre plusieurs niveaux de tension, un matériel de protection et de supervision sophistiqué.

Au niveau du réseau français, par exemple, il existe près de 1 300 000 km de liaisons électriques. De plus, la plupart des systèmes électriques au niveau d’un continent sont interconnectés, à l’image de l’Europe ou du continent nord américain, ce qui donne une dimension gigantesque à cet ensemble alors que son pilotage reste encore localisé au niveau de chaque pays. Le pilotage d’un tel système dans son ensemble reste en effet très centralisé et hiérarchisé au niveau de chaque compagnie d’électricité ou de chaque gestionnaire du réseau alors que les perturbations peuvent être globales. L’exemple de la perturbation du 4 novembre 2006 en Europe ne saurait être oublié : la mise hors service d’une ligne électrique dans le Nord de l’Allemagne a eu des répercutions sur l’ensemble du continent européen sous la forme, entre autres, d’une séparation de la zone interconnectée en 3 zones de fréquences différentes et d’un délestage de 5000 MWe en France. De même, en 2003, le déclenchement d’une ligne en Suisse a plongé l’ensemble de l’Italie dans le noir, peu de temps après qu’un incident de même type ait affecté les 50 millions d’usagers du Nord-Est américain. Ces incidents sont caractérisés par le fait qu’ils ont touché plusieurs États et compagnies d’électricité interconnectées mais sans système de pilotage global.

Restée relativement stable pendant près d’un siècle, cette organisation des réseaux a subi des changements profonds à la fin du 20ème siècle, notamment avec la libéralisation des marchés de l’électricité et ses conséquences en termes de multiplication d’acteurs, de partition des responsabilités, de manque de coopération entre les acteurs (Lire : La complexité des marchés électriques : les limites de la libéralisation des industries électriques). En outre, différentes instances de décision ont mis en place des incitations réglementaires en faveur des énergies renouvelables. Une partie de ces énergies est destinée à être raccordée aux réseaux de transport, comme les grandes fermes éoliennes, une autre est destinée aux réseaux de distribution et même au consommateur final. Dans ces derniers cas, on parle de production décentralisée.

Le développement de ces sources d’énergie a eu un impact fort sur le fonctionnement traditionnel des grands systèmes, tant au niveau des réseaux de transport que des réseaux de distribution (Figure 1).

Alors que les réseaux de transport, de par leur rôle spécifique dans l’équilibre global production-consommation et les impératifs de sûreté de l’ensemble du système électrique, sont déjà bien instrumentés avec des technologies avancées de mesure, de surveillance, de protection et de contrôle-commande, les réseaux de distribution ont relativement moins bénéficié de l’intégration des technologies de pointe. Ainsi, les réseaux de distribution ont été conçus différemment pour des raisons économiques de par leur nature très étendue et distribuée. En effet, dans le cadre d’une organisation  monopolistique, la fonction principale des réseaux de distribution était l’acheminement final de la ressource énergétique dans le sens descendant tout en veillant à la continuité de la fourniture et au respect des contraintes sur la tension et le courant malgré les incidents fortuits qui pouvaient survenir à son niveau (courts-circuits, foudre, surtensions de manœuvre et autres). Leur structure et l’exploitation particulière qui en découle (radiale) répondent à ces objectifs dans les meilleures conditions économiques. De fait, ces derniers n’ont pas été conçus à l’origine pour accueillir de manière massive des unités de production dites décentralisées ou distribuées (Lire : L’électricité : entre monopole et compétition).

De plus, ces dernières sont souvent de type intermittent (électricité photovoltaïque et éolienne, entre autres) ce qui implique une gestion spécifique si leur taux de pénétration devient important.

Le segment utilisateur final a également considérablement évolué. En effet, les consommateurs qui étaient jusqu’à présent passifs et n’interagissaient pas avec le système électrique sont actuellement dans un processus de mutation, notamment grâce au développement du compteur dit intelligent. Ils peuvent par exemple offrir des possibilités de modulation de charge leur permettant de participer à la résolution de certaines contraintes du réseau, la réduction des pointes de consommation notamment, ou offrir tout autre service nécessaire au système (Lire : Les compteurs communicants).

Fig. 1 : Organisation du système électrique

De plus, avec le développement de la production décentralisée, les consommateurs, peuvent, tout en étant consommateur, devenir producteurs ou se transformer en  réservoir de stockage. Le consommateur devient ainsi actif ou même pro actif lorsqu’il regroupe toutes les possibilités de modulation de charge, de production ou de stockage en fonction des conditions du marché en place, de la réglementation en vigueur ou des technologies disponibles. De même, le développement attendu du Véhicule électrique ou Hybride raccordé (VEHR) au réseau avec ses caractéristiques de charge et sa capacité de stockage va contribuer à la complexité de gestion des réseaux (Lire : L’automobile du futur : quelle source d’énergie ? et Des véhicules hybrides à l’hydrogène). Ces changements incitent les ingénieurs et les chercheurs à imaginer des solutions non traditionnelles pour répondre à ces défis et satisfaire des besoins changeants dans ce système tout en optimisant l’ensemble de la chaîne énergétique.

Fig. 2 : Impact du raccordement de productions éoliennes sur la tension des réseaux de distribution

Ces énergies sont caractérisées en particulier par leur intermittence qui rend difficile de garantir la puissance produite avec toute la précision requise lors de la préparation à la conduite ou du marché de la veille pour le lendemain (J-1) y compris avec les prévisions les plus sophistiquées dont on dispose en 2018. Dans l’hypothèse d’un manque de moyens de production de couverture (réserves suffisantes) avec les dynamiques requises pour la sécurité du système et dans l’état actuel des possibilités de stockage, le développement de ces énergies sans maîtrise des puissances de sortie peut compromettre la garantie de l’équilibre production-consommation et donc la sécurité du système électrique dans son ensemble (Figure 2).

Fig. 3 : Puissance de sortie d’une ferme éolienne sur un mois (Royaume Uni)

Fig. 4 : Puissance de sortie d’une ferme PV à Vinon sur Verdon (France 31 mai 2009)

Cette variabilité et ce manque de contrôle sur les unités de production bouleversent le schéma traditionnel de l’exploitation des réseaux électriques (Figures 3 et 4). En effet, jusqu’à présent les unités de production classiques sont parfaitement contrôlées et s’adaptent à la variation de la consommation. C’est uniquement dans les cas extrêmes que l’on a recours au délestage. Dans cette perspective où une partie grandissante de la production n’est pas maîtrisée tandis que la consommation est toujours caractérisée par sa variabilité spatiale et temporelle à laquelle s’ajoute le développement du VEHR combiné aux besoins de sécurité d’alimentation et d’efficacité énergétique, les solutions traditionnelles apparaissent inappropriées en particulier dans un contexte économique tendu (nécessité d’optimisation des investissements). C’est un défi qui doit être relevé au-delà de l’aspect « limitation des possibilités de raccordement » dans le respect des contraintes techniques et économiques.

Le réseau électrique, qui est un facilitateur et qui constitue un facteur de l’économie globale du système, grâce notamment au foisonnement de tous les moyens de production et de la livraison d’énergie à tous les consommateurs, est aujourd’hui confronté à un bouleversement aussi important que l’avènement de l’électricité. Les solutions qu’il faudra imaginer pour faire face aux défis engendrés par ces bouleversements passent par l’introduction de plus d’intelligence en s’appuyant notamment sur les technologies d’information et de communication. L’ensemble de ces considérations conduit à la notion de réseau intelligent ou smart grid (Figure 5).

Fig. 5 : Le réseau intelligent se déplace jusqu’à la maison

Il est important de noter que dans cette chaîne, pour les raisons expliquées précédemment, les réseaux de distribution sont dans une position particulière. Ils sont soumis à un changement de paradigme majeur du fait notamment de leur lien direct avec les usages traditionnels ou nouveaux (VEHR), à l’avènement de la production décentralisée souvent de type intermittent, à une exigence de préservation voire d’amélioration de la qualité de fourniture, et à l’intégration des nouvelles technologies (comptage, stockage, capteurs) dans une infrastructure existante mais qui  est de plus en plus couplée aux infrastructures des Technologies de l’information et de la communication (TIC). Les réseaux de distribution sont donc en première ligne du développement des réseaux intelligents pour permettre de donner de la valeur à tous les usages qui lui sont connectés (Lire : Le numérique au service d’une gestion dynamique de l’énergie).

 

2. Les TICs au service du réseau

Le développement récent des TICs offre pour les réseaux électriques des solutions qu’il n’était pas possible d’imaginer il y a seulement quelques années. Ainsi, la possibilité d’installer chez le client final des organes de comptage et de gestion de l’énergie qui disposent d’une communication bidirectionnelle avec les différents acteurs du réseau et même d’une intelligence embarquée change la vision d’avenir de ces réseaux. Cette interaction entre le consommateur et le système, que ce soit à travers un fournisseur d’énergie, un agrégateur, un courtier commercial ou à travers le distributeur lui-même, peut être faite à travers différents moyens de communication, mais avec un impact direct sur le système électrique (Lire : Microgrid : contribution to energy transition ou Microgrid : contribution à la transition énergétique).

Les réseaux électriques sont depuis longtemps équipés de moyens de communication ainsi que de logiciels de supervision et de pilotage sophistiqués. Cependant, ces technologies sont plutôt réservées au réseau de transport dont l’importance est prépondérante dans la sécurité globale. On trouve également des technologies avancées au niveau des postes sources tel que le poste à contrôle-commande numérique (PCCN) mais en lien avec le réseau de transport. De même, l’une des premières applications de l’Internet dans le monde professionnel a été effectuée dans le domaine des réseaux électriques notamment pour mettre à disposition des acteurs du marché de l’électricité des informations simultanées et équitables sur les capacités de transfert de puissance disponibles (Available Transmission CapabilityATC). Au-delà de cette application, les potentialités offertes par Internet ont été (et sont encore) envisagées pour divers domaines du réseau électrique comme les services basés sur le Web, les applications ne nécessitant pas le contrôle en temps réel, l’observation et le monitoring où la criticité de l’information n’est pas avérée, notamment.

Au niveau du réseau de distribution, la pénétration de ces technologies est beaucoup moins visible. Bien entendu, on peut toujours citer les signaux tarifaires à travers les courants porteurs en ligne (CPL) ou la gestion des abonnements heures creuses/pleines.  Mais la démocratisation des TICs avec les box ADSL qui apportent et regroupent plusieurs services média chez le client final, les potentialités en terme de communication bidirectionnelle qui seront engendrées par le compteur intelligent ou l’intelligence embarquée en réseau sur des composants clés sont autant d’éléments qui font apparaître tout le potentiel que ces technologies sont en mesure d’apporter à l’agilité du système électrique (Figure 6).

Fig. 6 : Communication et intelligence embarquée en réseau

Les TICs pour le réseau sont à la fois du logiciel embarqué, que ce soit au niveau des composants, des centres de pilotage, et des moyens physiques de communication (ADSL, CPL, fibre optique, GPRS, Wifi et autres). Un intérêt particulier est associé aux fonctions suivantes :

– le compteur communicant avec ses différentes variantes telles que la communication à large bande bidirectionnelle, avec ou sans logiciels de pilotage de la consommation et d’offre de service (intelligence), utilisant divers média de communication ;

– les dispositifs innovants de gestion d’énergie et des services énergétiques (appelés souvent energy box) chez le client final qui soit sont en lien avec le compteur communicant soit exploitent les potentialités de l’ADSL ;

– l’intelligence associée aux divers composants de consommation domestique, tertiaire ou industrielle en lien avec l’efficacité énergétique ou la sécurité du réseau lui-même ; l’exemple type est le délesteur intelligent associé aux appareils électroménagers en fonction de la variation de la fréquence ou de la tension ;

l’observabilité, la supervision et le pilotage du réseau en lien avec la production et la consommation ce qui concerne les capteurs intelligents et leur gestion,  la transmission et le traitement d’un volume d’information de plus en plus important et les logiciels d’aide à la conduite intégrant la sécurité en temps réel y compris au niveau des réseaux de distribution (téléconduite avancée) ;

l’intelligence portée par des objets ou dispositifs au sein du réseau électrique caractérisant la chaîne suivante : mesurer, analyser, décider, agir, communiquer ; on retrouve cette chaîne sur un ensemble d’applications qui va des dispositifs de coupure et de protection au pilotage décentralisée de la tension en passant par l’auto-cicatrisation du réseau. C’est toute l’automatisation du réseau de distribution qui est concernée avec des fonctions plus spécifiques sur des capacités de pilotage distribuées et autonomes.

Ces développements concernent donc un large éventail de technologies et touchent l’ensemble des acteurs qui interagissent au sein du système électrique. Ceci implique donc que tous ces objets, acteurs et systèmes, soient interopérables.

 

3. L’intégration des nouvelles technologies

Le changement de paradigme énoncé précédemment au niveau des réseaux de distribution, le développement des technologies d’information et de communication, la montée en puissance de certains composants de conversion d’énergie (issues de l’électronique de puissance) sont quelques éléments qui ont contribué à l’émergence de nouvelles technologies susceptibles d’avoir un impact sur l’évolution des réseaux, en particulier de distribution. À titre d’illustration, quelques unes peuvent être décrites.

– Le compteur intelligent ou communicant. Plusieurs pays se sont lancés dans le remplacement des compteurs traditionnels situés au niveau des consommateurs résidentiels par des compteurs communicants (opération impliquant le remplacement de plusieurs dizaines de millions de compteurs selon la taille du réseau). Cette évolution est rendue nécessaire, entre autres, par l’avènement de la concurrence et par la possibilité offerte au client de choisir son fournisseur d’énergie. Actuellement, le développement de ces compteurs est également lié dans certains pays, en Europe notamment, à des obligations réglementaires. Il permettra en outre  de connaître la courbe de charge ou le profil de consommation individuel des consommateurs. Bien entendu, la relève du compteur se fait à distance et pourra donc s’effectuer plus fréquemment et plus précisément. On peut donc s’attendre à une certaine optimisation dans la gestion du client final. Au-delà de ces aspects, on comprend tout le potentiel que représente un tel dispositif pour le consommateur, pour le fournisseur d’énergie et pour le gestionnaire de réseau, en terme de services additionnels entre ces acteurs : à titre d’exemple, un service d’effacement individuel de charges au niveau même de la maison tout en préservant au mieux le confort du consommateur.

Les actionneurs dans les réseaux. Ce sont en général des dispositifs, souvent à base d’électronique de puissance, qui permettent de mieux gérer les transits de puissance ou d’autres variables du réseau comme par exemple la tension. Cela peut aller jusqu’à la possibilité de gestion des architectures même du réseau par actions de bouclage et débouclage rapide, entre autres.

Les dispositifs de coupures rapides et protections intelligentes. Des progrès importants ont été accomplis dans les dispositifs de coupure comme les interrupteurs ou les organes de manœuvres télécommandables. Ainsi, les coups diminuent et la durée de vie augmente ce qui autorise des modes d’exploitation du réseau qui n’étaient pas souhaités auparavant. De plus, les protections sont de plus en plus performantes et s’auto-adaptent à leur environnement ce qui permet aussi d’envisager de nouveaux schémas d’exploitations autorisant le fonctionnement du réseau au plus près de ses limites.

Capteurs performants associés ou non aux dispositifs existants. Les réseaux de distribution sont très faiblement instrumentés en matériel de mesure ce qui pose le problème de leur observabilité. L’arrivée de capteurs peu coûteux combinés aux possibilités de communication adéquates ouvrirait des perspectives supplémentaires en terme d’observabilité et donc de possibilité de mieux contrôler le réseau de distribution en temps réel. On peut également citer certains dispositifs intégrant d’ores et déjà ces possibilités comme par exemple les indicateurs de passage de défaut communicants.

Des fonctions avancées de supervision et de contrôle des réseaux. Ces fonctions se trouvent au niveau des centres de téléconduite. Elles exploitent notamment des informations venant du réseau de distribution et permettent des actions sur ce dernier qui n’étaient pas possibles jusqu’à présent du moins sur les réseaux de distribution à structure classique arborescente.

Dispositifs de stockage de l’énergie. Même si les possibilités de stockage à grande échelle sont aujourd’hui extrêmement faibles et le coût global relativement élevé, on peut s’attendre à des développements conséquents à l’avenir notamment en lien avec le développement des énergies renouvelables de type intermittentes (Lire : La percée du stockage électrique : Quelles techniques ? Quelles fonctions économiques ? Quel futur ?).

Les TICs qui sont l’un des éléments structurant de ces nouvelles technologies dans les réseaux de distribution peuvent offrir des potentialités d’innovation et de flexibilité à très bas coût moyennant bien entendu la maîtrise des risques qui leur sont associés.

 

4. Définition d’un réseau intelligent ou smart grid

On peut trouver plusieurs définitions et visions du réseau intelligent. La plate-forme technologique européenne lancée en 2005 retient par exemple une définition très large englobant des solutions technologiques (électriques et technologies d’information et de communication), des questions de marché, la normalisation ainsi que la réglementation. Se référant à cette plate-forme technologique européenne smart grids, le concept du réseau intelligent est défini comme un « réseau d’électricité, qui intègre intelligemment les actions des producteurs et des consommateurs qui y sont connectés, afin d’offrir un approvisionnement en électricité efficace, durable et économique en toute sécurité »[1].

Le département de l’énergie de l’administration américaine donne une définition plus détaillée du réseau intelligent. Il le définit comme « un réseau auto-cicatrisant, qui permet une participation active des consommateurs, qui est résilient aux attaques malicieuses et aux catastrophes naturelles, intègre toutes les sources de production et de stockage, accommode de nouveaux produits, services et marchés, optimise l’utilisation des infrastructures et fonctionne efficacement, fournit une qualité d’alimentation pour l’économie numérique »[2].

Bien qu’il existe plusieurs définitions décrivant le réseau électrique intelligent, le concept peut se résumer comme une intégration et une convergence de l’infrastructure électrique avec de l’intelligence embarquée (logiciels, automatismes, traitement de l’information) et des moyens fiables de communication. Cette intelligence peut être déployée à divers niveaux du réseau (production, matériel réseau, consommation, dispositifs de surveillance et de contrôle). Dans ce contexte, la notion de smart grids est un développement important, mais qui peut, à partir du réseau existant, être conduite  par paliers (Figure 7).

Ce développement va très probablement induire des ajustements majeurs qui feront évoluer les métiers et les missions des différents acteurs du système électrique notamment les gestionnaires de réseau de distribution à travers la modification du mode de livraison de l’électricité à sens unique en une gestion active des flux du réseau et de l’information.

Fig. 7 : Les smart grids : convergence du physique et du numérique – Source : EPRI

4.1. Quels objectifs un réseau de transport intelligent permet-il  d’atteindre ?

Comme indiqué plus haut, les réseaux de transport ont historiquement intégré beaucoup d’intelligence pour faire face aux impératifs de sûreté de système. Cependant, le changement du paradigme énergétique les a également affecté de différentes façons.

– La libéralisation des marchés de l’énergie et la multiplicité des acteurs a un impact sur la partition des responsabilités, la gestion des acteurs qui peuvent avoir des intérêts divergents ou l’obligation d’un traitement non discriminatoire de toute décision impactant ces acteurs ; par ailleurs, la gestion de l’information dans ce cadre devient primordiale pour le pilotage du système.

– Le développement à grande échelle des énergies renouvelables comme le grand éolien qui est raccordé à ces réseaux (niveau de tension supérieur à 63 kV) et qui se développent à grande échelle, en particulier en offshore pour l’éolien. Cependant, le développement de ces énergies s’effectue également, et surtout,  au niveau de plaques continentale, comme l’Europe, impactant l’ensemble du réseau interconnecté : le développement de l’éolien en Allemagne à grande échelle, par exemple, impactera irrémédiablement l’ensemble du réseau européen.

– Au niveau plus local, le découplage traditionnel des réseaux de transport et de distribution est remis en cause avec le développement de la production décentralisée. Ainsi, ce dernier peut renvoyer, à certaines heures, de l’énergie au réseau de transport ce qui l’affectera de fait. Cependant, ces productions ne sont pas actuellement observables dans la majorité des cas et surtout sont dans la juridiction des gestionnaires de réseaux de distribution.

– La multiplicité des transactions au niveau continental (européen) et le développement à large échelle des productions intermittente nécessitent une observation continentale (européenne) de l’ensemble du réseau et une parfaite coordination des actions des gestionnaires. Les premières briques d’observation commencent à se mettre en place entre certains pays en Europe comme la plateforme CORESO [3] mais cette coopération et partage d’information doit se généraliser à plus grande échelle notamment pour inclure les informations commerciales (acteurs) et techniques sur l’ensemble des moyens de production et plus particulièrement sur les énergies intermittentes.

À ces facteurs qui sont liés les uns aux autres s’ajoutent les difficultés grandissantes de construction de nouvelles lignes aériennes ou la nécessité de faire fonctionner le réseau de plus en plus proches de leur limite de sûreté.

Les objectifs d’intelligence au niveau des réseaux de transport sont donc fortement liés à ces facteurs dans une perspective de maintien d’équilibre production-consommation. Ce sont donc des impératifs de préservation de la sûreté globale dans des conditions économiques optimales. Ils sont de fait d’une nature différente que ceux des réseaux de distribution.

4.2. Quels objectifs un réseau de distribution intelligent permet-il d’atteindre ?

Le concept du réseau intelligent doit donc faire face aux défis cités précédemment. On peut assigner des objectifs techniques en lien avec les innovations et les solutions aux problèmes posés et des objectifs socio-économiques en lien avec l’intégration du consommateur actif dans sa dimension sociétale et les modèles d’affaire liés aux transitions nécessaires de ce système vers un système plus intelligent.

4.2.1. L’évolution souhaitée des réseaux de distribution

Le mode de fonctionnement probable des réseaux de distribution dans les années qui viennent va être impacté par leur devenir qui dépend des objectifs que l’on va leur assigner. Les quatre éléments suivants peuvent caractériser les qualités que l’on attende de ces réseaux :

accessibles : les réseaux devront accueillir tous les producteurs désireux de s’y raccorder ;

économiques : l’accent sera mis sur une exploitation tirant le meilleur parti de l’infrastructure permettant des coûts optimisés au bénéfice de tous les utilisateurs ;

flexibles : la redondance des chemins sera augmentée par rapport à la construction de nouveaux ouvrages afin d’optimiser l’efficacité énergétique des chemins existants  ce qui  permet d’optimiser la réaction du réseau aux diverses perturbations qui l’affecte dans les conditions de sécurité, d’économie et de respect de l’environnement ;

fiables : afin d’assurer et d’augmenter la sécurité et la qualité de fourniture.

Compte tenu des défis cités précédemment, conjugués aux diverses contraintes inhérentes au réseau de distribution (infrastructure hautement capitalistique, difficulté de construction de nouvelles lignes, lien avec le consommateur, complexité croissante), l’évolution de ce dernier doit inclure l’intégration de certaine forme d’intelligence dans sa structure et dans sa gestion. Nombre de pays dans le monde sont en train d’intégrer cette dimension : Smart grid en Europe, Intelligrid aux États-Unis, réseau intelligent en France. L’introduction de cette nouvelle intelligence dans les réseaux de distribution est en soi un défi mais peut contribuer à plus au moins court terme à la modernisation de cette infrastructure qui, comme précisé précédemment, avait moins bénéficié, en comparaison avec le réseau de transport, des technologies avancées intégrées dans le système électrique.

Cette intelligence n’est pas dissociée des défis cités précédemment. Elle s’appuiera inévitablement sur les nouvelles technologies et permettra de développer de nouveaux concepts de gestion. Ces objectifs peuvent être la rationalisation et l’optimisation des investissements, des solutions adaptatives indispensables aux besoins changeants, des possibilités d’exploiter le réseau au plus près de ses capacités réelles, une meilleure réaction du réseau aux diverses perturbations, une réduction de la complexité et donc de la vulnérabilité, entre autres.

L’intelligence attendue peut prendre diverses formes, depuis des dispositifs intelligents insérés dans le réseau intégrant la chaîne « mesure, analyse, décision, action et communication » jusqu’au mode de gestion du système : répartition de l’intelligence, redéfinition des niveaux hiérarchiques ou processus de décision.

Bien entendu, cela nécessitera des investissements pour atteindre ces objectifs de qualité car il y a un écart important, un véritable  gap, entre l’état actuel du réseau et la cible représentant le réseau intelligent.

4.2.2. Objectifs techniques

Sur le plan technique les objectifs majeurs du réseau intelligents sont de permettre de :

– faciliter l’insertion massive des énergies renouvelables, intégrer le VEHR et permettre le stockage de l’énergie dans les meilleures conditions économiques, de sécurité et de qualité ;

– renforcer l’efficacité énergétique globale par une augmentation notable du rendement énergétique du système électrique dans son ensemble ;

– intégrer le consommateur devenu actif dans la recherche d’équilibre entre l’offre et la demande au meilleur coût ;  le consommateur final ne sera plus considéré comme passif mais plutôt pro-actif en étant aussi producteur et gestionnaire de sa consommation tout en participant à la résolution de certaines contraintes du réseau, la réduction des pointes de consommation ou offrir tout autre service nécessaire au système en fonction des conditions du marché en place, de la réglementation en vigueur ou des technologies disponibles ;

– rendre la gestion du système efficace face à la complexité croissante des informations reçues ;

– permettre une interopérabilité entre les différents acteurs et parties prenantes : entre le réseau de transport et le réseau de distribution, par exemple ;

– permettre une gestion aisée du système électrique et faire face à la complexité croissante du système électrique.

 

5. Les  acteurs concernés par la mise en œuvre du réseau intelligent

Les acteurs concernés sont nombreux et regroupent toutes les parties prenantes qui peuvent interagir ou intégrés au sein de la vision systémique des smart grids :

– en premier lieu, les consommateurs, dont les attentes doivent être prises en compte en matière de sécurité de la fourniture et de la baisse des dépenses énergétiques ; l’installation de compteurs d’énergie intelligents et communicants va transformer la nature des  consommateurs en agissant de manière active et simple tout en préservant leur confort sur leur consommation ;

les gestionnaires du réseau  qui sont responsables de la sécurité et de la qualité de l’énergie du système dans des conditions économiques acceptables et auront grâce aux dispositifs d’information et de communication des moyens accrus d’action sur le fonctionnement du réseau dont ils ont la charge ;

les constructeurs de matériel électrique qui vont installer les équipements de mesure et les matériels  destinés à assurer le fonctionnement et la sécurité des réseaux ;

les producteurs d’énergie centralisée et décentralisée qui produisant une énergie raccordée au réseau sont très intéressés au développement de ce dernier afin de ne pas subir des limitations au raccordement de leur production ;

les fournisseurs d’énergies et services qui participeront ainsi à l’organisation du système et proposer des offres de service énergétiques ;

les sociétés de services en informatique (SSI) qui déploient les logiciels et les matériels nécessaires au bon fonctionnement de l’ensemble ;

les équipementiers de systèmes de télécommunication comme fournisseurs de matériel qui équipera le réseau ;

les centres de recherche et d’innovation dont les travaux vont être implantés en vraie grandeur sur le réseau après avoir été testés en laboratoire ; en tête, le groupement d’intérêt économique (GIE) IDEA (Inventer la distribution électrique de l’avenir) qui depuis une dizaine d’année étudie l’évolution des réseaux de distribution en présence de production décentralisée, qui a déposé  plusieurs brevets et validé de nombreux logiciels destinés au réseau intelligent ;

les instances de régulation comme la Commission de régulation de l’énergie (CRE), les représentants des collectivités et syndicats d’électricité comme la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et des agences de l’énergie telles que l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ;

les organismes de normalisation.

 

6. Recherche et aspects scientifiques du réseau intelligent

Compte tenu des déclencheurs et des objectifs mentionnés ci-dessus, le concept de réseau électrique intelligent ou smart grids est en soi même un important et ambitieux programme de recherche sur des horizons temporels différents (à court, moyen et long termes). Ce programme comporte plusieurs étapes dont la recherche, le développement, la démonstration, le retour d’expérience et enfin le déploiement par paliers. Plusieurs projets de recherche sont en cours partout dans le monde. Ces projets sont financés soit par des organismes gouvernementaux ou communautaires comme l’ADEME en France, la Commission européenne en Europe ou le DOE-Department of Energy aux États-Unis soit par des organisations industrielles et des consortia.

À titre d’exemple, les recherches sur les réseaux intelligents menées au sein de l’Institut polytechnique de Grenoble à travers son laboratoire G2ELab et IDEA qui est un centre de recherche commun entre EDF, Schneider Electric et Grenoble INP-G2ELab sur la production décentralisée et les réseaux de distribution de l’avenir. L’orientation scientifique se fonde sur les réalisations dans le domaine de l’automatisation des fonctions de réseau, l’intégration des sources d’énergie renouvelables, l’action sur la demande pour le distributeur et le couplage de l’infrastructure électrique avec des technologies d’information et de communication.

6.1. Exemples de concepts innovants en développement

Plusieurs concepts innovants sont  en développement.

La distribution de l’intelligence (régulateur de tension auto adaptatif, protection intelligente, entre autres). Ce type de dispositif permet, par la résolution des contraintes spécifiques au raccordement de la production décentralisée, d’augmenter significativement le taux d’insertion de cette dernière au sein du réseau existant (Figure 8, 9, 10,11).

 Fig. 8 : Production décentralisée et profil de tension dans les réseaux de distribution

 Fig. 9 : Mode de pilotage intelligent de la tension dans les réseaux de distribution en présence de production décentralisée

Fig. 10 : Pilotage de la tension à travers un réglage classique (Actif/Réactif ou P/Q) sur un réseau test

Fig. 11 : Pilotage de la tension intelligent sur un réseau test

Les réseaux d’auto-cicatrisants. Le réseau doit rapidement détecter et même anticiper, isoler et rétablir le réseau de manière optimale et automatisée à la suite d’un défaut (Figure 12).

Fig. 12 : Concept du réseau auto-cicatrisant : Détecter-localiser-réparer et ré-alimenter le réseau après un défaut

La centrale virtuelle. Le concept représente un ensemble de méthodologies pour la connexion et la gestion des ressources d’énergie distribuées à grande échelle en tenant compte de l’intermittence. La Figure 13 illustre un concept potentiel d’organisation du couple production-consommation dans le nouveau contexte énergétique. Il s’agit du concept de centrale virtuelle soit une agrégation de la production, du stockage et du pilotage de la consommation en vue de faire face aux contraintes de garantie de puissance de sortie de sources intermittente.

Fig. 13 : La centrale virtuelle outil de gestion du bouquet énergétique

L’observation du réseau, ce qui est essentiel pour ses besoins de pilotage tant au niveau des fonctions de contrôle central (la reconstitution des états sans redondance) ou au niveau des capteurs couplés aux dispositifs de décision et de systèmes.

Le réseau reconfigurable qui augmente le taux de production admissible ou permet d’optimiser les pertes électriques en présence de production décentralisée (efficacité énergétique).

Le bâtiment intelligent, c’est-à-dire la convergence du réseau électrique avec des bâtiments couplés aux énergies renouvelables et au véhicule électrique ou hybride. La Figure 14 montre comment, avec les compteurs, l’émergence des réseaux électriques intelligents, de la production décentralisée d’énergie et de la voiture électrique raccordée au réseau vont profondément modifier les habitudes dans l’habitat.

Fig. 14 : La maison intelligente avec son energy box - Source : H3C-Energies

L’environnement énergétique quotidien rendu toujours plus complexe par ces nouveaux équipements, par des services et tarifs énergétiques toujours plus nombreux va conduire à la généralisation de systèmes de management de l’énergie, communicant avec l’ensemble des installations. La maison devient communicante, intelligente, et le pas vers une intégration de la gestion de tous les équipements (stores, Hi-Fi, électroménager, communication, électricité, sécurité) devient minime. L’habitat est connecté et l’efficacité énergétique devient un paramètre à part entière de la gestion du bâtiment, au même titre que le confort où les usages.

6.2. Les verrous scientifiques, technologiques, commerciaux et sociologiques

Le concept de réseau intelligent concerne une vision systémique impliquant la recherche, le développement, le test et l’analyse du retour d’expérience de technologies innovantes qui permettent d’atteindre des objectifs précis en termes de gestion des réseaux pour une meilleure efficacité énergétique de l’ensemble de la chaîne de valeur, une augmentation de la pénétration des énergies renouvelables ou encore l’implication du consommateur final en tirant partie des technologies d’information et de communication.

La mise en place de ce concept et la poursuite des objectifs cités des réseaux intelligents nécessitent la levée de verrous scientifiques spécifiques, ce qui pourrait engendrer des ruptures technologiques d’importance. En effet, nous rappelons que les réseaux intelligents consistent à faire converger les infrastructures physiques, représentant le système électrique, et les infrastructures numériques, représentant l’intelligence via les technologies d’information et de communication. Il est bien connu que la rencontre de deux disciplines comme c’est le cas pour les réseaux intelligents est source d’innovations majeures. Par ailleurs, bien que le système électrique soit déjà pourvu d’infrastructures d’information et de communication, ces dernières ont souvent été conçues séparément du système électrique (couche supplémentaire) tout en étant la propriété de l’opérateur. Aujourd’hui, le coût des TICs est relativement bas si bien que leur forte pénétration dans la société combinée à la libéralisation du marché de l’électricité et la multiplication d’acteurs poussent à l’utilisation de technologies sur étagère. Ceci requiert une interopérabilité entre les différents acteurs et des objets smart grids porteurs d’une sécurité intrinsèque. D’autre part, la différence dans le processus de vie entre les TICs  et les infrastructures d’énergie pose la question d’évolutivité de l’ensemble. De plus, compte tenu des investissements requis importants pour la mise en place de ce concept, la question du risque technologique vis-à-vis de l’évolutivité du système, notamment par rapport aux TIC, se pose avec une acuité particulière.

Dans ce contexte, on comprend bien que les verrous sont autant scientifiques, technologiques, commerciaux que sociologiques. C’est un défis remarquable qui ne peut être relevé qu’avec la mise en place de partenariats (et de filières technologiques) regroupant l’ensemble des acteurs de cette chaîne (producteurs d’énergie, opérateurs et gestionnaires du système, fournisseurs de service en énergie, équipementiers électriques et TIC, intégrateurs de solutions, universités et centres de recherches, organismes de standardisation, associations et agences en énergie). Bien entendu, le client final doit également être associé comme une entité active et non plus comme un consommateur passif. On peut citer ci dessous, sans être exhaustif, quelques uns de ces verrous.

Les uns sont scientifiques et techniques :

– intégration des énergies renouvelables et gestion de l’intermittence pour une vision équilibre global et économie du système, y compris la prise en compte de la participation de ces énergies aux réglages du réseau ;

– compréhension de l’interdépendance entre le numérique (intelligence embarquée) et le physique (infrastructure électrique) ;

– mise en place des technologies d’auto-cicatrisation simples et à coût réduit en présence de production décentralisée ;

– observabilité du réseau avec peu de capteurs et une faible précision ou sur la base du compteur intelligent (avec prise en compte des contraintes du temps réel) ;

– protections/matériels à coupure fréquente permettant des reconfigurations multiples pour une meilleure flexibilité et des gains sur les pertes (meilleure efficacité énergétique) ;

– impact du VEHR sur le réseau, de ses différentes formes de charge et de son interaction avec le système ;

– couplage du pilotage de la demande avec les usages nouveaux (VEHR) ou production intermittente ;

– planification des investissements smart grids dans un environnement incertain (quels modèles, apport des approches stochastiques) et évolution des architectures du réseau.

Les autres sont commerciaux et sociologiques :

– modèles d’affaire pour une action sur la demande diffuse et efficace ;

– palier de déploiement technologique dans une industrie habituée à des évolutions et des transitions lentes ;

– acceptabilité des clients par rapport à l’intrusion des technologies de pilotage de la consommation ainsi qu’à son comportement positif dans l’action sur la demande ;

– optima globaux avec des usages nouveaux.

6.3. Préparer les compétences nécessaires au développement des smart grids

Ces défis, pour ambitieux qu’ils soient, sont par leur nature à la hauteur des enjeux  du 21ème siècle car ils concrétisent par l’intrication étroite entre l’énergie et l’intelligence l’état d’esprit des jeunes ingénieurs et techniciens qui sont nés avec les TICs. La formation actuelle des ingénieurs électriciens dans laquelle les deux disciplines que sont l’électrotechnique et l’informatique jouent un très grand rôle les prépare à créer et organiser ces réseaux du futur. Il faut donc leur proposer d’investir leur intelligence dans la gestion de la complexité au service d’un meilleur fonctionnement des réseaux publics au service de tous. C’est dans cette perspective que l’investissement matériel dans les réseaux de distribution doit s’accompagner d’une profonde modernisation et d’un effort de recrutement de jeunes ingénieurs et techniciens qui sont très bien armés et motivés pour construire les réseaux intelligents de l’avenir.

 

7. Conclusion

L’augmentation de la complexité est liée à divers paramètres aussi bien institutionnels que techniques comme l’avènement de sources d’énergie intermittente, l’intégration du client final qui devient pro-actif, la multiplication d’acteurs et les questions d’interopérabilité induites, l’impératif de maintien voire d’amélioration de la qualité d’alimentation, la nécessité d’atteindre les objectifs d’efficacité énergétique ou de maîtrise des pointes de consommation. La mise en place du réseau intelligent va donc induire une évolution notable du système électrique dans son ensemble.

Ce concept fournira un cadre technique permettant l’intégration à grande échelle des sources intermittentes d’énergie renouvelable, une plus grande efficacité énergétique et le fonctionnement du réseau tout en assurant la sécurité accrue et la qualité de l’approvisionnement dans les meilleures conditions économiques.

L’infrastructure des réseaux intelligents jouera un rôle plus large que la gestion spécifique du réseau électrique :

– ses fonctionnalités pourront permettre de fournir de nouveaux services à l’énergie telles que la gestion intelligente des bâtiments et la maîtrise de l’énergie, les services de sécurisation et de surveillance, les services liés à la domotique ;

– son infrastructure pourra être mutualisée avec d’autres besoin : développement mutualisée de réseaux intelligents multi-fluides (électricité, gaz, eau), développement mutualisé de réseaux de télécommunication en utilisant le réseau probablement le plus dense du monde.

Enfin, comme toute aventure technologique, les smart grids offriront un gisement d’évolution technologique et sociétale dont on ne peut aujourd’hui mesurer toute la richesse : transfert technologique vers d’autres secteurs (domotique, logistique, multi-fluidique, domaine applicatif de l’intelligence artificielle), catalyse d’évolution comportementale et sociétale (accompagnement vers une gestion réfléchie de l’énergie et des autres fluides, accompagnement vers des modèles de coopération et de mutualisation de moyens).

Ce potentiel devra être préservé par une prise en compte équilibrée des enjeux et des acteurs, une gestion efficace et pragmatique d’un point de vue économique et industriel  qui ne devra pas perdre de vue la nécessité de modes de fonctionnement coopératif ainsi que les objectifs humains, sociétaux et environnementaux qui sont particuliers au domaine de l’énergie en général et à celui de l’électricité en particulier.

 


Notes et références

[1] A smart grid is an electricity network that can intelligently integrate the actions of all users connected to it –generators, consumers and those that do both – in order to efficiently deliver sustainable, economic and secure elecricity supply.

3.66.

[2] A smart grid is self healing, enables active participation of consumers, operate resiliently against attack and natural disaster accomodate all generation and storage options, enable introduction of new products, services and markets, optimize asset utilization and operate efficiently, provide power quality for the digital economy.

[3] EU Technologie platform SmartGrids

 


Bibliographie complémentaire

http://observer.cartajour-online.com

http://www.enr.fr/

http://www.smartgrids.eu

N. Hadjsaid, J-F. Canard, F. Dumas (1999). Dispersed Generation impact on Distribution Systems. IEEE Computer Application of Power, April, pp. 23-28.

C. Surdu, L. Manescu, Y. Besanger, N. Hadjsaid, Ch. Kieny (2005). La centrale virtuelle : un nouveau concept pour favoriser l’insertion de la production décentralisée d’énergie dans les réseaux de distribution. Enseigner l’Électrotechnique et l’Électronique Industrielle, 3EI, n° 40, pp. 41-48, mars.

C. Surdu, L. Manescu, O. Richardot , Y. Besanger , N. Hadjsaid, Ch. Kieny, F. Georgette, G. Malarange, J. Maire, J.P. Lafargue (2006).  On the interest of the virtual power plant concept in the distribution systems.  CIGRE 2006, Conseil International des Grands Réseaux Electriques, Paris,  France.

T. Tran-Quoc, E. Monnot, G. Rami, A. Almeida, C. Kieny, N. Hadjsaid (2007). Intelligent voltage control in distribution network with distributed generation. Conference internationale CIRED, Vienne, Autriche, May.

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N. Hadjsaid , J-Cl. Sabonnadiere, J-P. Angelier (2010).   Les réseaux électriques de distribution : du patrimoine à l’innovation », Repère REE, REE, N°1, Janvier, pp. 81-95.

N. Hadjsaid , J-Cl. Sabonnadiere, J-P. Angelier (2010). Les systèmes électriques de l’avenir : les smartgrids», Repère REE, REE, N°1, Janvier, pp. 96-110.

N. Hadjsaid, L. Le- Thanh, , R. Caire,  B. Raison, F.Blache, B. Ståhl, R. Gustavsson (2010). Integrated ICT framework for Distribution Network with Decentralized Energy Resources:  Prototype, Design and Development. IEEE PES GM’2010, Mineapolis, MN, USA, 24-29 juillet.

Ch. Kieny, B. Berseneff, N. Hadjsaid, Y. Besanger, J. Maire (2009). On the concept and the interest of Virtual Power plant: some results from the European project FENIX. IEEE PES GM’2009, July 26-30, Alberta (Canada).

N. Hadjsaid, R. Caire, B. Raison (2009). Decentralized Operating Modes for Electrical Distribution Systems with Distributed Energy Resources. IEEE PES GM’2009, July 26-30, Alberta (Canada).

 


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