Mexique : Pemex pris en étau entre l’héritage révolutionnaire et le marché

Depuis le début des années 2010, l’industrie du pétrole, comme celle de l’électricité, est soumise à de profondes réformes. Pour comprendre jusqu’où elles peuvent aller il est indispensable de remonter à la création de PEMEX puis à sa libéralisation à partir des années 1980 sous l’égide du gatopardisme.


Les changements constitutionnels des articles 25, 27 et 28 de la Charte du pays, approuvés au Parlement puis publiés le 20 décembre 2013 dans le Journal officiel de la Fédération, suivis de la législation complémentaire présentée par le chef de l’exécutif le 11 août 2014, marquent un tournant dans l’histoire et le développement de l’industrie pétrolière mexicaine.

Ouvrir aux investissements privés, tant nationaux qu’étrangers, toutes les activités qui accompagnent la chaîne de valeur de cette industrie rend enfin possible la formation d’un véritable marché de l’énergie. Et pour commencer, la fin du monopole public exercé jusque-là par l’entreprise paraétatique : Petróleos Mexicanos (Pemex).  Changement quelque peu surprenant si on pense que, depuis les années 1990, les différentes réformes de l’industrie pétrolière  mises en œuvre s’étaient limitées à de simples ré-accommodements sans jamais toucher aux pièces fondamentales du  système. Il semblerait cette fois que la réforme de 2013-2014 clôt à tout jamais le chapitre de la Révolution mexicaine, dont Pemex était devenu l’un des symboles.

Pour évaluer la nature et la portée de la réforme pétrolière du gouvernement du président Enrique Peña Nieto (sexennat 2012-2018), un retour en arrière permet de comprendre l’influence de la Constitution mexicaine de 1917 et de l’acte de nationalisation de l’industrie pétrolière (18 mars 1938) sur la création et le développement de l’industrie pétrolière mexicaine ; il faut aussi rappeler les inerties qui ont fortement entravé tout changement d’importance au fil des années, malgré les dysfonctionnements croissants, et fait de Pemex une exception parmi les sociétés nationales pétrolières (National Oil Companies – NOCs). Dans ce contexte, on peut se demander jusqu’à quel point la réforme de 2013 modifie en profondeur l’industrie pétrolière mexicaine.

 

1. L’héritage révolutionnaire dans la construction de l’industrie pétrolière mexicaine

Au début du 20ème siècle, le Mexique est un grand pays pétrolier : en 1921, avec 193 millions de barils (Mb), il est le deuxième producteur de brut derrière les États-Unis (qui en produisent 378) et le premier exportateur[1].  Succès dû au nouveau statut juridique décidé par Porfirio Diaz (1876-1880 et 1884-1910) qui, s’inspirant de la philosophie anglo-saxonne, légiféra pour que les ressources du sous-sol appartiennent au propriétaire du sol.[2] Statut qui encouragea l’arrivée de compagnies, essentiellement anglaises et américaines, qui disposèrent en outre d’un système fiscal très incitatif. La Révolution de 1910-1917 opère un retour en arrière et la Constitution de 1917 (art.27) redonne à la Nation les droits de propriété du sous-sol, donc des hydrocarbures.[3] Dès lors les gouvernements post révolutionnaires cherchent à récupérer la maîtrise des ressources pétrolières : il leur  faudra deux décennies pour y parvenir[4].

« Le Mexique brandit l’étendard de la révolte »[5] lors d’un affrontement entre les compagnies pétrolières étrangères (qui s’étaient affranchies des lois mexicaines) et le Syndicat pétrolier (STPRM)[6] : considérant qu’il y avait une offense inadmissible à la souveraineté nationale, le 18 mars 1938, le président Lázaro Cárdenas décida de nationaliser le pétrole et créa par décret, le 7 juin 1938, une société publique :  Petróleos Mexicanos (Pemex). L’expropriation et la nationalisation vinrent clore l’épisode de la révolution mexicaine, en affirmant l’indépendance économique face aux grandes compagnies pétrolières et à leurs gouvernements[7].

Dès ses origines Pemex, société indépendante du gouvernement fédéral, dotée d’une personnalité juridique et d’un patrimoine propres,  regroupe et contrôle toutes les propriétés et fonctions de l’industrie pétrolière[8]. La construction du système politique mexicain post révolutionnaire et les assises légales qu’il s’est données permettent d’expliquer le passage du statut de « nation détenant la propriété des  hydrocarbures » à celui de « société nationale, monopole d’État dans la gestion de l’activité pétrolière »[9]. Le monopole acquiert ainsi un rang constitutionnel, début d’une confusion constante entre Pemex et l’industrie pétrolière mexicaine. Le nouveau dispositif institutionnel donne à l’État l’autorité, qu’il délègue à Pemex, de développer toutes les phases de l’industrie[10].

D’emblée Pemex  collabore à l’élaboration et au maintien du pacte social, politique et économique priiste[11].

Dans le système corporatiste en formation, le rôle des travailleurs pétroliers au moment de l’expropriation, puis dès la création de la société nationale,  permet de tisser des liens organiques entre le gouvernement, la direction de Pemex et le Syndicat des Travailleurs du pétrole de la République mexicaine (STPRM)[12]. Le Syndicat participe de manière significative à l’administration et aux revenus de l’entreprise et devient un acteur incontournable dans le fonctionnement de l’industrie pétrolière mexicaine, ce qui affectera la productivité de l’entreprise[13].  Parallèlement, pour assurer le bon fonctionnement politique, économique et social de cet appareil d’État, on renforce le caractère vertical de l’administration de Pemex.

Parallèlement, de 1938 à 1977, en symbiose avec le modèle de développement du pays (par substitution des importations), le pétrole devient le pilier de l’industrialisation du pays, fournissant de l’énergie bon marché pour favoriser le développement industriel, local et national ; en outre, il alimente les finances publiques moyennant redevances et impôts. Dans ce contexte, tourné vers le marché intérieur, le Mexique a recherché l’autosuffisance en matière de produits pétroliers,  les exportations passant  au second plan[14]. Cette politique a favorisé le raffinage et la pétrochimie qui rapportaient de la valeur ajoutée. Elle a été complétée par la création d’un important centre de recherche, l’Institut Mexicain du Pétrole (IMP).

Au plan institutionnel, deux traits principaux caractérisent cette période : la confusion des rôles entre le propriétaire (la Nation) et l’opérateur (Pemex) et la survalorisation de la mission fiscale, politique et sociale de Pemex au détriment de sa fonction pétrolière, cette mission se traduisant par d’énormes subventions octroyées aux  produits pétroliers et le rôle de Pemex comme soutien du régime priiste. Traits qui pèseront sur le développement de la société nationale. Car au fil du temps, cette politique a fini par présenter des effets pervers : Pemex étant devenue  déficitaire, son fonctionnement dépendait des subventions de l’État ; un endettement extrêmement élevé a affecté sa capacité d’investir dans l’exploration ;  sa planification s’est révélée particulièrement  inadéquate[15]. Pemex a de plus en plus de mal à satisfaire une demande croissant au rythme de ce que l’on a appelé le miracle mexicain [16]. À la fin des années 1960, le Mexique a commencé  à importer du pétrole (1972-1973) au moment où les prix s’élevaient, suite au premier choc pétrolier ! La crise de la balance des paiements et la dévaluation de plus de 100% de la valeur du peso en 1976, après 22 années de stabilité monétaire, ne sont pas étrangères aux déficiences du secteur pétrolier.

 

2. Des réformes libérales sous l’égide du gatopardisme

Surtout à partir  de 1976, la découverte d’énormes gisements dans le Sud-Est du pays (États du Chiapas, du Tabasco et, surtout, du Campêche)  et le prix record du baril ont favorisé la « pétrolisation » de l’économie. Soudainement la politique pétrolière changea de cap et s’orienta vers la production et l’exportation massives de brut[17] : en 1982, le pétrole représentera 77,6 % du total des exportations mexicaines. Dans la foulée, Pemex élèvera considérablement le volume de ses réserves prouvées (de 7 milliards de barils en 1976 à plus de 70 milliards en 1982)[18], augmentera sa production de gaz naturel, sa capacité de raffinage (de 0,97 à 1,48 Mbj entre 1976 et 1980) et sa production de produits pétrochimiques. Pour ce faire, de 1977 à 1982, la société nationale, convertie à nouveau en catalyseur du dynamisme national, a mis sur pied une actualisation technologique très coûteuse grâce à la transformation du pétrole en instrument de financement, puisqu’il était une solide garantie des prêts internationaux du pays. Son rôle d’agent financier du gouvernement fédéral a pris des dimensions inconnues : en 1982, pour des revenus nets dépassant 632 milliards de pesos, Pemex n’a conservé, après impôts et redevances, que 0.9 milliards pour couvrir son programme de modernisation[19]. La compagnie a dû s’endetter très lourdement pour être à la hauteur des nouveaux défis à affronter.

En 1982, dans ce contexte fragile, survient la crise : simultanément, le prix du pétrole s’effondre, et les taux d’intérêt bancaire s’élèvent brutalement. Le pays entre en récession : le PIB réel per capita tombe de 8.1% en 1982 et de 9.1% l’année suivante. L’inflation atteint 100% et le taux de chômage double. Avec une dette publique externe de 100 milliards de dollars, le Mexique est sur le point de se déclarer en banqueroute.

Les revenus de la rente pétrolière de ces dernières années avaient permis de différer les changements mais lorsque la crise économique et financière a éclaté, le dispositif institutionnel régissant Pemex révèle ses insuffisances. Débute une longue période de réformes partielles qui, bien que nécessaires, ne transformeront pas en profondeur l’organisation de l’industrie pétrolière nationale.

Face à l’urgence, l’administration de Miguel de la Madrid (1982-1988) s’est attaquée à la dette financière qui asphyxiait l’entreprise et a relégué à plus tard la réforme organisationnelle. Il s’est efforcé de construire un nouveau Pemex et de soumettre l’entreprise à un ajustement  rigoureux. Il a fallu assainir les finances de l’entreprise[20] :  programme de substitution des importations pour épargner un montant substantiel de devises[21] ;  restructuration de la dette, dont  la plus grande partie était engagée à court terme (de  1982 à 1985, son montant s’est réduit de 19,2 à 15,7 milliards de dollars). Mais des conséquences lourdes s’ensuivent : en 1989, les investissements affectés au secteur pétrolier, en termes réels, ne représentait plus qu’un quart du niveau atteint en 1981. La  production primaire fut la première touchée (réduction de 19 % par rapport au niveau atteint en 1981) avec effets sur les infrastructures, les forages de puits, les études exploratoires et nombre de projets concernant certaines chaînes productives. Par ailleurs, la baisse des exportations et la chute dramatique des prix internationaux ont eu des répercussions négatives sur les rentrées de devises. Alors que la rentabilité de Pemex diminuait, une charge fiscale croissante (presque 80 % de ses ventes) commence à asphyxier l’entreprise. En 1988, le pétrole en tant que bien d’exportation avait cessé d’être un pilier de la croissance économique, mais les revenus provenant des hydrocarbures continuaient à financer principalement le service de la dette externe et les dépenses publiques.

Dans le courant des années 1990, sous la double pression de la réforme (néo) libérale (Consensus de Washington) et des mutations au plan mondial du secteur pétrolier, l’adaptation des sociétés nationales pétrolières latino-américaines devient un impératif. Au Mexique, le nouveau projet économique et l’ouverture commerciale subséquente allaient renforcer cet impératif[22].  Avec des intentions dont la privatisation n’était pas absente et  une volonté affichée d’internationalisation, les décideurs se sont efforcés de transformer Pemex en une entreprise orientée désormais vers la création de valeur, la productivité et la rentabilité  abandonnant l’originalité historique, sociale et symbolique de l’entreprise[23]. Ce virage impliquait de refonder les bases politiques, économiques et sociales  sur lesquelles la compagnie avait été édifiée.

L’histoire et le système politique et économique mexicains ont cependant donné des traits particuliers aux mesures de réorganisation. Ceci amplifié par le processus de démocratisation du pays caractérisé, à partir des années 2000, par un gouvernement divisé sans majorité capable de forger des consensus[24].

Pour réaliser sans à-coups le passage du statut d’établissement public protégé à celui de compagnie pétrolière capable d’engranger les meilleurs revenus possibles et de résister à la concurrence internationale, les questions étaient les suivantes: quel  mode d’organisation permettrait à Pemex de conserver son statut de société nationale tout en fonctionnant selon  les modalités et les critères en vigueur dans le secteur privé[25] ? Comment internationaliser une entreprise qui, repliée sur elle-même, s’était consacrée à répondre à la demande locale et comment forger une nouvelle culture d’entreprise alors que le tout puissant syndicat pétrolier répondait  à une vieille logique corporatiste ? Ces questions vont guider les réformes des années 1990 et 2000.

La réforme de 1992 a été réalisée  par un groupe d’économistes autour de deux idées principales : préciser  le concept d’État pour l’entreprise (que signifie pour Pemex le fait d’être une entreprise d’État ?) et faire prévaloir les critères économiques sur les critères politiques dans le fonctionnement de la société nationale. Pemex devient ainsi une holding avec quatre filiales : Exploration et production, Raffinage, Gaz et Pétrochimie de base, Pétrochimie[26]. On cherche à décentraliser le pouvoir, en assignant à chaque filiale ses propres responsabilités (financières, patrimoniales, légales)[27] afin d’identifier les activités et entités déficitaires, tâche impossible dans une organisation verticale. On s’efforce de concentrer Pemex sur l’amont (le core business) au détriment des activités aval qui seraient progressivement ouvertes aux investissements privés, national ou étranger. La compagnie a également commencé à sous-traiter les activités étrangères à l’industrie pétrolière (construction, ingénierie et autres activités de services et de logistique). La division en filiales a cherché à  introduire une logique de marché au sein d’un monopole d’État : système de prix en fonction des coûts d’opportunité,  transactions entre filiales distinctes  établies en fonction des prix internationaux, même si ce nouveau système comptable va favoriser l’une des filiales, Pemex Exploración y Producción,  u détriment des autres.

L’ouverture partielle du marché du gaz naturel (midstream) a suscité la création de la Comisión Reguladora de Energía (CRE) et l’établissement de prix du gaz naturel en fonction des conditions d’un marché international compétitif (le Houston Ship Channel)[28]. Parallèlement, on a créé une entreprise publique dotée d’une personnalité juridique propre, PMI Comercio Internacional, S.A. de C.V., pour commercialiser les produits pétroliers à l’extérieur, affronter les défis dus à la volatilité du marché pétrolier international et optimiser les bénéfices dans les transactions commerciales à tous les niveaux, production, raffinage et distribution[29].

Bien qu’importante, cette réforme n’a pas touché deux des pièces essentielles concernant Pemex : son  rôle fiscal confiscatoire et sa situation de monopole.

En 2004,  le brusque déclin de l’énorme gisement Cantarell qui produisait alors 62% du pétrole mexicain[30],  affecte fortement les exportations de brut et parallèlement les finances publiques d’autant que le Mexique était devenu importateur net de gaz naturel (30% de sa consommation de gaz),  de produits raffinés (50% de sa consommation d’essence) et de produits de la  pétrochimie[31]. Dans ce contexte difficile, la question de la réforme pétrolière revient sur la scène. Elle voit le jour en 2008, étant d’emblée précisé que celle-ci cherchera à renforcer la capacité opérationnelle de Pemex et non pas à la privatiser.

S’inspirant des Best Practices de l’industrie, quelques mesures phares sont à signaler. Pour aider Pemex à fonctionner comme une véritable compagnie pétrolière et à la libérer de ses attaches bureaucratiques, le conseil d’administration est réformé. En le constituant de 15 membres dont cinq conseillers professionnels, on voulait diminuer le poids du Syndicat et professionnaliser la prise de décision, mais les conseillers étant dépourvus d’expérience préalable dans le secteur pétrolier et nommés par les partis  politiques, cette mesure n’aura pas les effets escomptés. La création d’un régulateur de l’amont, la Comisión Nacional de Hidrocarburos (CNH), constitue l’autre mesure de poids. Néanmoins sans véritable capacité d’action faute d’autonomie financière et d’un personnel trop réduit en nombre, la CNH restera souvent la chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs[32]. Enfin la réforme a cherché à accroître la flexibilité contractuelle en créant de nouveaux contrats de service hybrides sans cependant admettre les contrats à risque ni offrir une plus grande transparence en termes de procuration.

Même si certaines mesures constituent un progrès, il s’agit d’une réforme homéopathique qui a cherché le consensus de toutes les forces politiques et n’a pas attaqué de front les problèmes. Au contraire, en se situant à mi-chemin, elle a favorisé des positions ambigües sur des sujets épineux tels que la nature de la participation des investissements privés ou introduit des incohérences entre le texte constitutionnel et la législation complémentaire. Cette réforme a constitué certes un succès politique mais très vite ses limites se feront sentir : le chef de l’exécutif  exprimera tout de suite la nécessité d’une nouvelle réforme !

 

3. La réforme pétrolière de 2013-2014 : Vers la création d’un marché pétrolier ?

L’aggravation des problèmes de l’industrie pétrolière[33] et la mise en place d’un pacte réunissant les trois grands partis politiques ont enfin permis une réforme d’envergure en décembre 2013.

3.1. La réforme de 2013 : Un modèle d’industrie avec une orientation entrepreneuriale ?

La réforme a voulu créer un marché compétitif des hydrocarbures qui privilégie les cycles économiques sur les cycles politiques, sans que la nation ne perde ses droits sur les ressources en terre.

L’ouverture sur un éventail très large de contrats (depuis les licences, sortes de concessions, jusqu’aux contrats de service en passant par les contrats de partage de production) et les permis dans le mid et le downstream ont constitué les pièces fondamentales de cette réforme. L’ouverture de l’amont, reconnaissance des limites financières et technologiques de Pemex – veut offrir des réponses adaptées aux différents types de gisements, à la prise de risque et à la variété des coûts[34].  En outre suivant le modèle brésilien on a autorisé une Ronde Zéro en vue de donner du temps à Pemex pour s’adapter aux nouvelles règles du jeu et assurer, pour un temps, des revenus suffisants aux finances mexicaines.

D’autres pièces accompagnent cette ouverture contractuelle pour offrir des conditions de compétition homogènes à tous les joueurs tout en permettant à l’État de récupérer une rente appréciable.

D’un côté, transformer le monopole d’État, Pemex, en une « entreprise productive de l’État » est un défi majeur mais impératif pour assurer le succès de cette entreprise. Pour cela, la société doit gagner autonomie budgétaire, administrative et opérationnelle ce qui veut dire moins d’ingérence du gouvernement bien que, en tant qu’organisme public, elle ne pourra échapper à certaines interventions sur des thèmes tels que les aspects légaux, financiers et opérationnels. Une nouvelle transformation de la gouvernance telle que l’élimination totale du Syndicat pétrolier et un nombre égal de conseillers et de hauts fonctionnaires,  doit renforcer le caractère professionnel de la prise de décision.

Parallèlement la Commission Nationale des Hydrocarbures (CNH) obtient l’autonomie budgétaire er acquiert des responsabilités accrues : rôle majeur dans l’organisation des appels d’offre, supervision des nouveaux contrats, pour offrir des réponses opportunes aux compagnies qui sont habituées à travailler dans un contexte de forte compétitivité et qui doivent répondre aux engagements financiers qu’elles ont pris pour développer leur projet. La création de l’Agence de Sécurité, d’Énergie et de l’Environnement (ASEA), à l’image des régulateurs pour l’environnement norvégien et états-uniens, est une innovation en Amérique latine quoique sa création soit trop récente pour être analysée  ici[35].

La transformation du système financier est l’autre point notable. Alors que le ministère des Finances acquiert un rôle nouveau et essentiel dans les contrats, la création du Fonds Mexicain du Pétrole (FOMEX) devra gérer la redistribution de la rente pétrolière de façon à transformer une ressource non renouvelable en source de richesse renouvelable. Chargé de réceptionner la rente, il transfèrera les ressources au Secrétariat du Budget de la Fédération jusqu’à hauteur de 4,7% du PIB après avoir payé le coût des contrats pétroliers. Le reste ira à divers fonds dont un fonds destiné à l’épargne à long terme, ce  jusqu’à hauteur de 3% du PIB. Il faut éviter de concentrer la rente vers les dépenses courantes comme il était coutume.

Cette nouvelle construction institutionnelle prétend changer la manière d’administrer l’énergie qui se crée ou se transforme, avec des stratégies d’investissements et de soutenabilité. Cependant une analyse plus minutieuse révèle l’existence de clairs obscurs qui peuvent remettre en question la portée de cette réforme.

3.2. Un modèle industriel inachevé…

Ces changements pourront-ils attirer les grandes compagnies étrangères ? Un certain nombre de facteurs qui privilégient la logique politique subsistent et ne favorisent pas la flexibilité nécessaire à un modèle entrepreneurial.

L’État continue à occuper une position dominante. En ce qui concerne Pemex, son conseil d’administration reste sous les ordres du ministère de l’Énergie : il occupe deux postes sur cinq et, doté de la présidence, il détient un vote prépondérant. La forte présence d’une vision gouvernementale qui émane de fonctionnaires qui ont une vie et des intérêts sexennaux prédomine. En outre les nominations du haut personnel de l’entreprise continuent à dépendre du chef de l’exécutif.

Du côté de la CNH, beaucoup de décisions demeurent entre les mains de l’administration, en particulier du ministère de l’Énergie (Sener) et du ministère des Finances. La fiscalisation des contrats, par exemple, entraîne une bureaucratie énorme, contraire à la simplification préconisée et aux pratiques internationales. Par ailleurs, les licences, à la différence des concessions, soulignent l’ingérence du gouvernement au cours du plan annuel d’exploration et de développement. Enfin l’élimination arbitraire de la dette pharamineuse provenant des retraites des employés de Pemex, désormais à la charge de la société mexicaine, sans qu’aucune contrepartie ne soit exigée lance un signal négatif : finalement Pemex reste une société protégée par le gouvernement.

La prévalence de la logique politique sur l’économique constitue un second facteur et se traduit par le timing qui guide la mise en marche de la réforme, à savoir la grande rapidité avec laquelle le nouveau modèle est mis  à l’épreuve (avant même qu’il ne soit achevé !) dans un contexte d’incertitude vu l’ampleur de la baisse du prix du pétrole et la méconnaissance des règles en vigueur sur le marché pétrolier[36].

Cette rapidité extrême ne répond pas à un calcul d’optimisation économique mais à une stratégie politico-électorale : il faut désamorcer les possibilités de renversement de la réforme par l’opposition de gauche à l’occasion des élections de la moitié du sexennat (juin 2015).

Par ailleurs la chute des prix du pétrole met en évidence l’énorme dépendance du budget vis-à-vis des hydrocarbures. La moitié de la coupe budgétaire fédérale annoncée à la mi janvier 2015 sera supportée par Pemex, ce qui affaiblira encore davantage l’entreprise alors qu’elle doit apprendre à jouer un rôle important dans cette nouvelle structure organisationnelle.

Last but not least, la corruption. C’est le troisième facteur qui fait douter de la pertinence et de la faisabilité de la réforme, par l’opposition de gauche mais aussi par certains de ses défenseurs. Indéniablement, la fragilité de l’État de droit et des institutions mexicaines joue en défaveur du Mexique. Enfin, l’exigence de la plus grande transparence possible pèse sur la flexibilité attendue par les compagnies pour agir[37].

En synthèse, la position prédominante de l’État, la prévalence de la logique politique sur l’économique et la corruption /impunité qui continuent à sévir limitent sérieusement la portée que la réforme pourrait avoir : ces facteurs contredisent l’orientation libérale et du marché que les réformistes, apparemment, veulent donner au virage entrepris.

 


Notes et références

[1] . Vega, A. (de la). (1992).  p. 43.

[2] . Spécifique au pétrole, la loi de 1901 permettait au gouvernement d’attribuer aux sociétés privées des concessions.

[3] . Ne sont pas exclus les systèmes de concessions ou autres dispositions juridiques.

[4] . Les lois de Porfirio Díaz vont continuer à avoir cours en matière pétrolière. En effet, les gouvernements issus de la période révolutionnaire respectèrent – et même ont promu- les investissements privés vu la nécessité impérieuse de redonner souffle aux entreprises et de rétablir les infrastructures du pays. Cependant les compagnies étrangères, anticipant le moment où le Mexique mettrait en œuvre les principes de la Constitution, vont vite adopter une attitude pragmatique: extraire le maximum de brut, se réapproprier la valeur de leurs investissements en exportant massivement tout en réduisant  au minimum la maintenance des installations. Dans ces conditions, la courbe de production mexicaine s’infléchit  rapidement.

[5] . Chevalier, J-M (2004). p. 109.

[6] . Le Syndicat des Travailleurs du Pétrole de la République Mexicaine, fondé en 1935, réunissait les organisations syndicales des compagnies pétrolières.

[7] . Philip, G.(1989). p. 248.

[8] . Pemex (1988). Marco jurídico básico. México. 1ra edición. pp. 23-25.

[9] . Lavin, J. D (1954) ; Meyer, L. y Morales, I. (1990).

[10] . Vega, Á. Op.cit. Pp. 77-83. Selon l’auteur, l’affirmation de la propriété des ressources conduit à une nouvelle organisation industrielle du pétrole sous l’égide et les conditions de l’Etat. L’équivalence qui naît entre Nation= Etat= Pemex est un élément essentiel du Modèle Mexicain d’Organisation Pétrolière (MMOP).

[11] . Parti officiel et parti unique, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) a exercé le pouvoir au Mexique (sous des noms différents) de 1929 à 2000.  Le Parti assure l’organisation corporatiste de la société et représente un appui inconditionnel au chef  de l’Etat. La rapide identification entre le Parti et l’Etat Nation a servi de support légitimateur à l’existence d’un parti unique.

[12] . Dans ce système protégé, la corruption devient vite tolérée puis un mal endémique.

[13] . Palacios, L.(2002 ).

[14] . Vega, A.(de la). (1999). Op.cit. p. 67.

[15]. Philip, G (1989). Op.cit. p.365

[16] . En outre, les ultimes contrats à risque –autorisés après la nationalisation- avaient pris fin en 1969.

[17] . En 1982, le Mexique exportera près de 1,5mbj de brut.

[18] . En 1980, le Mexique atteindra le 4ème rang mondial comme producteur de brut.

[19] . Vega, A. (de la). Op. cit.  p. 124.

[20].  Les prix ont été révisés à la hausse et les subventions ont été réduites afin de diminuer la demande interne de produits provenant du secteur de l’énergie et réduire l’écart avec les prix internationaux.

[21].  La proportion de biens de production importés est passée de 60 % en 1982 à 15 % en 1985.

[22]. En 1986, entrée du Mexique  au GATT (General Agreement in Trade and Traffics) puis, signature de l’ALENA (Accord de  Libre Echange pour l’Amérique du Nord) qui entrera en vigueur le 1er janvier 1994.

[23]. Leos Chávez, H. (1993).

[24]. Pour modifier la Constitution il faut l’approbation des deux tiers des membres du Congrès fédéral et la majorité absolue des représentants des congrès locaux. Le rapport des forces sur l’échiquier politique ne permet aucune réforme constitutionnelle.

[25] . Williamson, O.E; Winter, S.G. (1991)

[26] . On a chargé Mc Kensie de réorganiser Pemex.

[27].  Chacune possède son propre Conseil d’administration ; un département corporatif stratégique assure la coordination et supervise les activités des filiales.

[28].  Les prix du marché américain – un des marchés de gaz les plus compétitifs au monde – seront le benchmarket pour ajuster le prix au Mexique.

[29] .Constituée comme société anonyme, son capital est réparti entre Pemex (85 % des parts), el Banco de Comercio Exterior (Bancomext, 7,5 %) et Nacional Financiera (Nafin, 7,5 %).

[30] . Cantarell a atteint son pic en 2004, produisant 2,2 Mbj. Or, contrairement à ce qui était prévu, le gisement a connu un déclin extrêmement rapide et brutal et en 2014 il ne produit plus que 250.000bj.

[31] . En outre à terme, il devenait évident que l’ère du pétrole bon marché s’achevait et que la majeure partie des prospections futures concernerait des aires de pétrole non conventionnel pour lesquelles Pemex est très mal préparé.

[32] . Le rôle de la CNH  sera  restreint en ce qui concerne ces nouveaux contrats hybrides.

[33] .Perte d’un million de barils dans la production de brut (2.4Mbj), arrivée à maturité des principaux gisements pétroliers et un horizon à moyen terme où le pétrole non conventionnel  (2p ou 3p) dominera alors que Pemex ne dispose ni du know how ni des moyens financiers pour affronter ces défis. En outre les importations croissantes de produits dérivés et de gaz naturel ainsi que les graves problèmes de transport du GN dont les répercussions furent néfastes pour certaines industries n’ont fait qu’aggraver la situation.

[34]. C’est la première fois depuis 1958 que sont autorisés contrats à risque et concessions.

[35] . Contenu national, Licence sociale et CENEGAS sont autant de nouvelles pièces qui vont  accompagner ce nouveau schéma.

[36]. Concernant le premier appel d’offre (Ronda Uno), le pays devra louvoyer entre établir une structure de coûts extrêmement compétitive sans aller trop loin et offrir des conditions trop attirantes qu’on regretterait si les prix remontaient. Il faut aussi que Pemex apprenne  à se projeter dans un horizon de temps qui n’est plus sexennal. Enfin le manque d’expérience dans le monitoring des coûts rend peu pertinent le choix de Contrats à risque.

[37] . Par exemple, l’autorisation de réaliser tout type de transaction requiert l’approbation de la CNH et du Ministère de l’Energie et souvent aussi des Finances, ce qui est contraire aux normes internationales puisque cela ralentit les opérations.

 


Bibliographie Complémentaire

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