Viêt Nam : son développement énergétique et électrique

Viêt Nam : son développement énergétique et électrique

Alors qu’elle stagne ou même recule dans nombre de pays industrialisés, la demande d’énergie croît à des rythmes annuels supérieurs à 5% dans les économies émergentes. Comment la satisfaire sans aggraver les impacts environnementaux ? Les choix du Vietnam à cet égard méritent un examen attentif.


Depuis 2005,  la consommation d’énergie au Viêt Nam a crû à un rythme annuel moyen proche de 8 % ce qui en fait l’une des plus élevées du monde.  Cette croissance va-t-elle se poursuivre ? Jusqu’à présent suffisante, l’offre pourra-t-elle suivre ?  Si oui, en s’appuyant sur quelles sources d’énergie, notamment dans le secteur de la production d’électricité ?

 

1. Géographie et économie du Viêt Nam

Le Viêt Nam, dont la configuration rappelle la lettre S, est situé au Centre de l’Asie du Sud-Est. Ses frontières terrestres avec la Chine au Nord, le Laos et le Cambodge à l’Ouest mesurent 3 730 km. Ses façades orientales et méridionales, avec 3 260 km de côtes, s’ouvrent sur les océans Pacifique et Indien. D’une superficie totale de 331 212 km² et d’une distance Nord-Sud à vol d’oiseau de 1 605 km, les 3/4 du territoire sont formés de collines et de montagnes (celles dont l’altitude dépasse 500 m occupent le 1/3 du territoire). La chaîne de montagne qui s’étend sur 1 400 km du Nord au Sud culmine à 3 143 m au pic de Phan Si Pang, proche de la frontière chinoise. Deux grandes plaines, riches et fertiles, sont constituées par le delta du Fleuve Rouge (1,6 million d’hectares) au Nord et le delta du Mékong (4 millions d’hectares) au Sud. En 2017, le pays comptait 94 millions d’habitants, une population très jeune, dynamique et essentiellement rurale (Figure 1).

L’économie du Viêt Nam a connu une période de croissance remarquable après la réforme de 1986. Le PIB par habitant, en dollar constant 2016,  est passé de 300 en 1985 à 2 400 en 2017. Grâce au commerce international, aux exportations en particulier et aux investissements étrangers, le taux de croissance du PIB a dépassé 6% en 2017. En 2018, la consommation intérieure reste soutenue malgré une inflation de 5% et un taux de chômage qui commence à croître. Pour réussir les chantiers lancés en 2011 (institutions, infrastructures, formation), l’effort du gouvernement doit porter sur la modernisation du système bancaire, le développement du secteur privé et la réforme des entreprises publiques.

Les trois secteurs économiques qui constituent le moteur de la croissance sont : le secteur agricole en perte de vitesse (riz, maïs, café, thé, poivre, cacahuète, caoutchouc, coton et autres,  sans oublier l’aquaculture) soit 20% du PIB ; le secteur industriel (agro-alimentaire, textile, papeterie, meuble, combustibles fossiles, ciment, sidérurgie, construction)  soit 38% du PIB ; le secteur tertiaire (télécommunications et tourisme) qui représente 42% du PIB.

Fig. 1 : Carte du Viet Nam

2. Le secteur énergétique

La consommation d’énergie encore très faible, 0,6 tep/habitant en 2015, se répartit entre l’habitat (33%), l’industrie (42%), le transport (20%), les services dont les commerces (4%) et l’agriculture ( 1%). À partir de cette date, le secteur industrie-construction deviendra le plus gros consommateur. La demande totale en énergies primaires (toutes énergies confondues) passera alors de 67 Mtep en 2015 à 100 Mtep en 2020 et 165 Mtep en 2030. Selon les prévisions à moyen terme, les ressources classiques du pays ne pourront plus satisfaire cette demande.

Les énergies renouvelables pourraient en effet produire l’équivalent de 30 Mtep, à parts égales entre l’hydraulique et la  biomasse non commerciale, la contribution de l’éolien et du solaire photovoltaïque restant marginale. La plus grande part de la consommation serait donc encore demandée aux sources fossiles dont la croissance attendue ne suffirait pas (Tableau 1).

 

Tableau 1 : Croissance prévue des sources d’énergie fossile

 

2010 2015 2020 2025 2030
Charbon (Mtec) 45 57 62 65 75
Pétrole (Mtep) 19 17 16 16 16
Gaz (Gm3) 8 12 17 15 12

 

Les ressources de pétrole sont exploitées par Viêt Nam National Oil and Gas Group (Petro Viet Nam). Les compagnies étrangères, principalement originaires de Russie et du Japon, sont autorisées à exploiter les hydrocarbures dans le pays à condition que Petro Viet Nam ait au moins 20% de part dans l’opération. Depuis 2011, la production de pétrole ne couvre plus la consommation du pays. Le gaz produit, en offshore comme le pétrole, est destiné essentiellement au marché intérieur. L’importation de gaz s’avèrera nécessaire à partir de 2025. Faute de raffineries, en cours de construction, les produits raffinés et les carburants sont en majeure partie importés. L’importation et la distribution des produits pétroliers sont assurées par Petrolimex (Figure 2).

Fig. 2 : Une exploitation de PVN. Source : VietnamPlus

Depuis 2010, 95% de la production de charbon est réalisée par Viet Nam National Coal- Mineral Industries Group (Vinacomin) qui a extrait 35 Mt en 2017 et pourrait aller jusqu’à 50 Mt au cours des prochaines années. Mais, même à ce rythme, la demande ne pourra être satisfaite, d’où un recours accru aux importations qui ont franchi la barre des 10 Mt en 2015 et que certains imaginent proche de 50 Mt avant la fin de la prochaine décennie, en réponse à la croissance du parc thermoélectrique. Très intéressées par cette perspective, plusieurs compagnies indonésiennes investissent dans le développement des infrastructures portuaires

Le potentiel d’énergies renouvelables est important au Viêt Nam, mais il manque une ambition politique pour le développement massif de ces énergies vertes. Des projets d’équipements éoliens d’une puissance totale de 385 MW ont cependant été annoncés. Le plus connu comportant 20 éoliennes allemandes de 1,5 MW est en cours d’exploitation à Binh Thuan au Sud Viêt Nam. Avec l’aide des Pays-Bas, un programme de biogaz à la ferme a été lancé en 2003.

De son côté, l’État doit concilier le besoin d’approvisionner l’économie en énergie bon marché, ce qu’il fait en fixant des prix de vente inférieur aux  prix de revient, et la nécessité de réduire les gaspillages qui demeurent inquiétants, ce qu’il fait par des campagnes de sensibilisation des citoyens aux économies d’énergie et à l’efficacité énergétique, notamment avec l’aide financière du Japon et de l’Association of Southeast Asian Nations (ASEAN).  En  2006, le Viet Nam National Energy Efficiency Program (VNEEP) a été approuvé. Il inclut le programme financé par les Nations Unies de réduction des émissions de CO2 et d’amélioration de l’efficacité énergétique de 500 petites et moyennes entreprises (PME) très polluantes. En outre, depuis 2003, le Viêt Nam bénéficie de très nombreux projets de mécanisme de développement propre (MDP) dont les principaux partenaires sont  la  Suisse (32% des projets), la Grande-Bretagne (19%), l’Allemagne (9%) et le  Japon (8%).

En tant que signataire de la Convention des Nations Unies sur le changement climatique et du Protocole de Kyoto, le Viêt Nam a pris l’engagement de réduire en 2020 ses émissions de gaz à effet de serre par unité de PIB à un niveau inférieur de 8 à 10% à ce qu’elles étaient en 2010.

 

3.  L’énergie électrique

En 2013, la puissance totale installée (y compris les 1 740 MW de la petite hydraulique, du diesel et de  l’éolien) est de 31 213 MW, soit une augmentation de 3 999 MW (14,7%) par rapport à 2012. La puissance de pointe s’élève à 20 010 MW. La disponibilité totale (y compris l’importation) s’élève à 131 TWh, soit une augmentation de 10,7 TWh (8,9%) (Tableau 2).

 

Tableau 2 : Capacité, production et importation d’électricité en 2013

 

Sources       Puissance (MW)    Production (GWh)                %
Hydraulique 14 925 56 943 43,5
Turbine à gaz 7 446 42 745 32,6
Charbon 7 023 26 863 20,5
Importation   739   3 663   2,8

 

Cet approvisionnement est assuré par  Viet Nam Electricity Power Group (EVN) pour 51% et d’autres entreprises avec participation d’EVN (17%), Petro Viet Nam (12%), des entreprises étrangères (9%), des entreprises locales (6%) et Vinacomin ( 5%).

La consommation d’électricité se répartit comme suit en 2013 : industrie et construction,   52,80%,  soit + 9,35% par rapport à 2012 ; administration et consommation des ménages, 36,30%,  soit + 8,66 % ; commerce et services, 4,70%,  soit + 8,49% ; agriculture  et pêche,  1,30%,  soit + 21,10% ; autres secteurs, 4,90%, soit + 7,27%.

Les tensions normalisées des réseaux électriques de transport, de répartition et de distribution sont : 500 kV, 220 kV, 110 kV, 22 kV, 220/380 V.

EVN  qui assure les 2/3 de la production, dispose du monopole du transport et de la distribution de l’électricité. D’ici 2025, c’est donc elle qui accapare le gros des investissements du secteur énergétique (80% environ). Une libéralisation du marché de l’électricité devrait cependant intervenir selon le calendrier suivant : 2005-2014,  concurrence de la production ; 2015-2022, marché pour la vente en gros ; après 2022,  marché pour la vente au détail.  L’état conservera le monopole du transport de l’électricité, des grands ouvrages hydrauliques et plus tard des centrales nucléaires.

 

4. Plan de développement de l’énergie électrique 2011-2020 avec projection 2030

Le  VIIe Plan a été approuvé par le Premier Ministre vietnamien le 21 juillet 2011. Outre quelques grands principes de développement, il comporte des objectifs et des directives pour la production et le réseau.

4.1. Principes de développement

– Le développement du secteur électrique doit garantir la fourniture permanente de l’électricité à l’économie et à la population.

–  L’utilisation avec efficacité des ressources énergétiques du pays doit être coordonnée avec l’importation de l’électricité et des combustibles. La diversification des sources d’énergie primaire est nécessaire dans la production d’électricité. La conservation des combustibles et la garantie de la sécurité énergétique du pays doivent être assurées.

– L’amélioration de la qualité de la fourniture de l’énergie électrique doit être constante. Dans le but d’encourager les investissements pour le développement du secteur électrique, la tarification du kWh selon la loi du marché doit être revue et adaptée. Les économies d’énergie et l’efficacité énergétique sont fortement recommandées.

– Le développement de l’énergie électrique doit tenir compte de la préservation des ressources naturelles, de la protection de l’environnement et du développement durable.

– La diversification des investissements et l’ouverture à la concurrence sont encouragées.

–  L’état garde le monopole du réseau de transport en vue d’assurer la sécurité du système électrique.

– L’utilisation rationnelle et efficace des sources d’énergie primaire de chaque région est exigée.

– L’électrification rurale et la garantie de la fourniture de l’électricité sur l’ensemble du territoire sont obligatoires.

4.2.  Objectifs

 – La production nationale et l’importation doivent satisfaire les objectifs suivants : 2015 : 194-210 TWh ; 2020 : 330-362 TWh ; 2030 : 695-834 TWh

– Les énergies renouvelables sont considérées comme prioritaires. L’objectif est de passer de 3,5% de la production totale  en 2010 à 4,5% en 2020 et 6,0% en 2030.

–  L’effort devra porter sur la réduction du coefficient d’élasticité (taux de croissance de la consommation d’électricité /taux de croissance du PIB) de 2 actuellement à 1,5 en 2015 et 1,0 en 2020.

–  L’électrification rurale et des régions montagnardes doit être accélérée afin que pratiquement tous les foyers ruraux soient alimentés en électricité en 2020.

4.3.    Directives pour les centrales de production

– Répartir de manière équilibrée les puissances installées dans chaque région : Nord, Centre, Sud.

– Garantir la sécurité de chaque système régional en réduisant les pertes de transport.

– Partager les réserves de puissance et exploiter avec efficacité les centrales hydrauliques suivant les saisons.

– Développer de manière rationnelle les Centres de distribution d’électricité de chaque région.

– Développer les nouvelles sources d’énergie dans le cadre du plan à long terme, renouveler les technologies des centrales en cours d’exploitation, respecter les critères d’environnement, adopter les technologies de pointe pour les nouvelles centrales de production.

– Diversifier les investissements de production en vue d’encourager la concurrence et d’améliorer la rentabilité économique.

– Développer en priorité les énergies renouvelables  telles que éolien, solaire et biomasse (Tableau 3).

 

Tableau 3 : Capacité et production des énergies renouvelables de 2020 et 2030

 

Capacité (MW) Capacité (MW) Production (TWh) Production (TWh)
2020 2030 2020 2030
– Éolien 1 000 6 200
– Biomasse 500 2 000
– Hydraulique 17 400 17 400
– Pompage 1 800 5 700
– Thermique gaz naturel 10 400 11 300 66 73,1
– Thermique GNL 2 000 6 000
– Thermique charbon 36 000 75 000 156 394
– Nucléaire 10 700 70,5

 

Les centrales thermiques au charbon nécessiteront 67,3 Mt de combustibles en 2020 et 171 en 2030. En raison de l’épuisement progressif des sources d’énergie primaire, un programme de construction de centrales nucléaires a été établi avec mise en service du premier réacteur programmée pour 2020.  De l’énergie hydraulique sera importée du Laos, du Cambodge et de la Chine, soit   2 200 MW en 2020  et 7 000 MW en 2030   (Tableau 4).

 

Tableau 4 : Capacité, production, importation en 2020 et 2030

 

Capacité Capacité Production Production
2020 2030 2020 2030
 Total 75 000 MW 146 800 MW 330 TWh 695 TWh
– Hydraulique (%) 23,1 11,8 19,6 9,3
– Pompage (%) 2,4 3,9
– Thermique charbon (%) 48,0 51,6 46,8 56,4
– Thermique gaz (dont GNL) (%) 16,5 11,8 24,0 14,4
– Renouvelables (%) 5,6 9,4 4,5 6,0
– Nucléaire (%) 1,3 6,6 2,1 10,1
Importation  (%) 3,1 4,9 3,0 3,8

 

4.4. Directives pour les réseaux

Plusieurs critères de développement  ont été retenus.

–  Les investissements du réseau de transport doivent appliquer la règle de N-1 et respecter les normes techniques des pays de la région, et garantir la possibilité d’interconnexion.

–  La qualité de service (tension, fréquence) doit être assurée même en période de pointe.

–  Le choix du niveau de tension doit être compatible avec les puissances installées et les distances  (Tableau 5).

–  Le développement du réseau doit être synchronisé avec la mise en service des centrales.

–  Les réseaux de transport et de répartition (500 kV, 220 kV, 110 kV) doivent être conçus pour améliorer la stabilité du système et réduire les pertes en lignes. Le réseau de distribution moyenne tension doit être rénové et normalisé au niveau 22 kV.

–  Certains pylônes et poteaux doivent être conçus pour supporter plusieurs ternes et plusieurs niveaux de tension. La mise en souterrain de certains tronçons de lignes en milieu urbain peut être envisagée pour réduire l’impact sur l’environnement.

–  La modernisation des réseaux se fera par l’automatisation et l’utilisation des FACTS, SVC. La mise en place progressive du réseau intelligent (Smart Grid) permettra une exploitation efficace et une réduction des coûts tout en améliorant la sécurité.

 

Tableau 5 : Développement des puissances des stations et longueurs des lignes

 

Stations

Lignes

Unités 2011-2015 2016-2020 2021-2025 2026-2030
500 kV MVA 17 000 26 750 24 400 20 400
220 kV MVA  35 863 39 063 42 775 53 250
500 kV km 3 833 4 539 2 234 2 724
220 kV km 10 637 5 305 5 552 5 020

 

Actuellement le niveau de tension le plus élevé est le 500 kV. Après 2020, l’ultra haute tension 750 kV ou 1000 kV ou le courant continu à très haute tension pourra être envisagé.

Le développement des interconnexions avec les pays de l’ASEAN et les pays riverains du Mékong se poursuivra. Une puissance de 2.000 – 3.000 MW en 500 kV est à l’étude. La liaison se fera en 220 kV et 500 kV avec le Laos et le Cambodge et en 110 kV et 220 kV avec la Chine.

L’alimentation électrique en milieu rural, en régions montagnardes et en iles se fera par extension du réseau national ou par des sources d’énergies renouvelables.

4.5. Investissements

Le total des investissements d’ici 2020 s’élève à 48,8 milliards de dollars, soit en moyenne 4,88 milliards par an. Pour la période 2021-2030, le montant sera de 75 milliards. De 2011 à 2030, les besoins totaux en investissements seront de 123, 8 milliards dont 66,6 % pour les centrales de production et 33,4 % pour les réseaux.

Les entreprises d’électricité, de pétrole, de gaz, de charbon et du transport de l’électricité sont responsables du développement de l’énergie électrique du pays. Les tâches à accomplir sont nombreuses : assurer la sécurité du système électrique, mobiliser les ressources financières du pays et de l’étranger, repenser la tarification de l’électricité, améliorer l’organisation administrative et la gestion en vue d’une meilleure efficacité, assurer la protection de l’environnement, adopter les nouvelles technologies pour les équipements, moderniser les programmes de formation du personnel dans les écoles de l’EVN, renforcer et développer les ateliers électromécaniques, promouvoir les économies d’énergie et l’efficacité énergétique. Le gouvernement vient de demander à EVN de ne plus investir dans les banques , les assurances, la bourse, l’immobilier.

 

5. L’hydroélectricité

De par la place qu’elle occupe dans la production d’électricité primaire, l’hydroélectricité mérite une attention toute spéciale.

5.1. Hydrométéorologie

Le Viêt Nam est un pays à vocation hydraulique. La moyenne annuelle des précipitations  est  de 2 000 mm ( minimum 1 000 mm et maximum 4 000-5 000 mm).

Ses 2 400 cours d’eau totalisent une longueur de 41 000 km. Les trois plus importants d’entre eux sont :

–  le Mékong (longueur 4 500 km, débit à l’embouchure 11 000 m3/s) qui prend sa source en Chine sur le plateau du Tibet à plus de  5 000 m d’altitude, traverse plusieurs pays riverains, le Laos, le Cambodge et la Thaïlande, ainsi que le Viêt Nam sur 230 km ;

–  le Fleuve Rouge (529 km au Viêt Nam sur 1 126 km) ;

–  le Dong Nai (635 km).

Situé au carrefour des moussons du Sud-Est asiatique, le pays a un climat tropical et humide présentant de grandes diversités régionales en fonction de l’altitude et de la latitude. A la différence de la région du Nord avec ses 4 saisons plus ou moins bien marquées, la région du Sud ne connaît que deux  saisons. En saison pluvieuse et chaude (mai à novembre), des inondations et crues souvent catastrophiques submergent villages et rizières. En saison sèche et froide (décembre à avril), les cultures manquent d’apports liquides et les niveaux bas des cours d’eau favorisent la remontée fréquente des eaux salines. Ce phénomène devient plus préoccupant lors des marées hautes et des typhons, notamment au Centre du Viêt Nam.

Les ressources hydrauliques du Viêt Nam sont relativement abondantes. Son potentiel hydroélectrique est comparable à celui de la France (Tableau 6).

 

Tableau 6 : Potentiel hydroélectrique comparé du Viêt Nam

 

Potentiel (TWh) Viêt Nam France Monde
Exploité ( 2013) 57 76 3 700
Économique 85 80 8 000
Technique 110 100 15 000
Théorique ou sauvage 300 270 48 000

Seul le potentiel théorique reste stable. Les autres varient en fonction des données hydrologiques et météorologiques, des nouveaux aménagements, des progrès technologiques et des contraintes environnementales.

5.2. Barrages

Il existe actuellement au Viêt Nam 180 grands barrages. Ce sont des ouvrages, dont la hauteur par rapport à la fondation est supérieure à 15 m, selon la définition de la Commission Internationale des Grands Barrages (CIGB). Nombre d’entre eux ne produisent pas d’électricité. Les aménagements hydroélectriques sont en général à buts multiples (navigation, agriculture, industrie, protection contre les crues, eau potable, activités de loisirs).

Dix barrages de plus de 60 m de hauteur sont en cours de construction, parmi lesquels :  Lai Chau (137m, 1.200 MW, mis en service en 2016), Huoi Quang (104 m, 520 MW, 2015), Thuong KonTum (77 m, 220 MW, 2014).

Les barrages en exploitation les plus remarquables en puissance installée sont Hoa Binh (1920 MW – 7,2 TWh) et Son La (2 400 MW – 9 TWh)  (Figure 3).

A partir de 2009, des stations de pompage totalisant 2 400 MW (sur un programme de 8.000 MW) verront le jour.

En ce qui concerne la petite hydraulique (puissance inférieure à 30 MW) 1 232 MW sont en exploitation, 2 823 MW sont en construction et 3 421 MW sont en projet.

Fig. 3 : Barrage de Son La

5.3. Le Mékong

Comme la Chine, le Myanmar, la Thailande, le Laos et le Cambodge, le Viêt Nam est l’un des pays riverains du Mékong. C’est l’un des 10 plus grands fleuves du monde. Depuis sa source au Tibet, jusqu’à l’embouchure au Viêt Nam, le Mékong mesure 4 880 km. Avec un bassin versant de 795 000 km2, son débit moyen annuel est de 15 000 m3/s. Dix huit millions de vietnamiens vivent dans le delta du Mékong qui constitue le grenier à riz du Viêt Nam, puisque 50% de la production vivrière se trouve concentrée ici.

Du point de vue énergétique, le Mékong (avec un énorme potentiel théorique de 340 TWh) n’est exploitable sur le territoire du Viêt Nam que par quelques uns de ses affluents qui prennent naissance dans la région des hauts plateaux. Concernant la production d’électricité, la puissance totale installée de 16 ouvrages hydroélectriques existants sur le Bas Mékong est de 3 400 MW ( Thailande : 750 MW, Viêt Nam : 930 MW, Laos : 1 070 MW avec Nam Theun 2 , réalisé en BOT par EDF en 2010 ).

Le Viêt Nam ne pourra pas réaliser des aménagements de grande puissance dans le delta en raison des faibles hauteurs de chute. Après 2020, les programmes prévoient néanmoins  la possibilité d’augmenter fortement les puissances installées (Viêt Nam : 1270 MW, Cambodge : 4 700 MW, Laos : 5 000 MW). Le Laos et le Cambodge vendront des kWh au Viêt Nam, à la Thailande et à la Chine.

Le Comité du Mékong, créé en 1957, est devenu par la suite la Mékong River Commission (MRC) regroupant 4 pays riverains : le Viêt Nam, la Thailande, le Cambodge et le Laos. En 2002, la Chine et le Myanmar ont signé un accord pour devenir des « partenaires du dialogue »

5.4. Problèmes associés au développement de l’hydroélectricité au Viêt Nam

L’exploitation des aménagements hydroélectriques en soulève un certain nombre :

– la difficulté concernant l’optimisation de l’exploitation des retenues à buts multiples, compte tenu des fonctions parfois antagonistes et des priorités : écrêtement des crues, optimisation de la production électrique, soutien des étiages, entre autres ; il existe bien une Loi sur l’Eau qui traite des prescriptions sur la gestion, l’exploitation, l’utilisation et la protection des ressources en eau, mais il faut reconnaître qu’elle n’est pas pleinement efficace en raison d’une faible coordination entre les organismes responsables de la gestion des eaux et de la gestion intégrée des bassins versants ;

-l’auscultation et l’entretien parfois insuffisants, qualitativement et quantitativement,  pour certains barrages anciens ou de faible hauteur, souvent liés à un manque de moyens financiers ;

– le rapide comblement des retenues provoqué par l’érosion des bassins versants soumis à des pluies violentes et à une trop grande déforestation (notamment à cause des opérations de défoliation durant la guerre) ;

– la conservation des ressources hydrauliques et de la qualité des eaux à l’aval des grands réservoirs, avec les nouveaux besoins en eaux potables, pour la pisciculture et, probablement à long terme, pour le tourisme ;

– la lenteur du relogement des populations déplacées et le retard du reboisement des zones concernées par les aménagements (dans la région du barrage de Son La, en exploitation depuis 2012, 1/10e seulement de la superficie  a été reboisée, soit 35ha sur 300).

Les habitants redoutent donc avec raison les lâchers d’eau simultanés des dizaines de lacs de barrages en amont qui augmentent dangereusement les débits en aval.

Pourquoi construire ces barrages à un rythme si accéléré? On peut se demander si la planification des ouvrages hydroélectriques dans le système électrique du pays a été menée avec méthode et rigueur ?

Le 8 octobre 2014, s’est tenu à Washington un colloque d’ONG concernant les effets négatifs sur l’environnement, engendrés par la présence des barrages sur le cours principal du Mékong. La Chine a déjà construit plus d’une dizaine d’ouvrages en amont et les autres pays riverains projettent d’en construire autant.  Tous les participants reconnaissent l’échec de l’accord de coopération signé il y a 20 ans ! Le Laos provoque la colère du Viêt Nam et du Cambodge en ouvrant, en mars 2012, le chantier du barrage de Xayaburi (longueur 810 m,  hauteur 32 m). Un autre barrage laotien, le Don Sahong sur un affluent du Mékong est annoncé. La mésentente est totale au niveau des conséquences sur la population vivant à l’aval, l’agriculture, la migration des poissons, la sédimentation, la biodiversité et autres.

Des chercheurs ont démontré que les 33 milliards de dollars de recettes provenant de la vente des kWh sont loin de compenser les pertes colossales dues aux importants dégâts causés qu’ils ont évalués  à 275 milliards de dollars.

La difficulté vient aussi de la Chine qui est loin d’avoir un esprit coopératif avec la MRC. Ce pays ne se préoccupe pas des réactions des autres pays riverains. Il garde secrètes les données hydrologiques et météorologiques! Les litiges territoriaux et politiques, difficiles à résoudre, entre le Viêt Nam et la Chine  compliquent encore la situation. Il faut que la Chine devienne membre à part entière de la MRC pour favoriser les échanges et améliorer la coopération. Si les Chinois détournaient une partie des eaux du Haut-Mékong vers le nord de leur pays, ce serait un danger pour les pays riverains de l’aval.

La réalisation des projets doit être progressive et l’exploitation doit être coordonnée afin de bénéficier  d’un retour d’expérience. En effet, les problèmes à résoudre sont nombreux : crues, étiages, salinité, sédimentation, migration des poissons, biodiversité, qualité des eaux, pesticides, élévation du niveau des mers en raison du changement climatique, digues de protection, bassins de rétention, voies de communication, aspects environnementaux et sociaux- économiques. Des schémas directeurs sont en cours d’études tel que Le Mékong Delta Plan du bureau d’études hollandais Haskoning.

 

6. Nucléaire et changement climatique

 Le programme nucléaire du Viêt Nam prévoit la construction, de 2014 a 2030 de 14 réacteurs (de 1 000 MW pour les 10 premiers , puis de 1 300 – 1 500 MW pour les suivants) répartis sur 8 sites situés dans 5 provinces du Centre du pays. Il s’agit de Ninh Thuan (3 sites), Quang Ngai (2), Phu Yen (1), Binh Dinh (1), Ha Tinh (1). Après la catastrophe de Fukushima, le site de Ninh Thuan risque de connaître des modifications.

Le gouvernement a pris au début de 2014 la sage décision de reporter la construction du premier réacteur avec l’aide de la Russie  en 2020.

 Au Viêt Nam, en effet, le réchauffement climatique pose des problèmes de sécurité redoutables, tant pendant la durée de construction (5 à 7 ans) que durant la période d’exploitation (40 à 50 ans). Chaque année plus d’une dizaine de typhons ou inondations s’acharnent sur cette région du Centre Viêt Nam. Leur fréquence d’apparition et leur puissance qui continuent à augmenter deviennent de plus en plus traumatisantes pour une population économiquement plus faible que celle du Nord ou du Sud. Le Viêt Nam est classé 26e dans le groupe des pays à risque extrême. Comme pour les pays asiatiques, il est menacé par des tempêtes plus violentes et plus fréquentes, une augmentation d’inondations marines ou fluviales et d’éboulements rocheux dus à la fonte des glaciers de l’Himalaya, une érosion, des glissements de terrains, une diminution des ressources en eau dont les réserves d’eau douce, une élévation du niveau de la mer, une submersion, une salinité avec baisse du rendement des cultures, une augmentation de la mortalité en raison des maladies diarrhéiques, une propagation du choléra par l’élévation de température.

La capacité d’adaptation du Viêt Nam est faible, faute de volonté politique et de financement. Des travaux d’envergure doivent être lancés sans tarder : plans d’urbanisme et de prévention à revoir, routes ponts et maisons à reconstruire, installations à protéger, cours d’eau à nettoyer, protection des digues et barrages, déplacement des populations.

En outre, compte tenu du manque de personnel qualifié et d’une culture de la sûreté, des investissements nécessaires au renforcement continu de celle-ci, des coûts exorbitants (des dizaines, puis des centaines de milliards de dollars) pour le démantèlement des centrales, de la gestion à long terme des déchets radioactifs et des catastrophes, le coût du kWh nucléaire au Viêt Nam sera certainement plus élevé que celui des énergies classiques et renouvelables. La formation des spécialistes et du personnel qualifié a un coût très élevé. Mais l’important c’est aussi la discipline et la rigueur des hommes et des femmes dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes. La fiabilité et la sûreté nucléaire réclament un contrôle extrêmement sévère, à défaut duquel l’assurance de qualité est impossible. Sur le plan juridique, des structures sont à créer : l’autorité de sûreté nucléaire doit s’imposer par sa compétence et sa rigueur objective.

Pour faire face à la menace climatique, le Viêt Nam n’a donc pas d’autres choix stratégiques que d’exploiter massivement dès maintenant les énergies renouvelables, d’encourager l’efficacité énergétique et les économies d’énergie. Exploiter les énergies renouvelables, réduire le CO2, pour protéger l’environnement en faveur des futures générations, c’est s’orienter progressivement vers une économie positive. Le gouvernement doit prendre en compte aussi la qualité de vie de la population et attacher plus d’importance au développement durable au lieu de se laisser imposer la dictature du court terme, avec pour seule obsession un taux élevé du PIB.

 

7. Prévisions et planification

Selon les prévisions du Plan de développement présenté ci- dessus, le Viêt Nam aura besoin de 330 à 362 TWh  en 2020 et de 695 à 834 en 2030 ! Ces chiffres colossaux très fortement exagérés, inaccessibles à ces horizons, sont apparemment le résultat d’une simple extrapolation et non d’une analyse fine des besoins. Une telle consommation est techniquement et financièrement impossible à réaliser.

Le taux d’accroissement exponentiel de la demande d’électricité, au rythme d’environ 15% par an, ne peut perdurer, car il exige un doublement de la capacité des centrales et des réseaux électriques tous les 5 ans ! Même au taux désormais réduit à 11%, il sera difficile de réaliser tous les projets d’investissement. Avec un gaspillage d’énergie très important, le Viêt Nam aura du mal à réduire à 1 en 2020  le coefficient d’élasticité de sa demande d’électricité. EVN aurait intérêt à proposer des modèles de demande et non des modèles d’offre. La planification énergétique du pays gagnerait  à être plus rigoureuse  pour ne pas induire en erreur les décisions gouvernementales, notamment en relation avec le programme nucléaire.

Il faut que EVN privilégie la production décentralisée et investisse sans tarder dans les réseaux intelligents (smartgrids). Les régions doivent être autonomes en énergie électrique. Les centrales de taille moyenne ou petite doivent être réparties sur tout le territoire. L’équilibre production-consommation, local et régional, permet ainsi de mieux garantir la sécurité de l’approvisionnement. L’électricité ne se stockant pas, du moins en grande quantité, les smartgrids permettent d’optimiser l’ensemble des maillons de la chaîne du système électrique, englobant tous les producteurs et consommateurs [notice 073]. Ils améliorent le rendement des centrales tout en réduisant les pertes en lignes, favorisent l’insertion des sources d’énergie renouvelables en distribuant le courant au meilleur coût possible. Ils permettent d’autre part, le renforcement de la sécurité, les économies d’énergie, l’amélioration de l’efficacité énergétique, la réduction des capacités de pointe. Grâce aux technologies de l’information et de la communication, les réseaux communicants permettent d’assurer l’équilibre production-consommation à chaque instant, avec une réactivité plus importante.

Concernant les réseaux de transport, le Viêt Nam n’aura pas à introduire à terme ni l’ultra haute tension (750 kV ou 1000 kV) ni le courant continu à haute tension, si EVN adopte systématiquement la politique de production décentralisée. Pour des raisons techniques, économiques et écologiques, il faut limiter autant que possible le transport du courant sur de très longues distances.

La réorganisation et le renforcement des lignes de distribution moyenne et basse tension s’avèrent nécessaire si EVN veut améliorer la qualité de service en réduisant la fréquence et la durée des coupures. Le coût de la défaillance doit être pris en compte dans le calcul économique. Apparemment les lignes basse tension et de branchements domestiques ne sont pas nettes et « propres ». Ce laisser-aller provoque souvent des accidents mortels regrettables.

Côté production d’électricité, le très faible objectif de 9,4% d’énergies renouvelables (hors hydraulique)  pour 2030 montre que le Viêt Nam a beaucoup de retard dans le déploiement des énergies vertes, surtout par comparaison avec les évolutions observées ailleurs dans le monde où, en 2013, 53% des capacités électriques nouvelles proviennent des énergies renouvelables. La croissance de la puissance installée à l’échelle de la planète, repose désormais sur celles-ci, photovoltaïque et éolien, en particulier.

Côté consommation, alors que partout, on réclame la sobriété, au Viêt Nam on semble encourager la consommation.  Le chemin à parcourir vers plus d’efficacité est encore long. Le recours à une politique d’incitation, d’encouragement, de fiscalité verte s’avère nécessaire. La conversion écologique en douceur de l’économie vietnamienne réclame un changement de comportement des individus, une prise de conscience de la responsabilité citoyenne. Ce qui nécessite des actions pédagogiques d’envergure et de longue haleine de la part de l’administration et du corps enseignant  à tous les niveaux.

 


Bibliographie complémentaire

Nguyen Khac Nhan (1992). Instabilité de tension sur la ligne 500 kV au Viet Nam. Conférence Internationale des Grands Réseaux électriques (CIGRE), Paris.

Nguyen Khac Nhan, Nguyen Tran The, Michel Ho Ta Khanh (2003).  L’hydroélectricité au Viet Nam. Revue de l’Energie, n°5.

Nguyen Tho Nhan (2009). Changement climatique et Energie, Nhà xuất bản trí thức Hanoi.

Plan (VII) national de développement de l’énergie électrique (période 2011-2020 avec projection vers 2030), Institut de l’Energie du Viet Nam, Hanoi, 07-2011.

nguyenkhacnhan.blogspot.fr.

– 20. Le Viet Nam face à l’économie de l’électricité nucléaire, UGVF Paris, 2008.

– 38. Le Viet Nam doit abandonner le programme nucléaire, interview de BBC, 2012.

– 44. La leçon de la grande panne d’électricité au Sud Viet Nam, interview de RFA, 2013.

– 49. Nucléaire au Viet Nam et changement climatique, interview de RFI, 2013.

– Pham Duy Hien, Divers interviews de RFA et RFI sur le programme nucléaire du Viet Nam, 2010-2013.

– Vo Van Thuan, Nuclear power in Viet Nam for substainable development, CIGOS, Lyon 4-5/04/2013.

– L’énergie au Viet Nam, Institut des Hautes Etudes pour la Science et la Technologie ( ihest), 21/11/2013.

– Michel Ho Ta Khanh, Le Viet Nam et les aménagements hydroélectriques dans le bassin versant du Mékong, Recherches internationales, 01 et 03/2014.

– Revue Hydropower and Dams, Annuaire 2014.

– Statistiques de l’ Electricité du Viet Nam, 2014.

– Radio Free Asie, Bế tắc ở sông Mékong, 09/10/2014.

– Transition énergétique : La France au pied du mur, Alternatives Économiques, 10/2014.

 


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