Quel mix énergétique pour une France décarbonée en 2050 ? Contrairement à d’autres, les auteurs du scénario Négawatt juge possible un progressif abandon du nucléaire. Pour ce faire, ils préconisent une diminution par deux ou trois de la consommation d’énergie dans le bâtiment, le transport, l’industrie et l’agriculture, parallèlement à un vigoureux essor des sources renouvelables, dont le solaire et l’éolien.
Depuis sa création en septembre 2001, l’association négaWatt s’efforce de construire les clés d’un avenir énergétique soutenable. Pour ce faire, elle a fondé toute son action sur une philosophie simple, qui commence par remettre la question énergétique dans le bon sens en partant des usages et non des ressources : c’est de nous chauffer, de nous éclairer ou de nous déplacer dont nous avons besoin, et non d’uranium de pétrole ou de bois.
Elle s’interroge ensuite sur les moyens les plus soutenables de satisfaire nos besoins de services énergétiques en appliquant une démarche en trois temps :
• la sobriété, tout d’abord, qui consiste à interroger nos besoins puis agir à travers les comportements individuels et l’organisation collective sur nos différents usages de l’énergie, pour privilégier les plus utiles, restreindre les plus extravagants et supprimer les plus nuisibles ;
• l’efficacité ensuite, qui consiste à agir, essentiellement par les choix techniques en remontant de l’utilisation jusqu’à la production, sur la quantité d’énergie nécessaire pour satisfaire un service énergétique donné ;
• le recours aux énergies renouvelables, enfin, qui permet, pour un besoin de production donné, d’augmenter la part de services énergétiques satisfaite par les énergies les moins polluantes et les plus soutenables.
Bien dimensionner notre niveau d’éclairement puis recourir à des luminaires à haute efficacité permet par exemple de diviser par cinq ou davantage la consommation d’électricité correspondante : ce sera d’autant plus facile de produire celle-ci par des énergies renouvelables. Cet exemple simple est transposable à l’ensemble de nos usages de l’énergie, des plus anecdotiques aux plus structurants.
1. L’urgence de la transition énergétique
Cette démarche est la seule à même de répondre aux défis toujours plus pressants de l’énergie. Il y a en effet urgence du côté des impacts comme du côté des ressources.
La croissance de la consommation des énergies fossiles que sont le charbon, le pétrole et le gaz dit naturel n’est pas soutenable. D’une part, elle augmente les émissions mondiales de gaz à effet de serre, qui nous entraînent toujours plus vite vers un réchauffement climatique aux conséquences difficilement calculables. D’autre part, elle accélère l’épuisement de réserves qui ne sont pas infinies, nous rapprochant chaque jour un peu plus de tensions géostratégiques et économiques majeures.
La catastrophe de Fukushima, 25 ans après celle de Tchernobyl, nous rappelle que l’énergie nucléaire ne constitue pas une alternative acceptable, d’autant plus qu’elle reste cantonnée à un rôle marginal en fournissant moins de 3 % de la consommation finale d’énergie dans le monde.
À l’inverse, l’ensemble des énergies renouvelables, qui fournissent d’ores et déjà plus de 15 % de la consommation mondiale, constituent de loin la ressource la plus abondante à notre disposition, et de toute façon la seule qui le sera sur la durée : l’énergie solaire reçue chaque année sur Terre, dont nous savons récupérer une partie soit directement, soit via la biomasse, le vent ou le cycle de l’eau, représente plus de 10 000 fois la consommation annuelle mondiale d’énergie.
Il n’y pas d’autre avenir qu’un système énergétique sobre, efficace et basé sur ces énergies de flux. La transition vers cette solution soutenable est non seulement souhaitable, elle est surtout possible. À une condition : la décider vite pour pouvoir l’engager sans tarder.
2. Un scénario soutenable et réaliste
Le scénario négaWatt repose sur quelques principes fondamentaux.
• Au-delà d’un optimum technico-économique des différentes énergies, il intègre des critères sociaux et environnementaux dans la hiérarchie des solutions. Concrètement, cela signifie qu’il explore systématiquement les gisements de négaWatts de la sobriété et de l’efficacité énergétique dans tous les secteurs, puis qu’il privilégie les énergies de flux par rapport aux énergies de stock. Ceci conduit à écarter la construction de nouveaux réacteurs nucléaires ainsi que le recours aux technologies de capture et séquestration de carbone ou l’exploitation des gaz de schistes.
• Le scénario ne repose sur aucun pari technologique. Des ruptures ou bonnes surprises ne sont pas à exclure d’ici à 2050 telles que la maturité des biocarburants liquides ou gazeux de 3e génération mais elles sont impossibles à prévoir. Le scénario ne retient que des solutions jugées réalistes et matures, c’est-à-dire dont la faisabilité technique et économique est démontrée même si elles ne sont pas encore très développées au niveau industriel. Il dessine ainsi une trajectoire robuste tout en restant ouverte aux évolutions futures.
• L’objectif du scénario ne se réduit pas à la lutte contre le changement climatique. Il ne suffit pas de décarboner l’énergie mais il faut réduire l’ensemble des risques et des impacts liés à notre modèle énergétique. Les contraintes sur l’eau, les matières premières ou l’usage des sols doivent également être prises en compte. Sur ce dernier point, le scénario est couplé avec Afterres 2050, un scénario centré sur les utilisations de la ressource biomasse pour l’alimentation, l’énergie et les matériaux et développé selon une démarche similaire à celle de négaWatt par l’association Solagro, spécialiste reconnue du domaine.
Le scénario négaWatt 2011-2050 propose ainsi une trajectoire énergétique ambitieuse mais réaliste et conforme à un principe central du développement soutenable : « léguer aux générations futures des bienfaits et des rentes plutôt que des fardeaux et des dettes ».
3. Des gains de moitié à deux tiers dans les différents secteurs consommateurs d’énergie
Le scénario négaWatt analyse, secteur par secteur, les gains attendus de l’application systématique d’une démarche de sobriété et d’efficacité. Partant d’une consommation énergétique finale de 1 908 TWh en 2010, les économies les plus importantes sont trouvées dans le bâtiment résidentiel et tertiaire, avec près de 400 TWh d’économie en 2050 par rapport au tendanciel, soit une réduction de 49 %. Suivent les transports, avec plus de 450 TWh d’économie soit moins 67 %, puis l’industrie avec 250 TWh d’économie soit 51 % (voir équivalences kWh en annexe). Même si l’évolution des pratiques agricoles est fondamentale dans l’équilibre entre les besoins et les ressources, l’agriculture en tant que telle est marginale dans ce bilan sur les usages qui ne prend en compte que les consommations spécifiques (gazole des tracteurs, chauffage des serres, etc.) : elle est en fait intégrée à la courbe de l’industrie.
4. Le bâtiment, enjeu énergétique essentiel
Le bâtiment représente aujourd’hui plus de 40 % de notre consommation énergétique finale, essentiellement pour des usages liés à la chaleur : chauffage, climatisation, eau chaude sanitaire et cuisson. Les niveaux de consommation, très liés aux choix de construction et d’équipement des bâtiments, ont une très forte inertie, et le renouvellement du parc est extrêmement lent avec à peine 1 % de nouvelles constructions chaque année : même en appliquant strictement des normes élevées d’isolation, agir uniquement sur le neuf ne saurait être suffisant.
Le scénario négaWatt introduit différents facteurs de sobriété. Il suppose notamment une relative stabilisation du nombre d’habitants par foyer à 2,2 en moyenne, au lieu d’une poursuite du phénomène de décohabitation mesuré par l’INSEE : la différence représente rien moins que 3 millions de logements en 2050. Il prévoit également une stabilisation de la surface moyenne des nouveaux logements, ainsi qu’un développement de l’habitat en petit collectif, et dans le tertiaire un ralentissement sensible de la croissance des surfaces, passant de 930 millions de m2 aujourd’hui à 1,2 milliard de m2 en 2050, contre 1,5 milliard dans le scénario tendanciel.
Les actions d’efficacité se concentrent sur l’amélioration massive des performances énergétiques des bâtiments, à la fois par l’isolation (parois et toiture), et par l’optimisation des systèmes de chauffage. Cette combinaison représente des gisements d’économies d’énergie considérables qu’il est indispensable de mobiliser non seulement dans le neuf, mais surtout dans l’existant.
Ce chantier incontournable de la rénovation énergétique est l’une des clés du scénario. Il commence par le parc ancien de logements, construits avant 1975 puis s’étend aux logements plus récents et au tertiaire. Après une période nécessaire à la montée en puissance de ce programme, ce sont à terme 750 000 logements et 3,5 % des surfaces du tertiaire qui sont concernés chaque année.
Ces rénovations visent systématiquement un degré élevé de performance pour atteindre une consommation moyenne de 40 kWh d’énergie primaire par m2 par an pour les besoins de chauffage, soit quatre fois moins qu’aujourd’hui. La même exigence s’applique aux bâtiments neufs, construits au niveau passif avec une moyenne de 15 kWh par m2 et par an pour le résidentiel, 35 le tertiaire.
Cet effort s’accompagne de l’introduction progressive de systèmes de chauffage, de production d’eau chaude et de climatisation les plus performants, basés en priorité sur les énergies renouvelables. À terme, le chauffage électrique direct par convecteurs, le fioul et le gaz fossile, actuellement dominants, sont quasiment abandonnés au profit du bois (30 % des besoins de chaleur), du gaz renouvelable (33 %), des pompes à chaleur électriques (17 %), des réseaux de chaleur (12 %) et du solaire thermique (9 %). Le gaz naturel fossile importé est progressivement remplacé par du biogaz ou du gaz de synthèse produit par des énergies renouvelables.
Les bâtiments résidentiels et tertiaires sont aussi le siège d’importantes consommations d’électricité spécifique (47% du total), qui ne représentent que 10 % de notre consommation finale d’énergie, mais recouvrent des usages indispensables à notre confort. Le scénario négaWatt en distingue une trentaine auxquels il applique la même méthode : après une analyse sociologique et démographique des usages, il cherche les facteurs de sobriété et d’efficacité et se fixe comme règle pour chaque usage, d’appliquer systématiquement les bonnes pratiques et d’atteindre en moyenne les meilleurs niveaux de performance observés aujourd’hui. .
Cette évolution prend en compte une part réservée à de nouveaux usages encore inconnus mais que les évolutions techniques et sociales laissent entrevoir. Au total, la consommation moyenne en électricité spécifique d’un ménage diminue de 2 850 kWh par an en 2010 à environ 1 400 kWh par an en 2050 tout en permettant une meilleure satisfaction des besoins. Dans le tertiaire, le scénario aboutit à une baisse de 45 % de la consommation d’électricité spécifique par rapport à 2010.
5. Les transports, un secteur à penser à long terme
Dans les transports, une ligne directrice est indispensable pour sortir de la situation actuelle. Ils représentent 33 % de notre consommation énergétique finale, répartis en un peu moins de deux tiers pour les déplacements de voyageurs et un tiers pour les marchandises, mais ils dépendent à plus de 94 % du pétrole. Il nous faut conserver une liberté de déplacement tout en sortant de notre dépendance presque totale au transport automobile, du moins sous sa forme actuelle.
Le scénario négaWatt envisage une évolution différenciée, selon les solutions les plus adaptées en fonction des motifs de déplacement, des distances à parcourir et de la densité d’infrastructures de transport sur le parcours, de l’espace rural à l’hyper-centre urbain.
Il prévoit d’abord une évolution des besoins de mobilité sous l’effet des politiques d’aménagement du territoire et de nouvelles pratiques sociales. Une politique alternative à l’étalement urbain de densification des espaces urbains et de revitalisation des espaces ruraux, le développement du commerce en ligne ou celui de centres partagés de télétravail doivent permettre de réduire, pour les mêmes services, le nombre de kilomètres parcourus. Le scénario prévoit ainsi, globalement, un gain de 25 % environ sur le total des kilomètres parcourus par personne en une année.
La place laissée à la voiture individuelle diminue d’autant plus qu’on se place dans un espace dense et pour des distances courtes. Au total, elle ne représente plus que 49 % du nombre total de kilomètres-voyageurs parcourus, contre 61 % actuellement.
Le transfert bénéficie en priorité aux modes de déplacement doux que sont la marche à pied et le vélo pour les courtes distances, et aux transports en commun pour les distances supérieures – ce qui suppose bien sûr un aménagement correspondant des espaces publics urbains ainsi que des réseaux de trains régionaux ou d’autocars. Au centre des espaces urbains, des systèmes très flexibles tels que des petits véhicules électriques en auto-partage ou des taxis collectifs viennent compléter l’offre, excluant à terme totalement le véhicule automobile tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Des gains sont ensuite envisagés dans les consommations, à la fois par une meilleure organisation, permettant d’augmenter le taux de remplissage des véhicules et par une régulation plus stricte avec par exemple la limitation des vitesses, mais surtout grâce à une meilleure efficacité des moteurs et une réduction du poids des véhicules en rapport avec les usages : la consommation unitaire par kilomètre parcouru diminue de 57 % entre 2012 et 2050.
Le principal gain réside toutefois dans un changement de motorisation autour de deux filières complémentaires. La première est le véhicule électrique, dont la généralisation poserait d’importants problèmes de réseau et de matières premières mais qui se révèle bien adapté aux trajets courts en milieux urbains : il assure au final 21 % des kilomètres parcourus en véhicule automobile.
La seconde est le véhicule fonctionnant au gaz dont le choix pour les voitures, les bus et les poids lourds, repose à la fois sur les avantages intrinsèques de ce vecteur et sur le potentiel qu’il ouvre pour basculer progressivement vers une utilisation de ressources renouvelables : gaz naturel véhicule (GNV) fossile dans un premier temps, il est progressivement remplacé par le gaz renouvelable véhicule (GRV) au fur et à mesure de l’incorporation du biogaz et du gaz de synthèse dans le réseau. La carburation au gaz, déjà largement développée par exemple en Italie, est adaptable sur les véhicules actuels, à essence ou Diesel, elle est fiable et performante. La plupart des stations services peuvent être alimentées par le réseau gazier – sauf dans les territoires très isolés où une part de véhicules à carburant liquide est maintenue. Les véhicules fonctionnant au gaz représentent à terme plus de 65 % des déplacements automobiles. Par ailleurs, ces véhicules, comme ceux fonctionnant aux carburants liquides, sont très majoritairement équipés de systèmes hybrides si possible rechargeables, ce qui en augmente fortement l’efficacité.
La même logique s’applique bien sûr au transport de marchandises. Ainsi le carburant gaz représente 83 % des transports par camion en 2050, et le véhicule électrique, développé en milieu urbain, représente près de 13% des transports par petits véhicules utilitaires. Le scénario intègre également une progression du taux de remplissage des véhicules, et un transfert modal vers le transport ferroviaire, qui atteint 40 % des tonnes-kilomètres en 2050, et le transport fluvial qui atteint 5 %.
Le scénario prévoit surtout, comme pour les voyageurs, une inversion de tendance sur les volumes transportés, qui repose sur une évolution sensible de l’industrie. Ainsi, le nombre de tonnes-kilomètres, au lieu d’augmenter proportionnellement à la population voire plus vite encore, connaît une baisse de 2,5 % entre 2010 et 2050.
6. Une mutation de l’industrie
La transition énergétique va de pair avec une profonde évolution de l’industrie, dont la consommation finale d’énergie (23 % de la consommation totale de la France), est aujourd’hui relativement stabilisée grâce aux efforts des industriels pour améliorer l’intensité énergétique (la quantité d’énergie nécessaire par unité de production) mais aussi par l’effet des délocalisations qui masquent les consommations intermédiaires d’énergie en les exportant.
La démarche négaWatt introduit une nouvelle perspective en s’interrogeant sur les besoins réels et en reliant besoins de produits finis et de matériaux, avec de la sobriété et de l’efficacité aux différentes étapes. Le scénario prévoit par exemple une réduction importante des emballages ainsi que des papiers imprimés – en rétablissant la consigne sur les bouteilles ou en éliminant les prospectus publicitaires. Plus généralement, l’introduction de principes de réparabilité et de recyclabilité, et surtout la fin de l’obsolescence programmée qui est la règle actuellement permettent de réduire d’autant les besoins de production.
Les besoins énergétiques de l’industrie sont par ailleurs évalués en cohérence avec les évolutions des différents secteurs d’activité, parfois à la baisse avec par exemple une diminution de 45 % sur les engrais agricoles ou de 30 % sur les matériaux pour la construction automobile, parfois à la hausse comme dans le bâtiment en lien avec la rénovation énergétique. Au total, le scénario prévoit une baisse des besoins en matériaux de 10 % à 70 % selon les secteurs, et ceci malgré l’augmentation de 15 % de la population et surtout malgré la relocalisation en France de l’essentiel des industries de transformation, une condition impérative pour atteindre un bilan acceptable en consommation d’énergie et en émission de gaz à effet de serre en se refusant à tabler sur l’exportation des impacts de nos achats de produits manufacturés.
L’efficacité porte sur l’ensemble des procédés. Le scénario intègre par exemple un gain moyen en efficacité de 35 % pour l’ensemble des moteurs électriques, et des gains différenciés pour les procédés utilisant des combustibles, de 32 % dans la sidérurgie à 50 % dans les cimenteries. Il prévoit aussi de développer les solutions de cogénération et de récupération de chaleur sur les sites industriels.
La clé pour aller plus loin est le recyclage des matériaux. Aussi, le scénario prévoit d’augmenter les taux de recyclage actuels pour atteindre à terme des taux proches des maximums réalistes tant du point de vue des procédés que de la collecte. Par exemple, en 2050, 30% des plastiques et 90% de l’acier sont issus du recyclage contre respectivement 4,5% et 52% aujourd’hui
Comme dans le bâtiment et les transports, ces transformations remontent des usages vers les procédés techniques pour faciliter un plus grand recours aux énergies renouvelables. Outre leur contribution via un usage accru de l’électricité, celles-ci se substituent en partie aux sources fossiles : charbon de bois et plastiques recyclés pour la sidérurgie et la cimenterie, gaz d’origine renouvelable et bois ailleurs, et enfin solaire thermique qui couvre en 2050 plus de 30 % des besoins de chaleur basse température et 15 % des besoins en moyenne température.
7. Le secteur agricole au cœur de la transition
Comme l’industrie, l’agriculture relie consommation et production. Avec à peine plus de 2 % de la consommation finale d’énergie, son impact direct est faible, mais elle pèse à la fois par ses émissions de gaz à effet de serre non énergétiques (méthane et protoxyde d’azote) et par sa capacité de production d’énergie tirée de la biomasse, dont on doit veiller à ce qu’elle n’entre pas en concurrence avec les autres usages essentiels que sont l’alimentation mais aussi la production de matériaux.
L’analyse s’appuie ici sur le scénario Afterres 2050 qui applique la même démarche de sobriété et d’efficacité à toutes les étapes de la chaîne agricole : maîtrise des besoins, réduction des pertes et des gaspillages, recyclage des déchets organiques, etc. Ce scénario est notamment centré sur une évolution de l’alimentation visant un meilleur équilibre nutritionnel et une réduction des surconsommations actuelles de glucides (sucres), de lipides (graisses) et de protéines animales. Le régime alimentaire de 2050 comprend ainsi environ moitié moins de viande qu’aujourd’hui, et aussi moins de lait. Il contient en revanche une part accrue de fruits, de légumes et de céréales.
Ce rééquilibrage a un effet bénéfique aussi sur l’énergie et les surfaces disponibles : l’élevage consomme bien plus de surface et d’énergie que les productions végétales, et nous avons atteint un niveau de consommation de viande qui n’est pas soutenable à l’échelle de la planète.
Le scénario Afterres 2050 prévoit donc une division par deux des cheptels et une division par cinq de l’élevage intensif. Les modes de production agricole s’orientent plus largement vers le développement de l’agriculture biologique d’une part et de la production dite intégrée d’autre part, qui consiste à appliquer des techniques culturales respectueuses des équilibres écologiques (mixité, rotation longue, absence de labours profonds, agroforesterie, optimisation des semis et utilisation d’intrants naturels, etc.). Ces deux approches se partagent à moitié les surfaces cultivables et permettent de diviser par quatre ou cinq les besoins d’intrants chimiques tout en préservant de bons rendements et en améliorant la qualité des sols.
Comme pour l’industrie, ces équilibres se dessinent dans une perspective de souveraineté alimentaire : la France peut continuer à exporter, notamment dans l’espace européen où la surface cultivable par habitant est en moyenne plus faible, et elle importe toujours certains produits tropicaux (thé, café, cacao…), mais elle cesse progressivement d’importer d’Amérique l’alimentation destinée à son propre cheptel.
8. Vers des usages sobres, efficaces et renouvelables
À l’image de cette perspective de manger mieux et plus sain, la sobriété ne veut pas dire perte du plaisir, bien au contraire ! La France du scénario négaWatt ne vit pas dans la privation. On s’y loge un peu plus dans du petit collectif qu’aujourd’hui, sans toutefois de réduction notable de la surface de son logement. On y dépense beaucoup moins pour se chauffer tout en bénéficiant d’un meilleur confort thermique d’hiver comme d’été. Les équipements électriques des ménages sont plus efficaces et l’usage qui en est fait est plus rationnel, consommant en moyenne deux fois moins d’électricité spécifique.
Les modes de consommation et de production évoluent et l’activité tertiaire, industrielle et agricole avec eux. Au final, les Français ne consomment pas moins mais mieux. Ces changements s’accompagnent d’une meilleure répartition des activités sur le territoire qui conduit à une réduction des distances parcourues. Bénéficiant d’infrastructures de transports plus diversifiées et plus adaptées, ces déplacements s’effectuent dans des conditions plus agréables.
Au terme de ces évolutions ambitieuses, mais somme toute réalistes à l’échelle d’une ou deux générations en regard de ce qui nous sépare de nos grands-parents, le gisement d’économies d’énergie mis en évidence est considérable : les gains s’élèvent respectivement à 54 % sur la chaleur, 64 % sur la mobilité mais seulement 36% sur l’électricité spécifique du fait que sa part progresse dans les usages.
Au total, les gains en consommation finale d’énergie s’élèvent à plus de 60 % par personne. La sobriété et l’efficacité comptent globalement chacune pour moitié environ dans ce résultat, avec toutefois des différences selon les secteurs : plus de sobriété dans les transports, plus d’efficacité dans le bâtiment.
Dès lors qu’il faut fournir en 2050 environ 2,2 fois moins d’énergie que dans un scénario tendanciel pour satisfaire les besoins de la société française, la question des ressources énergétiques pour y répondre change de nature. Les évolutions envisagées par le scénario négaWatt, qui s’accompagnent des transformations nécessaires sur les infrastructures et les équipements, permettent une bascule presque totale vers les énergies renouvelables : celles-ci peuvent couvrir en 2050 près de 90 % des besoins de chaleur et de mobilité et près de 100 % des besoins en électricité spécifique.
9. Le décollage des énergies renouvelables
Pour répondre à la demande résiduelle d’énergie issue des actions de sobriété et d’efficacité, le scénario envisage une offre fondée en priorité sur le développement des énergies renouvelables, avant de considérer le rythme de réduction des énergies fossiles et fissile en fonction de l’ajustement nécessaire aux besoins. Ce développement se veut réaliste. Il s’appuie notamment sur une estimation prudente des potentiels et sur le retour d’expérience industrielle tiré des programmes passés en France, mais surtout des réussites observées à l’étranger.
Le scénario négaWatt s’appuie aussi sur la principale richesse des énergies renouvelables : leur diversité et leur complémentarité. Un recours aussi judicieux que possible aux différentes ressources disponibles permet de mieux maîtriser les conditions de développement et les impacts spécifiques à chacune d’elles.
Les énergies renouvelables électriques focalisent l’attention, mais l’électricité ne représente aujourd’hui que 23 % de nos consommations énergétiques. Du point de vue quantitatif, l’essentiel se joue donc ailleurs : c’est sur la mise en place d’un système moderne de mobilisation d’exploitation de la biomasse que repose avant tout la transition énergétique.
Le scénario négaWatt s’articule là aussi avec les projections d’Afterres 2050, où l’évolution du système agricole libère des espaces pour la production de biomasse énergie et de matériaux biosourcés qui, en se substituant à des matériaux classiques issus de ressources non-renouvelables, participent aux économies d’énergie dans d’autres secteurs que l’agriculture.
La première ressource en biomasse est le bois énergie. Si la surface forestière reste quasi-stable, sa meilleure exploitation, assortie d’un développement de l’agroforesterie et d’une récupération plus systématique des déchets de bois divers, permet de multiplier par 2 son apport pour atteindre 263 TWh en 2050.
Le scénario exploite ensuite la ressource agricole à plusieurs niveaux. L’un d’eux est la généralisation de la méthanisation des déjections d’élevage, ainsi que d’une partie des résidus solides de culture. L’herbe des prairies fournit également une très bonne ressource pour la méthanisation, et le recul de l’élevage libère environ 1,5 millions d’hectares qui peuvent lui être consacrés, portant la production de biogaz à 157 TWh en 2050 contre 4 TWh aujourd’hui.
Même si l’on tient compte des progrès possibles, les agrocarburants liquides présentent globalement un rendement et des impacts moins favorables que cette production de biogaz, qui peut notamment être utilisée dans les transports. Aussi, la production de biomasse liquide diminue dans un premier temps avant de retrouver en 2050 un niveau comparable au niveau actuel.
Au total, un triplement de l’utilisation de la biomasse sous toutes ses formes à l’horizon 2050 permet, avec 433 TWh, de couvrir près de 45 % des besoins en énergie primaire.
Riche en ressources agricoles, la France possède également l’un des meilleurs potentiels en Europe pour chacune des grandes filières d’électricité renouvelable : l’hydroélectricité, l’éolien et le photovoltaïque. Seule la première a atteint, avec 77 TWh, un niveau important de production que le scénario maintient stable dans l’avenir.
Aussi, la priorité va d’abord au rattrapage du retard pris par la France dans le domaine de l’éolien terrestre, avec une multiplication par 3 de la puissance installée d’ici 2020 puis encore par 2,5 avant 2050 avec un total de 17 300 machines installées contre 4 000 fin 2011 Le développement de l’éolien offshore, d’abord avec des machines fixées sur des fondations à faible profondeur, puis sur des plateformes ancrées afin d’accéder aux zones les plus ventées, est plus tardif mais représente à terme, avec seulement 4 300 machines de forte puissance, presque la moitié des 209 TWh produits en 2050.
Le décollage du photovoltaïque est dans un premier temps rapide afin d’atteindre en quelques années un volume significatif d’installations annuelles. Il augmente ensuite progressivement dans une logique de vitesse de croisière pour atteindre à terme une production annuelle d’environ 90 TWh. Cette capacité est répartie entre une grosse majorité sur bâtiments, le reste par des parcs au sol sur des terrains adéquats ne rentrant pas en concurrence avec d’autres usages : sols pollués et artificialisés, abords des d’infrastructures de transport, etc. Si l’on retient une répartition deux tiers / un tiers, cela revient à équiper de systèmes photovoltaïques moins de 5 % de la surface totale des toitures françaises et à occuper pour les parcs au sol un terrain de 30 km par 30 km dont seulement 30 % de la surface est en pratique couverte par les panneaux.
Les énergies renouvelables électriques, incluant une contribution modeste des énergies marines, atteignent au total 383TWh en 2050. Elles représentent ainsi près de 40 % des besoins en énergie primaire.
Enfin, d’autres sources renouvelables peuvent être mobilisées. La géothermie progresse – essentiellement pour la production de chaleur – avec 29 TWh en 2050 contre à peine plus d’un TWh aujourd’hui.
L’incinération des ordures ménagères qui présente un mauvais rendement et pose des problèmes de pollution locale voit au contraire sa contribution se réduire de 13 à 5 TWh du fait de la progression du tri à la source et de la valorisation matière des déchets.
Le solaire thermique, quasi inexistant aujourd’hui, est également fortement mobilisé : avec plus de 120 millions de m2 de capteurs sur les bâtiments résidentiels, tertiaires et industriels, il fournit à terme 39 TWh de chaleur primaire.
Au final, un développement réaliste des énergies renouvelables conduit, en 2050, à une ressource disponible sur le territoire de plus de 900 TWh sur un total de 1 010 TWh de besoins en énergie primaire. Ainsi, la société française du scénario négaWatt, avec près de 90 % d’énergies renouvelables, a réussi en 2050 sa transition énergétique.
10. Un recours marginal aux énergies fossiles
La différence entre la production d’énergies renouvelables et les besoins totaux, soit environ 10% de ces derniers en 2050, représente la part résiduelle d’énergies fossiles qui seront encore nécessaires. Partant de plus de 70 % de consommation de pétrole, gaz fossile (appelé de façon abusive gaz naturel) et charbon en 2010, la France peut ainsi en moins de quarante ans s’affranchir quasiment en totalité de sa très forte dépendance aux hydrocarbures.
Avec 13 TWh de charbon, 42 TWh de gaz naturel fossile et 48 TWh de pétrole, la consommation d’énergies fossiles est près de 15 fois plus faible en 2050 qu’en 2010.
Leurs utilisations sont de natures différentes :
- L’usage du pétrole subsiste essentiellement dans les transports, où il contribue encore à la moitié environ de l’approvisionnement d’un parc résiduel de véhicules à carburant liquide.
- Celui du charbon, plus réduit, est essentiellement lié à la chaleur de certains procédés industriels et à l’utilisation comme matière première dans la sidérurgie.
- Enfin, celui du gaz fossile est destiné essentiellement à la cogénération, notamment industrielle, et pour une part marginale de quelques TWh à un appoint flexible à la production d’électricité.
Le rythme de réduction des usages du gaz fossile se distingue par une première phase relativement stable, entre 2012 et 2035, qui s’explique par le recours temporaire à des centrales au gaz comme solution de transition pour assurer l’équilibre électrique en accompagnement de la fermeture progressive des réacteurs nucléaires. Les quantités de gaz fossile mises en jeu sont globalement équivalentes aux économies de gaz réalisées dans d’autres secteurs par la rénovation énergétique et par la substitution de gaz renouvelable, qu’il s’agisse de biogaz ou de gaz de synthèse. Après la fermeture du parc de réacteurs nucléaires, la consommation de gaz diminue sur un rythme très soutenu entre 2035 et 2050.
Une sortie complète de l’usage des énergies fossiles pour atteindre 100% d’énergies renouvelables serait envisageable mais demanderait des efforts supplémentaires qui pourraient s’avérer couteux et complexes : il faudra le cas échéant en mesurer l’intérêt et la pertinence au regard de l’ensemble des paramètres. Sans l’exclure, le scénario négaWatt ne la prévoit pas explicitement.
11. Un abandon progressif et raisonné du nucléaire
L’effacement progressif de la production d’électricité nucléaire au fur et à mesure de la montée en puissance des renouvelables permet d’envisager à terme un abandon complet de cette énergie qui représente en 2010 plus de 75 % de la production d’électricité française. Le scénario négaWatt applique dans cette perspective une logique très pragmatique : il s’agit, dès que le développement des alternatives par une combinaison sobriété-efficacité-renouvelables le permet, de fermer les réacteurs sans les remplacer, selon un rythme prenant en compte à la fois les enjeux de sûreté et l’évolution des besoins énergétiques.
La démarche consiste d’abord à considérer le besoin d’électricité correspondant aux différents usages, puis la part qui peut au fil des ans être couverte par les énergies renouvelables. La différence, qui est chiffrée en besoin annuel de production (en TWh) en tenant compte heure par heure de l’exigence d’équilibre entre l’offre et la demande, indique le niveau de production non renouvelable qu’il est nécessaire de maintenir.
En croisant ce besoin avec l’état de vieillissement des réacteurs nucléaires, qui influence fortement le niveau de sûreté du parc, on peut déterminer le rythme de fermeture des réacteurs. Le cas échéant, les énergies fossiles, notamment le gaz naturel, assurent le complément de manière transitoire en attendant que les alternatives négaWatt soient disponibles.
Le vieillissement du parc est un problème délicat. Un certain nombre des réacteurs a d’ores et déjà atteint voire dépassé une durée d’exploitation de 30 ans, qui avait été jugée comme un horizon maximal raisonnable lors de leur conception. L’industrie nucléaire veut se fixer désormais un objectif de 40 ans sur lequel on ne dispose d’aucun retour d’expérience. Dans le contexte de réévaluation de la sûreté suite à l’accident de Fukushima, cette limite constitue en tout état de cause un maximum absolu : aucun renforcement des dispositifs de sûreté ne pourra en effet remettre à niveau la conception initiale de ces réacteurs ni compenser l’usure de composants impossibles à remplacer.
Il faut compter avec l’effet de falaise de la pyramide des âges du parc : 80 % des réacteurs, représentant plus de 60 % de la production électrique actuelle, ont été mis en service entre 1977 et 1987, et tous les autres dans la décennie suivante, à l’exception du dernier fin 1999. Il est donc nécessaire de prévoir, à l’image de la règle introduite dès 2000 dans l’accord d’abandon du nucléaire en Allemagne, une certaine flexibilité sur l’âge de fermeture des réacteurs autour d’une moyenne visée, en fonction de différents critères liés à la sûreté.
Une modélisation du rythme de sortie réacteur par réacteur permet de trouver un optimum entre ces différentes contraintes. La fermeture du parc comprend trois phases.
Dans la première, la surcapacité du parc actuel et les réserves d’exportation permettent de fermer rapidement les réacteurs les moins sûrs, en commençant par les plus anciens : jusqu’à 3 500 MW de capacité sont ainsi fermés chaque année.
Le rythme de fermeture se stabilise ensuite à un niveau plus modéré et régulier de 2 500 MW par an environ, ce qui est essentiel pour permettre aux renouvelables de prendre le relais sans à-coups dans leur dynamique industrielle.
Enfin, le rythme s’accélère à nouveau dans les dernières années, où jusqu’à 4 000 MW par an sont fermés : il s’agit, même si cela peut toucher les réacteurs les plus récents avant leurs 40 ans, de gérer la fin du repli industriel.
La sortie du nucléaire ne concerne en effet pas que les réacteurs : ceux-ci ont besoin pour fonctionner d’usines (pour la préparation et la fabrication du combustible, pour la prise en charge des déchets, etc.), mais aussi de structures d’évaluation et de contrôle. Cela n’a pas de sens, du point de vue industriel et économique comme de celui de la sûreté, de prolonger ou de renouveler ces moyens pour le fonctionnement de quelques réacteurs pendant quelques années seulement.
Ainsi, le dernier réacteur du parc est fermé en 2033, ce qui correspond à un abandon de la production nucléaire en 22 ans. Ce rythme calculé au plus juste sans être volontariste est le fruit d’un optimum étroit entre les différentes contraintes. Il s’agit d’un côté de fermer les réacteurs à un rythme suffisant pour respecter les enjeux de sûreté : la fermeture de chaque réacteur doit intervenir entre sa 30ème et sa 40ème année de fonctionnement. De l’autre côté, il faut faire en sorte que la production nucléaire reste aussi proche que possible du besoin de compléter la production des renouvelables, afin de minimiser le recours au gaz fossile pour assurer la transition et d’éviter un pic non maîtrisé de l’usage de ce dernier.
La mise en regard de ces objectifs avec la nécessaire cohérence industrielle conduit à un croisement des contraintes au cours des prochaines décennies : dans la première partie de la période, c’est le rythme de développement des efforts sur la consommation et sur les renouvelables qui est dimensionnant ; à l’inverse, vers la fin de la période, c’est le vieillissement du parc qui constitue la principale contrainte avec un point de resserrement en 2027.
C’est pourquoi il est indispensable d’engager rapidement le processus d’abandon du nucléaire pour permettre en 15 ans un niveau suffisant de développement des alternatives avant le mur des 40 ans du parc. Au final, cette analyse multi-contraintes montre surtout que la fenêtre est étroite : elle se situe entre 2030 et 2035, et elle se joue dans les prochaines années.
12. La complémentarité des réseaux pour atteindre les « 100 % négaWatt »
Les critiques adressées aux énergies renouvelables variables (et non intermittentes du fait de leur foisonnement) sont souvent très exagérées, mais il est vrai que l’impératif de devoir assurer à tout instant l’équilibre offre-demande du réseau électrique (et de lui seul) est l’un des défis à relever dans un système 100% négaWatt qui comporte une part importante de sources dont on ne commande pas la production sauf éventuellement en les déconnectant.
La solution réside évidemment dans les moyens de stockage à différentes échelles de quantité et de puissance et à différents points du réseau. Les stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage (STEP) assurent déjà cette fonction pour le réseau actuel : leur capacité ne peut pas beaucoup augmenter, mais elles peuvent être utilisées beaucoup plus efficacement.
Différents types de batteries d’accumulateurs (lithium-ion, vanadium, sodium-soufre, etc.) sont souvent évoqués, ainsi que la possibilité d’utiliser les véhicules électriques comme batteries sur roues, ou encore de produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau pour alimenter des piles à combustible. Mais aucune de ces solutions ne présente des capacités de stockage à la hauteur de l’enjeu. Il ne s’agit pas en 2050 de décaler de quelques heures une production pour répondre à des pics de consommation journalière, mais de stocker quelques centaines de GWh produits pendant des journées voire des semaines de bon ensoleillement ou de vent fort pour les restituer ensuite quand la situation s’inverse.
Solution prometteuse, très étudiée en Allemagne, la méthanation, qui fut découverte par le Français Paul Sabatier, prix Nobel de Chimie en 1912 est la production de méthane synthétique par réaction simple entre de l’hydrogène d’électrolyse et du gaz carbonique de combustion qui peut être injecté comme le biogaz, dans le réseau où il remplace le gaz naturel fossile.
L’électricité non stockable est ainsi transformée en molécules qui, elles, le sont parfaitement.
En outre, la forte réduction de la pointe hivernale due notamment au chauffage électrique qui aura été progressivement éradiqué facilitera la réalisation de l’équilibre heure par heure en diminuant les aléas côté consommation.
En 2050, le scénario négaWatt prévoit l’injection dans le réseau de près de 50 TWh de méthane synthétique, une quantité suffisante pour contrebalancer intégralement la variabilité de la production d’électricité renouvelable, tout en fournissant un peu de chaleur coproduite par la réaction pour alimenter un réseau local.
La France dispose de plus de 150 TWh de capacité de stockage souterrain de gaz : outre le stockage d’électricité excédentaire, la très grande flexibilité à la production comme à l’usage du vecteur gaz peut ainsi être mise à profit dans une logique de complémentarité entre les différents réseaux énergétiques et non de concurrence absurde comme c’est le cas aujourd’hui.
13. Vers un bilan 100 % soutenable en énergie primaire
Le scénario négaWatt démontre la faisabilité d’une transition vers un système énergétique fondé sur les énergies de flux. La société française consomme à l’horizon 2050 environ 2 000 TWh d’énergie primaire de moins qu’aujourd’hui, soit une réduction des deux tiers. C’est environ 30 % seulement des ressources énergétiques qu’elle consommerait dans un scénario tendanciel. En 2050, elle atteint presque l’objectif de 90 % d’énergies renouvelables en énergie primaire.
Ce changement s’accompagne d’un rendement très accru du système, ce que traduit le passage du ratio entre énergie finale et énergie primaire de 63 % à 84 %. Ces résultats sont notamment obtenus par une révolution dans la gestion des vecteurs énergétiques, au premier rang desquels l’électricité et le gaz, jouant sur la diversité de leurs sources et de leurs usages, ainsi que sur la complémentarité opérationnelle de leurs réseaux.
14. Un scénario compatible avec les enjeux à 2050
Au terme de cette analyse du scénario négaWatt, il nous reste à répondre une question majeure : un tel scénario est-il compatible avec l’urgence des enjeux énergétiques et climatiques mondiaux ?
La fin du pétrole facile (peak-oil) est anticipée par la limitation de son utilisation à la pétrochimie et aux matières premières industrielles, ainsi qu’à quelques usages très spécifiques (industrie, aviation). Le gaz naturel fossile importé est progressivement substitué par du biogaz et du méthane de synthèse produit grâce à de l’électricité d’origine renouvelable.
Par rapport à 2010, les émissions de CO2 d’origine énergétique sont réduites d’un facteur 2 en 2030 et d’un facteur 15 en 2050.
Enfin les émissions de CO2 cumulées sur 2011-2050 atteignent 7 milliards de tonnes : cette valeur est en phase avec la part d’émissions que le poids démographique de la France lui autorise dans une logique d’équité mondiale, pour que l’on puisse espérer limiter la hausse moyenne de la température sur Terre en dessous de 2°C en 2100.
Ces émissions du seul CO2 lié à l’énergie représentent aujourd’hui environ 70 % du total des émissions de gaz à effet de serre (GES). Plus de 20 % des émissions concernent les pratiques agricoles et les déchets et près de 10 % ont pour origine un processus industriel ou technologique hors combustion.
Dans le cadre du scénario Afterres2050 un calcul fin des émissions de GES dues aux pratiques agricoles a été établi. Il en ressort qu’un facteur 2,5 de réduction de ces émissions semble être la limite atteignable dans ce domaine.
En prenant en compte l’ensemble des émissions de GES, tous gaz confondus, le scénario négaWatt aboutit à un facteur de réduction global de 5,9.
15. Quel est le coût de la transition énergétique ?
Question cruciale, au sujet de laquelle on voit circuler les chiffres les plus fantaisistes fondés essentiellement sur une analyse « au doigt mouillé ». Mais aussi question lourdement trompeuse !
D’abord parce que, avant de parler de coût de la transition, sachons définir par rapport à quoi nous allons l’évaluer. Nous ne sommes pas dans une situation où nous pourrions choisir de ne rien faire : agir contre les changements climatiques coûtera 15 à 20 fois moins cher que l’inaction comme l’a évalué dès 2006 l’ancien chef économiste et vice-président de la Banque mondiale Sir Nicholas Stern.
Quant au coût du démantèlement des réacteurs nucléaires et de la gestion des déchets sur le très long terme, il n’est d’aucune manière imputable à un éventuel abandon de cette source d’énergie : que l’on en sorte ou pas, il faudra bien fermer un jour les réacteurs aujourd’hui en fonctionnement et s’occuper de leurs déchets pendant des milliers d’années.
Ensuite parce que, posée ainsi, cette question laisse entendre que la transition ne ferait que coûter et ne rapporterait rien, ce qui est évidemment faux :
• Les actions de sobriété sont par excellence celles qui ne coûtent rien ou très peu puisqu’elles relèvent de la décision ou du comportement, mais peuvent rapporter beaucoup en nous faisant économiser de l’énergie, donc de l’argent.
• Les actions d’efficacité nécessitent un investissement qui grâce aux économies générées est toujours rentable pour la collectivité, fût-ce sur le long terme, mais qui peut aussi l’être à court ou moyen terme pour celui qui le réalise. S’il est préférable de privilégier les actions dont le retour sur investissement est le plus rapide, il ne faut en aucun cas s’interdire celles qui le sont moins.
• Les énergies renouvelables ont des coûts d’exploitation faibles mais sont aujourd’hui plus chères à l’investissement que les énergies fossiles ou nucléaire. Or le coût de ces dernières, qui n’intègrent pas tous leurs coûts externes notamment environnementaux, est appelé à augmenter. À l’inverse, celui des renouvelables baisse rapidement par l’effet des dynamiques industrielles qui sont à l’œuvre et les rendront inéluctablement compétitives à plus ou moins long terme.
D’un strict point de vue économique, la transition énergétique peut être considérée comme un investissement pour la collectivité qui sera nécessairement rentable à plus ou moins brève échéance.
Enfin, l’argent investi dans la transition énergétique ne sera pas jeté par les fenêtres. Il économisera des dizaines de milliards d’euros sur les importations de pétrole et de gaz. Et il génèrera dans les services énergétiques, les équipements performants et les énergies renouvelables des milliards d’euros d’activité pour les entreprises, des centaines de milliers d’emplois pour les salariés et des débouchés à l’exportation sur un marché mondial qui ne demande qu’à se développer. L’étude de l’impact sur l’emploi du scénario négaWatt[1] a de ce point de vue clairement montré que la transition énergétique représente une formidable opportunité de relance économique pour notre pays.
C’est tout le contraire pour la mise à niveau de sûreté post-Fukushima des 58 réacteurs français qui engloutirait plusieurs dizaines de milliards d’euros. À l’heure où les fonds publics se font rares, les investissements doivent être prioritairement orientés vers la transition énergétique et non vers des énergies polluantes qui appartiennent au siècle dernier, permettant ainsi de réduire nos besoins d’énergie, d’augmenter notre indépendance énergétique et de favoriser des énergies locales peu polluantes et créatrices d’emplois.
Si nous nous posons la question de savoir combien la transition énergétique rapporte en euros et en emplois avant de savoir combien elle nécessite d’investissement, l’évidence nous saute aux yeux : mais qu’attendons-nous donc pour nous engager sur ce chemin de non-regret ?
Annexes
Les équivalences entre les différentes unités d’énergie
1 tonnes équivalent pétrole (tep)
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11 700 kWh
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1 litre de pétrole
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10 kWh
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1 m3 de gaz
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11 kWh
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1 stère de bois
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1 500 kWh
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Notes et références
[1] Étude réalisée par le CIRED, téléchargeable sur http://www.negawatt.org/etude-emplois-economie-p120.html
Bibliographie complémentaire
Pour retrouver l’ensemble des documents publiés relatifs au scénario négaWatt 2011, rendez-vous sur http://www.negawatt.org/scenario-negawatt-2011-p46.html
Pour plus d’informations sur l’Association négaWatt et ses travaux : www.negawatt.org
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