Le bilan énergétique

Le bilan énergétique

Pas de politique énergétique sans, disposition préalable d’un bilan énergétique local, régional ou national. En quoi consiste cet instrument ? Quelles grandeurs y inclure ? Comment en assurer la comparabilité d’une année sur l’autre ou d’un pays à l’autre ?


Déterminer les quantités d’énergie produites, transformées et consommées, au cours d’une année donnée et pour un pays ou un ensemble régional donné, définit le bilan énergétique. Mais le bilan énergétique, pour un pays et une année donnée, ne présente guère d’intérêt en soi, pour ne pas dire aucun. Pour suivre, comprendre, définir une politique énergétique, il faut disposer d’une suite de bilans annuels afin d’en saisir l’évolution. De même, pour apprécier les performances de « son » système énergétique faut-il pouvoir le comparer à celui d’autres pays de niveau économique comparable (Figure 1).

Fig. 1 : Comparer des résultats de bilans énergétiques. Source : Observatoire de l’Industrie Electrique

Les énergies qui concourent à l’approvisionnement énergétique d’un pays sont très diverses : charbon, gaz, pétrole, hydraulique, nucléaire, bois, vent, soleil  et autres. Le bilan énergétique a pour vocation de les rassembler. Pour permettre ces comparaisons et/ou ces analyses spatio-temporelles, il faut en premier lieu réunir toutes ces énergies à l’intérieur d’un cadre comptable harmonisé, structuré, qui pour l’heure va de l’approvisionnement à la consommation finale. Ces deux prérequis – évolution temporelle et comparaison spatiale – conditionnent, en second lieu, la principale convention qui est à la base de la construction du bilan énergétique : le recours à une unité commune de mesure (Lire : Les unités d’énergie).

1. Le cadre comptable

Idéalement, le bilan énergétique devrait réunir toutes les énergies mises à la disposition d’un territoire et recenser toutes les opérations qui concourent à la destruction finale d’une source d’énergie. Généralement, le cadre comptable regroupe en colonne les sources d’énergies (charbon, pétrole, gaz et autres), et en ligne les ressources et emplois de ces énergies, mais  la présentation de ce cadre comptable varie d’une institution internationale à l’autre : Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Agence internationale de l’énergie (AIE)[1], Union Européenne –EUROSTAT[2], Organisation des Nations Unies (ONU)[3].

1.1. Les sources d’énergies retenues

Certaines sources existent à l’état naturel comme le charbon, d’autres sont le résultat d’une transformation, comme le coke. L’usage prévaut de qualifier les premières d’énergies primaires, les secondes d’énergies dérivées ou secondaires. Cet usage est aussi une convention forte puisque l’électricité hydraulique, voltaïque, ou produite par le vent, les marées et la houle sont réputées énergies primaires. Cette convention, relativement récente, résulte de l’ensemble des réflexions relatives aux coefficients d’équivalence (voir plus loin) ; elle peut se justifier ainsi : en l’espèce, l’électricité est la seule forme sous laquelle les énergies hydraulique, voltaïque, éolienne ou marine sont techniquement et économiquement utilisables.

Le Tableau 1 présente, par classe de produits, les différentes sources d’énergies retenues par les agences internationales. Chaque ligne renvoie à une colonne, au nombre de 29 pour EUROSTAT, 11 pour l’AIE-OCDE, et 14 pour l’ONU. Il est clair que très souvent – hors le cas, parfois, d’EUROSTAT –  le produit énergétique retenu est déjà un agrégat : la colonne Produits pétroliers de l’AIE-OCDE, par exemple, regroupe tous les produits dérivés du pétrole ; les notes d’ordre méthodologique qui accompagnent ces bilans définissent clairement le contenu de ces agrégats.

Tableau 1 : Comparaison des produits énergétiques retenus dans les bilans des organismes internationaux

EUROSTAT AIE-OCDE ONU
Classe de produits Total tous produits
Charbons Houille Charbon, tourbe Houille, lignite, tourbe
Coke Briquettes, coke
lignite
tourbe
Charbon brun, briquettes
Pétroles Pétrole brut, LGN (*) Pétrole brut, LGN, Feedstocks… Pétrole brut, LGN
Feedstocks
Produits pétroliers Total tous produits pétroliers
Gaz de raffinerie, étane Produits pétroliers Produits pétroliers légers
Gaz de pétrole liquéfiés (GPL) Produits pétroliers lourds
Essences Autres produits pétroliers
Kérosène GPL, Gaz de raffinerie
Naphta
Gazole
Fuel-oil
Autres produits pétroliers
Gaz Gaz naturel Gaz naturel Gaz naturel
Gaz dérivés Gaz dérivés
Nucléaire Nucléaire (chaleur) Nucléaire (chaleur)
Énergies renouvelables Total énergies renouvelables
Solaire (chaleur) Hydraulique Énergie de biomasse primaire
Géothermie (chaleur) Géothermie, solaire etc… Énergie de biomasse dérivée(#)
Biomasse Biomasse et déchets Autres sources d’énergie
Énergie éolienne
Hydraulique
Autres combustibles
Chaleur dérivée
Électricité Électricité Électricité Électricité (##)
Divers Chaleur dérivée
TOTAL en colonne 1 TOTAL ENERGIE TOTALE
(*) Liquides de Gaz Naturel (#) charbon de bois
(##) fait suite à Gaz dérivés

1.2. L’articulation des opérations dans le bilan global.

« Déterminer les quantités d’énergie produites, transformées et consommées » représente strictement la suite logique des opérations que recense tout bilan (global) de l’énergie, mais ces quantités sont plus ou moins globales (agrégées) ou détaillées  selon les usages nationaux ou internationaux.

1.2.1. L’approvisionnement

La production primaire couvre toutes les opérations de production sur un territoire donné : extraction de charbon, de pétrole, de gaz ou génération d’électricité hydraulique, nucléaire, éolienne. S’y ajoute le solde net des échanges (importations – exportations de ces mêmes sources d’énergie). Le transport international, tant maritime qu’aérien (soutes), est ou non inclus dans l’approvisionnement d’un pays donné ; les variations de stocks au cours de l’année considérée s’ajoutent ou se retranchent selon le signe qui les précède. À noter le raffinement d’EUROSTAT qui inclut dans l’approvisionnement des produits de récupération résultant de l’exploitation du charbon ou du pétrole, mais retranche divers produits utilisés lors de la production, en général des hydrocarbures. Le total de l’approvisionnement est qualifié de consommation intérieure brute ou de production primaire totale ou de total des besoins énergétiques (Tableau 2).

 

Tableau 2. Opérations relatives à l’approvisionnement énergétique

Classe  d’opérations EUROSTAT AIE-OCDE ONU
Approvisionnement Production primaire Production Prod. d’énergie primaire
Récupération Importations Importations
Importations Exportations Exportations
Variations de stocks Soutes maritimes internationales. Soutes
Exportations Transports aériens internat. Variations de stocks
Soutes maritimes internationales Variations de stocks
Utilisation directe
Consommation intérieure brute Production primaire totale Total besoins énergétiques

1.2.2. Les transformations

Une part importante de l’approvisionnement est transformée pour donner des énergies dérivées (ou secondaires). Au premier abord, la manière de faire d’EUROSTAT diffère radicalement de celles des autres institutions puisque cet organisme distingue les entrées en transformation et les sorties. Sur un plan comptable les entrées sont négatives, au contraire des sorties. Mais à y regarder de plus près la différence est moindre : en effet, en fusionnant entrées et sorties, on retrouve quasiment la suite des transformations retenues dans les cadres comptables de l’AIE-OCDE ou de l’ONU. Par ailleurs, hors les pertes de distribution et l’autoconsommation, toujours négatives, il convient d’être attentif au signe algébrique des rubriques échanges, transferts, retours. In fine, l’agrégat résultant mesure la consommation finale (Tableau 3).

 

Tableau 3 : Opérations relatives à la transformation

Classe d’opérations EUROSTAT AIE-OCDE ONU
Transformation Entrées en transformation Energie convertie
Centrales therm. publiques Transferts Briqueteries
Centrales therm. auto-producteurs Ecarts statistiques Cokeries
Centrales nucléaires Centrales électriques Usines à gaz
Briqueteries Centrales de cogénération Hauts-fourneaux
Cokeries Centrales chauffage urbain Raffineries
Hauts-fourneaux Hauts-fourneaux Usines de liquéfaction
Usines à gaz Usines à gaz Centrales électiques
Raffineries Cokeries, briqueteries Centrales thermiques
Centrales chauffage urbain Raffineries Autres transformations
Pétrochimie
Sorties de transformation Usines de liquéfaction Transferts nets
Centrales therm. publiques Autres transformations Autoconsommation
Centrales therm. auto-producteurs Autoconsommation Pertes de distribution
Centrales nucléaires Pertes (de distribution) Produits pour la pétrochimie
Briqueteries Ecarts statistiques
Cokeries
Hauts-fourneaux
Usines à gaz
Raffineries
Centrales chauffage urbain
Echanges, transferts, retours
Échanges entre produits
Produits transférés
Restitution de la pétrochimie
Autoconsommation
Pertes de distribution
Disponible pour la consommation finale Consommation finale totale

Est-ce à dire que l’approche d’EUROSTAT est plus complète que celle de l’AIE-OCDE ? Sans doute, sous réserve d’un nombre restreint de productions liées, mais EUROSTAT ne permet pas, dans son cadre comptable, de connaitre l’origine de l’électricité produite[4], au contraire de l’AIE-OCDE qui le précise hors cadre comptable, mais en bas de page de chaque bilan (tableau 4).

Tableau 4 : Opérations relatives à la production d’électricité

Classe d’opérations EUROSTAT AIE-OCDE ONU
Electricité et Chaleur Production électrique (TWh)
Centrales électrique
Cogénération
Production de chaleur (PJ)
Cogénération
Centrales chauffage urbain

1.2.3. La consommation finale

Sauf spécifications contraires comme dans le cas de l’ONU, la consommation finale distingue la consommation finale non énergétique et la consommation finale énergétique. La première concerne essentiellement des hydrocarbures destinés à la pétrochimie, pour la production de divers produits organiques de synthèse. La consommation finale énergétique se subdivise généralement en industrie, transports, autres secteurs, chacune de ces rubriques étant ventilée à son tour plus ou moins finement (tableau 5).

Tableau 5 : Opérations relatives à la consommation finale

Classe d’opérations EUROSTAT AIE-OCDE ONU
Consommation finale Cons.finale non énergétique Industrie Consommation finale
Industrie Sidérurgie Industries et construction
dont pétrochimie Chimie, pétrochimie Sidérurgie
Cons. finale énergétique Métaux non ferreux Chimie
Industrie Produits minéraux non métal. Autres industries
Sidérurgie Equipement de transport Transports
Métaux non ferreux Industries mécaniques Transports routiers
Chimie Mines et carrières Transports ferrovaires
Produits minéraux non métal. Alimentation et tabac Transports aériens
Extraction Papier, pâte, imprimerie Transports fluviaux, cabotage
Alimentation, boisson, tabac Bois et produits du bois Autres transports
Textiles, cuir, habillement Construction Ménages et autres conso.
Papier et imprimerie Textiles et cuir Ménages
Equipement de transport Autres Agriculture
Industries mécaniques Transports Autres consommateurs
Bois et produits du bois Aviation intérieure
Construction Routiers
Autres Ferrovaires
Transports Pipeline
Ferrovaires Navigation intérieure
Routiers Divers
Aviation internationale Autres secteurs
Aviation intérieure Résidentiel
Navigation intérieure Commerces, services publics
Autres secteurs Agriculture et forêts
Résidentiel Pêche
Tertiaire Autres
Agriculture et forêts Usages non énergétiques
Pêche in industrie…
dont feedstocks
in transport
Autres

On remarquera le statut de l’aviation internationale dans EUROSTAT et dans l’ONU :  elle devrait venir en déduction de la consommation primaire car elle s’assimile à une exportation, ce que fait l’AIE-OCDE. Si l’industrie, par ailleurs, est assez bien détaillée et comparable d’une institution à l’autre (hors ONU), elle n’en recèle pas moins des pièges comme le montre particulièrement l’exemple de la sidérurgie.

Cette industrie achète des charbons, dont une fraction va générer des gaz dérivés vendus à d’autres secteurs industriels : il convient donc de soustraire des livraisons à la sidérurgie l’équivalent des gaz cédés à d’autres secteurs, ce que prend en compte le poste transformation pour la production des gaz dérivés. Cet exemple montre l’importance qu’il faut accorder aux notes méthodologiques accompagnant la construction et la publication des bilans énergétiques, pour prévenir toute erreur d’appréciation.

1.3. Quelques indicateurs-clés

Le seul bilan énergétique permet de construire des indicateurs robustes concernant le système énergétique d’un pays. Ainsi le taux d’indépendance énergétique qui est le rapport de la production totale d’énergie sur la consommation primaire. À titre d’exemple, ce taux, pour la France, est passé de 25% en 1973 à 53 % en 2012 alors que dans le même temps il est passé de 51% à 40 % pour l’Allemagne[5]. Dans le même esprit on déterminera un taux de dépendance pétrolière d’un pays, la structure de sa consommation finale par produit, son évolution au cours du temps, notamment par comparaison avec d’autres pays.

L’émission de gaz à effet de serre, en particulier le CO2, sera grandement facilitée si l’on dispose de bilans énergétiques détaillés par produit, tant au niveau des transformations qu’au niveau de la consommation finale (Lire : Énergie et climat, les politiques climatiques).

L’analyse s’enrichit en croisant agrégats énergétiques et grandeurs macro-économiques comme la population ou le PIB. Ce sera l’intensité énergétique (consommation primaire/PIB), dont le niveau élevé révèle, par exemple, la faible efficacité du système énergétique de l’économie (sous réserve évidemment des particularités de sa  structure économique). Ce sera la consommation primaire (ou finale) par tête, qui illustre des écarts de développement ou de gaspillage, par comparaison temporelle ou spatiale.  Encore faut-il, à propos de ces deux indicateurs, s’assurer de la cohérence dans le temps et dans l’espace de la méthodologie retenue pour agréger entre elles les différentes formes d’énergie.

 

2. L’unité commune de mesure

Pour l’économiste, tout flux de production, de transformation ou de consommation peut se mesurer en valeur, ce à quoi n’adhère pas le physicien pour qui il y a énergie et énergie : celle qui se transforme avec perte et celle qui se transforme sans perte, ce qui est à l’évidence incompatible avec une mesure en valeur monétaire. Mais il y a aussi et surtout le praticien, ingénieur ou économiste, qui depuis longtemps a retenu comme unité de mesure un équivalent physique « imagé » comme la tonne équivalent charbon (tec) ou la tonne équivalent pétrole (tep) ou la British thermal unit (Btu), unité de compte au pouvoir calorifique parfaitement normé. Il convient d’examiner la pertinence de ces trois points de vue pour légitimer sans ambiguïté celui qui prévaudra (Figure 2).

Fig. 2 : Comment mesurer ? Source : http://data.abuledu.org

2.1. L’impossible recours à la valeur monétaire

La comptabilité nationale sait aussi bien quantifier la valeur ajoutée par les industries agro-alimentaires (IAA ) que la valeur ajoutée des loyers fictifs que se versent à eux-mêmes les propriétaires occupant leurs propres logements : la monnaie peut tout. Cette homogénéisation rencontre évidemment des obstacles comme l’effet de l’inflation sur la valeur des biens et des services ou ceux des variations des taux de change, mais ils sont adroitement surmontés par le comptable national.  Pourquoi alors ne pas recourir à la valeur monétaire  dans la comptabilité de l’énergie ?

 Le recours à la monnaie se heurte, dans ce cas, à deux difficultés supplémentaires : la rupture des prix relatifs à la suite d’innovations majeures, le mode de formation des prix selon la nature de l’énergie.

Soit à titre d’exemple le gaz de schiste (shale gas) aux Etats-Unis[6]. Sa production, quasi-nulle au milieu des années 2000, s’élève à 9 trillions de cubic feet (cf) en 2012, sur un total de 24 trillions de cf de gaz naturel  à la même date, versus 18 trillions de cf au milieu des années 2000[7]. Dans le même temps, le prix du gaz naturel, en dollar par million de Btu[8] est passé de 8-10 $ à 3-4 $. On a ainsi une quantité de gaz naturel au milieu des années 2000 de 18 valant 162 à comparer à une quantité de 24 valant 84 en 2012 ! En valeur, la production de gaz naturel  a diminué de moitié, alors que la production en volume a augmenté de plus d’un tiers. Que signifie alors une mesure en valeur du gaz naturel aux États-Unis ?

Il faut, en second lieu, mentionner les distorsions introduites par des modes de formation des prix selon les sources d’énergie et/ou le statut de l’entreprise productrice. Le prix du pétrole brut dépend, dans le temps et dans l’espace, de  conditions géologiques, du pouvoir des offreurs (l’OPEP notamment) et des acheteurs (les compagnies multinationales) ; il fluctue en fonction des marchés où il est négocié : marché au comptant (spot), futures, contrats à long terme.  A un degré moindre, la situation du gaz, voire du charbon est comparable. Que signifierait l’agrégation monétaire des kWh hydrauliques, nucléaires, solaires, produits par des entreprises publiques en situation de monopole d’un coté ou  privées et en compétition,  de l’autre ? (Lire : Marchés de l’énergie, prix et régulation).

Le recours à la monnaie pour mesurer la consommation ou la production d’énergie est donc un leurre. Est-ce à dire que le recours à une unité commune en terme physique se conçoit de manière univoque ?

2.2. La tentation de l’exergie

La tec hier, la tep aujourd’hui, la Btu  dans les pays anglo-saxons, sont des unités communes de mesure de l’énergie internationalement utilisées. Ce sont des unités physiques normées : 7 000 kcal/kg PCI pour la tec, 10 000 kcal/kg PCI pour la tep[9]. Si la tep, désormais unité la plus usuelle, est une unité de mesure au contenu explicatif parfaitement défini, elle reste une aberration pour le physicien, non sans raison.

Qu’y a t-il, en effet, de commun entre la tep de charbon, la tep d’électricité hydraulique ou la tep de chaleur géothermique ? Toutes les énergies sont exprimées en multiple de la calorie, mais ces diverses calories ont-elles la capacité de rendre le même service ? Toutes les énergies incorporées au bilan énergétique ont-elles la même efficacité pour chauffer, éclairer, entrainer une machine, mouvoir un véhicule ? La « bonne » énergie, pour le physicien, sera celle qui pourra être transformée (idéalement), sans perte, en n’importe quelle autre énergie. Au cours du temps, et selon les auteurs, ce concept  a été dénommé énergie utile, énergie mécanique potentielle, available work, et aujourd’hui  exergie, terme créé par Zoran Rant en 1956[10], sur lequel un consensus s’est formé  (Lire : Energy  consumption and entropy release in the biosphere ; Thermodynamique : les lois ; Thermodynamique : énergie et entropie).

Ainsi le kWh d’électricité peut intégralement se transformer en chaleur, mais la chaleur résultante ne peut produire, tant s’en faut, la même quantité de kWh. Soit, à titre d’exemple, un chauffe-eau électrique de 100 litres qui élève la température de 15 à 65 degrés-centigrades (pour faire simple, on néglige les pertes) :

– il faut, pour ce faire, 5000 kcal (100l * (65-15)) qui correspondent à 5,8 kWh (5000/860, 1 kWh = 860 kcal) ; le rendement est de 100%, toute l’électricité est transformée en chaleur, sans question sur l’origine de cette électricité ;

– mais quelle énergie mécanique (mesurée en kWh) peut-on faire avec ces 5000 kcal de chaleur ? Entre en jeu le deuxième principe de Carnot qui définit le rendement du système, à savoir (T2 -T1)/T2 ou encore 1-(T1/T2), T2 étant la température absolue (degré Celsius : °C) la plus élevée (ici 273 + 65 = 338), T1 la plus basse (273 + 15 = 288) ; le rendement de ce système à peine 14,8% : dans une machine idéale, la chaleur emmagasinée par le cumulus électrique ne restitue que 0,86 kWh ou encore 740 kcal.

L’intérêt de cet exemple est de montrer que le recours à l’exergie impliquerait une analyse usage par usage de toutes les consommations d’énergie. Pour illustrer encore davantage ce propos, il suffit de distinguer le gazole utilisé dans une chaudière pour l’eau chaude (et le chauffage) du gazole utilisé dans un véhicule automobile. En reprenant les données du chauffe-eau ci-dessus, il faudrait environ 0,65 litre de gazole pour le même service en eau-chaude (10 000 kcal/kg et densité = 0,84 pour le gazole, rendement 0,9), sachant que la même quantité de gazole permet le déplacement d’une voiture de plus d’une tonne sur 10 km à 120km/h ! La même quantité de gazole rend deux services non comparables entre eux. Faute de connaître tous les usages des différentes énergies le recours à l’exergie est donc exclu.

Est-ce à dire qu’elle est inutile pour l’économiste ? Est-elle vraiment absente du bilan énergétique standard ? En terme micro-économique, l’analyse exergétique est désormais davantage reconnue tant sur un plan formel que pratique, : les deux références citées le montrent bien[11]. Par ailleurs, si le bilan énergétique prend en compte les pertes de transformations, notamment dans la production d’électricité thermique (au sens large), alors ce type de bilan recourt bien, pour partie, à l’exergie. Tenir compte des pertes de transformation est une évidence, mais selon l’usage ou la définition retenue pour l’unité commune de mesure, cette évidence n’est pas, ou n’a pas été, toujours perçue (Figure 3).

Fig. 3 : Exergie vs énergie

 

2.3. Le recours au pouvoir calorifique

Comptabiliser toutes les énergie sur la base de leur pouvoir calorifique inférieur est maintenant la règle, mais cette règle souffre parfois une exception concernant la production électrique. Dans son application stricte la règle s’appelle « méthode du contenu énergétique » ou « teneur énergétique physique » ; y déroger pour le décompte de la production électrique renvoie à la « méthode de la substitution partielle ». Question subsidiaire : sont-elles toutes deux utilisées, et par qui ?

2.3.1. La méthode du contenu énergétique

Recourir au seul pouvoir calorifique inférieur, sans aucune exception, est en apparence très simple. Cette approche, résout nombre de problèmes, mais requiert quelques précautions  pour l’électricité ! Que cette dernière soit d’origine hydraulique, nucléaire, photovoltaïque ou thermique, tout kWh sera comptabilisé sur la base de son pouvoir calorifique (860 kcal/kWh). Mais selon le processus de production de ce kWh, le décompte de l’énergie engendrant ce kWh suit des règles particulières:

– l’électricité produite directement par l’eau (hydraulique), le soleil (photovoltaïque), le vent (éolienne), la mer (marée, houle) se mesure en tant qu’énergie primaire sur la base du pouvoir calorifique du kWh produit ;

– s’il s’agit d’une production résultant d’un cycle thermique non conventionnel, soit actuellement le nucléaire, le solaire ou la géothermie, cette production électrique est réputée également énergie primaire ; elle est prise en compte non sur la base du contenu calorifique du kWh, mais sous la forme d’une quantité de chaleur définie à l’aide d’un rendement forfaitaire par filière : 33% pour le nucléaire et le solaire, 10% pour la géothermie ; par voie de conséquence, les pertes de transformations seront bien inscrites dans le bilan ;

– pour tout autre transformation d’énergie fossile (fuel-oil, gaz naturel, charbon) ou renouvelable (biomasse, biogaz) en électricité, énergie entrante et sortante (électricité) sont comptabilisées selon leur pouvoir calorifique strict (PCI).

 A noter qu’une approche analogue est appliquée par l’OCDE ou EUROSTAT à la chaleur géothermique ou solaire à usage thermique, pour laquelle un rendement forfaitaire de 50% (géothermie) ou 100 % (solaire) est appliqué, avec les mêmes conséquences au niveau des transformations, sauf spécifications contraires d’un Etat membre.

2.3.2. La méthode de la substitution partielle[12]

Avec la méthode du contenu énergétique, une tonne de pétrole brut équivaut à 1,43 tonne de charbon environ, ou encore à 11,63 MWh. Mais peut-on parler d’une parfaite substitution entre ces différentes énergies ? De même, peut-on vraiment additionner un MWh d’origine hydraulique (0,086 tep) avec un MWh d’origine thermique conventionnel dont la production requiert environ 0,222 tep (rendement de 38,5%) ? Le kWh hydraulique ne permet-il pas une économie substantielle d’énergie fossile, comparée au kWh thermique conventionnel ? La tentation est alors grande de mesurer toute l’électricité produite sur la base de la quantité d’énergie fossile nécessaire à sa production, à l’aide d’un rendement défini par ailleurs.

Cette méthode a prévalu pour l’énergie électrique primaire jusqu’au début des années 1990 dans les grandes institutions telles que l’AIE-OCDE et EUROSTAT dont les annuaires de statistiques énergétiques sont des références. Elle a été aussi appliquée strictement en France jusqu’en 2001, tant au niveau de la production primaire qu’au niveau de la consommation finale[13]. Conséquence immédiate la plus visible : une surestimation de la part de l’électricité dans la consommation finale. A titre d’exemple, en l’an 2000 pour la France, la seule électricité d’origine nucléaire représentait 38,2 % de la consommation finale avec la substitution partielle, pourcentage ramené à 19,6 % avec l’équivalence stricte (1 kWh = 860 cal).

On peut citer également d’autres incohérences ou difficultés liées à cette méthode :

– l’impossible prise en compte des pertes de transformation pour l’électricité d’origine hydraulique puisqu’il n’y pas de pertes ;

– une quantité d’énergie sortante supérieure à la quantité d’énergie entrante dans le cas d’une production combinée chaleur-force : à lui seul le décompte de l’électricité est égal à l’énergie entrante par définition, que faire alors de la chaleur soutirée ?

– en toute logique, enfin, il faudrait définir chaque année le rendement moyen des centrales conventionnelles, pays par pays, tâche complexe pour un surcroît de précision aléatoire.

2.3.3. Quelle méthode retenir ?

D’autres pays ont sans doute, comme la France, utilisé cette méthode. Au siècle passé, de grandes institutions internationales y recouraient, mais qu’en est-il aujourd’hui ?

Bien que présentant des bilans d’une architecture légèrement différente, l’AIE-OCDE et EUROSTAT ont réuni leur savoir-faire et ont harmonisé leurs méthodes en 2005 dans un document commun[14].  Par ailleurs, l’AIE-OCDE, dans la note méthodologique qui accompagne la publication annuelle d’Energy Balances of OECD Countries, rappelle sans ambiguïté : la méthode de la substitution partielle a été abandonnée au profit de la méthode du contenu énergétique. Toujours dans le même chapitre, le choix méthodologique de l’Agence ne souffre d’aucune ambiguité : « The principle adopted by the IEA is that the primary energy form should be the first energy form down-stream in the production process for which multiple energy uses are practical » Ce principe définit clairement ce qu’il faut entendre par énergie primaire, et comment la mesurer[15].

Les Nations-Unis (Statistics Division, Energy Statistics) s’appuient sur les mêmes principes[16], même si le cadre comptable[17] et l’unité de mesure (le TeraJoule) diffèrent.

Est-ce à dire que la méthode du contenu énergétique a complètement supplanté la méthode de la substitution partielle ? A la réflexion, la prise en compte d’un rendement forfaitaire pour l’électricité nucléaire ou géothermique ne renvoie-t-elle pas à la seconde méthode ? Aux États-Unis, l’Energy Information Administration[18] évalue à 0,532 quadrillion de Btu les 55,855 TWh produits par la France en 2012, soit 13,4 millions de tep : ici la conversion s’effectue sur la base du rendement moyen des centrales thermiques de l’année en cours, c’est à dire selon la méthode de la substitution partielle. A noter que cet organisme met à disposition en libre accès des données énergétiques par pays, région et continent.

 

3. En conclusion

D’apparence simple, construit  selon une architecture logique au premier abord, agrégeant les différentes énergies selon des principes bien définis, le bilan énergétique demeure une construction conventionnelle. Par là même,  la connaissance de ces conventions est absolument nécessaire pour éviter des erreurs d’interprétation : pour lire correctement un bilan énergétique il faut se plonger dans les notes en bas de pages, ou dans ce qui en tient lieu, comme les développement ci-dessus, à titre introductif. La méthode du contenu énergétique se généralise, mais la méthode de la substitution partielle n’a pas complètement disparu : il suffit de se pencher sur les présupposés du diagnostic de performance énergétique (DPE) en France, et sans doute dans d’autres pays.

La législation française stipule que « les facteurs de conversion de l’énergie finale (exprimée en PCI) en énergie primaire sont les suivants : 2,58 pour l’électricité ; 1 pour les autres énergies »[19]. Le législateur recourt à l’équivalence à l’énergie primaire (= méthode de la substitution partielle), principe sur lequel le lecteur averti ne manquera pas de s’interroger. En effet, à une question écrite du député Jean-David Ciot sur le pourquoi de cette équivalence, le ministère de l’Écologie, développement durable et énergie fait savoir que « la méthode retenue en France est celle de substitution thermique à la source, développée par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) »[20]. Ignorance, ou contre-vérité ? Il suffit de remonter aux sources méthodologiques c.à.d. aux documents de l’AIE-OCDE pour avoir une réponse.

 


Notes et références

[1] IEA Statistics.  Energy Balances of OECD Countries

[2] EUROSTAT.  Energy balance sheets

[3] United Nations. Statistics Division. Energy Balances and Electricity Profiles http://unstats.un.org/unsd/energy/

[4] Des données très complètes sont cependant disponibles au format EXCEL. Elles permettent presque toujours de repérer les flux entrants et les flux sortants par produit.

http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/energy/other_documents

[5] IEA Statistics, Energy Balances of OECD Countries, Energy production/TPES

[6] Annual Energy Outlook 2014, DOE/EIA april 2014, pp MT22-MT23 http://www.eia.gov/forecasts/aeo/

[7] trillion = mille milliards dans les pays anglo-saxons, milliard de milliards ailleurs ; CF = cubic foot (pied cube) : unité de volume qui vaut 28,3 litres

[8] Btu = British thermal unit, unité anglo-saxonne d’énergie, valant environ 252 cal (1 054 Joule)

[9] kcal = kilo-calories, soit 4,186 kJ ; PCI ou pouvoir calorifique inférieur et PCS ou pouvoir calorifique supérieur  précisent  les conditions de mesure du contenu calorifique d’une source d’énergie. Le bilan global énergétique retient le PCI de chaque énergie. Pour plus d’informations, voir :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pouvoir_calorifique

[10] https://en.wikipedia.org/wiki/Exergy

[11] http://hal.archives-ouvertes.fr/docs/00/18/97/01/PDF/Lallemand.pdf

http://www.enea-consulting.com/wp-content/uploads/ENEA-Consulting-Lexergie.pdf

[12] appelée parfois « équivalence en énergie primaire »

[13] Les équivalences énergétiques et la nouvelle méthodologie d’établissement des bilans énergétiques de la France. http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/_shared/pdf/Les_equivalences_energetiques_et_la_nouvelle_methodologie_d_etablissement_des_bilans_energetiques_de_la_France_cle79f5f1.pdf

[14] Manuel sur les statistiques de l’énergie » (« Energy Statistics Manuel« ), disponible en ligne : https://www.iea.org/stats/docs/statistics_manual_french.pdf

[15] IEA Statistics, Energy Balances of OECD Countries, Part I Methodology. Ce principe était déjà clairement énoncé dès les années 1970 : P. Ramain, Réflexions critiques sur les bilans énergétiques, Edition du CNRS, 1977, p. 93

[16] https://unstats.un.org/unsd/energy/yearbook/2010/2010_xxx.pdf

[17] voir par exemple le Brésil dans https://unstats.un.org/unsd/energy/yearbook/2010/2010_xxx.pdf

[18]http://www.eia.gov/cfapps/ipdbproject/iedindex3.cfm?tid=6&pid=33&aid=12&cid=FR,&syid=2008&eyid=2012&unit=QBTU

[19] Arrêté du 8 février 2012 modifiant l’arrêté du 15 septembre 2006 relatif au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments existants proposés à la vente en France métropolitaine (annexe 3, §3)

[20] Question et réponse publiées au Journal Officiel le 13 août 2013, page 8587 http://questions.assemblee-nationale.fr/q14/14-35712QE.htm

 


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