Mobilité électrique : l’enjeu du développement des bornes de recharge publiques

Le développement des véhicules électriques ne doit pas être contraint par celui du déploiement des bornes de recharge publique. Or leur développement conjoint est difficile à coordonner car celui du marché de la recharge s’effectue par des acteurs privés en concurrence qui cherchent à cloisonner l’accès à leurs réseaux. L’intervention publique doit chercher à harmoniser ces deux développements en subventionnant et en règlementant.

Récemment Carlos Tavares, le PDG de Stellantis, résigné à accepter les objectifs européens très volontaristes du développement accéléré des véhicules électriques (VE) dont il est critique, rappelait que le VE ne connaîtra un décollage massif que « si les clients suivent et, pour cela, il faut qu’ils soient d’abord rassurés sur la densité des bornes publiques de recharge, et ensuite que les VE soient abordables rapidement. » Le déploiement des réseaux de stations de recharge publique des batteries des VE, notamment pour les recharges rapides, est en effet un enjeu majeur qui conditionne le succès des voitures électriques. L’objectif européen qui est d’avoir une borne de recharge pour dix véhicules électriques, a été complété, dans le programme « Fit for 55 » de juillet 2021 par l’objectif indicatif d’avoir une station de recharge tous les 60 km le long des axes routiers. Mais le développement des véhicules électriques et de l’infrastructure de recharges est difficile à coordonner. Celui des bornes de recharges qui s’effectue en régime concurrentiel ne peut qu’être long et chaotique, ce que les interventions publiques peuvent corriger certes, mais difficilement.

 

1. Le besoin d’une infrastructure étoffée de bornes de recharge publique

Précisons d’abord comment se pose l’enjeu de développement des bornes de recharges publiques (pour les définitions, voir tableaux 1.1 et 1.2). La recharge de son VE peut s’effectuer soit chez soi avec une puissance de 2,3 à 3,2 kW (avec une durée de recharge d’environ huit heures) avec la possibilité aussi d’installer un wallconnector chez soi (figure 1) qui peut aller jusqu’à 11 kW chez Tesla via une augmentation de la puissance du contrat d’électricité ou en se branchant sur des postes de recharge (PR) de faible puissance sur parking des sociétés ou sur voirie publique avec des PR de puissance de 22 kW (figure 2) avec une durée de recharge de 3 heures au moins. Il est également possible de se brancher sur une borne de recharge rapide, ou ultra rapide, le long des principaux axes routiers et autoroutiers avec une puissance de 50 kW pour les premières et de 150 à 200 kW ne pas oublier les superchargeurs Tesla à 250 kW qui quadrillent le pays pour les secondes (ce qui assure un temps de recharge de 20 à 80% en 20 à 30 minutes). Ces nouvelles bornes répondent au besoin de la nouvelle génération de véhicules électriques d’une capacité de 75 à 100 kWh, loin des batteries de VE de première génération stockant 25 kWh au maximum. Certaines batteries dépassent les 100 kWh et atteignent 120 kWh chez Mercedes notamment (EQS).

L’enjeu du déploiement rapide des PR publics est d’importance car, si celui des voitures électriques est contraint au départ par la recharge à domicile du fait de leur usage essentiellement urbain, il est contraint ensuite par l’infrastructure de bornes de recharge publique, puis par celle des recharges rapides et ultra-rapides. Lorsque cette dernière infrastructure se développe, les acheteurs potentiels de VE seront attirés par une polyvalence voisine de celle des véhicules thermiques, en ouvrant leur usage aux déplacements interurbains et de loisirs « sans souci (far from range anxiety) ».
 

Tableau 1.1. Lexique des recharges publiques de véhicules électriques

Station de recharge Une borne associée à des emplacements de stationnement ou un ensemble de bornes associées à des emplacements de stationnement, alimentée par un même point de livraison du réseau public de distribution d’électricité.

 

Borne de recharge Un appareil fixe raccordé à un point d’alimentation électrique, comprenant un ou plusieurs points de recharge (généralement quatre) et pouvant intégrer notamment des dispositifs de communication, de comptage, de contrôle ou de paiement.
Point de recharge Une interface associée à un emplacement de stationnement qui permet de recharger un seul véhicule électrique à la fois.

 

Point recharge

ouvert au public

Un point de recharge, exploité par un opérateur public ou privé, auquel les utilisateurs ont accès de façon non discriminatoire.

 

Tableau 1.2. Les trois segments des postes de recharge de véhicules électriques

PR « privés »

 

Postes de recharge installés dans les maisons individuelles ou les parkings de l’habitat collectif.
PR « entreprises »

 

Postes de recharge installés dans les parkings d’entreprise dédiés aux véhicules de service, à ceux des salariés et des visiteurs.

 

PR « publics »

 

Postes de recharge installés dans les espaces accessibles à tout véhicule au public (voirie, parkings publics, centres commerciaux, sites touristiques, certains restaurants), avec des recharges charges dites « accélérées » d’une heure ou plus.

 

recharge borne electrique

Figure 1 : Poste de recharge à domicile Wallbox [Source : Pixabay]

 

parking recharge voiture electrique

Figure 2 : Poste de recharge en parking [Source : Pixabay]

1.1. Les déterminants du besoin de recharges publiques

Aux premiers stades du développement des VE, leur usage principal, voire unique est le trajet court en urbain. Les PR privés en habitat individuel ou sur les parkings couverts en habitat collectif sont suffisants, les propriétaires de VE — dont beaucoup peuvent s’appuyer aussi sur les PR sur les parkings d’entreprise — sont peu dépendants de PR publics (figure 3). A ce stade du déploiement des VE, le développement des points de recharge pour satisfaire les besoins s’appuie d’abord les solutions simples et abordables des points de recharge individuelle (de 2,3 à 3,2 kW) et sur des programmes de subventions à l’équipement en collectif, copropriété et entreprise.

Si l’habitat repose principalement sur la maison individuelle, il y a des chances que les acquéreurs de VE puissent s’équiper de PR individuels pour se recharger la nuit à leur domicile. Si en parallèle l’équipement de bornes au travail se développe, le déploiement des bornes de recharge publique a un moindre degré d’urgence. Dans un autre pays avec un habitat collectif dominant, il est moins facile d’installer des points de recharge privés. On cherchera donc à compenser cette difficulté en développant un plus grand nombre de bornes de recharge accessibles au public. Dans un pays, le besoin de PR en accès public va donc dépendre du type d’habitat.

La France est dans une situation intermédiaire. 37 % des résidences principales (environ 20 millions) ne disposent pas d’une place de garage ou de parking pour installer des postes de recharge, que ce soit individuel ou en collectif. C’est la cible du programme ADVENIR de 60 millions d’€ par an lancé en 2016, qui, en moyenne, subventionne 50 à 60% du coût d’installation de tels PR, ce qui a le développement annuel de 36 000 PR par an permis en moyenne (AVERE-France, 2022). Mais le besoin de développement des recharges publiques est aussi important pour accompagner le développement des VE.
 

points charges vehciules electriques france

Figure 3. La répartition des types de points de recharge fin 2022 en France [source : © ENEDIS]

 

Note : Cette répartition donne 51,7% de PR au domicile (605 000), 42,2% en entreprise (493 000) et 6,1% (72 000) en PR en accès public, pour un total de 1 17 millions de postes de recharge selon les statistiques d’Enedis (GIREVE).

L’objectif de développement des véhicules électriques à batteries (VEB) et hybrides rechargeables (VHR) est fixé à 2,5 à 3 millions de VE à batteries en circulation en 2025 et 3,6 à 4,3 millions en 2030 selon le document « Stratégie de développement de la mobilité propre » annexée à la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) de 2016[1]. En prolongement du scénario haut de projection du développement des VE, la Plateforme de la Filière Automobile (PFA) évoque le chiffre 9 millions de VE en 2035. Le scénario haut impliquerait donc l’installation de 430 000 PR d’accès public d’ici 2030, et d’au moins 900 000 PR d’ici 2035, alors qu’ils ne sont que 72 000 fin 2022[2] (figure 4).

 

bornes electriques publiques france

Figure 4. Quelques trajectoires de développement des points de recharge publique en France. [Source :  © Enedis (GIREVE), décembre 2022]

1.2. L’enjeu particulier du déploiement de bornes de recharge rapide

Pour anticiper le besoin de développement des bornes publiques de recharge rapide, on peut évidemment imaginer que les acquéreurs de VE aient tous des comportements raisonnées et raisonnables, comme le fait par exemple l’ADEME dans une note de 2022. Ils devraient adapter « leurs habitudes de ravitaillement ». Il faut favoriser la recharge longue pendant le temps de travail, ou de nuit chez soi, d’autant, alarme t’elle pour convaincre, que « les prix de vente du kWh sur bornes de recharge ultrarapides sont de 3 à 4 fois plus élevés qu’à son domicile ». Il faut ensuite favoriser la recharge en ville, plus fréquente. Plutôt que de multiplier les PR rapides ou ultra-rapides, il faudrait mettre d’abord l’accent sur les dispositifs de recharge de faible et moyenne puissance sur tout le territoire, dans le but d’avoir « la bonne puissance au bon endroit ».

Mais on peut douter que cela se passe ainsi. La réalité est que le VE se heurte à un obstacle psychologique pour les acquéreurs potentiels non engagés, qu’ils comparent avec le véhicule thermique multi-usage. Ceci le conduit à se focaliser sur les contraintes d’usage, comme le manque d’autonomie des véhicules, la faible densité des stations de recharge rapide pour les voyages au long cours (figure 5), ou encore la fiabilité des postes de recharge, qui est un vrai problème au stade actuel de développement de ce nouveau système technique du véhicule électrique.

 

recharge electrique voiture aire autoroute

Figure 5 : Station de recharge sur aire d’autoroute [source : pixabay]

Les conducteurs de VE se trouvent souvent confrontés à des difficultés d’accès aux bornes des réseaux des autres marques que la leur, soit par manque d’interopérabilité, soit pour devoir payer des prix exorbitants. C’est comme si un véhicule thermique en manque de carburants sur une autoroute ne pouvait accéder aux stations Exxon ou Shell parce qu’il n’est abonné qu’au réseau de TotalEnergies, ou bien comme s’il devait payer trois fois plus le remplissage de son réservoir qu’avec un autre abonnement.

L’exemple de Tesla qui a « commencé » par l’installation massive de ses bornes serait le bienvenu. Pourquoi ne pas parler de ce qui est exemplaire ? Avec des bornes qui simplifient la vie : reconnaissance automatique par la prise du véhicule et de son propriétaire, prélèvement sur la carte bancaire qui a servi à l’achat du véhicule, … et bien d’autres fonctionnalités très pratiques.

La plupart des automobilistes considèrent que le faible nombre des bornes de recharge rapides (50-120 kW) ou ultra-rapides (130-250 kW) est le principal frein à l’achat de voitures électriques. Les enquêtes d’opinion montrent qu’ils regardent moins l’autonomie que la vitesse de recharge. Bien sûr on peut discuter de façon objective de l’importance de ce besoin de bornes de recharge rapide qui concerne les déplacements sur les grands axes routiers, par rapport aux besoins concrets de recharge sur bornes publiques. Il n’empêche que la référence ultime pour un acquéreur potentiel d‘un VE est le voyage interurbain ou de loisirs, et donc la recharge rapide. Pour se rapprocher d’une véritable substituabilité du VE au véhicule thermique polyvalent, l’accélération de la mise en place d’une infrastructure de bornes rapides est indispensable pour inciter les automobilistes à adopter la voiture électrique. Mais étoffer le réseau de postes de recharge publics ne sert pas à grand-chose si la qualité de service et la simplicité d’usage ne sont pas au rendez-vous et la vie de conducteurs simplifiée.

 

2. Le désordre du déploiement des bornes sur une base concurrentielle

Un hiatus existe entre d’un côté l’accélération du déploiement des VE à batteries (VEB) en France, dont le parc a crû de 365 000 unités début 2021 à un million en octobre 2022 ; et de l’autre côté, la faible densité de bornes sur les voies publiques et la faible part de PR de forte puissance de plus de 50 kW. L’objectif de 100 000 bornes publiques que s’était fixé le gouvernement pour fin 2021 en définissant un programme de subvention de 100 millions d’€ ne pourra être atteint que vers 2024. Fin 2022, il n’y avait que 72 000 bornes publiques et parmi elles, seulement 7000 bornes rapides de plus de 50 kW (soit 9 % environ)[3].

Si en 2025, on atteint les 2 millions de VE, il faudra 200 000 bornes publiques dont au moins 20 000 bornes rapides. A l’horizon 2030, avec des scénarios qui prédisent un parc de 4,5 et 8 millions de VE, il faudra de 450 000 à 800 000 bornes publiques, dont au moins 50 000 bornes rapides, soit dix fois plus qu’à présent. Luc Chatel, le président de la Plateforme Filière Automobile (PFA) estime que, pour accompagner un développement ambitieux des VE qui soit en phase avec l’objectif de suppression de toute vente de véhicules thermiques neufs de 2035 décidé au niveau européen, « pour avoir un vrai changement de rythme, il faudrait un plan Marshall de 6,6 milliards d’€ (…) en inventant des solutions de financement innovantes ». Il faudrait en effet investir d’importants capitaux du côté des opérateurs de bornes de recharge. Concernant les postes de recharge rapide de plus de 50 kW, le coût se situe autour de 100 000€ et plus. Depuis 2021, il peut être financé au tiers par les subventions du « programme 100 000 PR » consacré aux bornes publiques. Il faut aussi compter les coûts de raccordement au réseau, mais ils sont actuellement pris en charge à 75% par RTE et reportés dans le tarif de réseau (TURPE) payé par tous les consommateurs.

A partir de ces perspectives, construire une offre de service de recharge publique est difficile à harmoniser avec le développement des ventes de véhicules à batteries qui s’effectue sur la base d’initiatives privées. Ce n’est pas comme si on avait à ajouter une infrastructure pour compléter une innovation mature et permettre une plus grande diffusion. Ce déploiement ne peut se faire que de façon désordonnée car on est loin désormais de la culture dirigiste des décennies de l’après-guerre dont aurait découlé de façon naturelle une forte coordination publique sous l’égide d’entreprises de service public. Les acteurs privés qui s’impliquent dans le développement du service de recharge publique ont des motivations diverses :

  • les constructeurs de VE qui veulent attirer des clients avec un réseau d’accès gratuit ou peu cher, et en les rassurant sur la possibilité de recharger facilement leurs véhicules,
  • les fournisseurs d’énergie comme EDF et Engie qui cherchent à se diversifier vers le service de recharge de VE,
  • les distributeurs de carburants en station-service sur les grands axes routiers (dont TotalEnergies), pour suivre l’évolution du trafic et des motorisations,
  • les centres commerciaux qui veulent attirent une clientèle qui aura tendance à rester plus longtemps en attendant la fin du chargement de leur véhicule,
  • des équipementiers comme Valéo qui cherchent à s’intégrer en amont,

A côté entrent sur le marché de la recharge quelques pure players que sont les installateurs-exploitants comme Easycharge (Vinci), EVbox ou Zeplug. A noter que la rentabilité du business model de certains repose sur les bénéfices complémentaires qu’ils en recherchent : ventes accrues pour les commerces présents sur les aires de service d’autoroute ou les centres commerciaux.

2.1. Les cloisonnements du marché de la recharge publique

Sur ce marché, les divers types d’acteurs ont toujours cherché et cherchent à créer des cloisonnements, ce qui conduit à une inefficience collective manifeste. Ceci s’est fait au départ par une différenciation de logiciels et de systèmes de paiement, et aussi par celle des formats de prise et de systèmes d’alimentation électrique. Il y a en effet trois standards, CHAdeMO en courant continu, CCS Combo aussi en courant continu et Type2 AC en courant alternatif). C’est ainsi que le premier modèle économique de constructeurs de VE investis dans le développement de bornes de recharge, principalement Tesla et Nissan, a consisté à lier leurs ventes de véhicules au développement d’un réseau de postes de recharges spécifiques pour attirer le client. Dans cette même logique, tel constructeur ne proposait qu’un seul câble de raccordement aux bornes de recharge publique, comme Nissan avec son câble du standard asiatique CHAdeMO (figure 6).

 

Figure 6 : Câbles de recharge CHAdeMO, Combo2 et Type-2-AC (de gauche à droite) [Source : NISSAN]

Ce modèle économique est devenu obsolète devant l’inefficience collective qu’entraîne la multiplication des bornes de recharge incompatibles. La réponse des gouvernements européens a été l’obligation d’interopérabilité et la standardisation des câbles de raccordement. Ceci s’est fait autour du standard CCS qui s’est imposée dans l’Union Européenne à la suite de la directive 2014/94/UE du 22 octobre 2014 sur le déploiement d’infrastructure pour carburants alternatifs, standard qui a été repris par un décret de 2017. Ceci dit, l’amélioration fondamentale de l’interopérabilité entre réseaux de bornes de recharge qui s’en suit ne résout pas tous les problèmes de compatibilité. D’autres viennent des logiciels complexes au niveau des bornes, des chargeurs embarqués dans les VE et des moyens de paiement, même après normalisation des connecteurs[4].

Par la suite, dans ce qu’on a appelé la guerre des stations de recharge entre les marques, d’autres types de barrières se sont érigées. Sur le même axe autoroutier de stations d’autoroute, les propriétaires de VE peuvent avoir la surprise de payer la recharge à des prix très différents, et ce pour différentes raisons. En effet, le modèle économique qui a pris le relais entretient un cloisonnement effectif entre réseaux, chaque réseau proposant des tarifs très différents entre les voitures des marques de leur réseau et les autres. Le premier exemple celui du réseau Ionity en Europe qui est financé par les constructeurs allemands Audi, BMW, Daimler, Ford, Porsche, VW et Hyundai-Kia, qui a une centaine de stations de recharge de haute puissance en France. Il affiche des tarifs préférentiels 0,30€/minute pour les voitures de ses marques contre 0,79€/minute pour les autres.

De son côté Tesla qui a accepté d’ouvrir progressivement ses réseaux de recharges ultra-rapides (figure 7), dont 90 en France se rattrape par une différenciation tarifaire marquée entre les véhicules de sa marque (le célèbre modèle S notamment) et les autres : 0,24 €/kWh pour les premiers (avec parfois des kWh gratuits dans certaines stations), contre 0,55 €/kWh pour les seconds[5].

 

borne recharge rapide tesla

Figure 7 : Borne de recharge rapide pour véhicules Tesla. [Source : TESLA]

Autre exemple Renault (qui n’a pas cherché à entrer dans l’association Ionity, car le coût d’entrée était plus cher que l’installation de leur propre réseau) a lancé en 2022 par sa filiale Mobilize un plan de développement de 200 stations de recharge rapide à 6 points de recharge en s’appuyant sur le foncier de ses concessionnaires, avec la même idée de forte différenciation tarifaire.

Un autre problème d’accès aux bornes est la nécessité de s’identifier au moyen d’un badge ou d’une application fournie en échange d’un abonnement par le prestataire qui fournit une carte spécifique. C’est le cas auprès des opérateurs Izivia (EDF), Ionity, Freshmile, Révéo, Easycharge (Vinci) et Total EV Charge pour recharger son véhicule. Il est impossible pour un client d’utiliser un point de charge s’il n’est pas exploité par un fournisseur auprès duquel il n’est pas enregistré et sans sa carte spécifique. D’où l’énorme paradoxe suivant, la charge d’un VE est le seul produit en Europe qu’on ne peut pas payer directement avec une carte bancaire (CB), le Royaume uni faisant exception. La raison en est économique : un terminal de CB coûte cher et le débit de clients sur les infrastructures de charge est a priori insuffisant pour en assurer la rentabilité sur les premières années.

Il n’empêche que, même enregistré sur les réseaux de plusieurs prestataires, les dépenses pour une même prestation varient beaucoup d’un prestataire à l’autre, à puissance comparable. Recharger les batteries d’une Peugeot e-208 de 20 à 80% peut revenir à 21, 28, 33 ou 40€, selon qu’on s’alimente à une borne gérée par Charge Point, PlugSurfing, Freshmile ou Free2Move, comme le montre le comparateur de prix en ligne ChargePric (Meunier, 2021).  A ceci s’ajoute les difficultés de comparaison des coûts de la prestation de recharge. Les tarifs des uns et des autres se différencient entre tarif à la minute, tarif à la puissance de recharge, ou tarif par kWh. L’alignement sur une tarification par kWh serait hautement souhaitable pour faciliter la comparaison.

Pour résumer, il reste encore des briques d’interopérabilité à parfaire pour que les bornes des prestataires du service de recharge offrent un service simple et homogène pour tout détenteur de véhicule électrique, quelles que soient sa puissance et sa marque, à l’instar de ce qui existe pour l’itinérance entre les réseaux de téléphonie mobile.

2.2. La fragilité technique des bornes de recharge, obstacle de taille

Un dernier problème qu’il faudrait résoudre de façon déterminée pour emporter l’adhésion des automobilistes à la cause des VE est posée par la fragilité technique des réseaux de bornes, qui est marquée par la faible disponibilité des postes de recharge. Les déficiences au cours des recharges sont nombreuses, comme les indisponibilités des bornes publiques. En août 2021, par exemple, sur les 710 bornes installées sur les 180 aires d’autoroutes qui étaient équipés, 691 étaient en panne, selon l’AVERE-France. Autre exemple, les défauts qui apparaissent sur certaines bornes d’un exploitant peuvent être telles qu’ils conduisent à l’exploitant à abandonner son réseau de bornes. Ainsi Izivia, filiale d’EDF qui a développé le réseau de bornes Corri-Door, a dû début 2021 mettre hors service 80% des bornes de son réseau (189 sur les 217) pour des raisons techniques de sûreté.

 

3. Rectifier les déficiences du développement des PR : le rôle des pouvoirs publics

Dans l’écosystème du véhicule électrique, le parc des postes de recharge publique est le complément indispensable du parc de VE, avec des effets évidents de système entre eux. Par exemple, l’utilité d’une voiture électrique croît avec la taille du parc de bornes disponibles et accessibles, tandis que le déploiement des bornes publiques est influencé par celui du parc de voitures électriques. Dit autrement, sans véhicule électrique, pas de marché de la recharge publique ; et, sans borne publique, peu de véhicules électriques déployés. Aucun des deux marchés, celui du VE et celui de la recharge publique, n’a intérêt à précéder l’autre alors qu’en dynamique l’un peut bloquer l’autre.

Comme, au départ, le nombre de VE en circulation ne permet pas aux acteurs de la recharge publique d’espérer un retour sur investissement positif, le rôle principal des pouvoirs publics pour faciliter le déploiement des bornes de recharge publiques va consister à les subventionner, généralement sous forme de cofinancement avec un ou plusieurs partenaires privés. Certaines collectivités locales particulièrement engagées dans la transition écologique choisissent de subventionner l’installation de bornes de recharge publique. Dans le cadre de leur politique de mobilité, une façon indirecte de faciliter un tel déploiement en accès public est de s’entendre avec le partenaire privé qui déploie une flotte de VE en autopartage pour laisser les autres véhicules accéder aux bornes de recharge qu’il va installer, sous certaines conditions.

Par ailleurs, les obstacles volontairement créés par les entrants pour rentabiliser leurs investissements dans l’installation coûteuse de bornes de recharge publique en se différenciant doivent aussi être levés pour limiter l’obstacle psychologique à acquérir un VE. La multiplication des bornes incompatibles ou les difficultés d’accès aux bornes d’un autre réseau deviennent vite une source gigantesque d’inefficience. Le marché laissé à lui-même trouve ici ses limites.  Les pouvoirs publics doivent donc aussi œuvrer dans plusieurs directions :

  • éviter le développement exclusif de réseaux propriétaires limitant l’accès aux seuls véhicules de leur marque,
  • faciliter l’accès des bornes déployées pour un maximum de véhicules, via des normes et subventions conditionnées,
  • s’assurer du suivi du déploiement du réseau, de manière à assurer une couverture sur l’ensemble du territoire,
  • lever les obstacles juridiques (urbanisme, portabilité des contrats, etc.) au déploiement privé des bornes de recharges.

Pour faciliter l’adhésion des acheteurs de véhicules au VE, il est clair qu’il faille normaliser les conditions d’accès aux bornes de différents réseaux : obligation d’équipement en terminal de CB, tarification comparable du service de recharge notamment

 

4. Harmoniser l’effort budgétaire sur les voitures électriques et les bornes de recharge publique

L’intervention publique doit aller plus loin pour assurer le développement harmonieux des deux faces de l’écosystème de la voiture électrique. Aujourd’hui, la dépense budgétaire de l’Etat penche clairement en faveur de la voiture avec les aides pour accélérer la transition vers l’électrique. Les diverses primes à l’équipement en voiture électrique (bonus écologique, prime à la casse, subventions des collectivités locales) émargent pour 1,2 milliard d’€ en 2022 au budget de l’Etat, ce qui est dix fois plus que ce qui est consacré aux bornes publiques, à savoir les 100 millions d’€ du programme 100 000 bornes publiques du plan de relance de 2021 et les subventions des collectivités estimées à 30 millions d’€. Un rééquilibrage budgétaire semble nécessaire dans le futur. Ce peut se faire soit en augmentant les dotations au déploiement des bornes publiques (à côté du programme Advenir de 60 millions d’€ par an ciblé sur les postes de recharge en collectif, copropriété et entreprise) ; soit encore en réaffectant une partie du budget de subventions à l’équipement en voitures électriques au financement de l’installation des postes de recharge publique.

 

5. Harmoniser le développement territorial des bornes de recharge

Ceci dit, c’est une chose d’avancer des objectifs chiffrés de développement des bornes rapides et un montant de subventions pour financer les stations de recharge, c’en est une autre de prévoir de les installer au bon endroit et à la bonne puissance. Une politique d’aménagement du territoire est nécessaire pour assurer un déploiement évitant de larges zones « blanches » sans poste de recharge publique. La création d’un service d’intérêt économique général (SIEG) au niveau national serait la bonne voie pour permettre un déploiement planifié et ordonné des bornes publiques sur l’ensemble du territoire national en différenciant les besoins d’équipement selon les zones.

Sur ce sujet, beaucoup est à construire, comme définir des délégations de service public sur des périmètres pertinents. Leurs limites ne devraient pas être déterminées en fonction des frontières administratives de communes, départements ou régions, mais en fonction d’une analyse des flux de déplacement et d’une cartographie d’implantation optimale des postes de recharge à des mailles pertinentes. De même pour les modalités de répartition des subventions entre zones. Sans quoi les déplacements en voitures électrique de moyenne et longue distance resteront un casse-tête pour les propriétaires de VE, qui ne manqueront pas de garder une seconde voiture à moteur thermique, malgré les injonctions à passer à la mobilité électrique pour préserver le climat (Lire : L’automobile du futur : quelle source d’énergie ? et L’automobile du futur : Les technologies énergétiques en compétition).

 

Annexe

Le cas particulier des véhicules hybrides rechargeables

Une voiture hybride rechargeable (VHR) est une voiture avec une petite batterie – généralement entre 8 et 18 kWh – qui peut propulser la voiture en utilisant seulement un moteur électrique jusqu’à ce que la batterie soit épuisée. Le moteur à essence prend alors la relève pour recharger la batterie. Dans cette catégorie de VE, la batterie peut être rechargée à domicile et sur les postes de recharge en parking d’entreprises. On ne les considère pas comme des utilisateurs futurs à grande échelle des bornes de recharge publique.

Par rapport aux enjeux de limitations des émissions de CO2, les VHR ne sont performants que si leurs conducteurs utilisent vraiment la motorisation électrique, notamment pour tous les trajets inférieurs à l’autonomie électrique du véhicule. Si par exemple l’hybride rechargeable a une autonomie de 16 kms et que le trajet aller-retour pour se rendre au travail est de 6 km, on peut conduire des semaines sans faire le plein de carburants en roulant uniquement grâce à la batterie qui sera rechargée régulièrement. Cela dit, le mode « électrique pur » exigerait une pratique de recharge quotidienne systématique, ce qui est très loin d’être cas général. C’est la raison pour laquelle le VHR est considéré comme une étape transitoire dans la mobilité automobile.

*En anglais Plug-in electric vehicles (PHEV)

 

Références

ADEME (2022) : Avis sur le vehicule-electrique-une-batterie-de-taille-raisonnable-assure-une-pertinence-climatique-et-economique. 12 octobre 2022.

AVERE-France. 2022 : Le développement de la recharge en France pour les véhicules légers.

CRE (Commission de Régulation de l’Energie), 2018, Les réseaux électriques au service des véhicules électriques.

France Stratégie (2018), Les politiques publiques en faveur des véhicules à très faibles émissions.

Dominique FINON, 2021. « Le double coût du déploiement des bornes de recharge rapide ». Transition et Energies, n°10, p.54-57

Dominique FINON, 2022, « Véhicules électriques : Le développement « borné » par les infrastructures », Transitions et Energies, n°15, p.61-65

Jean-Michel NORMAND, 2022, « Voiture électrique : l’introuvable modèle économique des bornes de recharge ». Le Monde, 23 octobre 2022

Nicolas MEUNIER, 2021, L’arnaque de la voiture propre. Paris : Edition Alerte Hugo-Doc.

[1] On évoque que, pour mémoire, les hybrides rechargeables, car ils ne sont qu’une option transitoire (Voir annexe)

[2] Concernant les scénarios de développement des VE. Il repose d’abord sur des hypothèses sur les politiques publiques d’incitations à l’acquisition de ces véhicules (primes à l’achat, primes à la casse des voitures thermiques, défiscalisation, interdiction de circulation dans certaines zones, etc.), car on ne doit perdre de vue la contrainte budgétaire des ménages pour l’acquisition de véhicules 30 ou 40% plus chers que les véhicules thermiques. La continuité des politiques, incluant celles incitatives à la transformation des flottes d’entreprises, est un enjeu particulièrement important.

[3] Les concernant, il faut noter que l’installation des recharges rapides dans les aires de service d’autoroutes s’est toutefois accélérée : 40 % des aires disposaient de bornes rapides en juin 2021 et   60 % à la mi-2022.

[4] C’est ce que note Christophe Erni, grand spécialiste de ces questions, qui a su monter une start-up pour vendre des conseils sur la résolution de ces problèmes, en août 2022.

[5] On leur propose tout de même un abonnement mensuel de 12,99 € pour accéder à des tarifs moins élevés.

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