Le micro-générateur Enerbee : une solution autonome en énergie sans fil ni prise

Produire de l’énergie électrique à partir d’un simple mouvement du quotidien, ce n’est plus une utopie. EnerBee, une start-up grenobloise, a mis au point un micro-générateur unique au monde, capable de récupérer l’énergie d’un corps en mouvement, même de manière irrégulière et à faible vitesse, en associant les avantages de deux techniques classiques : l’induction magnétique et la piézoélectricité. Les premières utilisations sont en développement.


EnerBee, une start-up Grenobloise, a mis au point un micro-générateur permettant à chacun de produire de petites quantités d’électricité à partir d’un mouvement, quelque soit sa vitesse, et d’assurer ainsi l’autonomie énergétique de divers systèmes électroniques. Cette innovation constitue une nouvelle technique à disposition des utilisateurs pour pratiquer ce qu’on appelle le moissonnage d’énergie (Paragraphe 1). Après avoir montré que le phénomène d’induction magnétique utilisé dans les alternateurs pour créer du courant est inadapté dans ce cadre (Paragraphe 2), seront présentées les propriétés physiques des matériaux mobilisées pour cette innovation (Paragraphe 3). Le fonctionnement du micro-générateur EnerBee ainsi que ses avantages seront explicités (Paragraphe 4) avant de souligner le contexte institutionnel ayant permis à cette innovation d’émerger (Paragraphe 5). Enfin vous découvrirez son potentiel d’utilisations, et notamment le variateur de lumière rotatif sans pile sans fil dévoilé au salon Consumer Electronic Show 2016 de Las Vegas (Paragraphe 6) et les promesses d’avenir pour l’entreprise (Paragraphe 7).

 

1. Un mode de production d’électricité adapté à l’économie numérique: le moissonnage d’énergie

Les objets connectés s’apprêtent à révolutionner les usages et la vie quotidienne – bracelets et montres connectés, bâtiments intelligents, ou encore l’internet des objets au service de l’industrie, de la logistique et des services… Ces objets connectés, ou communicants, sont « des objets électroniques partageant des informations avec un ordinateur, une tablette ou un smartphone avec une connexion sans fil, et qui sont capables de percevoir, d’analyser et d’agir selon les contextes et notre environnement »[1]. Cette digitalisation rapide de l’économie pose cependant le problème de l’alimentation en énergie des objets connectés qui fonctionnent aujourd’hui grâce à des piles ou batteries nécessitant d’être changées ou rechargées régulièrement.

Aujourd’hui, plus d’un milliard de piles et accumulateurs portables sont mis sur le marché français chaque année, soit 18 par habitant (dont 21 % de piles boutons), pour un total de plus de 30 000 tonnes[2]. Ces volumes représentent un important impact environnemental et posent la question du recyclage. Les piles contiennent en effet des métaux lourds[3] toxiques et nocifs pour l’environnement. Elles constituent la part la plus polluante des ordures ménagères. La loi oblige à les recycler et le coût de l’opération est de 1400 euros/tonne. Chaque année, l’État et les industriels consacrent 20 milliard d’euros pour le tri et le recyclage[4].

Dans ce contexte, trouver d’autres modes d’alimentation électrique pour les objets connectés est un défi d’actualité. Une réponse tente d’être apportée au moyen de ce qu’on appelle la récupération d’énergie, traduction de l’expression energy harvesting en anglais, qui consiste à exploiter les réservoirs d’énergie diffus présents dans notre environnement. On parle également de récolte d’énergie ou de moissonnage d’énergie.

À côté des grands réservoirs que sont les hydrocarbures, le charbon, le vent, la lumière solaire, qui nous fournissent l’essentiel de l’énergie dont nous avons besoin, on peut trouver de l’énergie en réserve en petite quantité dans de multiples systèmes[5]. Ces sources d’énergie diffuses sont constituées par des vibrations[6], de faibles différences de température, les mouvements d’un corps, les ondes électromagnétiques… On est loin de l’extraction pétrolière, qui procure des millions de tonnes de combustible. Il s’agit ici, grâce à des progrès scientifiques et technologiques, de récupérer de faibles quantités d’énergie, suffisantes pour faire fonctionner de petits capteurs sans-fils correspondants à de nouveaux besoins ou de créer de nouveaux produits ou équipements totalement autonomes et donc très faciles à installer : stores électriques, luminaires d’ambiance, vitrages intelligents…

Pour ce faire, différentes techniques peuvent être employées. L’idée des créateurs d’EnerBee était de récupérer de l’énergie à partir de petits mouvements en s’inspirant du fonctionnement des alternateurs.

 

2. Les limites de l’induction magnétique pour la transformation de petits mouvements en énergie

Les alternateurs, ces machines permettant de créer des courants électriques alternatifs à l’aide d’aimants, utilisent le phénomène de l’induction magnétique qui permet d’engendrer un courant électrique dans un circuit conducteur lorsqu’il est placé dans un champ magnétique variable. Il a été découvert en 1831 par Faraday et est régi par la loi de Lenz-Faraday. Celle-ci établit que la force électromotrice e (en volts) créée dans le circuit s’oppose strictement aux variations temporelles du flux issu du champ magnétique :

                                                                              $$ e=frac{dphi }{dt}$$

Les alternateurs transforment de l’énergie mécanique en électricité ; ils convertissent l’énergie mécanique fournie à une partie tournante constituée d’un aimant ou électro-aimant (le rotor) en un courant électrique alternatif qui circule dans une partie fixe, le stator. Il n’y a pas de contact physique entre le rotor et le stator. Le champ magnétique variable est créé par la rotation de l’aimant, ou de l’électro-aimant. Dans le cas d’un électro-aimant, le champ magnétique est lui-même créé par un passage d’électricité dans un bobinage.

Pour les appareils miniatures, le flux magnétique φ est faible, car il est proportionnel au nombre de spires de la bobine. De plus, lorsque le mouvement est lent (à l’échelle microscopique), le champ magnétique est quasi-stationnaire, et la force électromotrice tend vers zéro… L’inconvénient des alternateurs est ainsi de ne pas fonctionner avec des mouvements lents, leur avantage étant toutefois de ne pas nécessiter de contact ente le rotor et le stator. C’est donc une autre propriété du magnétisme qui a été mobilisée par les innovateurs d’EnerBee, la magnétostriction, qui a été associée à la propriété de piézoélectricité de certains corps.

 

3. L’innovation : utiliser les propriétés magnétostrictives et piézoélectriques de certains matériaux

On dit de certains matériaux qu’ils sont ferromagnétiques, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de s’aimanter lorsqu’ils sont placés dans un champ magnétique, et de garder une partie de cette aimantation. Ces matériaux ont en outre la particularité de se déformer en fonction de l’orientation de leur aimantation lorsqu’ils sont soumis à un champ magnétique. On appelle cette propriété la magnétostriction. Son existence a été démontrée par Joule en 1847[7] en mesurant l’allongement d’un échantillon de fer placé dans un champ magnétique. L’avantage d’un matériau magnétostrictif est de produire une déformation mécanique tout en pouvant être activé à distance, sans interaction directe, grâce au champ magnétique.

Une autre propriété de certains corps est la piézoélectricité, qui est la faculté de se polariser électriquement sous l’action d’une contrainte mécanique (effet direct) et réciproquement de se déformer lorsqu’on leur applique un champ électrique (effet indirect). L’effet direct a été démontré par Pierre Curie et son frère Jacques en 1880 sur des cristaux[8], de quartz notamment. C’est elle qui permet d’allumer les briquets : la pression exercée produit une tension électrique qui se décharge brutalement sous forme d’étincelles. Un des intérêts de la piézoélectricité est qu’elle transforme un mouvement en électricité quelle que soit la vitesse à laquelle s’effectue le mouvement. Pour les petites dimensions, les collecteurs piézoélectriques sont utilisés essentiellement dans le mode de vibration, pour transformer un mouvement mécanique rapide et régulier en électricité.

En vue d’exploiter les mouvements lents de petites dimensions, l’approche utilisée par les ingénieurs de EnerBee consiste à utiliser la complémentarité entre des matériaux piézoélectriques et magnétostrictifs.

 

4. Le principe de fonctionnement du microgénérateur d’EnerBee : une technologie unique au monde permettant des gains économiques et environnementaux

La technologie de récupération d’énergie développée par EnerBee est unique au monde par sa capacité à produire de l’électricité à partir de petits mouvements, quelle que soit leur vitesse. Son originalité est d’associer de façon unique les avantages respectifs des deux propriétés physiques présentées précédemment, qui permettent de convertir un mouvement en énergie : le magnétisme et la piézoélectricité. La combinaison intelligente de ces deux techniques permet de conserver leurs avantages et génère ainsi de l’électricité quelle que soit la vitesse du mouvement.

Dans un champ magnétique variable, un matériau magnétostrictif s’étire ou rétrécit alternativement, recréant ainsi un mode vibratoire. Il peut ainsi produire une contrainte élevée pour déformer un matériau piézoélectrique même à faibles tractions. Cette déformation déplace des charges électriques dans le matériau, ce qui assure la réalisation de la conversion électromécanique. Le couplage de ces deux matériaux permet ainsi de convertir l’énergie magnétique en énergie mécanique, puis en électricité.

Fig.1 : Principe de fonctionnement du micro-générateur d’Enerbee

 Au final, le micro-générateur d’EnerBee repose sur une technique révolutionnaire de conversion des variations d’un champ magnétique quasi-stationnaire en électricité. Les étapes majeures de cette conversion sont détaillées Figure 1 : un mouvement actionne des aimants (1) qui font varier le champ magnétique autour d’un matériau magnétostrictif. Celui-ci se déforme sous l’action de ce champ (2) et, par conséquent, génère une contrainte mécanique sur un matériau piézoélectrique (3), ce qui engendre de l’électricité (4).

En pratique, le mouvement quasi-stationnaire d’un aimant permanent près de l’élément magnétostrictif / piézo-électrique hybride peut produire une tension relativement élevée à la sortie de l’élément piézoélectrique, cette tension dépend essentiellement de l’échelle des appareils et des matériaux utilisés.

Fig. 2: Le micro-générateur inertiel développé par Enerbee

Le grand avantage des micro-générateurs d’EnerBee est d’éliminer complètement la dépendance aux piles. Ils permettent ainsi d’éliminer le coût et le recyclage des batteries. Mais les véritables gains se retrouvent en évitant des coûts de maintenance tels que ceux associés au stockage de la batterie, au suivi de sa durée de vie, et à son installation au sein de systèmes embarqués.

 

5. Un potentiel d’utilisations immense : finis les câbles à tirer ou les batteries à recharger

Si une personne sur quatre utilise déjà les objets connectés, en grande partie pour se faciliter la vie quotidienne, leur marché ne pourra véritablement se développer que s’il est possible non pas d’augmenter leur autonomie mais bien de les rendre entièrement autonomes sur le plan énergétique.

Fig. 3 : Les micro-générateurs rotatif et inertiel d’EnerBee et le démonstrateur du variateur de lumière sans pile sans fil

Les micro-générateurs d’EnerBee répondent à ce défi en rendant possible l’autonomie en énergie des multiples objets qui nous entourent et des nouveaux objets connectés, remplaçant ainsi le câble d’alimentation, la recharge de la batterie ou les piles.

À titre de première application, EnerBee a présenté au salon Consumer Electronic Show 2016 de Las Vegas 2016 l’intégration de sa technologie au sein d’un module-clé-en-main pour variateur de lumière rotatif  à destination des fabricants d’interrupteurs et d’éclairage (Figure 3).

Fig. 4: Démonstrateur d’un variateur de lumière sans pile et sans fil

Le caractère unique du micro-générateur d’EnerBee réside dans sa capacité à récupérer et convertir l’énergie du mouvement de la main de l’utilisateur pour produire de l’énergie électrique, utilisée pour la commande à distance d’une lampe connectée. Le variateur de lumière (Figure 4) comprend le micro-générateur EnerBee, un engrenage mécanique et un émetteur radio sans fil. Il utilise le protocole de communication ZIGBEE, ce qui le rend compatible avec la plupart des ampoules connectées et solutions d’éclairage disponibles sur le marché. Il offre une solution de contrôle sans fil, sans pile, pour l’éclairage connecté.

D’autres applications sont à venir prochainement. Certaines d’entre elles sont présentées en vidéo[9]. La société cible un marché très large de plusieurs milliards d’objets connectés à internet ou communicants sans fils – montres, dispositifs portables médicalisés ou sportifs, maisons et bâtiments intelligents, balise RFID, capteurs automobile, industrie,…

 

6. Une pépite technologique grenobloise : des instituts de recherche grenoblois à la création d’une start-up

Fig. 5 : Site Minatec, Grenoble

Fondée en 2014 à Grenoble par Jérôme Delamare et Pierre Coulombeau, la société EnerBee est le résultat d’une collaboration de plus de cinq ans entre différents instituts scientifiques grenoblois : le laboratoire G2Elab de Grenoble  INP, le CEA-LETI, le CNRS etl’université Joseph Fourier. La technologie de récupération d’énergie développée par EnerBee, en rupture avec les technologies classiques, est aujourd’hui protégée par six brevets.

Les travaux de l’équipe ont été récompensés à plusieurs reprises en 2014 et 2015 par des prix nationaux et internationaux. La société a ainsi reçu le soutien du ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur (Grand Prix iLab 2014) et des investissements d’avenir (Concours Mondial Innovation 2014) et a remporté les premiers prix des concours Orange – Objets connectés 2014 et EDF Pulse 2015. L’équipe compte aujourd’hui 15 personnes et le siège d’entreprise est situé sur le site Minatec à Grenoble (Figure 5). Grâce à sa technologie, EnerBee a pour ambition de devenir, à moyen terme, l’acteur de référence de l’autonomie énergétique des objets connectés.

La société a  prévu de fabriquer ses micro-générateurs en France, sur sa propre ligne de production, qui devrait voir le jour fin 2016 près de Grenoble. EnerBee travaille aujourd’hui en étroite collaboration avec plusieurs fabricants de produits et d’objets connectés dans le cadre de phases de tests et de validation. Plusieurs programmes ont ainsi été conduits par des industriels pour qu’ils puissent évaluer leur intégration au sein de leurs propres produits.

La première commercialisation de série des micro-générateurs EnerBee, intégrés au sein d’objets connectés vendus au grand public, devrait intervenir avant fin 2016. L’objectif est de pouvoir passer à une échelle d’industrialisation de masse et ainsi fournir des produits de fabrication française à travers le monde.

 


Notes et références

[1] Objets connectés, L’usine digitale. Disponible sur  http://www.usine-digitale.fr/objets-connectes/  [Consulté le 27/09/2016]

[2] ADEME (2015). Piles et accumulateurs. 17p (Collection Repères, données 2014). Disponible sur : http://www.ademe.fr/piles-accumulateurs-synthese [Consulté le 26/09/2016]

[3] nickel, cadmium, mercure, cobalt, plomb, fer, zinc, calcium, aluminium, magnésium, lithium

[4] ADEME (2015). Déjà cité.

[5] Pour mémoire, globalement, l’énergie se conserve. Elle ne fait que se transformer d’une forme dans une autre.

[6] Par exemple les vibrations du quartz qui alimentent nos montres.

[7] Joule J.P. (1847). On the effects of magnetism on the dimension of iron and steel bars. Philosophical Magazine nd Journal of Science, vol. 30, n°199,pp. 76-87  et vol 38, n° 201, pp.228-241Disponible sur : https://books.google.fr/books?redir_esc=y&hl=fr&id=VEgEAAAAYAAJ&q=magnetostriction#v=onepage&q=joule&f=false  [consulté le 28/09/2016]

[8] Leur expérience a été présentée à l’Académie des Sciences. Elle fait l’objet d’un compte-rendu de deux pages : Jacques et Pierre Curie (1880). Développement, par  pression, de l’électricité polaire dans les cristaux hémièdres à faces inclinées. Comptes-rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, Paris : Bachelier, vol 91, pp.294-295 Disponible sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France : http://visualiseur.bnf.fr/CadresFenetre?O=NUMM-3048&I=297&M=tdm [consulté le 29/09/2016]. Le terme piézoélectricité n’était pas encore utilisé.

[9] https://www.youtube.com/watch?v=Xe2mYHfj3a0 [consulté le 28/09/2016]

 


Bibliographie complémentaire

EnerBee : site internet de l’entreprise http://www.enerbee.fr/ [consulté le 29/09/2016]

Katzir Shaul (2006). The Beginnings of Piezoelectricity: A Study in Mundane Physics. Dordrecht (The Netherlands): Springer. 270p.

Lafont T., Gimeno L., Delamare J., Lebedev G.A., Zakharov D.I., Viala B., Cugat O., Galopin N., Garbui L. and  Geoffroy O. (2012). Magnetostrictive–piezoelectric composite structures for energy harvesting , Journal of Micromechanics and Microengineering, vol. 22, n° 9, 6 p.

Magdelaine Christophe et Villert Myriam (2015). Comment collecter et recycler les piles usagées ? Notre-planete.info, révision : 20 juillet 2015 http://www.notre-planete.info/actualites/actu_333_recycler_piles_usagees.php [consulté le 28/09/2016]

 


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