De l’énergie pour l’Afrique non raccordée au réseau : diagnostic

De l'énergie pour l'Afrique non raccordée au réseau : diagnostic

Pas de développement durable sans accès des populations, notamment africaines, aux sources d’énergie susceptibles de satisfaire leurs besoins. Mais que sait-on exactement de l’approvisionnement en énergie des zones rurales et péri-urbaines ? Mieux le connaître s’impose avant toute préconisation.


L’approvisionnement en combustibles domestiques des villes et l’électrification des zones rurales ou périurbaines sont les parents pauvres des politiques énergétiques des pays en développement. Les deux concernent pourtant près des trois quarts de la population de ces pays.

L’importance de ces deux filières énergétiques et leurs déterminants méritent donc un examen attentif sous l’angle notamment de leurs programmes de mise en œuvre qui s’organisent en articulant trois types d’actions complémentaires :

– l’amélioration de l’efficacité énergétique tant pour la production de l’énergie (bois, charbon de bois, électricité) que pour son utilisation (cuisson, éclairage) ;

– la diversification de l’offre de produits et services énergétiques, en développant la part du renouvelable (biomasse et solaire en particulier) ;

– la gestion de la demande, dans le souci d’une gestion durable et économique des ressources.

 

1. Évolution historique de la situation

Au lendemain des indépendances, les pays africains se sont trouvés confrontés à un redoutable défi : comment tenir le pari du développement et répondre à une demande très forte en matière d’infrastructure, d’équipement, d’éducation et de santé pour une population qui, dans le même temps, connaissait une formidable croissance ? (Figure 1)

Fig. 1 : Les pays d'Afrique. Source : Cairn

1.1. L’essor démographique

L’évolution démographique de l’Afrique subsaharienne a de quoi frapper les imaginations : en l’espace d’un peu plus d’une soixantaine d’années, de 1950 à 2013, sa population est passée de 172 à 1 216 millions d’habitants et devrait en compter 1,5 milliard en 2040. En 1960, on n’y dénombrait qu’une seule ville de plus d’1 million d’habitants, elles sont aujourd’hui plus d’une trentaine. On a mis en avant l’exode rural qui aurait fait grossir les villes en vidant les campagnes. Mais la population rurale n’a pas cessé de croître pour autant, passant de 150 à 440 millions d’habitants entre 1950 et 2000. En 2016, elle représente toujours plus de 60% de la population totale et continuera de croître jusqu’en 2030 au moins.

Jusque dans les années 1970, cette urbanisation accélérée pouvait s’interpréter comme la preuve tangible d’une modernisation synonyme d’une amélioration des conditions de vie par rapport au monde rural traditionnel, toujours privé d’eau courante et d’électricité. Les quartiers spontanés qui proliféraient à la périphérie des grandes villes n’étaient, croyait-on, qu’embarras temporaires provoqués par l’afflux des derniers arrivants voués à être régularisés dans le cadre de lotissements promptement viabilisés. Et l’intérieur du pays ne tarderait pas à être desservi par l’extension du réseau haute tension.

1.2. La crise économique et financière

Touchés par de graves crises financières, ces pays n’ont pas mobilisé les financements nécessaires pour développer leurs infrastructures dans les proportions où évoluaient les besoins de leurs populations. Or la production centralisée d’électricité requiert de lourds investissements, tributaires de financements disponibles dans la durée pour engager les tranches successives d’extension du réseau. Pour la plupart des pays les moins avancés (PMA), dont 34 pays africains sur 49, de tels programmes ne sont pas envisageables à moyen terme et de nombreuses régions ne seront pas raccordées avant longtemps. Dans les pays les plus pauvres, tels les pays sahéliens, qui comptent aussi parmi les plus étendus, la dispersion de l’habitat et la faiblesse des revenus dans les zones concernées rendent l’extension des lignes onéreuse et promise au déficit.

Par ailleurs, les circuits traditionnels  ne peuvent plus approvisionner, sur une base durable, les quartiers périurbains des grandes villes africaines dont la croissance continuelle excède les capacités d’adaptation de l’économie informelle.

L’approvisionnement énergétique hors-réseau n’étant pas un phénomène aussi marginal ni aussi provisoire que les développeurs le souhaiteraient, il s’agit de bien apprécier l’importance du secteur dit informel. Sans l’idéaliser, il faut rappeler que cette économie populaire est aujourd’hui reconnue comme le principal moteur de la dynamique urbaine. Le secteur informel fournirait 20 à 30% du produit intérieur brut (PIB) de l’économie Ouest-africaine et il assure la survie de la majeure partie de la population urbaine, soit, en moyenne, 60% des emplois, d’après le Bureau international du travail (BIT), tout en permettant de pallier les carences des services publics. Or le secteur informel travaille en grande partie en dehors du réseau, au contact d’une population qui n’est pas davantage raccordée. « Sa dynamique future est toutefois largement liée à celle de l’État qui doit prendre en charge le financement de son environnement»[1] (Figure 2).

Fig. 2 : Une économie informelle très étendue. Source : La Tribune Afrique

À la prise en compte de son importance en tant que moteur de l’activité doit donc correspondre une égale considération pour la desserte de l’énergie à cette population qu’on ne définit trop souvent qu’en termes négatifs : elle vit dans un espace non-structuré, non-raccordé au réseau et consommateur d’énergies non-conventionnelles. Or, on sait que le développement durable comporte trois dimensions – économique, environnementale et sociale. La fourniture d’énergie se trouve précisément à la croisée de ces trois composantes (Lire : El acceso a la energia ou L’accès à l’énergie).

 

2. Caractéristiques de la population concernée

Cette population non-raccordée au réseau semble, de prime abord, très hétérogène à plusieurs égards.

2.1. Répartition géographique

Elle englobe tout à la fois :

– les zones périphériques des grandes villes, depuis les quartiers excentrés plus ou moins viabilisés, qui peuvent abriter 50 à 60% de la population, jusqu’à l’habitat le plus précaire dans les zones les moins bien aménagées soit 15 à 25% de la population ;

– le monde rural où des bourgades s’étoffent et contribuent à remodeler des territoires dont le peuplement se montre très inégal suivant les régions ;

– les zones de concentration autour d’activités particulières qui attirent des populations en des lieux souvent isolés : centres d’extraction minière ou agro-forestiers, bourgs frontaliers, périmètres agricoles.

2.2. Sources d’énergie

Les sources disponibles sont très diverses.

– bois, charbon de bois et résidus végétaux pour les ménages et pour l’artisanat (Annexe 1) ;

– GPL et pétrole lampant pour la cuisine et l’éclairage ;

– hydrocarbures classiques (gazole, essence) pour véhicules et diverses motorisations (pompes, groupes électrogènes, compresseurs, moulins) ;

– piles pour le petit appareillage électrique (transistors, lampes torches, pulvérisateurs, etc.) et accumulateurs de batteries pour la télévision ;

– quelques capteurs solaires photovoltaïques isolés, souvent financés avec  l’aide de ressortissants expatriés.

À titre d’exemple, dans un village de 3 000 habitants représentatif de la zone cotonnière du Sud Mali, les consommations mensuelles ont été estimées à 950 litres de pétrole pour l’éclairage et à 3 350 kWh sous forme de piles électriques[2]. La dépense en petits consommables énergétiques s’élevait à 2.500 F CFA par mois et par famille, soit 2 à 4 % de son revenu, dont 45% pour les piles et 30% pour le pétrole, sans compter les dépenses indirectes pour le pompage de l’eau et pour la mouture des céréales (Figure 3).

Fig. 3 : Mali, un village. Source : Douce Cahute

2.3. Les interactions villes-campagnes

Il convient de relativiser l’opposition entre ville et campagne dans la mesure où de nombreuses pratiques du monde rural se trouvent conservées dans les villes voire développées par nécessité. Les quartiers périphériques renferment des îlots de ruralité où prospère une véritable agriculture urbaine vivrière. Inversement, le monde rural a intégré de nombreux apports de la vie urbaine. En se dotant d’écoles ou de dispensaires, en développant des services marchands, certains villages entraînent des regroupements de populations qui modifient la vie de la région. Et en se densifiant, ces bourgs ruraux adoptent progressivement, par commodité, des usages qui leur viennent de la ville et qui s’imposent naturellement du fait de la modification de l’habitat.

La circulation des personnes, de l’argent et de l’information a rompu l’isolement du monde rural traditionnel, du fait de l’extension de la couverture télévisuelle et du  développement vertigineux de la téléphonie cellulaire dont la croissance, de 65% en moyenne entre 1998 et 2003, est la plus élevée du monde. Or cette mobilité accrue, entre ville et campagne, doit beaucoup à la monétarisation des échanges. L’auto-approvisionnement pour se procurer du bois devient de plus en plus difficile car les distances à parcourir sont de plus en plus grandes. Les autres besoins en énergie s’accroissent et se diversifient en ouvrant des marchés que s’efforcent d’approvisionner des circuits commerciaux bien ramifiés.

Cette interpénétration du rural et de l’urbain se trouve résumée dans la notion de rurbain, un néologisme désignant un mode de vie intermédiaire où s’opère une osmose entre les deux mondes. « Les analyses classiques, séparant à tort villes et campagnes, sont totalement dépassées. Concevoir l’encadrement de systèmes complexes et évolutifs, ce qui est avant tout l’affaire des pouvoirs africains, est encore plus difficile car toutes les recettes planificatrices connues sont obsolètes »[3].

Il s’agit donc d’analyser en termes de mutations les pratiques énergétiques de ces populations vivant hors-réseau mais dans un monde en pleine évolution. Le premier changement observé a été le passage du bois au charbon de bois qui s’explique aisément par les contraintes de l’habitat urbain :

– le charbon de bois dégage peu de fumée, son poids et son encombrement sont moindres à valeur énergétique égale ;

– les fourneaux à charbon de bois ont un meilleur rendement et sont plus propres pour un coût et une durée de vie équivalents ;

– les achats peuvent être fractionnés comme pour le bois.

Les grandes villes sont donc passées majoritairement au charbon de bois : plus de 80% des ménages l’utilisent à Antananarivo, 67% à Abidjan, comme seul combustible ou en association avec d’autres. Et les villes moyennes n’ont pas tardé à suivre le mouvement (Figure 4).

Fig. 4 : La diffusion du charbon de bois. Source : Reuters India

L’artisanat et la petite industrie sont aussi de gros utilisateurs de bois de feu. Les collectivités (hôpitaux, écoles, casernes) et l’artisanat, principalement la restauration, représentent environ 30% des combustibles ligneux consommés à Abidjan. Au Burkina Faso, la seule préparation de la bière de mil absorbe 20% de la consommation de bois. Le Maroc compte environ 5 000 hammams et d’innombrables boulangeries qui brûlent quelque 900 000 tonnes de bois par an, soit près de 10 % de la consommation de bois dans ce pays.

La mutation énergétique traduit le passage progressif d’un mode de vie rural à des pratiques dictées par l’environnement urbain. Les facteurs qui induisent cette évolution sont multiples et leur impact sur la consommation énergétique est difficile à cerner au milieu des changements qui affectent simultanément ces populations. Ainsi, des pratiques culinaires qui sont passées de cuissons longues de tubercules à une consommation massive de riz à cuisson rapide : ce seul changement a économisé plus de bois que beaucoup de programmes consacrés aux énergies domestiques ! Inversement, le passage au charbon de bois, plus commode pour l’usager, triple le prélèvement de biomasse, en raison du faible rendement de la carbonisation traditionnelle: il faut environ 1 tonne de bois pour produire 200 kg de charbon. Même en tenant compte de son pouvoir calorifique plus élevé et du meilleur rendement des fourneaux, l’emploi du charbon de bois consomme 2 à 3 fois plus de bois qu’une combustion directe (Annexe 1).

La tâche du planificateur n’est donc pas simple puisqu’il lui faut savoir comment s’équilibrent, en fin de compte, ces évolutions en sens contraires.

Les unes vont dans le sens d’une réduction sous l’effet de plusieurs facteurs :

– la percée du gaz butane contribue à modérer les consommations de charbon de bois et compense donc en partie la surconsommation de matière ligneuse imputable aux ménages qui, dans le même temps, sont passés du bois au charbon de bois ;

– le développement de la restauration collective, lié au gigantisme des métropoles  contraignant les travailleurs à prendre leur repas de midi hors du domicile, est un facteur d’économie (type de plat, mode de cuisson, effet d’échelle) ;

– la réduction de l’espace habitable et du temps disponible pour la cuisine ainsi que l’évolution progressive de la diététique favorisent la consommation d’aliments déjà transformés ou plus rapides à préparer, comme le riz ;

– la monétarisation du combustible, qui n’est plus gratuit comme au village, l’influence de la scolarisation et des campagnes de sensibilisation dans les médias rendent les citadins plus réceptifs aux économies d’énergie.

D’autres dans le sens d’une majoration des consommations :

– sur l’ensemble des villes africaines, la fécondité est en moyenne 1,4 fois inférieure à celle du milieu rural et la réduction de la taille des ménages en ville peut donc entraîner une augmentation des consommations individuelles en supprimant les économies d’échelle ;

– la publicité et les sollicitations de la société marchande touchent davantage les citadins et mettent souvent en valeur des modes de vie calqués sur les sociétés développées qui se distinguent par de hauts niveaux de consommation énergétique ;

– l’allongement des trajets quotidiens et celui des distances pour l’approvisionnement des villes en combustibles et en denrées augmentent les consommations d’hydrocarbures ;

– l’essor des besoins de communication, tels que télévision et téléphonie, et des activités économiques à base de motorisation, telles que pompes pour la petite irrigation, moulins, compresseurs et réfrigérateurs, font croître les consommations énergétiques.

Dans le même temps, la demande en énergie se diversifie en s’orientant vers des produits à plus forte valeur ajoutée (électricité, gaz, transports motorisés) qui nécessitent une desserte appropriée et des investissements en conséquence. Si l’éclairage électrique est beaucoup plus efficace que celui de la traditionnelle lampe à pétrole, la complexité de sa distribution en fait un bien rare et cher dans la plupart des zones rurales africaines.

En résumé, on observe une demande de combustibles quantitativement très importante, essentiellement pour les usages domestiques, ainsi qu’une demande croissante, mais très dispersée, pour accéder à l’électricité dans un contexte où s’estompe le clivage traditionnel entre ville et campagne.

 

3. Importance et enjeux de l’approvisionnement énergétique hors réseau

La fourniture d’énergie hors-réseau  constitue un enjeu majeur à différents niveaux.

3.1. Démographique

La population concernée, en milieu rural et dans les zones urbaines peu viabilisées, représente 50 à 75% des ménages. Plus de 150 millions de personnes, en Afrique, n’ont pas accès au réseau et plus de 80% des familles restent tributaires des combustibles traditionnels. À l’échelle de la planète, 1,6 milliard de personnes n’auraient pas accès au réseau et 2,4 milliards dépendraient encore de la biomasse.

3.2. Énergétique

Les consommations énergétiques sont assurées principalement par les combustibles issus de la biomasse : ils représentent 60 à 90 % des bilans énergétiques dans les pays d’Afrique subsaharienne. Au Sénégal, en 1996, les combustibles ligneux fournissaient 85 % de l’énergie domestique consommée, soit 1 170 000 tonnes de bois (dont 90% en zone rurale) et 330 000 tonnes de charbon de bois, dont près de 50% en zone rurale. En Côte d’Ivoire, la biomasse représentait encore près de 70% de  la consommation finale d’énergie en 1990 dont 4 850  000 tonnes de bois et 610.000 tonnes de charbon de bois. Par comparaison, l’électricité assurait moins de 6 % de la consommation finale d’énergie.

3.3. Économique

Le poids économique de ce secteur d’activité tient au nombre de personnes impliquées, qu’ils soient consommateurs ou fournisseurs. Le chiffre d’affaires de la filière bois est considérable : 20 milliards de Francs CFA par an au Sénégal, 50 milliards au Cameroun et 43 milliards en Côte d’Ivoire dont 50% pour la seule ville d’Abidjan, répartis entre 28 pour le charbon de bois et 15 pour le bois de feu contre 7 pour le gaz. Aux dépenses pour la cuisine s’ajoutent les achats de bougies, de pétrole lampant et de piles qui peuvent absorber jusqu’à 10 % du budget familial.

En contrepartie, cette activité fait vivre, aux différents stades de la filière, un nombre significatif d’individus : 90 000 en Côte d’Ivoire, dont 40.000 pour le charbon de bois, 30 000 à 40 000 au Cameroun et 20 000 au Sénégal pour le seul charbon de bois, alors que la société nationale d’électricité compte moins de 2 500 employés.

3.4. Social

Les risques de troubles sociaux concernent d’abord les zones sous-équipées, à la périphérie des villes, où se concentrent les plus déshérités, soumis à une précarité susceptible d’être exploitée par les mouvements de contestation les plus radicaux. Des rapports de force se sont ainsi développés dès les années 1970 dans ces espaces où l’habitat spontané proliférait sur la base d’occupations illégales. Aux mesures répressives de déguerpissement ont succédé des politiques de compromis, souvent difficiles à trouver, pour améliorer le sort de ces habitants et soutenir les activités du secteur informel qui assurait, malgré tout, la survie de la population. En 2014, en zone péri-urbaine comme en milieu rural, l’accès à l’électricité est désormais considéré non seulement comme un préalable à tout développement mais aussi comme un facteur de cohésion nationale.

3.5. Environnemental

Les programmes d’économie de bois de feu et de substitution de combustibles ont été lancés à la suite des grandes sécheresses de 1974 et 1984 : ils visaient en premier lieu à lutter contre la déforestation et leurs argumentaires n’hésitaient pas à convertir les m3 de bois économisés en surfaces de forêts épargnées. On sait maintenant que de tels enchaînements de cause à effet ne sont pas aussi simples du fait de l’interférence de nombreux autres facteurs et la collecte du bois pour la cuisson n’est pas le principal responsable de la déforestation qui est davantage imputable aux défrichements pour la mise en culture (Figure 5).

On observe cependant, aux abords des grandes villes, une réelle dégradation de l’environnement due aux pressions exercées par la population ainsi qu’une surexploitation  des massifs forestiers environnants, en relation directe avec les besoins de la ville en combustibles. Les ceintures vertes laborieusement aménagées autour de certaines métropoles ont bien du mal à résister devant la poussée des quartiers périphériques.

Si les avis peuvent diverger sur l’interprétation des sécheresses qui frappent régulièrement l’Afrique, les répercussions d’une déforestation massive sur le régime des pluies ne sont plus mises en doute. Ses conséquences sur les précipitations sont déjà perceptibles dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire, les défrichements dépassaient 350 000 ha par an dans les années 1960-1970 et en l’espace de 20 ans ce pays a perdu les trois quarts de son couvert forestier, ce qui a été mis en rapport avec une baisse de la pluviométrie, responsable notamment d’une amplification des feux de brousse.

Ces menaces sur les écosystèmes locaux, clairement perceptibles et régulièrement dénoncées, se doublent d’impacts sur les grands équilibres planétaires dans lesquels le poids des populations hors réseau des PMA mérite d’être mieux évalué.

Fig. 5 : Approvisionnement des populations africaines en biomasse-énergie

3.6. Climatique

Les zones rurales des pays en développement (PED) ne figurent certes pas au nombre des premiers responsables de l’effet de serre : l’Afrique subsaharienne, hors Afrique du Sud, consomme moins de 0,5 tep par habitant et par an, soit 8 fois moins que l’Union Européenne. Son impact sur le changement climatique est donc limité pour le moment. À moyen et long terme, il comptera cependant, en raison de son poids démographique (11 % de la population mondiale, avec un taux de croissance de 2,8 %) et du fait de la transition énergétique.

La biomasse, qui fournit l’essentiel des consommations énergétiques, provient à plus de 90 % de l’exploitation des formations forestières naturelles. Selon un rapport de la Food and Agriculture Organization (FAO), l’Afrique a subi une perte annuelle de plus de 4 millions d’hectares de forêts entre 2000 et 2005, le couvert forestier étant tombé de 655 à 635 millions d’hectares sur la même période. La forêt en Côte d’Ivoire est ainsi passée d’une superficie comprise entre 6,3 et 9 millions d’hectares en 1965 à seulement 2,7 millions d’hectares en 1990[4], soit au total une diminution de son couvert forestier de l’ordre de 75 % depuis les années 1950 jusqu’à nos jours[5]. Or, les formations forestières jouent un rôle essentiel pour le stockage de la biomasse produite par la fixation du gaz carbonique présent dans l’atmosphère. Les défrichements des forêts tropicales contribuent notablement au déstockage du carbone : on estime que la déforestation était responsable, en 1989, d’une émission nette de 36 millions de tonnes de carbone en Côte d’Ivoire et de 57 au Zaïre, sur un total de 225 millions de tonnes imputables au déboisement des seules forêts denses en Afrique[6]. C’est dire que la préservation des stocks de biomasse retenus dans les forêts constitue un enjeu majeur pour la régulation climatique (Figure 6).

Fig. 6 : Déforestation et émissions de GES. Source : Twitter

Or les pratiques énergétiques des populations africaines ont de multiples effets sur les émissions de gaz à effet de serre.

Les uns sont négatifs quand une surexploitation prolongée aboutit à l’élimination de la matière végétale en surface,  qui s’accompagne d’une diminution de la matière organique dans les sols.

Les autres sont bénéfiques aussi longtemps que les paysans préservent et accroissent la ressource en biomasse. Tant que les prélèvements n’excèdent pas le croît annuel du couvert forestier, le bilan carbone est équilibré, la quantité de CO2 émise lors de la combustion équivalant à celle que la plante a capturée pendant sa croissance. Du point de vue des gaz à effet de serre, l’utilisation du bois-énergie maintient l’équilibre planétaire, si cette ressource est exploitée sur une base durable, en conservant la matière organique des écosystèmes.

Ces effets positifs deviennent correcteurs quand le paysan accroît la masse végétale et organique des territoires dont il s’occupe (reboisement, agroforesterie, valorisation des déchets, humification des sols). Cette activité diminue alors d’autant la quantité de carbone dans l’atmosphère, ce qui contribue à une re-stabilisation du climat. Ces effets sont aussi indirectement positifs du fait des émissions de CO2 qu’évite la non-utilisation des sources énergies à base de produits pétroliers, contrairement à ce que provoque la modernisation de ces pays, souhaitable à bien des égards, mais généralisant un mode de vie de type urbain qui accélère le recours aux énergies de substitution (GPL) ainsi qu’à l’électricité en réseau, fournie par des centrales à charbon ou au fioul. L’électrification rurale décentralisée à base d’énergie renouvelable économise des produits pétroliers (importés, le plus souvent) tout en émettant de moindres quantités de CO2.

En résumé, l’Afrique subsaharienne, comme tous les pays du Sud, se trouve aujourd’hui confrontée à une double transition énergétique.

Une première mutation, déjà largement engagée au cours des cinq dernières décennies : il s’agit de l’évolution qui s’opère quand on passe d’un mode de vie rural à des pratiques imposées par le milieu urbain. Le premier changement constaté pour la cuisson des aliments, c’est le passage du bois au charbon de bois puis, dans une moindre mesure, au gaz butane ou au pétrole lampant : toutes les grandes villes y sont passées et les villes moyennes n’ont pas tardé à les suivre.

Une deuxième transition énergétique, nouvelle, qui  s’impose aux pays du Sud comme à tous les autres pays du monde pour s’affranchir de la dépendance aux énergies fossiles, développer leurs systèmes énergétiques sur une base durable tout en préservant leurs ressources naturelles et notamment  leur couverture forestière (Lire : De l’énergie pour l’Afrique non raccordée au réseau : solutions).

Annexe : Energie de la biomasse, ratios et ordres de grandeur

 


Notes et références

[1] HUGON Philippe (2003).  Economie de l’Afrique. Paris : La Découverte, (p. 67).

[2] L’enquête en 1996 a dénombré : pour l’éclairage, 506 lampes à pétrole, 364 lampes à huile, 684 torches à piles ;  pour l’audiovisuel, 214 postes radio-cassettes, 10 téléviseurs et 10 batteries et pour diverses applications utilitaires, 156 pulvérisateurs à piles (traitement du coton), 5 moulins à moteur Diesel et une installation de pompage solaire d’une puissance de 1 440 Wc

[3] DUBRESSON Alain, RAISON Jean-Pierre (2003). L’Afrique subsaharienne. Une géographie du changement. Paris : Armand Colin (p. 129).

[4] Fairhead James, Leach Mélissa (1997). Réexamen de l’étendue de la déforestation en Afrique de l’Ouest au XXe siècle. FAO / Unasylva.

[5] Arnoult Paul, Simon Laurent (2007). Géographie de l’environnement. Paris : Editions Belin, p. 80(5)- Valorisation des résidus végétaux dans les pays du Conseil de l’Entente – LBTP/APAVE

[6] Hugon Philippe (1990). Houghton


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