La propulsion nucléaire navale : principes et technologie

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L’énergie nucléaire est usuellement associée à la production d’électricité. Ignorer ses autres usages, notamment en matière de propulsion, est évidemment erroné. En quoi consiste-elle ? Comment est-elle née et s’est-elle développée ? Quelles sont ses perspectives ? Pourquoi privilégier certaines technologies ?

Le succès de la propulsion nucléaire navale, première application concrète de l’énergie de fission nucléaire contrôlée, tient aux éléments essentiels suivants.

  • Il s’agit d’une source d’énergie anaérobie. La seule source capable, en l’état actuel des techniques, de fournir une énergie significative en absence de comburant, d’oxygène en pratique. Elle est donc particulièrement bien adaptée à la propulsion des sous-marins.
  • Elle procure une très grande autonomie, pratiquement infinie, en comparaison des besoins des navires et notamment des sous-marins.
  • Elle confère à celui qui la met en œuvre une totale indépendance, ce qui est particulièrement intéressant du point de vue politique et militaire.

La propulsion nucléaire navale est donc une application sous-marine et militaire de l’énergie nucléaire.

Il est vraisemblable que cette situation va perdurer car les conditions réglementaires, économiques, politiques et d’opinion publique ne sont pas réunies pour qu’elle change. Les marines nucléaires vont donc être renouvelées à l’horizon 2045 par les « membres du club » en 2021 et possiblement étendus à de nouveaux « adhérents » voire quelques « pourquoi pas », mais, dans cette perspective, de nombreux problèmes devront être résolus. Quelles sont les solutions possibles ? Gardera-t-on la filière à eau sous pression ? D’autres filières sont-elles potentiellement envisageables ? Certaines technologies présentent-elles des avantages indéniables ?

Une tentative de réponses à toutes ces questions passe par le rappel préalable de ce qu’est la propulsion nucléaire en s’attachant à celle du sous-marin nucléaire qui est le seul véritable « sous-marin total » [1].

 

1. Principe de la propulsion nucléaire des sous-marins

Une comparaison des performances de différents modes de propulsion pour sous-marins (tableau 1) met bien en lumière les avantages de la propulsion nucléaire pour ce type de navire.

Tableau 1. Comparaison des performances des différents types de sous-marins.

 

Mode de propulsion

 

Energie anaérobie

 

Autonomie en plongée

 

Commentaire

Nucléaire > 108 kWh > 3 ans à 20 nœuds Engagement stratégique important et pérenne
Diesel +batteries < 105 kWh 1 semaine à 6 nœuds Rechargeable à la mer en surface assez commodément
Air Independent Propulsion (AIP)[2]Standard 105 kWh 2 semaines à 6 nœuds Réserve d’O2 liquide non reconstituable à la mer (en pratique)
 

AIP “Maxi envisageable » [3]

3.105 kWh 2 mois à 6 nœuds Réserve d’O2 liquide non reconstituable à la mer (en pratique)

 

Ces avantages de la propulsion nucléaire se comprennent à la lumière des principes de cette propulsion :

  • un réacteur nucléaire, généralement, mais non systématiquement, du type à eau sous-pression, alimente en vapeur une turbine ;
  • l’énergie mécanique de la turbine est utilisée pour faire tourner l’arbre d’hélice du sous-marin :

– soit de façon directe par l’intermédiaire d’un réducteur, donc propulsion turbo-mécanique,

– soit par l’intermédiaire de l’électricité, donc propulsion turbo-électrique ;

  • en complément, la vapeur produite par le réacteur fournit l’électricité et l’eau douce du bord.

L’exemple des sous-marins d’attaque français du type Rubis/Amethiste à propulsion turboélectrique permet d’illustrer ces principes (figure 1).

propulsion turbo électrique nucleaire

Figure 1. Principe d’une propulsion turbo-électrique

  • La réaction de fission en chaîne est générée / entretenue dans le cœur (1) du réacteur -contenu dans la cuve (2) et libère de la chaleur dans le combustible.
  • Le contrôle de la réaction nucléaire en chaîne est assuré au moyen d’absorbants neutroniques extraits du, ou insérés dans le, cœur et manœuvrés par des mécanismes de manœuvre (3).
  • Le cœur, le combustible, du réacteur nucléaire chauffe l’eau primaire.
  • Une circulation de l’eau primaire, à fort débit, est faite par des pompes primaires.
  • L’eau primaire à forte température est maintenue liquide par pressurisation, à forte pression, au moyen d’un pressuriseur constituant le « vase d’expansion » du circuit primaire.
  • L’eau primaire cède sa chaleur à l’eau secondaire qu’elle évapore dans un générateur de vapeur (4).
  • La vapeur produite à forte pression (source chaude du cycle de Carnot) se détend (5) vers un condenseur maintenu froid, donc à basse pression, sous vide en pratique, par un circuit d’eau de mer (source froide du cycle de Carnot).
  • La détente de la vapeur s’effectue au travers d’une turbine ainsi entraînée en rotation (6).
  • La vapeur secondaire condensée en eau dans le condenseur (7) est extraite et renvoyée dans le générateur de vapeur par une pompe alimentaire.
  • La turbine tourne à vitesse constante sous l’action d’une vanne vapeur réglante ; elle entraîne via un réducteur :

– un alternateur de propulsion (ATP) (9) ;

– un alternateur force (ATF) (8) ;

– la pompe alimentaire, dite « attelée ».

  • Le courant alternatif issu de l’ATP est redressé au moyen d’un hacheur/redresseur.
  • Un moteur électrique d’entraînement principal (MEP) (10) à courant continu fait tourner l’arbre d’hélice d sous-marin, en marche avant et marche arrière (11).
  • La variation de vitesse du MEP est obtenue en faisant varier l’intensité du courant d’excitation de l’ATP.
  • En complément :

– chacun des deux ATF maintient une tension alternative sur les deux jeux de barres normaux d’alimentation électrique du sous-marin ;

– deux groupes convertisseurs tournants maintiennent au floating une batterie de forte capacité en cas d’anomalie affectant les ATF, ces groupes “basculent” automatiquement et maintiennent, sans coupure, la tension à puissance réduite sur une partie du réseau ; ces groupes servent également au démarrage des installations avant le couplage au réseau des ATF ;

– en cas de perte de la propulsion principale, perte des deux MEP, un moteur d’entraînement de secours à courant continu (MES) est alimenté par la batterie et permet de propulser le sous-marin à faible vitesse ;

– en cas de perte du réacteur, ou des turbines, un diesel/alternateur/redresseur recharge la batterie principale dès lors que le SM a fait surface.

  • L’eau douce nécessaire au bord est produite par deux bouilleurs à vapeur alimentés par le générateur de vapeur du réacteur.
  • Le réacteur ainsi que les équipements qui lui sont directement liés, c.à.d. la « chaufferie nucléaire », sont confinés dans un compartiment indépendant strictement surveillé et protégé.

Dans quelles circonstances, cette technologie est-elle née et s’est-elle développée ?

 

2. Un développement « dopé » par la guerre froide : 40 ans de propulsion navale

Comme pour l’ensemble des applications de l’énergie nucléaire, les principes de la propulsion prennent naissance, aux États-Unis, en 1942, avec la divergence de la première pile construite par Enrico Fermi à Chicago (Lire : L’énergie nucléaire : une brève histoire). La possibilité de la propulsion des sous-marins est immédiatement citée comme une application prometteuse, dans le contexte de l’année 1942 marquée par un nombre considérable de torpillages de navires américains. Comment a-t-elle évolué depuis cette époque ?

 2.1. L’essor des flottes nucléaires

Durant la guerre mondiale, la priorité est donnée au développement de l’arme nucléaire (Projet Manhattan), mais la guerre froide va donner une impulsion décisive et extraordinaire au développement de l’application (figure 2) :

  • 20 mars 1953 : divergence du premier réacteur prototype de propulsion nucléaire à Idaho,
  • 17 janvier 1955 : première plongée en route libre à propulsion nucléaire du Nautilus,
  • 1959 : en France, lancement du projet Coelacanthe E,
  • 1960 : quatre navires américains et un russe à la mer,
  • août 1964 : en France, divergence du prototype A Terre de Cadarache,
  • 1970 : mise à l’eau de 90 navires américains et de 55 navires russes,
  • 1971 : en France, mise à la mer du Redoutable,
  • 1975 : le nombre de navires de l‘Union Soviétique dépasse celui des États-Unis,
  • 1980 : mise à la mer de 125 navires américains et de 150 navires russes,
  • 1986 : le « pic » est atteint avec près de 300 navires à propulsion nucléaire dans le monde,
  • 1990 : l’éclatement de l’Union Soviétique atténue assez brusquement la confrontation russo-américaine et provoque le retrait du service et le démantèlement progressif de près de 200 navires à propulsion nucléaire,
  • 2000 : le format des deux marines se stabilise et se rationalise, surtout du coté russe avec l’abandon des filières autres que l’eau sous pression,
  • 2010 : montée en volume de la marine chinoise ; apparition de celle de l’Inde
evolution flottes nucléaires militaires propulsion nucleaire

Figure 2. Évolution des flottes nucléaires militaires en nombre de navires à propulsion nucléaire par pays.

 

Les courbes ci-dessus résument de façon synthétique le développement des flottes nucléaires des grands pays maritimes (États-Unis, Union Soviétique puis Russie, Grande-Bretagne, France, Chine). L’inflexion de ces courbes depuis 1990 correspond grossièrement au démantèlement de l’Union Soviétique et à la fin de la compétition États-Unis / Union Soviétique. Elle témoigne du “surarmement” considérable durant cette période historique.

 2.2. La situation des marines nucléaires à la fin de la décennie 2010

Les navires à propulsion nucléaire actuellement en service peuvent être schématiquement classés en sous-marins, navires de guerre de surface, navires à propulsion nucléaire à vocation non exclusivement militaires.

Les sous-marins appartiennent, par convention, à deux catégories.

  • Les Sous-marins Nucléaires Lances Engins (SNLE), ou SSBN suivant la terminologie anglo-saxonne : il s’agit de « bases de lancement de missiles stratégiques balistiques » sous-marines discrètes et mobiles, indétectables en pratique. Ces sous-marins sont généralement de fort ou très fort tonnage, 8 000 à 16 000 tonnes typiquement, du fait principalement de l’encombrement des missiles : la hauteur des missiles, installés dans des tubes verticaux, dans la zone centrale du sous-marin, détermine au 1er ordre le diamètre de la coque du sous-marin.
  • Les Sous-marins Nucléaires d’Attaque (SNA), ou SSN suivant la terminologie anglo-saxonne : il s’agit de sous-marins dont la vocation rejoint celle des sous-marins classiques et se trouve donc beaucoup plus diversifiée que celle des SNLE. Ces sous-marins sont généralement de moyen tonnage, supérieur à celui des sous-marins classiques océaniques, 2 500 à 6 000 tonnes, avec une tendance récente à l’accroissement liée à l’emport d’armes de plus en plus performantes et à la recherche de la discrétion acoustique. A noter que, la miniaturisation aidant, les SNA sont capables d’emport d’armes nucléaires tactiques ou préstratégiques telles que torpilles nucléaires ou missiles de croisière.

Les navires de guerre de surface parmi lesquels les très grands bâtiments auxquels est réservée la propulsion nucléaire, soit :

  • les porte-avions ou porte-aéronefs à propulsion nucléaire (PAN) pour lesquels le mode de propulsion nucléaire présente un certain nombre d’avantages qui seront développés par la suite ;
  • les autres grands bâtiments de combat ou de soutien (croiseurs nucléaires, navires ravitailleurs, arsenal ship) construits par les Américains et les Russes en un nombre très restreint d’unités ;
  • le concept innovant d’arsenal ship (plus «militaire» qu’ «impérialiste» ) développé par la Russie, à savoir navire de surface puissamment armé contre terre et capable de rester en haute mer durant plusieurs mois en autonomie complète à bonne distance des côtes.

Les navires à propulsion nucléaire à vocation non exclusivement militaire réellement exploités durant une période significative sont les navires brise-glace que seuls les Russes ont conçus et exploitent.

 2.3. Les perspectives à moyen terme

En dépit de la nécessaire prudence requise dans tout exercice de prospective, on peut prendre le risque de donner une vision des marines nucléaires en 2045 en distinguant les actuels membres du club et les adhérents potentiels.

La décrue de l’antagonisme Est-Ouest a conduit à une réduction du format des marines militaires des nations de l’hémisphère nord (figure 2). Toutefois les missions de base qui sont dévolues aux marines des grandes nations maritimes (les membres du club) ne changent pas réellement de nature. Les capacités de projection rapide et d’interventions lointaines se trouvent globalement maintenues. Les grandes nations maritimes conserveront

  • une capacité nucléaire stratégique à un niveau réduit et théoriquement figé par le traité sur l’interdiction des essais (Lire : Non-prolifération des armes nucléaires ?), soit donc, en pratique, une flotte de SNLE,
  • une marine de haute mer capable de garantir les voies de communication vitales,
  • une capacité de frappe contre terre depuis la haute mer, soit donc, en pratique, une aéronavale.

Ceci suppose, entre autres, une capacité de surveillance et de contrôle d’une vaste zone au pourtour de la force aéronavale et donc notamment une capacité anti-sous-marine. L’arme sous-marine restera une composante essentielle des grandes marines de guerre. Le sous-marin nucléaire est, et restera, le sous-marin de supériorité. Les marines possédant la capacité nucléaire la conserveront, en limitant son volume au strict nécessaire de façon à limiter les dépenses. En outre, elles s’efforceront de dissuader les autres marines, adhérents potentiels, de s’équiper par tous les moyens possibles[4].

Sauf événement géostratégique majeur, le format “nominal” des marines nucléaires en 2045 pourrait être composé comme suit (tableau 2).

 

Tableau 2. Format “nominal” des marines nucléaires en 2045. Inde[5] Brésil[6] Japon[7] Canada[8] Australie[9] Pakistan[10]

 Pays SNLE SNA PAN Arsenal Ship Autres NS  Brises Glaces
 Les membres du club :
 Etats-Unis 20 40 10  1 ou 2?
 Russie 25 40 1 ou 2 2 3 7
 Chine 6 12 2
 Royaume-Uni 4 10
 France 4 6 1 ou 2?
 Inde5 2? 1?
 Les adhérents potentiels :
 Brésil6  2?
 Japon7  2?
 Canada8  1?
 Australie9  1?
 Les pourquoi pas ? :
 Corée du Sud
 Malaisie
 Argentine
 Pakistan10
 Espagne

Dans tous les pays concernés, les ingénieurs vont devoir résoudre un certain nombre de problèmes en explorant plusieurs solutions, dont celles retenues en France, en 2021[11].

 

3. Les caractères et contraintes spécifiques de la propulsion navale

Tous les aspects de la conception du réacteur de propulsion navale sont profondément marqués par la spécificité de l’application. Ils peuvent être présentés en les positionnant vis-à-vis du réacteur électrogène de puissance relativement mieux connu (Lire : Les réacteurs nucléaires).

 3.1. L’intégration, l’adaptation et l’imbrication avec le navire

Par différence avec le réacteur électrogène, qui constitue une entité relativement autonome, le réacteur de propulsion navale n’est qu’un composant d’un ensemble plus vaste, le navire, dont la finalité ne dépend nullement du mode de propulsion choisi.

Le réacteur et ses installations auxiliaires (réfrigération, ventilation, systèmes de sécurité, systèmes de conduite, servitudes diverses, entre autres) se trouvent intimement mêlés au reste des installations du navire, notamment dans le cas des sous-marins ou l’économie de moyens et l’exiguïté conduisent à mutualiser de nombreuses installations auxiliaires du navire et du réacteur. Typiquement :

  • les structures du sous-marin, coque et cloisons résistantes à la pression de la mer, sont confondues avec les cloisons résistantes nécessaires au confinement du réacteur ;
  • les équipements du navire susceptibles de constituer des écrans de protection contre les rayonnements vont être mis à profit pour réaliser les protections biologiques telles que réserves d’eau ou de carburant, blindages, grosses capacités, notamment ;
  • les réserves d’eau douce du navire dévolues à d’autres usages sont utilisées pour le maintien sous eau du cœur en cas d’accident ;
  • sur le porte-avions les moyens de lutte incendie du navire sont utilisés pour la réfrigération à long terme de l’enceinte réacteur en cas d’accident ;
  • le hangar d’aviation du porte-avions sert également de hall de déchargement rechargement du combustible.

L’architecture du réacteur, son fonctionnement, son mode d’exploitation sont très largement gouvernés par l’intégration et l’adaptation au navire. Les aspects les plus évidents concernent bien sûr l’encombrement et la masse du système, surtout dans le cas des sous-marins, mais ils ne sont pas les seuls[12]. Plus généralement “l’environnement navire” représente une contrainte importante à prendre en compte pour le réacteur qui conduit souvent à des dispositions originales[13] :

  • inclinaisons de plate-forme, roulis, tangage,
  • accélérations chocs (cas des navires brise-glaces par exemple),
  • ambiance marine corrosive,
  • agressions de nature variées (explosion d’armes et artifices, dans le cas du porte-avions)[14].

 3.2. La manœuvrabilité

Le navire doit pouvoir évoluer de façon suffisamment rapide pour éviter des obstacles ou échapper à une menace. Les ordres de grandeurs sont typiquement les suivants : de 10% à 100% de puissance en 30 secondes à 1 minute.

Dans le cas des navires brise-glace le raming, manœuvre constituant à “monter” sur la glace pour l’écraser de son poids, grâce à une étrave très inclinée et renforcée, puis à faire marche arrière et recommencer, est particulièrement éprouvant pour le matériel en général dont notamment le réacteur. Dans le cas du porte-avions Charles de Gaulle les manœuvres de catapultage conduisent elles aussi à solliciter sévèrement les installations.

Le réacteur doit répondre de façon fiable et sure à tous ces transitoires d’appel ou de réduction brutale de charge[15].

3.3. La disponibilité

Pour un sous-marin, la perte de la propulsion peut constituer un événement grave. Si cet événement est concomitant avec une autre difficulté sérieuse, la conséquence peut en être la perte du navire. Dans le cas du porte-avions la récupération des avions nécessite la propulsion.

D’une façon générale on s’attache à faire en sorte qu’une avarie inopinée unique affectant le réacteur et la conversion d’énergie ne conduise pas à la perte complète de la propulsion. Parmi le grand nombre d’événements à considérer, on peut citer les suivants qui sont assez typiques et très dimensionnant :

  • les avaries inopinées du pompage primaire qui ne doivent pas conduire à l’arrêt complet du réacteur, mais simplement à une réduction d’allure prioritaire rapide,
  • la re-divergence suite à un arrêt d’urgence survenant inopinément à la mer qui doit être possible à tout moment suivant l’arrêt de réacteur, donc notamment au moment du “pic xénon”[16].

 3.4. L’isolement et les aspects sûreté

Les aspects sûreté (Lire : La sûreté nucléaire) présentent des différences assez importantes avec le réacteur électrogène :

  • le terme source du réacteur de propulsion navale est sensiblement plus faible ; en activité des produits de fission, le rapport va de 60 à 120, soit un facteur de 20 à 30 pour la puissance, un facteur de 3 à 4 pour le taux d’utilisation ; en effet le réacteur de propulsion navale n’est que rarement à sa pleine puissance[17];
  • lorsqu’il est au voisinage des populations, le réacteur de propulsion navale est à l’arrêt ou en marche à puissance réduite[18]; dans une certaine mesure, il est possible de l’éloigner délibérément en cas de nécessité[19];
  • à la mer, les conséquences d’un accident n’affecteraient directement que les personnes embarquées et l’environnement marin ;
  • navire à la mer, la sûreté des installations doit pouvoir être assurée avec les seuls moyens du bord durant un laps de temps suffisant pour qu’on puisse attendre un secours, une durée de 15 jours étant admise[20];
  • navire à quai, on peut prévoir un secours complémentaire aux installations embarquées.

Du fait de la contrainte de disponibilité, celle de la sûreté s’exprime de façon assez différente que dans le cas des autres types de réacteurs. Ce qui compte c’est la sûreté de l’ensemble réacteur + navire et non pas celle du seul réacteur nucléaire. La définition du meilleur compromis entre disponibilité et sûreté est l’un de problèmes de conception du réacteur le plus difficile à résoudre. Parmi le très grand nombre de compromis à réaliser, on peut mentionner :

  • la nécessité de définir une situation “de repli” pour le réacteur autorisant le fonctionnement à puissance éventuellement réduite en cas d’indisponibilité fortuite constatée d’un équipement de sécurité en l’attente de sa remise en état ou du retour au port si la réparation n’est pas possible à la mer ;
  • la latitude laissée, ou non, à l’équipage d’inhiber certaines actions de sécurité lors de situations opérationnelles ou de fortunes de mer exceptionnelles ;
  • la définition de solution de remplacement permettant au navire de poursuivre sa mission à allure éventuellement réduite en cas d’anomalie affectant un dispositif de manœuvre des absorbants de contrôle de la réactivité du cœur.

 3.5. L’exploitation, la conduite et la maintenance

La conduite est réalisée par un faible nombre de personnes sans possibilité de remplacement ou renfort extérieur. Typiquement, un seul opérateur est dévolu à la conduite du réacteur ; les opérateurs «hors quart» sont mobilisés en soutien en cas de difficulté. Étant donné les problèmes de formation auxquels est confrontée la marine, il est indispensable que la conduite soit simple et relativement intuitive. Les locaux de conduite sont beaucoup plus réduits et, plus généralement, les conditions de conduite sont très différentes de celles du réacteur à terre.

La maintenance du réacteur de propulsion navale est largement gouvernée par la maintenance du navire qui impose son cycle d’entretien et son environnement. Un exemple caractéristique de cette contrainte est le problème de la durée de vie des cœurs et les moyens nécessaires au déchargement/rechargement des éléments combustibles. Les installations du port d’entretien, souvent de conception assez ancienne, n’ont pas été prévues pour recevoir et manipuler des éléments combustibles irradiés. Il faut en tenir compte et s’y adapter.

Le rechargement du combustible, représentant pour le navire une indisponibilité assez longue, il est indispensable que cette opération soit très peu fréquente, la plus rapide et commode possible ; d’où les efforts pour augmenter le plus possible la durée de vie des cœurs.

L’exiguïté du compartiment rend plus ardue la résolution des problèmes de maintenance des petits équipements présents dans le compartiment réacteur, une analyse très complète des problèmes d’accessibilité et de démontabilité est à réaliser avant de pouvoir valider l’aménagement retenu pour les installations du réacteur.

Avec le recul que donnent soixante années d’existence de la propulsion nucléaire navale, on peut affirmer que bien avant d’autres préoccupations, en termes de performances ou autres, ce sont en fait les problèmes d’exploitation (facilité de conduite, facilité d’entretien, disponibilité moyenne calendaire) qui déterminent le succès ou l’échec d’une conception ou technologie.

 

4. Les raisons principales du choix de la filière à eau sous pression

En dépit des initiatives américaine, russe mais aussi française, à l’origine du développement de la technologie de la propulsion nucléaire navale, la filière à eau sous-pression s’est imposée de façon universelle depuis le début des années 1990. Les mérites comparés de cette filière par rapport aux autres filières envisageables justifient ce choix.

 4.1. Le cycle thermodynamique associé à la filière à eau sous pression

La source froide du cycle est la mer dont la température varie en pratique de 4 à 20°C ; en moyenne 12°C, soit 285 K environ. La source chaude du cycle est le circuit primaire dont la température dans la filière à eau sous-pression ne dépasse guère 600 K environ[21]. Le rendement de Carnot du système est donc plafonné à un niveau relativement faible sans qu’il soit possible d’espérer l’augmenter :

  • (1-Tf / Tc) = 1 – (285 / 600) = 52,5 %.

La mise en œuvre d’une autre filière de réacteur permettrait de porter la source chaude du cycle à une valeur nettement plus élevée, 1000 K semblant un maximum crédible[22], mais 800 K plus accessible / réaliste. Le rendement de Carnot s’en trouverait amélioré :

  • (1-Tf / Tc) = 1 – (285 / 1000) = 71,5% ; (64,4 %, si Tc = 800 K)

Le gain relatif en puissance mécanique à puissance thermique réacteur donnée s’établirait à :

  • = 71,5 / 52,5 = 1,362 ; (1,227, si Tc = 800 K) [23]

Ce qui autoriserait, par exemple :

  • une augmentation de 11,5 % de la vitesse maximale du navire ou 7,5% si Tc = 800 K
  • une réduction sensible de la puissance thermique à évacuer vers la source froide.

Toutefois, sans être négligeables, ces avantages théoriques ne sont pas déterminants. S’agissant de l’application “propulsion navale”, d’autres éléments sont à considérer. Le fait que l’énergie primaire (issue des fissions de l’U5) ne soit pas très bien utilisée n’a pas d’importance pratique car de toute façon l’énergie du cœur est très largement supérieure au strict besoin d’autonomie du navire. On voit ici que l’optimisation du système diffère sensiblement du cas d’un réacteur électrogène. A fortiori, étant données les quantités de matières fissiles faibles mises en jeu, tous les aspects afférents à la gestion à long terme des matières fissiles (taux de conversion U8->Pu9, entre autres) ne sont pas à considérer.

La comparaison à faire ne porte pas uniquement sur le rapport des puissances mécanique/thermique ; il faut également considérer d’autres éléments tels que la masse, donc, notamment, les protections biologiques, l’encombrement ainsi que le coût. La limitation en rendement thermodynamique représente la seule réelle pénalité de la filière à eau sous- pression par comparaison avec les autres filières envisageables. Sur tous les autres plans, les autres filières présentent des infériorités.

 4.2. La souplesse de fonctionnement

Dans le réacteur à eau sous-pression, l’eau présente un assez fort coefficient de dilatation en température au voisinage des conditions d’emploi. En outre elle est à la fois le caloporteur et le modérateur des neutrons rapides issus des fissions. Par le fait une augmentation (respectivement diminution) de la température de l’eau expulse (respectivement admet) hors (respectivement à l’intérieur) du réseau combustible une bonne quantité de noyaux d’hydrogène (le modérateur de la réaction nucléaire en chaîne).

Dès lors le choix d’une configuration géométrique sous modérée permet d’obtenir un réacteur auto-stable en fonctionnement vis-à-vis d’une variation de la température de l’eau.

En pratique, en ajustant correctement,

  • d’un coté, le rapport de modération du cœur (rapport du nombre d’atomes de modérateur au nombre d’atomes fissiles) de façon à régler le coefficient modérateur,
  • d’un autre coté, l’échantillonnage du combustible de façon à ajuster la température moyenne du combustible et donc l’effet Döppler intégral en fonctionnement,

on peut obtenir un effet d’auto stabilité très satisfaisant dans lequel le passage de la pleine puissance à l’arrêt (respectivement et inversement) se traduit par une élévation (respectivement abaissement) de la température du modérateur de quelques K, soit une dizaine de K pour fixer les idées. Cette caractéristique fondamentale du réacteur à eau sous-pression est particulièrement intéressante dans le cas de l’application propulsion navale étant donné les variations d’allure importantes et rapides auxquelles va devoir faire face le réacteur. Il s’agit là d’un avantage considérable de la filière qui est à l’origine d’un grand nombre de simplifications de l’installation.

 4.3. La simplicité

C’est l’atout maître de la filière dont la conception est spécialement simple.

  • Les principaux matériaux constitutifs de l’installation sont bien connus et ne présentent guère de caractéristiques physiques ou chimiques dangereuses aux conditions ordinaires ou d’utilisation : eau, zirconium, oxyde d’uranium, acier, plomb ou autres. Une fois réglés les problèmes de corrosion des circuits et du gainage du combustible par l’eau, seuls demeurent les problèmes liés à la production d’hydrogène soit en service courant par radiolyse soit en cas d’accident par réaction Zr -H2O à forte température[24][25].
  • L’eau est à la fois le réfrigérant et le modérateur du cœur.
  • L’eau est également le fluide de travail secondaire ; une fuite aux échangeurs n’a donc au 1er ordre que des conséquences modérées.
  • L’eau peut être assez aisément produite en quantité à bord d’un navire.
  • L’architecture générale du réacteur est également très simple ; le nombre et la complexité des installations auxiliaires ou de servitude sont limités.

Des éléments de complexité existent bien sûr. Ils proviennent pour l’essentiel des points suivants :

  • la présence d’enceintes métalliques (capacités) sous forte pression,
  • le système de pressurisation qui n’est pas très simple car il doit absorber de grandes variations de volume de l’eau primaire circulante,
  • le système de contrôle du cœur est assez compliqué, sans toutefois qu’on puisse établir qu’une autre filière conduirait à un système plus simple.

 4.4. La radioprotection, donc, en fait, la masse du système

Les aspects radioprotection sont prépondérants en propulsion navale. Une protection insuffisante risque de rendre le navire carrément inexploitable. A contrario, un excès en sens contraire pénalise le devis de masse du sous-marin.

Sur le sous-marin le problème est aggravé,

  • par la durée assez longue des patrouilles durant les quelles l’équipage est confiné à bord,
  • par l’exiguïté du navire,
  • par le confinement de l’atmosphère du bord, non aisément renouvelable sauf à faire surface,
  • par la nécessité de disposer d’un passage longitudinal, de l’avant à l’arrière du sous-marin, praticable par l’équipage en toutes circonstances,
  • par l’intérêt que présente la possibilité de pouvoir, en cas de nécessité, pénétrer dans le compartiment réacteur en marche à faible puissance[26],
  • par la nécessité de pouvoir rapidement et commodément accéder au compartiment réacteur dès lors que le sous-marin est à quai.

Vis-à-vis de ces problèmes, le réacteur à eau sous-pression présente par nature un certain nombre d’avantages.

En marche en puissance à la mer :

  • dans un réacteur modéré à neutrons thermique, les émissions de neutrons de forte énergie à l’extérieur du cœur sont intrinsèquement limitées par nature ;
  • la nécessité de protéger la cuve contre le flux neutronique rapide conduit à prévoir un épais bouclier d’acier et une forte épaisseur d’eau entourant le cœur ;
  • à la traversée du cœur, l’irradiation neutronique de l’oxygène de l’eau provoque la formation d’azote 16 émetteur d’un gamma très énergétique[27]. Toutefois la période de l’azote 16 est courte (7 s) et il est très possible sans trop déranger l’architecture générale du système de ménager en sortie du cœur une « ligne à retard »[28] provoquant la désintégration partielle de l’azote 16 à l’intérieur même de la cuve, soit donc derrière une forte épaisseur d’acier.

A l’arrêt, navire à quai ou au bassin.

Dès lors que le réacteur à eau sous-pression est arrêté, la réaction en chaîne étant étouffée, au bout d’un temps très court, cinq minutes tout au plus, l’essentiel du rayonnement en provenance du réacteur a disparu. Seuls subsistent les rayonnements relativement faibles des produits de corrosion en suspension dans le circuit primaire. Il est alors possible de s’approcher au contact des installations sans danger. Il s’agit là d’un avantage considérable par rapport à d’autres systèmes[29].

 4.5. La facilité de conduite et de maintenance

Du fait essentiellement de son caractère autorégulé et de sa simplicité, le réacteur à eau sous-pression se trouve très facile à conduire et à entretenir. Il s’agit là aussi d’un élément déterminant. En effet, sur la longue période, un concept facile d’entretien dont les performances ne sont peut-être pas les meilleures, l’emporte sur le système performant mais malcommode d’entretien.

 4.6. La sûreté

Le domaine de la sûreté se prête mal aux évaluations comparatives, les comparaisons économiques n’ayant pas de sens dans ce domaine. Chaque filière présente des avantages et des inconvénients. Dans le cas du réacteur à eau sous-pression la principale pénalité vient de la présence d’enceintes sous forte pression contenant un fluide fortement énergétique. On peut ajouter que dès lors qu’une bonne partie des réacteurs électrogènes sont de même type, un renforcement de la réflexion sûreté se trouve ainsi “gratuitement” effectué.

 

5. Les filières de réacteurs, autres que l’eau sous pression, potentiellement envisageables

En l’état du développement, maturité acquise, de la propulsion nucléaire navale au début des années 2020, le changement de filière se présente dans des termes différents de la situation d’origine.

  • A quelques exceptions près, le réacteur à eau sous -pression s’est imposé et il comporte lui-même une bonne marge de progrès possible sur de nombreux points.
  • Outre la conception du système qui en définitive ne requiert que de l’imagination et de la réflexion de la part des ingénieurs, le développement d’une filière de réacteur représente la mise au point et la qualification de toute une technologie en termes de composants, matériaux et autres, ce qui constitue un engagement très lourd en termes financiers pour le pays qui le décide.
  • La seule motivation pour l’adoption d’une filière autre que l’eau sous-pression pourrait venir d’une exigence d’augmentation importante des performances en termes de rapports puissance/masse ou puissance/ volume, impliquant une augmentation du rendement thermodynamique.

 5.1. Les expériences de mise en œuvre d’autres filières

Un certain nombre de tentatives ont été faites à l’origine par les Etats-Unis et la Russie, accessoirement la France, qui permettent de se faire une opinion sur l’intérêt potentiel des filières explorées.

Filière au sodium liquide testée aux Etats-Unis

Développé en concurrence/parallèle avec le Nautilus, le Seawolf était équipé d’un réacteur refroidi au sodium liquide. Il s’agissait alors, en dépit des risques de feu sodium, d’augmenter les chances de succès en mettant en compétition deux technologies, et aussi de mettre les crédits de la Marine à contribution pour préfigurer la technologie des réacteurs surgénérateurs, ce qui ne plaisait guère à l’Amiral Rickover (figure 3)[30]. Le Seawolf a effectivement navigué peu de temps après le Nautilus mais,

  • d’une part des difficultés sont apparues au début des essais pour faire fonctionner correctement les surchauffeurs de vapeur[31],
  • d’autre part, ce qui était beaucoup plus gênant, de nombreuses difficultés se sont révélées en entretien ; par exemple, le sodium doit être maintenu liquide lorsque le réacteur est à l’arrêt (température de fusion = 95°C) ; il est complètement opaque ; le sodium 24 (période 15 heures) ne permet l’accès au compartiment réacteur qu’une semaine après l’arrêt.

Compte tenu du succès du Nautilus, la filière a été rapidement abandonnée et le Seawolf refondu pour être équipé d’un réacteur à eau sous-pression.

amiral Rickover

Figure 3. Amiral Rickover. Source : Wikipedia, public domain

 

Filière au bismuth-plomb en Russie

Les Russes ont fait fonctionner avec succès une flotte importante de sept sous-marins de la classe dénommée Alpha selon la classification occidentale, aux performances impressionnantes.

Instruits sans doute par les déboires du Seawolf et recherchant la performance, ils ont équipé ces sous-marins d’un réacteur (non modéré épithermique) réfrigéré par l’eutectique bismuth (55%) – plomb (45%). L’utilisation d’un métal liquide, dont les performances en termes d’échange thermique sont excellentes, permet de produire une vapeur à une température très élevée, sans nécessiter d’enceinte primaire sous forte pression.

L’eutectique bismuth-plomb présente par rapport à d’autres métaux liquides les avantages suivants :

  • il ne réagit pas chimiquement violemment avec l’eau et l’air (simple formation d’oxydes de Pb et de Bi),
  • par rapport au plomb dont la température de fusion est assez élevée (327,5°C), il est liquide à 125°C seulement ce qui facilite grandement l’exploitation du système,
  • le plomb ne s’active pratiquement pas sous rayonnement; le bismuth produit du polonium qui est émetteur alpha, ce qui ne pose pas de problème de protection ; en outre sa période est relativement courte (138 jours).

Compte tenu de leurs performances remarquables en vitesse, en immersion, et de leur taille réduite, ces sous-marins sont certainement les plus performants jamais construits. Toutefois des difficultés sont apparues, notamment en entretien[32] si bien que ces sous-marins ont été retirés du service dans le courant des années 1990 concomitamment à la rationalisation de la Marine russe.

 Filière à lourde uranium naturel en France (pour mémoire)

Du fait de l’indisponibilité d’uranium enrichi, un projet de réacteur à uranium naturel et eau lourde a été engagé en 1955 en France à l’initiative du CEA. Ce projet, étudié de façon approfondie, a abouti à un échec par défaut de réactivité intrinsèque du cœur. Ajoutons que les besoins prévisibles de la Marine française, tels qu’on peut les présager, ne justifient pas un changement de filière qui supposerait de toutes les façons l’engagement de moyens financiers très supérieurs aux budgets actuels ou prévisibles.

 5.2. Quelles filières pour un rendement thermodynamique accru à long terme ?

Au vu des résultats des expériences de propulsion nucléaire, il est possible d’esquisser l’avenir des diverses filières envisageables.

Les filières à métaux liquides

Avec les sous-marins de la classe Alpha, les Russes ont montré une voie possible pour ce type de filière. En tous les cas, les autres métaux liquides qui réagissent violemment avec l’eau et l’air semblent très difficilement praticables à bord d’un navire.

Les filières à gaz

Tant pour l’électrogène que pour la propulsion navale, les filières à gaz n’ont pas connu le développement théoriquement envisageable, il y a quelques années, pour les HTR. Avec optimisme, il en pourrait en aller différemment à long terme car :

  • un gaz est par nature beaucoup plus stable et chimiquement inerte qu’un liquide[33],
  • l’atteinte des hautes températures n’est pas réellement un problème,
  • la possibilité d’un cycle direct existe dès lors qu’un combustible parfaitement étanche a été mis au point.

De fait, différents projets mettant en œuvre des filières gaz ont été proposés :

  • le projet Nereus,
  • les projets de « Fast Ship» « Cherbourg x Philadelphie » reliant le pôle industriel du Nord Est des Etats-Unis à celui de l’Europe du Nord en sept jours, dont quatre pour la traversée maritime strictement dite,
  • ces projets associent un réacteur “à boulets” réfrigéré à l’hélium et une turbine à gaz.

La filière à eau bouillante (pour mémoire)

La filière eau bouillante à cycle direct ne semble pas, de prime abord, bien adaptée à la propulsion navale[34]. En outre elle n’apporte pas d’avantage significatif en termes de rendement thermodynamique, même si l’autoconsommation est nettement moindre du fait de l’absence de pompage primaire important.

 

6. La technologie du réacteur sous pression pour la propulsion navale

Comment choisir entre toutes les architectures concevables ?

 6.1. Les choix d’architecture d’ensemble : « à boucles-compactes-intégrées »

Un réacteur à eau sous-pression de propulsion navale comprend classiquement :

  • une cuve qui contient le cœur nucléaire,
  • un système de manœuvre des absorbants de contrôle de la réactivité du cœur,
  • un pressuriseur qui peut être à vapeur ou à gaz[35] (il peut cependant se faire que le réacteur soit de type auto pressurisé, sans pressuriseur en tant que tel),
  • un ou plusieurs échangeurs/générateurs de vapeur ou la chaleur issue du cœur est transférée à un circuit secondaire généralement par évaporation d’eau,
  • une ou généralement plusieurs pompes primaires[36],
  • une structure de fixation/supportage des capacités principales à bord du navire,
  • un ensemble d’écrans de protection radiologique,
  • un compartiment dans lequel se trouve placé l’ensemble du circuit primaire chaud et sous pression et constituant l’enceinte de confinement,
  • un ensemble de circuits auxiliaires et de servitudes,
  • un système de conduite et contrôle commande.

Définir l’architecture générale du système consiste à dégager un arrangement général de l’ensemble des constituants ci-dessus. Cet arrangement doit être optimisé pour l’application envisagée. On peut comprendre, par exemple, qu’il diffère suivant qu’il s’agit d’équiper un sous-marin ou un navire brise-glace.

L’imagination aidant, de nombreux dessins d’architecture possible pour le réacteur de propulsion navale ont été proposés, et réalisés pour quelques-uns. Il est possible de regrouper ces différentes architectures en trois familles ;

  • la famille des réacteurs à boucles, bien connue dans l’application électrogène,
  • la famille des réacteurs compacts,
  • la famille des réacteurs intégrés.

Chacune de ces architectures présente des avantages et des inconvénients. Le choix en faveur de l’une ou l’autre dépend de l’application qu’on envisage et d’un fort grand nombre d’autres facteurs impossibles de lister ici. Entre autres, et non des moindres, la technologie de base antérieurement développée et qualifiée doit être prise en compte.

 6.2. Les architectures « à boucles »

Dans cette architecture, les capacités principales sont mécaniquement indépendantes et fixées rigidement, sur la structure support[37]. Elles sont reliées entre elles par des tuyauteries souples (donc relativement minces) qui absorbent les dilatations et qui supportent les pompes primaires. Le pressuriseur est une capacité indépendante reliée à la boucle chaude, si la pressurisation est à vapeur. Les mécanismes de manœuvre des absorbants de contrôle de la réactivité du cœur sont implantés sur le couvercle de la cuve.

La plupart des marines ont commencé avec cette architecture qui est celle qui minimise a priori les risques de conception puisque chacun des composants principaux est optimisé de façon indépendante des autres. Toutefois, plusieurs inconvénients de l’architecture à boucles ont été cités, parmi lesquels :

  • un encombrement conséquent,
  • un problème de protection biologique important dû notamment à l’azote 16,
  • un risque potentiel de rupture des boucles primaires

– dont la section est grande,

– et dont les soudures résistantes sont réalisées sur site dans des conditions de moindre commodité/confort qu’en atelier,

  • une résistance hydraulique du circuit élevée due à la forte vitesse de l’eau dans les boucles.
architecture réacteur boucles sous marin

Figure 4. Architecture de réacteur à boucles pour sous-marin

 

Un arrangement de réacteur à boucles pour sous –marin (figure 4) peut ainsi être conçu comme suit :

  • les générateurs de vapeur sont à faisceau de « tubes en U » à axe horizontal ; ils comportent un ballon séparateur en partie supérieure suivant un dessin très classique ;
  • l’aménagement général ménage une coursive axiale de circulation AV-AR du sous-marin ;
  • les pompes primaires sont implantées en branche froide sous les générateurs de vapeur en position verticale, voire à axe horizontal si souhaité ;
  • le tracé des boucles, qui comporte les souplesses nécessaires est tel qu’il favorise un fonctionnement en circulation naturelle / thermosiphon :

– boucles chaudes continûment montantes de la cuve vers les générateurs de vapeur (GV),

– boucles froides continûment descendantes des GV vers la cuve,

– disposition horizontale des faisceaux de tubes des GV qui maximise le terme moteur de thermosiphon et facilite l’éventilation des boucles primaires.

 6.3. Les architectures compactes

Dans les architectures “compactes” les boucles sont supprimées en tant que telles. Des liaisons concentriques rigides relient la cuve aux GV. L’ensemble est fabriqué en usine et mis en place « en bloc » à bord du navire. Les pompes peuvent être implantées “en corne” sur la cuve ou sous les GV de type à tubes en U, voire éventuellement sur le couvercle de cuve ou le couvercle de GV dans le cas des GV simple-passe. Le pressuriseur est une capacité indépendante reliée à la cuve en partie chaude, si la pressurisation est à vapeur. Ses principaux avantages sont :

  • un gain important en facilité, rapidité et qualité de réalisation sur site,
  • une diminution très importante du poids de la protection radiologique puisque le rayonnement gamma de l’azote 16 n’est plus émis que d’un point central derrière des parois de forte épaisseur d’acier.

Le supportage de l’ensemble monobloc cuve + GVs est à examiner avec soin. L’axe de la cuve étant fixe, les déplacements des GV dus aux dilatations doivent être tolérés. La rupture fragile doublement débattue des liaisons cuve GV peut être exclue du fait du soin mis à la réalisation des soudures en atelier. En outre le supportage des capacités peut assurer un calage réciproque limitant la section d’une brèche potentielle.

Les Russes sont aujourd’hui les seuls à avoir réalisé/construit des modèles de ce genre, basés sur le réacteur dit « KLT 40 » qui équipe :

  • les brise-glaces à partir de I’Arktica,
  • les sous-marins de la classe Koursk,
  • la barge électrogène Lemonov destinée à alimenter en électricité la ville de Pevek en Sibérie.

En France, des études ont été menées pour le porte-hélicoptères dit PH75 prévu pour être équipé d’un réacteur unique de cette famille ainsi, qu’à deux reprises, pour le compte des Canadiens qui avaient lancé une consultation pour un navire brise-glaces à propulsion nucléaire.

architecture réacteur navire

Figure 5. Architecture de réacteur compact pour navire de surface préférentiellement.

 

Soit un arrangement possible de réacteur compact (figure 5) dans lequel :

  • le(s) générateur(s) de vapeur est (sont) à simple passage à faisceau de tubes en hélice,
  • les deux générateurs de vapeur peuvent être remplacés par un système à quatre,
  • les pompes primaires sont implantées sur le couvercle du GV ; elles peuvent également être disposées sur corne sur la cuve[38].

 6.4. Les architectures intégrées

Dans les architectures intégrées, la cuve, le(s) générateur(s) de vapeur se trouvent rassemblés en un ensemble unique : le “bloc chaudière”. Les pompes primaires peuvent être implantées “en corne”, comme sur le Otto Hahn, ou directement sur la cuve, comme sur le séduisant projet japonais MRX. Les mécanismes de manœuvre des absorbants de contrôle de la réactivité peuvent être, suivant le type de générateur de vapeur retenu, implantés sur le couvercle de la cuve ou disposés sur la périphérie de la cuve, c’est la conception retenue en France en l’état actuel des choses, voire complètement immergés.

Le pressuriseur est une capacité indépendante reliée au bloc chaudière en partie chaude, si la pressurisation est à vapeur. Toutefois l’architecture intégrée se prête bien au concept de réacteur “auto-pressurisé” dans lequel un simple matelas de vapeur est maintenu à la température chaude du circuit en partie supérieure.

L’architecture intégrée :

  • limite le développement du système et réduit ainsi le poids de protection,
  • favorise le fonctionnement en circulation naturelle du circuit primaire du réacteur.

Le bloc chaudière peut être entièrement réalisé en atelier et transporté “achevé” pour mise en place sur site de montage final.

En contrepartie on conçoit bien que l’optimisation du système doit être réalisée de façon globale, le dessin de chacun des composants impactant directement le dimensionnement des autres. Ceci est particulièrement vrai pour le cœur et son système de contrôle dont la conception ne peut être menée indépendamment du générateur de vapeur, ce qui oblige à un plus grand nombre d’itérations dans le processus d’optimisation du système.

Le projet IRIS promu par Westinghouse au début des années 1990 donne l’image d’un réacteur à eau sous-pression largement intégré (figure 6).

projet iris westinghouse

Figure 6. Le projet IRIS de Westinghouse

 

réacteur auto pressurisé otto Hahn allemand

Figure 7. Le réacteur auto-pressurisé du navire Otto Hahn allemand

A remarquer :

  • L’auto-pressurisation du système réalisée par la pression saturante de vapeur à la température de sortie cœur augmentée par la hauteur de charge de l’eau suffisante pour protéger le cœur à l’image de ce qui est réalisé dans les réacteurs bouillants, en dépit de la gestion des inclinaisons et accélérations.
  • Pas de pressuriseur en tant que tel au prix d’un élancement en hauteur conséquent du système.

Le navire de démonstration allemand Otto Hahn, qui embarquait un cœur de rechange, a été exploité sans problème durant quelques années, comme vitrine du savoir faire allemand en matière de conception des réacteurs, avant d’être reconverti et équipé de moteurs diesels (figure 7).

En dépit des dimensions importantes du réacteur pour la puissance thermique délivrée, les solutions technologiques proposées ont inspiré les concepteurs concurrents, dont les Français (figure 8).

chaufferie avancée catarache

Figure 8. La chaufferie avancée prototype (CAP) de Cadarache

La chaufferie avancée prototype, divergée en 1975, a permis de valider une architecture générale de réacteur bien adaptée aux sous-marins de faible et moyen tonnage, donc de coût modéré[39].

On peut signaler également la gamme des réacteurs japonais MRX qui sont également de cette famille.

 

7. La sûreté

L’amélioration de la fiabilité et de la sûreté d’un système complexe tel qu’un réacteur à eau sous-pression s’obtient par :

  • les simplifications dans la conception du système ou des sous-systèmes (faire simple, simple et encore plus simple)[40],
  • la prise de marges,
  • les redondances et la variété des conceptions,
  • la recherche de la sûreté intrinsèque et/ou passive,
  • quand ce n’est pas possible, la prise en compte de la défaillance des systèmes actifs de parade aux accidents,
  • la surveillance de la disponibilité des systèmes actifs de parade aux accidents (on ne peut parler de défaillance “unique” que si on peut présumer à tout moment de la pleine disponibilité des systèmes actifs de parade),
  • la capacité des systèmes au test au cours du fonctionnement ou, mieux encore, à l’autotest,
  • l’élimination des modes communs : ségrégation et indépendance des systèmes de sûreté – variété dans la conception des systèmes.

 

8. Les avatars et les accidents

Légion, les avatars doivent être étudiés pour en tirer toutes les leçons. Les accidents, quant à eux, rappellent que, quelles que puissent être les précautions prises, le sous-marin demeure un système dangereux et le nucléaire une technologie qui ne pardonne pas.

 8.1. Vue d’ensemble des pertes de sous-marins

Soit une vue d’ensemble non exhaustive des sous-marins nucléaires perdus en mer (figure 8).

sous marins perdus propulsion nucleaire

Figure 9. Les sous-marins perdus en mer

 

Aux Etats-Unis, deux sous-marins à propulsion nucléaire ont été perdus :

  • le SNA Thresher en 1963, au cours de ses essais, à la suite d’une voie d’eau ayant provoqué l’éclaboussement de tableaux électriques ; le développement assez important des circuits d’eau de mer de réfrigération à bord de ce type de sous-marin au lieu de la mise en œuvre de circuits d’eau douce basse pression ainsi que la qualité de la réalisation furent mis en cause par la commission d’enquête qui suivit l’accident ;
  • le SNA Scorpion en 1968 disparaît en Atlantique au large des Açores ; la cause de la perte du sous-marin n’est pas établie de façon certaine mais différents indices font penser à l’explosion intempestive d’une torpille au tube.
accident propulsion nucleaire SNA

Figure 10. Accident du SNA San Francisco

 

Parmi les autres évènements connus on peut relever l’endommagement sérieux du SNA San Francisco qui percute le fond à grande vitesse au large de l’île de Guam (figure 10).

En Union Soviétique puis en Russie, quatre pertes de sous-marins sont connues :

  • en 1968, le K 129, équipé d’armes nucléaires, coule dans le Pacifique au large de l’île de Guam, avant d’être (partiellement ?) renfloué en 1974 par le Glomar Challenger américain ;
  • en 1986, le K 219 subit une explosion dans un tube de lancement ; le sous-marin parvient à faire surface, une grande partie de l’équipage peut se sauver et être récupéré par un navire américain ; le sous-marin en perdition coule peu de temps après ;
  • en 1988, un incendie se déclare à bord du K 278 et se propage à bord ; le sous-marin fait surface ce qui permet à 8 hommes de sortir avant qu’il ne sombre ; deux seulement d’entre eux seront récupérés par les Norvégiens ;
  • le 12 août 2000, le sous-marin Koursk coule en mer de Barents, par 108 mètres de fond, suite, semble t il à l’explosion intempestive d’un missile embarqué ; l’épave du Koursk a pu être remontée en surface par une entreprise hollandaise et ramenée au port ; l’examen a montré que le réacteur n’avait pas subi de dommage.

On doit signaler également :

  • la coulée délibérée au large de la Nouvelle Zemble (archipel russe) d’un sous-marin de la classe Alpha équipé d’un réacteur au bismuth plomb endommagé suite à un accident de criticité survenu à quai, vraisemblablement lors du renouvellement du combustible ;
  • la coulée accidentelle du K159 (cœur déchargé) au cours d’un remorquage.

En outre,

  • plusieurs incendies se sont déclarés sur différents navires sans conduire à leur perte, mais des dizaines de marins y ont laissé leur vie ;
  • plusieurs accidents à caractère nucléaire se sont produits ayant conduit à un endommagement du cœur :

– au moins trois accidents de criticité dont l’un à l’occasion d’un rechargement de

combustible,

– deux défauts de réfrigération du cœur en marche en puissance conduisant à un

endommagement grave du combustible,

– au moins deux ruptures de canalisations primaires ayant conduit au dénoyage du cœur et

à sa destruction partielle.

Aucun des navires en cause n’a été réparé, il faut dire cependant que les Russes en possédaient un grand nombre.

En France, en 1994, sur le SNA Emeraude, en navigation en plongée profonde, une petite entrée d’eau de mer sur le circuit de réfrigération des condenseurs a déclenché une suite d’évènements provoquant l’envahissement du compartiment des turbo-alternateurs par la vapeur. Dix personnes présentes dans ce compartiment généralement inoccupé ont péri.

En Angleterre, aucun évènement grave n’est à signaler.

8.2. Quelques éléments d’analyse des fortunes de mer

Pour bien comprendre les conséquences d’accidents en mer, quelques rappels s’imposent.

  • Le sous-marin est un système dangereux et non pardonnant.
  • Les réacteurs ne sont pas à l’origine des pertes de sous-marins constatées.
  • Aucune des épaves n’a été repérée du fait de rayonnements radioactifs.
  • Des traces de contamination ont été constatées au voisinage de l’épave du Scorpion[41].
  • Tous les cœurs de toutes les épaves sont sous-critiques.

On peut risquer l’ordre de grandeur suivant pour le nombre de perte de sous-marin par année d’exploitation (temps de « paix » « armée ») : (10-4 < naufrage/année SMN < 10-3).

Cet ordre de grandeur

  • permet de situer à (< 10-4 / année réacteur ) la probabilité de perte de la production de vapeur par le réacteur, soit un objectif de disponibilité qui permet de présumer que le réacteur n’est pas à l’origine de la perte du sous-marin ;
  • peut être rapproché de l’objectif d’accident réacteur conduisant à la fusion cœur (< 10-6 / année réacteur).

 

De ces constats/conclusions, des objectifs de conception peuvent être donnés en cas de naufrage[42] [43] [44] :

  • assurer la sous criticité du cœur (donc l’arrêt de la réaction en chaîne),
  • assurer l’évacuation de la puissance résiduelle du cœur,
  • réserver des possibilités de renflouement, surtout si le naufrage a lieu par faible fond (< 200 m),
  • ralentir la dispersion des matières radioactives artificielles dans l’océan.

A quoi s’ajoutent des dispositions qui concourent à assurer la sous-criticité du cœur en cas de naufrage.

  • Le cœur est « plafonné » en réactivité intrinsèque ; le cœur est sous-critique à froid en eau claire, sans bore dissous, et sans xénon, avec N-1 mécanismes de manœuvre des absorbants de contrôle insérés dans le cœur.
  • Comme corollaire de la règle ci-dessus : le cœur ne peut en aucun cas être rendu critique par le retrait d’un seul mécanisme : on ne diverge jamais sur le premier mécanisme retiré du cœur[45].
  • L’insertion gravitaire, passive, des absorbants dans le cœur est réalisée dans un délai court (<< 10 s) par simple manque de tension d’alimentation des mécanismes. Ceci jusqu’à une inclinaison très importante ; très supérieure à toutes les inclinaisons rencontrées dans le cours normal et incidentel d’exploitation du navire.
  • Le retrait hors du cœur des absorbants est matériellement/mécaniquement impossible si l’alimentation électrique des mécanismes de manœuvre n’est pas assurée. Ce dispositif est dit « d’anti-extraction » des mécanismes de manœuvre.
  • Dans le cours d’un naufrage, jusqu’à immobilisation du navire au fond de la mer, il est complètement improbable que le sous-marin ne soit pas durant un cours moment :

– sans électricité,

– dans une inclinaison telle que l’insertion gravitaire des absorbants soit assurée,

– ceci indépendamment de toute action de l’équipage.

  • Quelques remarques complémentaires sont importantes à propos de la sous-criticité du cœur.

– Si la sous criticité à froid du cœur n’est pas assurée dans le cours du naufrage, ceci dans le cas complètement hypothétique ou aucun mouvement à descendre d’aucun absorbant n’a lieu dans le cours du naufrage (ce cas hypothétique n’a été constaté dans aucun des naufrages répertoriés) ;

– le cœur se stabilise à terme à l’état critique à une température au plus égale à la température normale de fonctionnement du réacteur en puissance ;

– la puissance neutronique du cœur critique se stabilise à la valeur faible des pertes thermiques vers la mer, 500 kW semblant un maximum.

– L’eau de mer est anti-réactive du fait du chlore 35 (75,8% du chlore naturel) et subsidiairement du sodium 23 (100% du sodium naturel), équivalent à 260 ppm de bore naturel dans l’eau pure, soit environ 2600 pcm d’anti-réactivité, équivalent à 75°C de température primaire. A terme donc, l’eau de mer diffusant dans le cœur induira un abaissement vers 200 °C maxi de la température de stabilisation évoquée ci-dessus. Ceci ne suppose qu’aucun autre paramètre, notamment géométrique, n’évolue, alors même qu’une dislocation de l’épave va dans le sens d’une augmentation de la sous criticité.

– L’injection d’acide borique dans le circuit primaire, possible et évoquée quelquefois, n’aurait d’intérêt qu’à court terme, car la diffusion de l’eau de mer dans le circuit entraîne à terme la dilution du bore dissous.

S’agissant des dispositions de nature à assurer l’évacuation de la puissance résiduelle du cœur, des ordres de grandeurs typiques des puissances résiduelles en propulsion navale sont utiles :

  • à une heure post-arrêt = de 500 kW à 5 MWth maxi, dans le cas des grands porte-avions étasuniens ;
  • à 24 heures post-arrêt = de 150 kW à 1,5 MWth maxi ;
  • à ces niveaux de puissance si la mer vient à court terme (= 1/2 heure post naufrage typiquement) au contact du circuit primaire, les pertes thermiques suffisent à évacuer la puissance résiduelle[46].

A noter enfin, les dispositions de nature à modérer la dispersion des matières radioactives artificielles dans l’océan.

  • Le zirconium des gaines combustibles résiste très bien à la corrosion par l’eau de mer. Le délai de ruine de la gaine est supérieur à 300 ans.
  • Compte tenu de la présence du circuit primaire et de l’enceinte de confinement, ainsi que de la très faible puissance thermique à évacuer, le renouvellement de l’eau de mer au voisinage immédiat du combustible est très lent.
  • La ruine importante de l’enceinte de confinement et du circuit primaire ne survient qu’au bout de 300 ans.
  • Sur les sous marins, l’enceinte de confinement est constituée par la coque et des parois résistantes internes lesquelles sont in-étanches en pression extérieure dès lors que le sous-marin a coulé par plus de 200 m de fond (à court terme) et plus de 50 m (à moyen long terme).
  • Les enceintes de confinement des réacteurs du porte-avions Charles de Gaulle comporte un disque de rupture de section importante capable de prévenir l’implosion violente des enceintes en cas de naufrage à grande profondeur[47].
  • Il faut sensiblement 3 000 ans pour amener l’indice de nuisance d’un cœur de réacteur au niveau du minerai d’uranium.
  • Tenant compte du retard à la dispersion des matières procuré par les barrières métalliques (300 ans) et de la dilution importante créée par la circulation océanique, les évaluations effectuées conduisent à un impact négligeable sur la biosphère des pertes de sous-marins constatées à ce jour.

 


Notes et références

Image de couverture. [Source : https://www.bfmtv.com/economie/le-futur-porte-avions-nucleaire-francais-se-devoile-avant-l-annonce-officielle_AN-202011300205.html]

[1]Les performances présentées dans le tableau sont des “ordres de grandeurs”.

[2]AIP signifie Air lndependent Propulsion. Il s’agit de systèmes de différents types équipant les sous-marins les plus modernes (piles à combustibles, moteurs Stirling, moteurs diesel “en circuit fermé”, moteur thermodynamique entre autres). Ces systèmes ont tous comme mode commun d’utiliser l’oxygène comme comburant stocké sous forme liquide dans des réservoirs de volume variable. L’autonomie en plongée du sous-marin est alors fixée au premier ordre par le volume des réservoirs d’oxygène liquide, compte tenu du rendement du cycle qui peut varier un peu d’un système à l’autre dans une plage ne dépassant cependant pas un facteur 1,75. Les réservoirs d’oxygène liquide ne sont pas, en l’état actuel des techniques, rechargeables à la mer.

[3]Dans cette option, largement théorique, le tiers au moins du volume du sous-marin serait consacré aux réservoirs d oxygène liquide.

[4]Les états-majors des marines nucléaires ne font pas partie des soutiens au développement de l’électronucléaire.

[5]Nation du club des détenteurs de l’arme, l’Inde s’est fait “prêter” un sous-marin nucléaire par l‘URSS, dont on a dit qu’il n’avait pas navigué (un peu vite peut être ?)

[6] Le Brésil construit à Sao Paulo un prototype de réacteur à eau sous-pression pour sous-marin.

[7]Originaux et étudiés de façon approfondie, les projets japonais de réacteurs pour navire de commerce peuvent fort bien équiper un sous-marin.

[8]S’y intéresse depuis trop longtemps pour ne pas y venir un jour

[9] Entourée d’eau.

[10] Fort antagonisme Indo-Pakistanais

[11] Cette présentation, fortement réductrice du sujet, ne donne qu’une vision possible des configurations parmi une infinité d’autres. Tout problème technique a plusieurs solutions. Il est rare qu’une comparaison objective donne clairement l’avantage à une seule d’entre elles.

[12] L’encombrement fortement contraint :

  • Sous-marins :

– Passage longitudinal de l’équipage à ménager

– Compartiment accessible en plongée (très souhaitable a minima)

  • Porte-avions – Navires brise-glaces

-Insertion dans les structures vives du navire

-Voies d’accès et cheminement à réserver pour le renouvellement du combustible

L’équipage vit (et dort) dans la « promiscuité » du (des) réacteur(s), donc problème de radioprotection

[13]Ordres de grandeurs typiques de sollicitations Inclinaisons (permanentes ou périodiques)

  • Périodes de 7 à 10 s plusieurs millions de cycles
  • Jusqu’à 25° : performances nominales
  • Jusqu’à 45° : performances abaissées
  • Au-delà de 45 ° : réacteur à l’état sur

Chocs (exprimés en « accélérations statiques équivalentes »)

  • Roulis Tangage (raming dans le cas des navires brises-glaces) = 1 g dans toutes les directions plusieurs millions de cycles
  • Collisions = 5 g en X Y
  • Chocs militaires = plusieurs dizaines de g

[14]La sévérité des sollicitations notamment en termes de chocs a conduit à un dimensionnement conséquent des structures internes de cuve qui à « mis à abris » les réacteurs de propulsion navale d’un certain nombre d’ennuis occasionnés par les vibrations dues aux écoulements fluides par exemple constatés dans d’autres applications

[15]Ordres de grandeurs typiques de variations d’allure

  • Sous-marins ; montée en allure rapide :
    • => 5% ( Autonomie Electrique= AE) => 80 % en 1 mn
    • => suivi de 80% => Pmax en 1mn
  • Sous-marins ; manœuvre d’Arrière Urgent :
    • => Pmax => 5% en 3s suivi d’un palier de 10 s à 5%
    • => suivi de 5% (AE) => 60 % en 1 mn
  • Porte-Avions: Remplissage des réservoirs vapeur de catapultage
    • => 800 kg de vapeur à fournir en 45 secondes toutes les 90 secondes
    • => ainsi de suite une vingtaine de fois
  • Navires Brises-Glaces: Le « raming » (vise à écraser la banquise sous son poids)
    • 5% (AE) => 80 % en 2 mn suivi d’un palier de 2mn à 80%
    • suivi de 80% => AE en 5s suivi d’un palier de 10 s à l’ AE
    • suivi de 5% (AE) => 40 % en 1 mn suivi d’un palier de 2 mn à 40%
    • suivi de 40% => AE en 3s suivi d’un palier de 10 s à l’ AE
    • ainsi de suite 3 fois
    • manœuvre répétée 5 fois par jour de mer

[16]La gestion du « pic xénon » constitue un critère de dimensionnement des cœurs en réactivité ; typiquement la divergence doit être possible après un arrêt de durée variable suivant une marche continue à forte puissance (75% par exemple) d’une durée suffisante pour atteindre la saturation du coeur en iode 133 ; un abaissement modéré de la température de divergence peut éventuellement être admis s’il ne pénalise pas le redémarrage complet de l’installation.

[17]Ce point est vrai des navires militaires (porte-avions inclus) et des navires brise-glace qui ne fonctionnent jamais en régime continu à pleine puissance durant plus de deux semaines. Une application commerciale pourrait modifier les choses ; c’est notamment le cas des barges électrogènes qui se trouvent fonctionner durablement à pleine puissance au voisinage immédiat de la côte.

[18] Au 1er ordre la puissance du réacteur varie sensiblement comme la puissance 2,8 de la vitesse du navire ; donc au 2/3 de la vitesse maximale la puissance réacteur est égale au 1/3 de la puissance nominale.

[19]Il n’est pas matériellement ni réglementairement possible de naviguer à forte vitesse au voisinage immédiat des cotes ou lors des accès dans les ports.

[20]Les secours/concours extérieurs théoriquement possibles du fait de la présence d’une piste d’atterrissage sur le porte-avions ne sont pas considérés dans démonstration de sûreté.

[21]Le point critique de l’eau se situe à 374°C/221 bar. Un pressuriseur à phase vapeur formant matelas de pressurisation et vase d’expansion dérivé des concepts actuels ne peut se concevoir qu’à une pression et température inférieure (360 °C/187 bar semble un maximum). En outre un écart suffisant de marge de pressurisation est à conserver vis-à-vis du circuit primaire pour prévenir l’ébullition locale de l’eau (30°C semble un minimum pratique à cet égard).

[22]Ceci modulo des développements technologiques de toutes natures, dont entre autres les matériaux de structure utilisables.

[23]A remarquer que si l’augmentation de la température de la source chaude implique –comme c’est vraisemblablement le cas – la mise en œuvre d’un cycle de travail Brayton au lieu de Rankine on doit s’attendre à une perte relative de l’ordre de 4 à 5% sur le rendement de cycle réel.

[24] Tous les métaux (solides à la température considérée) décomposent l’eau par thermolyse à partir de 1000 K.

[25] Dans le cas d’un sous -marin équipé d’un réacteur refroidi au sodium liquide, une simple fuite à un échangeur sodium -eau peut avoir des catastrophiques. Ceci sans parler de la situation du sous -marin en perdition posé sur le plateau continental dans l’attente d’un secours avec l’eau de mer envahissant le compartiment réacteur…

[26] Le sous -marinier « n’aime pas » les compartiments inaccessibles en plongée.

[27] Energie du gamma de l’azote 16 = 10 MeV soit plus du double de l’énergie moyenne totale des 2,5 neutrons rapides issus des fissions. La production de l’azote 16 par excitation/choc de l’oxygène de l’eau de réfrigérati on (ainsi que ceux du combustible oxyde) par les neutrons de fission avec arrachement d’un positon constitue en quelque sorte une « performance » de physique nucléaire, explicable par la très grande stabilité de l’atome d’oxygène (16 nucléons).

[28] Le « bac de désactivation » bien connu des piles piscines.

[29] En comparaison par exemple dans le cas d’une filière sodium il faudrait attendre plusieurs jours voire une semaine pour effectuer les mêmes opérations.

[30]Au début des années 1950, l’ Amiral Hyman Rickover, père de la propulsion nucléaire navale américaine, s’est trouvé en opposition très forte avec les chercheurs et ingénieurs du DOE (Department Of Energy) qui souhaitaient (rêvaient) d’utiliser les crédits du DOD (Department Of Defense) pour développer des concepts de réacteurs autres que l’eau s ous -pression, alors que lui-même était d’avis que seule cette filière (du fait de sa simplicité) permettrait à la Marine américaine de disposer du sous -marin à propulsion nucléaire dans des délais compatibles avec les objectifs de défense stratégiques poursuivis.

Un article paru dans “The Journal of Reactor Science and Engineering (Juin 1953)” témoigne de cette controverse :

« Selon l’Amiral, une centrale nucléaire idéale a presque toujours les caractéristiques suivantes :

  1. Elle est simple
  2. Elle est petite
  3. Elle est bon marché
  4. Elle est légère
  5. Elle peut être construite rapidement
  6. Elle est évolutive
  7. Très peu de développements sont nécessaires : Elle utilisera principalement des composants sur étagère
  8. Cette centrale est à l’étude, elle n’est pas encore construite

A l’ opposé, une centrale nucléaire réelle peut se distinguer par les caractéristiques suivantes :

  1. Elle est construite
  2. Elle est en retard sur le planning
  3. Elle a demandé un énorme volume de développements sur des sujets apparemment triviaux ; la corrosion en particulier est un problème
  4. Elle est très chère
  5. Elle prend beaucoup de temps à construire à cause de problèmes techniques
  6. Elle est grande
  7. Elle est lourde
  8. Elle est compliquée »

60 ans plus tard, on doit constater (déplorer ?) que les propos de l’Amiral n’ont pas perdus toute actualité.

[31]Le problème était résoluble, d’ailleurs le simple contournement des surchauffeurs a permis la poursuite des essais à la mer du sous-marin en enlevant toutefois au système une bonne part de son intérêt en termes de rendement thermodynamique.

[32]Il est indispensable en exploitation de maintenir liquide l’eutectique Bi-Pb, ceci implique une sujétion importante lors du retour à quai des sous -marins de façon à prévenir le gel intempestif de l’eutectique. Si la puissance électrique des pompes primaires n’est pas suffisante, on doit prendre des dispositions pénalisantes telles que :

  • le maintien critique du réacteur
  • la disposition d’un chauffage d’appoint (chaudière de quai classique)

[33]L’hélium par exemple -le gaz caloporteur par excellence- est totalement inerte avec la quasi-totalité des matériaux. Le CO2 ou l’azote, moins performants sur le papier mais plus accessibles au plan technologique peuvent également être évalués.

[34]On peut craindre une assez forte instabilité neutronique au niveau du cœur du fait des accélérations dues aux mouvements de plate-forme et aux chocs. La négativité du coefficient de vide complique également la régulation d’ensemble (réacteur + turbines) compte tenu des fortes variations d’allure à assurer. Par ailleurs l’azote 16 de la vapeur produite aggrave les problèmes de protections biologiques.

[35]La communication entre le pressuriseur et le reste du circuit primaire principal assez fortement sollicitée au plan thermique dans le cas d’une pressurisation à vapeur débouche dans la partie chaude du circuit immédiatement après la sortie cœur.

[36]Les pompes primaires principales sont typiquement placées dans la partie froide du circuit, immédiatement avant l’entrée cœur et en aval des générateurs de vapeur ; cela diminue la température du fluide véhiculé et réduit les risques de cavitation des pompes. Toutefois un autre emplacement reste théoriquement envisageable.

[37]Le supportage mécanique tolérant les déplacements relatifs entre capacités, tel que pratiqué dans l’électrogène n’est guère compatible avec les sollicitations que doit tolérer le sous -marin.

[38] Ce dessin implique de renoncer au fonctionnement en circulation naturelle.

[39] Petit <=> Pas cher <=> Français.

[40] La simplicité d’une conception système ne s’obtient pas du premier coup car il s’agit bien de réaliser des fonctions qui peuvent être multiples, complexes voire évolutives avec un système qui doit rester simple.

[41]La coulée du Scorpion a été extrêmement rapide ; il est très possible que les cloisons intérieures du compartiment réacteur aient implosés violement conduisant à une ruine partielle du circuit primaire ou un obstacle à l’insertion des absorbants dans le cœur

[42]En France tout au moins ; les concepteurs étrangers poursuivent des objectifs similaires (pour ce qu’on en sait)

[43]Ces objectifs rejoignent ceux recommandés par l’Organisation Maritime Internationale (OMI).

[44]La perte du sous-marin Koursk est de facto conforme à tous ces objectifs

[45]A défaut de ce critère, toute anomalie survenant à ce moment affectant le mécanisme en manœuvre conduirait à l’impossibilité de rendre commodément le cœur sous-critique.

[46]Estimation grossière :

  • la surface extérieure du circuit primaire est de 50 m2 au minimum (100 m2 dans le cas des grands réacteurs des PA US) ;
  • le delta de température entre la paroi extérieure du circuit primaire et la mer (supposée réchauffée à 120 °C au contact) peut atteindre 150 °C sans que ceci conduise à des désordres graves internes au circuit primaire ;
  • un coefficient d’échange entre la mer (au contact) et la paroi du circuit primaire de l’ordre de 1 kW/m2/K est un minimum ;
  • la puissance thermique évacuée par la mer au contact est donc au moins égale à 7,5 MWth, supérieure à la puissance résiduelle à 1 heure post arrêt.

[47]Disposition conforme aux recommandations de l’OMI.

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