Production et gestion des déchets radioactifs des industries électronucléaires

Production et gestion des déchets radioactifs des industries électronucléaires

Parmi toutes les questions que soulève le développement de l’industrie électronucléaire, la gestion des déchets reste la plus cruciale. Quels sont-ils, entre la mine d’uranium et le démantèlement des réacteurs ? En quoi consiste leur radioactivité ? Comment peut-on se protéger de leurs effets néfastes, du court au long et très long terme ?


Ce texte a fait l’objet d’une présentation au Séminaire international sur Les centrales nucléaires, leçons de l’expérience mondiale, à Brasilia, les 27 et 28 octobre 2015, au Sénat fédéral du Brésil. Il est également publié dans les Cahiers de Global Chance[1].

 


Dès l’origine de la découverte de la possibilité d’utiliser l’énergie nucléaire par la fission des noyaux d’uranium 235, la question des déchets radioactifs produits par cette technique aurait dû être au centre des préoccupations sur la pertinence du choix de l’utiliser pour la production d’électricité. Il n’en a rien été. Dans la communauté nucléaire, l’opinion dominante était qu’avant que ce problème de l’accumulation des déchets devienne crucial, les scientifiques auraient trouvé la solution. Longtemps ce problème fut traité à la légère et considéré comme secondaire.

C’est à partir de l’extraction de l’uranium, élément radioactif naturel et matière première du fonctionnement des réacteurs nucléaires, que se déroulent les différentes étapes des industries électronucléaires (mines et traitement du minerai, fabrication des combustibles nucléaires, production d’énergie dans les réacteurs nucléaires, combustibles irradiés et autres déchets radioactifs), étapes dont chacune, sans exception, donne lieu à la production de déchets radioactifs dangereux pour la santé humaine et l’environnement, comme on peut l’observer lors de la gestion des déchets sur le plan international et en particulier en France, selon les choix faits en amont et en particulier celui du retraitement ou non des combustibles irradiés issus des centrales nucléaires.

 

1. La production  des déchets des industries électronucléaires

De l’extraction du minerai au démantèlement des installations, les industries électronucléaires sont productrices de déchets.

1.1. De la mine d’uranium au réacteur nucléaire

L’extraction de l’uranium est une industrie minière qui va de la prospection initiale jusqu’au produit transportable, le yellowcake [1bis] . Elle est la première étape des industries du combustible nucléaire visant à fournir le combustible des réacteurs. En 2014, la production totale d’uranium naturel s’est élevée à 56 217 tonnes d’uranium (pour 66 297 tonnes de yellowcake). Trois pays, Kazakhstan, Canada, Australie, assurent 66% de la production mondiale.

 

Tableau 1 – Les principaux pays producteurs d’uranium naturel en 2014

 

Pays Kazakhstan Canada Australie Niger Namibie Russie Ouzbékistan* États-Unis Chine*
% 41,1 16,2 8,9 7,2 5,8 5,3 4,3 3,4 2,7

* Estimation

Les résidus des mines d’uranium sont de deux types : les stériles miniers (petits blocs de tailles diverses, non exploités) et les résidus de traitement des roches finement broyées (dont l’uranium a été chimiquement extrait). Les résidus de traitement miniers correspondent aux minerais économiquement exploitables dont a été extrait l’uranium. Ils peuvent présenter trois types de problème pour la radioprotection : l’eau de drainage peut entraîner des radionucléides par lixiviation, et devenir non potable du fait de sa radio-toxicité ; des poussières radioactives peuvent s’envoler, et contaminer les habitants (et surtout les ouvriers dans le cas d’une exploitation) par voie respiratoire ; les résidus de la chaîne de désintégration de l’uranium 238 contiennent du radium 226, qui produit en continu un gaz radioactif, le radon 222 : c’est le principal risque à long terme parce que la mémoire de la présence de résidus miniers peut s’être perdue entre temps. Par ailleurs, indépendamment de cette problématique de radioprotection les stériles ou résidus miniers peuvent poser des problèmes de toxicité chimique, quand l’uranium est présent avec d’autres produits par ailleurs toxiques tels que le plomb ou l’arsenic.

L’uranium naturel, sous forme d’oxyde, est ensuite converti pour permettre son « enrichissement[2] » afin de fabriquer les combustibles pour les réacteurs des centrales nucléaires. L’enrichissement produit des quantités importantes d’uranium appauvri qui est, pour la plus grande part, entreposé en l’attente d’une éventuelle valorisation ultérieure.

1.2. Du combustible neuf au combustible irradié

Un réacteur équipant une centrale nucléaire productrice d’électricité est une chaudière dans laquelle la chaleur, au lieu d’être produite par la combustion, du charbon par exemple, est produite par la fission des noyaux d’uranium 235 contenus dans le combustible (des crayons d’oxyde d’uranium), auxquelles s’ajoutent les fissions du plutonium 239 qui est produit à partir de l’uranium 238 par des réactions nucléaires autres que la fission. La fission est en quelque sorte une explosion du noyau d’uranium 235, provoquée par sa rencontre avec un neutron qui donne naissance à deux ou trois produits de fission, morceaux du noyau initial, et à plusieurs neutrons qui, à leur tour, vont provoquer des fissions dans les noyaux voisins : c’est la réaction en chaîne. La propulsion à grande vitesse de ces produits de fission par cette explosion engendre une énergie mécanique qui se transmet à l’ensemble du milieu et provoque la montée en température du combustible (origine de la chaleur qui va permettre de produire de l’électricité).

En juillet 2015, 391 réacteurs électronucléaires étaient en opération dans le monde[3]. À près de 90%, la puissance électronucléaire installée totale  est assurée par les deux filières des réacteurs à uranium enrichi et eau[4], développés initialement aux États-Unis, soit à eau sous pression (REP ou PWR en anglais[5]), soit à eau bouillante (BWR en anglais)[6].

À l’intérieur des éléments combustibles, les produits de fission instables se transforment par désintégration en émettant des rayonnements. Les transuraniens, dont le plutonium, éléments dont le nombre de masse (total des neutrons et des protons contenus dans le noyau) est supérieur à celui de l’uranium, produits par captures de neutrons dans le réacteur, sont également radioactifs (voir Annexe 2).

La transformation du combustible neuf en combustible usé porte sur moins de 5 % de la masse, mais les conséquences radiologiques sont considérables : le combustible déchargé est beaucoup plus radioactif que le combustible neuf. Si une large part de cette radioactivité disparaît en quelques jours à quelques semaines, la radioactivité du combustible usé reste à plus long terme plus d’un million de fois plus élevée que celle du combustible neuf.

Les différentes matières qui sont fabriquées au cours des réactions nucléaires dans les réacteurs présentent des dangers de plusieurs natures :

– Les produits de fission se caractérisent par leur très forte radioactivité en rayonnement gamma à haute énergie, dangereux pour l’homme même à grande distance, mais pour des temps relativement courts (quelques centaines d’années).

– Les actinides, produits dans le réacteur à partir de l’uranium, comprenant  le plutonium et une série d’autres éléments appelés actinides mineurs, sont essentiellement émetteurs de rayonnements alpha et bêta dont la portée est beaucoup plus faible. Si l’on peut donc s’en protéger assez facilement (par exemple par des écrans de faible épaisseur), ils deviennent très dangereux pour l’homme par inhalation ou ingestion.

1.3. Les combustibles irradiés

À la fin de leur utilisation dans le réacteur nucléaire (après trois ou quatre ans environ), les combustibles irradiés sont stockés sous eau dans des piscines situées à proximité des réacteurs. Ils sont constamment refroidis par circulation d’eau afin d’évacuer la chaleur produite par la radioactivité des produits de fission et des transuraniens (dont le principal est le plutonium) qu’ils contiennent. On estime à 300 000 tonnes la quantité de combustibles irradiés accumulés dans le monde.

La solution adoptée dans la majorité des pays équipés de centrales nucléaires (États-Unis, Allemagne, Suède, Japon, Corée du Sud et autres) est de garder les combustibles irradiés en l’état, de les laisser dans les piscines de stockage, et, après quelques années éventuellement, dans des installations de stockage à sec lorsque leur radioactivité et la chaleur qu’ils dégagent ont suffisamment diminué.

Par contre, en France (La Hague) et au Royaume-Uni (Sellafield), le plutonium (voir Annexe 3) est extrait des combustibles irradiés dans une usine dite de « retraitement »[7], aujourd’hui essentiellement à partir des combustibles de leurs propres centrales, mais aussi, dans le passé, à partir des combustibles étrangers (Allemagne, Belgique, Italie, Japon[8], Pays-Bas, Suède, Suisse, notamment).

Le retraitement consiste à extraire du combustible irradié, par voie chimique[9], l’uranium et le plutonium du combustible irradié, les produits de fission et transuraniens autres que le plutonium, ou actinides mineurs étant gardés ensemble en l’état sous forme liquide[10]. Cette technique a été historiquement développée durant la seconde guerre mondiale pour la production de plutonium à des fins militaires (la bombe atomique, également développée avec de l’uranium 235 obtenu par enrichissement poussé de l’uranium naturel). Puis la production de plutonium a été poursuivie et amplifiée pour fournir du combustible à la filière des « surgénérateurs » [11]: Phénix et Superphénix en France.

Les programmes importants de développement des surgénérateurs entrepris aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, ont été interrompus. En France, Phenix et Superphenix ont été définitivement arrêtés[12]. Le prototype Monju au Japon a pris énormément de retard et n’a toujours pas démarré. Seuls fonctionnent au monde deux réacteurs électronucléaires surgénérateurs, respectivement de 20 MW  (Chine) et de 580 MW (Russie) de puissance électrique nette.

En parallèle à cette utilisation, un nouveau combustible a été imaginé pour se substituer au combustible classique à uranium enrichi dans les réacteurs à eau. Ce nouveau combustible, appelé MOX[13] (oxyde mixte d’uranium et de plutonium) contient de l’uranium appauvri en uranium 235 et 7 à 9% de plutonium. Superphénix ayant été définitivement arrêté et la filière abandonnée, le MOX s’est trouvé être le débouché d’une partie importante du plutonium produit par le retraitement. Il reste cependant des quantités importantes de plutonium entreposées à l’usine de retraitement de La Hague, de l’ordre de 56 tonnes fin 2013, dont 39,5  appartiennent à la France. Les combustibles irradiés MOX ne sont pas retraités. De ce fait, le retraitement en France ne réduit finalement que d’environ 15% la quantité de plutonium produite dans les réacteurs actuellement en activité, dont une partie reste en stock à La Hague.

L’uranium issu du retraitement, à ne pas confondre avec l’uranium appauvri issu de l’enrichissement, contient encore un pourcentage d’uranium 235 d’environ 1%, supérieur à celui de l’uranium naturel. Il pourrait donc être ré-enrichi, mais sa manipulation est rendue plus difficile et dangereuse par la présence de produits de fission et de quelques transuraniens.

1.4. Le démantèlement des centrales et usines nucléaires

Les matériaux constitutifs des centrales nucléaires et des usines du combustible nucléaire subissent des irradiations neutroniques prolongées qui génèrent des produits d’activation par capture neutronique. De ce fait, ils deviennent à leur tour radioactifs et, lors du démantèlement des installations, ils constituent des déchets radioactifs. Le niveau et la nature de cette radioactivité induite dépend des éléments présents dans ces matériaux, à l’état de constituants ou de traces, et du flux de neutrons auquel ils ont été soumis.

Le démantèlement d’une centrale nucléaire produit 80% de déchets conventionnels (non radioactifs) et 20% de déchets radioactifs qui, pour la grande majorité, sont de très faible activité.

Le cas est le même dans les usines du combustible nucléaire (conversion, enrichissement, fabrication des combustibles) et dans toutes les installations des usines de retraitement des combustibles irradiés pour lesquelles les opérations sont beaucoup plus complexes que pour les centrales nucléaires et la quantité et la dangerosité des déchets beaucoup plus importante du fait notamment de la présence du plutonium et de ses descendants.

 

2. La gestion des déchets radioactifs des industries électronucléaires

Comment les déchets issus des différentes étapes des industries électronucléaires sont-ils traités ?

2.1. Caractérisation des déchets radioactifs

Les différents types de déchets sont regroupés en grandes catégories, principalement selon la durée de vie et le niveau d’activité. La classification en vigueur en France, basée sur ces critères et sur les filières correspondantes de gestion des déchets (mises en œuvre, simplement définies ou même seulement envisagées), retient :

– deux seuils de durée de vie, de 100 jours et de 31 ans (vie très courte : moins de 100 jours ; vie courte : entre 100 jours et 31 ans ; vie longue : plus de 31 ans) ;

– quatre niveaux de radioactivité : très faible activité (tfa : moins de 102 Bq/g) ; faible activité (fa : entre 102 et 105 Bq/g) ; moyenne activité (ma : entre 105 et 108 Bq/g) ; haute activité (ha : plus de 108 Bq/g).

L’association de ces deux critères permet de définir les catégories de déchets.

À titre d’exemple, nous indiquons les volumes des déchets existants à fin 2013, ainsi que leur part dans la radioactivité totale des déchets, présents en France, de l’ensemble des activités qui engendrent des déchets radioactifs[14] :

– tfa (très faible activité) : 440 000 m3 – moins de 0,01 % de la radioactivité totale, dont :

  . tfa-vc (très faible activité, vie courte) : essentiellement des gravats et ferrailles, issus du démantèlement et déchets industriels spéciaux ;

  . tfa-vl (très faible activité, vie longue) : résidus miniers et du traitement de l’uranium, uranium du retraitement, uranium appauvri (de l’enrichissement).

– fma-vc (faible et moyenne activité, vie courte) : issus de l’exploitation, de la maintenance et du démantèlement des installations industrielles et de recherche du nucléaire ; 880 000 m3 – 0,02 % de la radioactivité totale.

-fa-vl (faible activité, vie longue) : déchets de procédés d’assainissement ou de démantèlement, notamment graphite irradié et déchets radifères ; 91 000 m3.

– ma-vl (moyenne activité, vie longue) : structures de combustibles et déchets du retraitement (gaines, boues, bitumes) ; 44 000 m3 – 2 % de la radioactivité totale.

– ha (haute activité) : combustibles usés en l’état ou, dans le cas du retraitement : déchets vitrifiés et plutonium ; 3 200 m3 – 98 % de la radioactivité totale.

Fin 2013, les déchets ha représentent donc 0,22 % des volumes de déchets nucléaires (1,46 million de m3 au total) et 98 % de la radioactivité totale (226 millions de TBq au total).

2.2. Les déchets de faible et moyenne activité

À l’exception des déchets de haute activité, ceux des autres catégories sont stockés dans les centres de stockage en surface qui doivent être contrôlés pendant plusieurs centaines d’années, durée nécessaire pour une réduction considérée comme suffisante de leur radioactivité.

Cette limite dans le temps de la surveillance de ces sites implique évidemment qu’ils ne contiennent pas de matières radioactives à vie longue et d’un niveau de radioactivité significatif. Cette occurrence, comme la détérioration avec le temps des conteneurs (notamment par des infiltrations d’eau) de déchets peut amener dans certains cas à des opérations de reprise du stockage et de réhabilitation des conteneurs. La surveillance et la maintenance de ces sites de stockage est donc une responsabilité sur plusieurs siècles relativement lourde et onéreuse.

2.3. Les déchets de haute activité

Les déchets de haute activité sont constitués par les combustibles irradiés issus des réacteurs ou les produits radioactifs résultant du retraitement des combustibles irradiés. Deux cas sont à considérer.

2.3.1. Sans retraitement des combustibles irradiés

On a vu que la plupart des pays produisant de l’électricité d’origine nucléaire et en premier lieu le plus important d’entre eux en nombre de réacteurs et en production d’électricité, les États-Unis, conservent les combustibles irradiés en l’état. C’est également le cas de l’Allemagne et du Japon, après avoir pendant plusieurs années utilisé le retraitement à l’étranger, ainsi que celui de la Corée et de la plupart des autres pays.

Il faut en effet tenir compte du fait que le combustible se présente sous forme de crayons groupés en assemblages, que ces crayons sont des éléments extrêmement robustes de céramique (oxyde d’uranium au départ) protégée par des gaines métalliques (acier ou zircalloy) qui ont résisté à des températures et des pressions très élevées et constituent par conséquent un déchet solide et difficile à détruire.

Dans une première phase, comme pour tous le réacteurs nucléaires et dans tous les pays, les combustibles irradiés sortis du réacteurs, qui sont chauds et d’un niveau très élevé de radioactivité, sont déposés dans des grands bassins d’eau (piscines) suffisamment profonds  situées au bord des réacteurs. Cette eau a un rôle de refroidissement des combustibles (dans lesquels la radioactivité continue à produire de la chaleur qu’il s’agit d’évacuer) et de protection contre les rayonnements radioactifs très dangereux. Du combustible neuf est également provisoirement entreposé dans ces piscines en attente de son installation dans le cœur du réacteur. Bien que contenant des quantités considérables de matières à haute radioactivité, ces piscines ne jouissent pas partout, et notamment en France, du même degré de protection que les réacteurs (enceintes de confinement) contre des agressions extérieures. Elles  constituent des zones de risque important[15].

Les combustibles irradiés peuvent rester plusieurs années dans ces piscines. Dans les pays qui ne retraitent pas le combustible et en particulier aux États-Unis, après cette période en piscine, les combustibles irradiés, dont la radioactivité et la température ont considérablement diminué, sont stockés à sec dans des conteneurs d’acier et de béton qui sont à leur tour stockés auprès des réacteurs et beaucoup moins vulnérables aux agressions extérieures que les piscines (Figure 1 [16] ).

Fig. 1 : Stockage à sec en conteneur sur site à la centrale de Fukushima Daïchi, après le tsunami

L’étape suivante après le stockage en piscine peut être également le stockage à sec en sub-surface (sous une colline, dans un ancien tunnel) qui permet à la fois une meilleur protection contre les agressions extérieures et une capacité d’intervention pour contrôle et maintenance du stockage. Ce site de stockage à sec et en sub-surface peut-être situé au voisinage de la centrale nucléaire (Figure 2 [17] ) ou dans un site dédié recevant les combustibles de plusieurs centrales.

Fig. 2 : Stockage à sec en sub-surface des combustibles irradiés

2.3.2. Avec retraitement des combustibles irradiés

Les combustibles irradiés, entreposés en piscine à leur sortie du réacteur pendant six mois à un an pour les combustibles à uranium et au moins deux ans et demi pour les combustibles MOX, sont transportés jusqu’à l’usine de retraitement (La Hague en France) et stockés à nouveau en piscine en attendant leur traitement. Les piscines de La Hague contiennent actuellement un chargement en combustibles irradiés équivalent à celui de cent réacteurs d’une puissance électrique moyenne de 1000 MW (Figure 3).

Fig. 3 : L’une des quatre piscines des combustibles irradiés à l’usine de La Hague

La première étape de l’extraction du plutonium consiste à démonter les assemblages, sectionner en petites pastilles les crayons de combustible, et dissoudre le combustible lui-même. Ensuite, on sépare chimiquement l’uranium, le plutonium et le reste, mélange de produits de fission et de actinides mineurs[18]. Cette opération provoque le dégagement des produits gazeux et engendre des produits liquides radioactifs. Tandis que l’uranium et le plutonium sont stockés séparément, les produits de fission et les hors plutonium sont conservés sous forme liquide dans des cuves qui doivent être en permanence refroidies et leur contenu agité pour éviter des concentrations de matière.

La dernière étape consiste à fabriquer des blocs de verre à partir des solutions de produits de fission et actinides mineurs qui sont stockés à sec à l’usine de La Hague, dans des silos qui doivent être refroidis en permanence du fait de l’énergie dégagée par la radioactivité de ces verres) et ne seraient déplaçables qu’après plusieurs dizaines d’années (au moins 60 ans).

Au total, ce système aboutit à une accumulation de déchets de natures très différentes :

– combustibles irradiés classiques non retraités (car tous les combustibles envoyés à La Hague ne sont pas retraités) ;

– combustibles MOX irradiés qui ne sont pas retraités et contiennent des quantités importantes de plutonium ;

– verres contenant les produits de fission et les actinides mineurs hors plutonium ;

– quantités considérables d’uranium de retraitement qui n’est pas réutilisé ;

– plutonium qui est partiellement réutilisé (dans les combustibles MOX) mais dont une quantité importante (plus chargée en isotopes autres que le 239) reste dans le MOX irradié[19] ;

– produits de fission et actinides mineurs contenus sous forme liquide dans des cuves continuellement agitées et refroidies ;

– résidus du traitement chimique  du type boues contenant du plutonium  ;

– déchets de structures des combustibles tels que des éléments d’ assemblages ou des gaines de combustibles ;

– déchets liés au fonctionnement de l’usine : remplacement des pièces, outillages, vêtements contaminés et autres.

Il apparaît clairement que le retraitement n’a pas en réalité pour objectif une gestion optimale des déchets mais bien la production du plutonium : les usines de La Hague se nomment d’ailleurs UP2 et UP3, UP signifiant Usine Plutonium.

2.4. Le stockage en couche géologique profonde

Le stockage en couche géologique profonde, couramment appelé enfouissement, est envisagé pour gérer des déchets nucléaires, en complément du stockage de surface dans plusieurs pays,  en particulier pour les déchets de haute et moyenne activité à vie longue Il consiste à conditionner ces déchets puis à les placer dans une formation géologique stable en interposant des barrières naturelles et artificielles entre les déchets et l’environnement. Ce mode de gestion repose sur l’hypothèse que la rétention des déchets peut atteindre une durée suffisante pour assurer leur décroissance radioactive (jusqu’à un million d’années).

Différentes formations-hôtes sont actuellement étudiées ou utilisées dans le monde : tuf volcanique, granite, sel, argile, etc. Le comportement de ces différents matériaux vis-à-vis des contraintes du stockage (température et présence d’eau particulièrement) détermine la nature des barrières mises en place.

2.4.1. Situation internationale[20]

Les solutions varient selon les types de déchets.

a) Déchets hors haute activité à vie longue

Certains pays disposent aujourd’hui d’installations souterraines accueillant des déchets radioactifs, notamment les États-Unis, l’Allemagne et la Finlande.

États-Unis : le WIPP (Waste Isolation Pilot Plant), au Nouveau-Mexique, accueille depuis 1999 des déchets militaires contenant des éléments radioactifs à vie longue (plutonium et americium) dans des installations creusées dans une couche de sel. Cette installation est en exploitation depuis mars 1999. Elle a connu, au mois de février 2014, deux accidents : d’abord un incendie dans la zone nord puis, neuf jours plus tard, un relâchement de radioactivité dans la zone sud, entraînant une pollution  en surface.

Allemagne : à Morsleben, sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est, une ancienne mine de sel a servi d’installation de stockage de déchets radioactifs jusqu’en 1998. Un autre site a été autorisé pour accueillir un stockage en couche géologique : le site de Konrad dans lequel l’ensemble des déchets radioactifs allemands ne dégageant pas de chaleur devrait être stocké. Il s’agit d’une ancienne mine de fer exploitée dans une formation sédimentaire. Certains déchets radioactifs de faible et moyenne activité ont été stockés jusqu’en 1978 dans le centre expérimental de Asse en Basse-Saxe, aménagé dans une ancienne mine exploitée dans un dôme de sel. Des entrées d’eau dans ce dôme constatées depuis la fin des années 80, ont finalement conduit, en 2008, les autorités allemandes à décider le retrait des déchets et la remédiation de la mine. Après la décision politique de récupérer les barils, un forage a été tenté en juin 2012 après deux ans de préparation. Cette opération encore jamais entreprise avance totalement dans l’inconnu. Elle est supposée durer un minimum de 30 ans, pour un coût de plusieurs milliards d’euros.

Finlande : deux installations de stockage ont été creusées dans des formations granitiques, à des profondeurs de 70 à 100 m pour accueillir les déchets d’exploitation[21] des centrales d’Olkiluoto et de Loviisa. Ces installations implantées à proximité de ces deux centrales sont en service depuis 1992 et 1997.

b) Déchets de haute activité

S’agissant des déchets de haute activité et à vie longue, aucune installation de stockage en formation géologique profonde destinée à les accueillir n’a encore été mise en service. Toutefois, des projets avancés ont été conduits dans certains pays, parfois jusqu’au dépôt d’une demande de création d’une installation de stockage pour ces déchets.

États-Unis : une procédure de demande d’autorisation de création d’un stockage a été déposée en 2008 sur le site de Yucca Mountain. La formation concernée est un tuff volcanique formé il y a 11 à 14 millions d’années. Des études exploratoires ont été menées sur le site depuis une installation souterraine creusée en 1993 pour démontrer la faisabilité du stockage. Le projet initial de Yucca Mountain a été rejeté en mai 2009, avec l’accord du Président Obama, en raison de garanties géologiques jugées insuffisantes.

 – Finlande : l’exploitant Posiva Oy (filiale commune des électriciens) a déposé fin 2012 une demande d’autorisation de construction d’un stockage de combustibles usés dans le granite (site d’Onkalo). La mise en service est envisagée entre 2020 et 2025. La construction d’un laboratoire souterrain destiné à approfondir la caractérisation du site et qui fera partie de l’installation, est en cours.

 – Suède : des investigations ont été engagées en 2008 sur deux sites granitiques. Le site d’Östhammar près de Forsmark[22] a été retenu en 2009 pour l’accueil d’une installation de stockage. La demande d’autorisation de construction d’un stockage a été déposée en mars 2011 pour une mise en service entre 2020 et 2025. Certains experts (Académie Royale de Suède) mettent cependant en cause le choix du granite, roche sensible aux infiltrations d’eau.

2.4.2. Situation en France

Ayant d’abord décidé par la loi d’explorer la faisabilité d’un stockage profond en site granite ou en site argile, les autorités françaises ont abandonné l’option granite du fait du refus des populations. La recherche s’est donc concentrée sur l’argile, avec la construction sur le site de Bure, zone peu peuplée et relativement pauvre aux confins de l’Ardenne et la Champagne, d’un laboratoire de recherche de l’ANDRA, agence nationale chargée de la gestion des centres de stockage des déchets, qui a fonctionné à partir de 2011.

Ces travaux ont abouti à la présentation du projet Cigeo (Centre industriel de stockage géologique) d’enfouissement à 500 mètres de profondeur dans la couche d’argile (de 130 mètres d’épaisseur), les déchets moyenne activité à vie longue (MA-VL) et haute activité à vie longue (HA-VL). Ce projet a été retenu par les autorités et soumis à deux débats publics : le premier sur le problème général de la gestion des déchets radioactifs (2005), le second sur le projet Cigeo lui-même (2013).

Ces débats ont mis en évidence de nombreux problèmes de sûreté pendant la durée de la phase d’exploitation (chargement du stockage) qui devrait durer une centaine d’années. Ils ont permis de questionner la pertinence de ce type de stockage et  ont demandé l’exploration de solutions alternatives. Peut-on, en effet, vraiment garantir, comme le prétendent les promoteurs du projet Cigeo, un stockage sans encombre de matières très fortement radioactives pendant plus de cent mille ans, voire un million d’années ? Certes, les expériences réalisées sur les couches géologiques permettent de calibrer des modèles complexes, mais nul ne peut s’engager sur des évènements géologiques inattendus, et aujourd’hui probablement inimaginables, ni de se prémunir contre des évènements accidentels dans les stockages, ou des infiltrations d’eau à moyen et long terme.

Outre que cette solution ne diminue ni la quantité ni la dangerosité des déchets mais les déplace dans l’espace et dans le temps, sans savoir ce qui peut se passer dans les siècles et les millénaires à venir, ce qui paraît le plus grave est que si ce modèle était généralement adopté, pour les déchets radioactifs mais aussi toutes sortes de déchets toxiques, on se trouverait rapidement avec une croûte terrestre parsemée de trous soigneusement (ou peu soigneusement) rebouchés, contenant des déchets extrêmement dangereux. Après la pollution de l’atmosphère et des océans, si difficile à endiguer et à réduire, l’homme polluerait maintenant le sous-sol, riche en matières premières et ressources énergétiques et surtout lieu de circulation et de stockage de l’eau, indispensable à la vie sur la Terre.

 

Conclusion

Aucune solution satisfaisante n’a été jusqu’ici trouvée pour éliminer les déchets radioactifs ni même pour réduire les risques qu’ils présentent, jusqu’à des centaines de milliers d’années pour certains d’entre eux. Conscients de cette impasse, comme des risques d’accidents majeurs, certains pays qui avaient développé la production d’électricité d’origine nucléaire, y ont renoncé, notamment deux des quatre principaux pays de l’Union européenne, l’Italie et l’Allemagne. Mais, quels que soient les choix futurs de politique énergétique, des quantités très importantes de déchets radioactifs produits par cette industrie se sont accumulés et continuent de s’accumuler de par le monde et il faut bien choisir actuellement la moins mauvaise des solutions pour en assurer la gestion.

Trois pistes sont recommandées : la poursuite des recherches afin de réduire, en quantité et dans le temps, la nocivité des déchets radioactifs, la sécurisation des entreposages et stockages actuel, l’entreposage pérenne en sub-surface[23].

La séparation-transmutation, une des trois voies de recherche de la loi de 1991, ne permettra pas de régler la question des déchets. Pour transmuter, il faut “sur-irradier” les déchets avec des neutrons, dont l’énergie dépend des éléments contenus dans les déchets. Il faudrait donc séparer complètement tous les déchets (techniquement à peu près impossible, et financièrement très élevé) et, en outre, cela ne les supprime pas mais diminue simplement la durée de vie d’une partie d’entre eux (de dix mille ans à quelques centaines d’années). La transmutation est encore étudiée par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), mais cela ne concerne qu’une partie des déchets. Selon un Avis de l’Autorité de sûreté nucléaire de juillet 2013, “les gains espérés de la transmutation des actinides mineurs en termes de sûreté, de radioprotection et de gestion des déchets n’apparaissent pas déterminants”. Si la transmutation apparaît aujourd’hui comme une voie de recherche décevante, il faut d’autant plus poursuivre les efforts en vue de réduire la nocivité des déchets radioactifs; ce doit même être une priorité.

La sécurisation des entreposages et stockages actuels concerne, pour ce qui concerne la France (et s’applique aussi à d’autres pays ), trois types d’installation :

– les piscines de stockage temporaire des combustibles irradiés dans les centrales nucléaires et à l’usine de La Hague qui ne sont pas actuellement sécurisées vis-à-vis d’agressions extérieures (naturelles, terroristes ou militaires) ;

– les déchets MA-VL en conteneurs de bitume entreposés à Marcoule et à La Hague, avec des protections insuffisantes ;

– certains sites de stockage dits définitifs dont l’étanchéité s’avère insuffisante ;

– le stockage actuel des verres de haute activité à vie longue à La Hague (ventilation) face à des agressions extérieures.

À l’heure actuelle, la solution qui paraît la moins mauvaise pour la gestion des déchets de moyenne et haute activité à vie longue (dont les combustibles irradiés eux-mêmes) est le “stockage à sec en sub-surface”. En Allemagne et surtout aux États-Unis, pour les combustibles irradiés sont développés des entreposages de longue durée sur le site même des centrales nucléaires (ce qui évite les transports), à sec, après un séjour d’environ cinq ans dans les piscines de refroidissement situées auprès des réacteurs. Les assemblages de combustibles sont placés chacun dans des conteneurs métalliques de type Castor (utilisés pour le transport des assemblages pour retraitement à La Hague) ou dans des conteneurs en béton. Quant à la sub-surface, il s’agit de stocker les combustibles irradiés des centrales, sans aucun retraitement, dans des galeries creusées à faible profondeur ou dans le flanc de montagnes granitiques[24]. De la sorte, on facilite la surveillance, et on garantit la possibilité d’extraire ces combustibles dans le cas d’une autre solution technique. Cette méthode peut s’appliquer également aux conteneurs (bien conditionnés) des déchets MA-VL et HA-VL existants.

Le choix de faire ou ne pas faire un stockage profond, comme le choix d’utiliser ou non l’énergie nucléaire est loin d’être seulement scientifique et technique : c’est fondamentalement un choix éthique, politique et citoyen.

 


Annexes

Annexe 1 : Radioactivité et radiotoxicité

La radioactivité est un phénomène physique naturel au cours duquel des noyaux atomiques instables, dits radio-isotopes, se transforment spontanément (désintégration) en dégageant de l’énergie sous forme de rayonnements divers, en des noyaux atomiques plus stables ayant perdu une partie de leur masse : les rayonnements dits alpha α (noyau de deux protons et deux neutrons), bêta β (électron) et gamma γ (photon), aux effets très différents du fait de masses, de niveaux d’énergie et de pouvoirs de pénétration très distincts.

La radioactivité d’un corps se mesure en becquerels (Bq) : 1 Bq représente une désintégration par seconde. Cette unité est très petite et on utilise couramment ses multiples, dont le térabecquerel (TBq : 1012 ou mille milliards de becquerels). La plus ou moins grande concentration des matières radioactives dans un milieu donné (un déchet par exemple), et surtout l’intensité du rayonnement des éléments radioactifs concernés, déterminent une activité massique, exprimée en nombre de désintégrations par seconde et par unité de masse considérée (par exemple : becquerel par gramme, Bq/g).

Afin de définir le risque pour le vivant, chaque produit radioactif est qualifié par trois caractéristiques : la durée de vie, la radioactivité et la radiotoxicité.

La durée de vie traduit le rythme auquel la radioactivité décroît. Chaque élément radioactif est ainsi caractérisé par une durée, appelée demi-vie ou quelquefois période, à l’issue de laquelle sa quantité diminue de moitié par désintégration de ses atomes (formant un ou plusieurs éléments, à leur tour radioactifs ou stables). Sa radioactivité est donc réduite d’un facteur 2 à chaque demi-vie, et par extension d’un facteur 1000 environ après dix demi-vies. Les demi-vies s’échelonnent de quelques fractions de seconde à quelques milliards d’années : par exemple 8 jours pour l’iode 131, 30 ans pour le césium 137, 24 000 ans pour le plutonium 239 et 4,5 milliards d’années pour l’uranium 238.

Il est possible d’évaluer l’effet biologique néfaste de l’effet d’un rayonnement sur une personne au moyen d’un calcul faisant intervenir des coefficients de pondération liés à la nature du rayonnement incident et aux types de tissus et organes atteints. Le sievert (Sv) est l’unité de dose biologique utilisée pour mesurer les effets sur le corps humain de cette absorption. La valeur en sievert d’une dose de rayonnement est calculée à partir de l’intensité de la source de rayonnement externe à l’organisme ou de l’activité incorporée dans l’organisme (exprimée en becquerels) par voie respiratoire ou digestive.

À énergie égale délivrée à un tissu ou un organe, la dose qui résulte d’une particule alpha est vingt fois plus toxique que celle d’un gamma ou d’un électron. La nature du rayonnement est donc très importante.

Annexe 2 : Demi-vie[25] de quelques isotopes présents dans les combustibles irradiés

 

Élément Isotope Demi-vie
iode 131I 8,0 jours
césium 134Cs 2,1 ans
krypton 85Kr 10,8 ans
tritium 3H 12,3 ans
strontium 90Sr 28,8 ans
césium 137Cs 30,2 ans
carbone 14C 5 730 ans
plutonium 239Pu 24 110 ans
iode 129I 16 millions d’années
plutonium 244Pu 81 millions d’années
uranium 235U 704 millions d’années
uranium 238U 4,5 milliards d’années

Annexe 3 : le Plutonium

Le plutonium (Pu) est un métal lourd radioactif et toxique, particulièrement dangereux, découvert aux États-Unis en 1940. Il existe quinze isotopes de cet élément dont le nombre de masse (somme du nombre de protons – le même- et du nombre de neutrons – particulier à chaque isotope – varie de 232 à 244. Le plutonium est présent naturellement sur Terre, mais à des doses infimes (environ un millionième de gramme dans cent tonnes d’uranium.

Le plutonium est produit en quantités significatives au cœur des réacteurs nucléaires par la transformation, sous l’effet d’un flux de neutrons, d’une partie des noyaux de l’uranium 238 qui compose le combustible (constitué de 3 à 5% d’uranium 25 et le reste d’uranium 238). Des plutoniums 239, puis 240, 241 et 242 sont formés dans le combustible irradié, intimement mêlés à plus d’une centaine d’autres isotopes radioactifs. Les isotopes 239 et 241 sont fissiles, comme l’uranium 235.

Si des particules de plutonium sont inhalées ou ingérées[26], elles irradient directement les organes où elles sont déposées (le poumon dans le cas d’une inhalation). Une fraction du plutonium inhalé ou ingéré passe dans le sang et se dépose dans le foie et les surfaces osseuses notamment. En termes de radioprotection, la limite de dose annuelle[27] induite par une activité nucléaire est, pour le public, de un millisievert (mSv) par an. Pour ce qui concerne le plutonium, cela correspond à une inhalation d’environ un centième de microgramme. Une quantité de l’ordre d’une dizaine de milligrammes est susceptible d’être à l’origine du décès d’une personne ayant inhalé, en une seule fois, de fins aérosols d’oxyde de plutonium.

L’isotope plus abondant, le plutonium 239, est dit de qualité militaire car il constitue l’un des deux matériaux (avec l’uranium 235) permettant de fabriquer une bombe nucléaire[28].

Il est possible d’extraire le plutonium dans des réacteurs civils ordinaires (à des taux de plutonium 239 différents en fonction de la durée de présence du combustible dans le réacteur) par l’opération dite du « retraitement » qui consiste à séparer chimiquement le plutonium des autres éléments contenus dans le combustible irradié sorti du réacteur. Le plutonium ainsi extrait est dit de qualité réacteur.

Le Traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP)[29] a rendu obligatoire le contrôle de cette extraction et les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) surveillent étroitement les centrales et les usines de retraitement pour éviter tout risque de fraude (prolifération nucléaire) et d’usage incontrôlé de cette matière nucléaire. On sait que déjà l’Inde, le Pakistan et Israël ont développé cette arme hors du cadre de ce traité, dont ils ne sont pas signataires.

On estime à 55 tonnes la quantité du plutonium extrait des combustibles irradiés produite chaque année dans le monde.

Tableau 1 : La plupart des pays ont opté pour le stockage des combustibles irradiés.

France, Inde, Russie, restent engagées dans le retraitement et la production du plutonium . En Chine, Japon, Pays-Bas, c’est en débat.[30]

Tableau 1 : La plupart des pays ont opté pour le stockage des combustibles irradiés.

 

Tableau 2 : Les quantités de plutonium de retraitement (plutonium « séparé ») en stock[31]

Pays Fin 2011 : Pu civil en excès des armes Stratégie de gestion
France 80 tonnes (dont 23 étrangères) MOX, opérationnelle
Japon 9 tonnes (+ 35 en France et Royaume-Uni) MOX au point mort
Russie 82 tonnes Recyclage dans réacteurs*
Royaume-Uni 118 tonnes (dont 28 étrangères) Usine MOX abandonnée
États-Unis 40 tonnes Projet Usine MOX en voie abandon
Total 340 tonnes (de quoi fabriquer 40 000 à 85 000 bombes nucléaires)*

* Réacteurs à neutrons rapides surgénérateurs.

** Les deux valeurs du nombre de bombes nucléaires qui pourraient être fabriquées à partir de ce quantités de plutonium sont basées d’une part sur un modèle de première génération du type de celle utilisée pour détruire Nagasaki (nécessitant 8 kg de plutonium de « qualité réacteur ») et, d’autre part, sur un modèle moderne nécessitant (4 kg de plutonium de qualité militaire). Il convient également de signaler que le plutonium « civil » sous forme d’oxyde peut être converti chimiquement en métal avant utilisation dans un engin explosif.

 


Notes et références

[1] http://www.global-chance.org/Production-et-gestion-des-dechets-radioactifs-des-industries-electronucleaires

[1bis] Yellow cake : concentré d’uranium sous la forme d’octaoxyde de triuranium, U3O8 qui contient environ 75% d’uranium.

[2] L’enrichissement de l’uranium est une opération industrielle consistant à augmenter la teneur en uranium 235 à partir de l’uranium naturel : 3 à 5% de teneur en uranium 235 (contre 0,71% dans l’uranium naturel) pour les combustibles des réacteurs des centrales nucléaires françaises en fonctionnement.

[3] « World Nuclear Industry Status Report 2015 » , Mycle Schneider, Antony Froggatt et al.

[4] L’eau (ordinaire) joue à la fois le rôle de modérateur (ralentisseur de neutrons) et de fluide caloporteur qui sert à transmettre la chaleur produite dans le réacteur à un échangeur qui produit de la vapeur, celle-ci à son tour produisant de l’électricité grâce au turbo-alternateur.

[5] REP : Réacteur à Eau sous Pression ; PWR : Pressurized Water Reactor.

[6] BWR : Boiling Water Reactor.

[7] Retraitement est le terme consacré pour cette opération. Il serait plus correct de parler simplement de « traitement ». Nous avons cependant conservé la dénomination traditionnelle.

[8] Après le démarrage d’une usine de retraitement pilote d’une capacité de 100 t/an en 1977,  le Japon a entamé en 1993 la construction d’une usine de retraitement d’une capacité de 800t/an (Rokkasho). Cette construction a connu de nombreux retards et son coût a été multiplié par plus de trois (de 8 à 29 milliards de dollars). Les premiers tests de retraitement ont démarré en avril 2006 mais de nombreux problèmes techniques sont apparus et le démarrage toujours retardé.

[9] Le procédé chimique PUREX (Plutonium and Uranium Refining by EXtraction) actuellement utilisé permet de séparer le plutonium et l’uranium indépendamment l’un de l’autre des actinides mineurs et des produits de fission par une méthode d’extraction liquide-liquide  : extraction de l’uranium et du plutonium par un solvant organique de 30 % de tributylphosphate (TBP) dans du dodécane.

[10] Alors que leurs propriétés radioactives sont très différentes et que leur gestion à long terme pourrait faire l’objet de systèmes différents.

[11] Un réacteur « surgénérateur » est un réacteur nucléaire dans lequel les fissions sont provoquées par des neutrons « rapides » (donc sans modérateur), à combustible au plutonium et qui doit produire plus de plutonium qu’il n’en consomme. Les modèles développés dans le monde utilisaient le plutonium allié à l’uranium appauvri comme combustible et le sodium liquide comme fluide caloporteur.

[12] D’une puissance électrique nette de 130 MW pour Phenix et 1200 MW pour Superphenix , ces deux réacteurs ont été définitivement arrêtés en 1998 (Superphenix) et 2010 (Phenix).

[13] MOX : acronyme anglais de « mixed oxyde », mélange d’oxyde d’uranium et d’oxyde de plutonium. Les surgénérateurs fonctionnent aussi avec un combustible au plutonium dont la teneur en Pu est beaucoup plus élevée  (>20%) que celle des MOX.

[14] ANDRA, « Inventaire national des matières et déchets radioactifs  2015 ».

[15] On l’a bien vu lors de la catastrophe de Fukushima.

[16] « Panorama international : nature et origine de l’impasse plutonium et quelques options de sortie ». Franck von Hippel. Cahier de Global chance n° 34 (« Le casse-tête des matières et déchets nucléaires).

[17] Idem note 10.

[18] En masse, le combustible usé contient environ 95% d’uranium, dont 1,1% environ d’uranium 235, 1% de plutonium et 4% de produits de fission et actinides mineurs.

[19] L’ensemble de l’opération ne réduit en fait que de 15% environ la quantité de plutonium contenue dans les déchets par rapport à une solution sans retraitement.

[20] Source principale : IRSN, « Le stockage en couche géologique profonde à l’international ».

[21] Les déchets d’exploitation ne comprennent pas les combustibles irradiés. Ce sont les pièces remplacées, les outils et vêtements contaminés, etc.

[22] Forsmark : site d’une centrale nucléaire.

[23] Entreposage réversible, réalisé dans des galeries souterraines, creusées sous quelques dizaines de mètres.

[24] Voir figure 2.

[25] La demi-vie d’un isotope radioactif est le temps au bout duquel la moitié de cet isotope a disparu du fait de sa radioactivité soit en se transformant en l’isotope stable du même élément, soit en se transformant en un autre élément qui peut être à son tour stable ou radioactif.

[26] Situation qui peut se produire dans les industries de fabrication de combustibles nucléaires contenant du plutonium (incendie, accident de manipulation…), du fait de rejets non contrôlés de l’usine de retraitement, ou dans les installations de fabrication d’armes nucléaires au plutonium.

[27] Limite d’ailleurs discutable puisqu’il n’y a pas se seuil à la nocivité des « faibles doses ».

[28] La bombe qui a explosé au-dessus de Nagasaki le 9 août 1945 était « au plutonium », tandis que celle qui a explosé au-dessus de Hiroshima le 6 août était à l’uranium 235, obtenu par l’enrichissement de l’uranium à partir de l’uranium naturel.

[29] Conclu en 1968 et signé par un grand nombre de pays, mais pas tous, le TNP autorise les cinq Etats (Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine) ayant acquis la bombe nucléaire avant 1967 à la conserver, mais interdit aux autres pays de l’obtenir. L’AIEA est chargée de veiller à son application

[30]Source : « Panorama international : nature et origine de l’impasse plutonium et quelques options de sortie ». Franck von Hippel. Cahier de Global chance n° 34 (« Le casse-tête des matières et déchets nucléaires).

[31] Idem note 14.

 


L’Encyclopédie de l’Énergie est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article, merci de mentionner le nom de l’auteur, le titre de l’article et son URL sur le site de l’Encyclopédie de l’Énergie.

Les articles de l’Encyclopédie de l’Énergie sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International.


D'autres articles de la même catégorie :

gestion déchets radioactifs
geopolitique nucleaire civil chine russie etats unis
Toutes les rubriques de ce contenu.
Sommaire