Les grands aménagements hydroélectriques : Génissiat (II)

En 2019, l’hydroélectricité contribue pour 3% au bilan énergétique mondial, via les 16% que représente sa production dans le mix électrique. Elle est donc de très loin la principale source d’énergie renouvelable à partir d’aménagements de toute taille. Parmi eux, certains ont laissé une empreinte, technique, géographique et économique qui mérite d’être mieux connue, d’où les deux premiers articles consacrés à Génissiat.

Ce deuxième article présente les caractéristiques techniques et le fonctionnement de la centrale de Genissiat.


Fig. 1: Barrage et centrale de Génissiat - Source : CNR

 

La première mise en eau du barrage est réalisée les 19 et 20 janvier 1948 en moins de 36 heures (Lire : Les grands aménagements hydroélectriques : Génissiat (I)). Le premier groupe est couplé au réseau le 19 mars de la même année. Les trois groupes suivants seront mis en service en 1948 et 1949, le cinquième en 1951 et le sixième en 1957 (Figure 1).

Symbole du redressement industriel et économique de la France d’après-guerre, ces mises en service vont permettre de réduire les coupures d’électricité alors fréquentes. En 1949, la production de Génissiat (1,6 TWh) représente plus de 5 % de la consommation totale d’électricité en France, soit 30,8 TWh[1].

 

1. Les ouvrages et les équipements

L’aménagement de la chute de Génissiat comprend :

  • une retenue de 23 km de longueur et d’une capacité totale de 55 millions de mètres cubes ;
  • un barrage de type poids en béton, incurvé en plan selon un rayon de 500 m, d’une hauteur totale de 103,70 m ;
  • un évacuateur de crue de surface en rive droite d’une capacité maximale de 2 700 m3/s ;
  • un évacuateur de crue de demi-fond en rive gauche d’une capacité maximale de 1 350 m3/s, se raccordant à la galerie de dérivation RG ;
  • une vidange de fond en rive droite d’une capacité maximale de 700 m3/s, utilisant la galerie de dérivation RD ;
  • une centrale hydroélectrique équipée de six groupes principaux et deux groupes auxiliaires, d’une puissance totale de 420 MW.

1.1. La retenue

La retenue de Génissiat présente les caractéristiques suivantes :

  • surface du bassin versant : 10 910 km2 ;
  • longueur totale (limite du remous) : 23 km ;
  • capacité totale : 55 millions de mètres cubes ;
  • capacité utile (entre les cotes 325,00 et 330,70 m) : 14 millions de mètres cubes ;
  • niveau normal de la retenue : 330,70 m.

1.2. Le barrage et les prises d’eau principales (Figure 2)

Il s’agit d’un barrage poids en béton constitué de six blocs principaux, un par groupe principal de l’usine, chaque bloc contenant une conduite principale de 5,75 m de diamètre et 51 m de longueur. La cote du couronnement atteint 335,70 m.

 

Fig. 2: Coupe d'une prise d'eau – Source : La Houille Blanche numéro hors-série Génissiat

 

Le parement amont du barrage supporte les six tours de prise d’eau des groupes principaux. Ces tours de prise d’eau forment des puits verticaux semi-circulaires permettant de remonter le seuil des prises à la cote 305,00 m afin de tenir compte de l’engravement prévisible de la retenue. Elles sont équipées de grilles, d’un système de batardage et d’une vanne de tête de conduite de 7,60 m par 5,60 m.

1.3. L’évacuateur de crue rive droite

L’évacuateur de crue en rive droite est un évacuateur de surface constitué par un canal de 550 m de long contournant le barrage et l’usine et se terminant par un saut de ski. Son maximum est de 1 700 m3/s sous la retenue normale de 330,70 m et de 2 700 m3/s sous la retenue maximale de 335,70 m.

 

Fig. 3 : Evacuateur rive droite. Coupe dans l'axe d'un pertuis de l'ouvrage de garde. – Source : La Houille Blanche numéro hors-série Génissiat

 

Le débit dans cet évacuateur est contrôlé par un ouvrage de garde (Figure 3) situé en rive droite du barrage et constitué de trois pertuis de 9,30 m de large et divisés en deux par un masque horizontal de 6,20 m de haut. Cet ouvrage est équipé de trois vannes inférieures (5,50 m x 9,30 m) et de 3 vannes supérieures (4, 80 m x 9,30 m). En position ouverte, les vannes s’effacent derrière le masque. Chaque pertuis peut être obturé par un jeu de batardeaux.

1.4. L’évacuateur de crue rive gauche

L’évacuateur de crue rive gauche est un évacuateur souterrain qui réutilise la partie aval de la galerie de dérivation rive gauche. Le seuil de cet évacuateur a été fixé à 45 m sous la cote de retenue normale afin de pouvoir l’utiliser pour la réalisation de chasses. Son débit maximum est de 1 350 m3/s. Il est constitué d’un tunnel de section circulaire de 100 m2 de section et d’une longueur de 90 m environ ; ce tunnel se divise ensuite en trois pertuis elliptiques d’une longueur de 213 m, lesquels se raccordent à la partie aval de la galerie de dérivation rive gauche.

 

Fig. 4 : Evacuateur de crue rive gauche. Disposition et vannes et batardeaux. – Source : La Houille Blanche numéro hors-série Génissiat

 

Le vannage (Figure 4) est constitué de trois vannes glissantes, une par pertuis, de 6,50 m de haut par 2,75 m, manœuvrées par un servomoteur à huile.

Un batardeau unique (ancienne vanne de garde de la dérivation rive gauche, démontée après mise en place d’un bouchon en béton) permet la mise à sec de ces vannes.

1.5. La vidange de fond

La galerie de dérivation rive droite a été réaménagée en vidange de fond. Une vanne glissante de 6,30 m de haut par 3,50 m, manœuvrée au moyen de deux servomoteurs à huile, a été montée dans un bouchon en béton (Figure 5) construit dans la galerie de dérivation, au droit du barrage. À pleine ouverture sous la cote de retenue normale, le débit au travers de cette vanne atteint 700 m3/s. La vanne de garde de cette dérivation a été conservée en tant que batardeau de la vidange de fond.

 

Fig. 5: Vanne de vidange de fond rive droite. – Source : La Houille Blanche numéro hors-série Génissiat

1.6. La centrale hydroélectrique (Figure 6)

L’usine est équipée de six groupes principaux. Quatre groupes ont été installé dès l’origine et mis en service en 1948-1949. Les cinquième et sixième groupes ont été installés ultérieurement (mis en service en 1951 et 1957).

 

Fig. 6 : Salle des machines. – Source : CNR

 

La puissance des turbines 1 à 5 est de 66 MW sous une chute nette de 64,50 m, celle de la turbine 6 est de 73,5 MW sous la chute nette de 65,50 m. La vitesse de rotation des groupes est de 150 tr/min, groupes qui sont protégés par une vanne papillon d’axe vertical de 5,20 m de diamètre. Chacun évacue sa production par l’intermédiaire d’un transformateur 70 MVA (80 MVA pour le groupe 6).

La centrale renferme également deux groupes auxiliaires d’une puissance de 2,5 MVA unitaire, alimentés chacun par une conduite de 1,10 m de diamètre, les prises d’eau étant situées en rive droite du barrage.

 

2. L’exploitation

L’exploitation de Génissiat doit prendre en compte :

  • d’une part les caractéristiques de l’aménagement,
  • d’autre part la situation de l’aménagement dans la chaîne de tous ceux du Rhône, aussi bien en amont (aménagements suisses du Seujet et Verbois et franco-suisse de Chancy-Pougny) qu’en aval.

Le niveau d’équipement de l’usine (débit d’équipement de 750 m3/s sensiblement égal au double du débit moyen du Rhône) associé à la capacité de la retenue (tranche utile de 14 millions de mètres cubes, remplissage en une demi-journée au débit moyen du Rhône) permet de réaliser une production avec modulations journalières selon un cycle hebdomadaire (prise en compte de la moindre demande énergétique du week-end). Au quotidien, l’optimisation de la gestion de la production de Génissiat doit tenir compte des modulations de débit issues de l’exploitation des aménagements situés en amont.

La démodulation des variations du débit sortant de Génissiat est assurée, d’une part par l’aménagement de Seyssel, construit spécialement à cet effet (débit d’équipement de 600 m3/s, capacité utile de 7,5 millions de mètres cubes) et mis en service en 1951 ainsi que par les aménagements situés en aval (Chautagne, Belley, Bregnier-Cordon, Sault-Brénaz) construits ultérieurement.

Comme pour tout aménagement hydroélectrique inclut dans une chaîne d’aménagements, c’est l’optimisation de l’exploitation de la chaîne des aménagements (de Génissiat à Sault-Brénaz), définie à partir des caractéristiques de ces aménagements et des contraintes externes (débits réservés, gradients de débits/niveaux, contraintes de débits/cotes mini ou maxi pour d’autres usages,entre autres), qui conditionne l’exploitation de Génissiat.

En 201_, la production moyenne annuelle de Génissiat est de 1,7 TWh ce qui en fait la deuxième centrale hydroélectrique la plus productive de France après la centrale de Bollène (aménagement de Donzère Mondragon).

En crue, l’exploitation de l’aménagement respecte un principe de neutralité : la présence de l’aménagement ne doit, en aucun, aggraver les conséquences, quelles qu’elles soient, d’une crue.

 

3. La gestion sédimentaire du Haut-Rhône franco-suisse

L’aménagement de Génissiat est régulièrement utilisé pour des opérations d’accompagnement des chasses du Rhône genevois. La raison en est la suivante. La retenue de l’aménagement suisse de Verbois, situé en aval de la confluence Arve-Rhône, retient les sédiments charriés par l’Arve (700 000 m3/an en moyenne dont plus de la moitié s’accumulent dans la retenue de Verbois). Cette accumulation de sédiments conduit à relever les lignes d’eau en crue et à créer un risque d’inondation de certains quartiers de Genève. Dès lors, depuis les années 1940, les services industriels de Genève (SIG), exploitant de l’aménagement de Verbois, procèdent régulièrement à des opérations de vidange de la retenue et à des chasses des sédiments accumulés.

Le principe général de ces chasses consiste à abaisser le niveau des retenues ce qui conduit à augmenter les vitesses d’écoulement, l’abaissement du niveau associé à l’augmentation des vitesses d’écoulement permettant d’assurer l’entrainement des matériaux accumulés.

Afin d’éviter que les matériaux chassés des retenues suisses ne s’accumulent intégralement dans la retenue de Génissiat, des dispositions particulières sont prises par la Compagnie nationale du Rhône (CNR), exploitant de l’aménagement de Génissiat et des autres aménagements du Haut-Rhône français. Ces dispositions ont varié au fil du temps. La gestion sédimentaire du Haut-Rhône, actuellement en vigueur, a été validée par les autorités suisse et française et mise en œuvre par les 3 exploitants concernés : Services industriels de Genève, Société des forces motrices de Chancy-Pougny et Compagnie nationale du Rhône. Visant à assurer le transit sédimentaire tout en préservant l’environnement, elle comprend trois volets :

  • un abaissement partiel des retenues de Verbois et de Chancy-Pougny (situé en aval de Verbois) tous les trois ans ; cet abaissement des retenues est accompagné d’une gestion spécifique de l’aménagement de Génissiat et des cinq autres aménagements du haut Rhône français ;
  • un accompagnement des crues de l’Arve par les SIG en assurant un débit suffisant du Rhône ;
  • des opérations de dragage complémentaire.

Le rôle de Génissiat dans ces opérations est fondamental. Dans un premier temps, l’exploitant de Génissiat procède à l’abaissement du niveau de la retenue (entre 10 et 17 m). Le niveau des autres aménagements en aval est également abaissé afin de permettre le transit des sédiments.

Pendant toute la durée des opérations (une dizaine de jours), le barrage de Génissiat est utilisé pour contrôler en continu la concentration de matières en suspension à l’aval en agissant sur le niveau de la retenue et sur la répartition du débit évacué, entre la vanne de fond d’une part (eau très chargée en sédiments) et la vanne de demi-fond d’autre part (eau moins chargée).

C’est le pilotage en continu de ces organes qui permet de respecter les valeurs limites de concentration définies au préalable et approuvées par les autorités :

  • 5 g/l en moyenne sur toute la durée des opérations,
  • 10 g/l au maximum sur une période de 6 h consécutives,
  • 15 g/l au maximum sur une période de 30 min consécutives.

La dernière opération d’abaissement partiel des retenues a eu lieu en mai 2016.

 

Notes et références

[1] Fouet R. (1952). Production et consommation d’énergie électrique en France. Annales de géographie, n° 323, Janvier-Février, pp 74-77.

 

Bibliographie complémentaire

[1] : X (1940). L’aménagement du Haut-Rhône français. Projet définitif et travaux du barrage de Génissiat, in Le Génie Civil Tome CXVI n° 2 du 13 janvier 1940.

[2] : Blanc-Latham Danielle (2004). La Compagnie Nationale du Rhône, au fil de l’eau, au fil du temps. Compagnie Nationale du Rhône. 144 p.

[3] : CNR, Direction de la Communication (2008). Génissiat, l’histoire d’un mythe au destin national. Compagnie Nationale du Rhône, 164 p.

[4] : Collectif (1950). Génissiat. Grenoble : Numéro hors-série de La Houille Blanche. 296 p.

[5] : Coutagne G. (1912). Apports et ensablement du Haut-Rhône. Leurs conséquences sur la durée et l’efficacité des réservoirs créés par les barrages sur le fleuve. La Houille Blanche, Juin 1912, n° 6, p. 160-163.

[6] : Lugeon M. et de Valbreuze R. (1911). Projet de captation du Haut-Rhône français. Annales des sciences physiques et naturelles, d’agriculture et d’industrie. Séance du 10 mai 1911. Disponible en ligne sur http://www.gallica.bnf.fr.

[7] : Varaschin Denis (2003). Centrales hydrauliques du Haut-Rhône français : de quelques savoir-faire suisse en France (années 1870 à 1946). Annales historiques de l’électricité 2003/1 (N° 1), p. 17-35. Article disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-l-electricite-2003-1-page-17.htm

[8] : Viollet Pierre-Louis (2005). Histoire de l’énergie hydraulique. Paris : Presses de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées. 232 p.

 


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