Maghreb : de l’interconnexion des réseaux électriques à l’intégration énergétique

Maghreb : de l’interconnexion des réseaux électriques à l’intégration énergétique

À l’heure de la mondialisation et des grands ensembles, les difficultés que rencontre le Maghreb dans son développement économique pourraient trouver une solution  dans l’intégration, en particulier, autour de l’énergie. Bien que, et peut-être parce que, répartie inégalement entre les différents États de la Région (Lire : Maghreb, domination des hydrocarbures jusqu’à quand ?), l’énergie pourrait,  paradoxalement, créer des liens d’interdépendance et favoriser l’intégration des économies. Cette affirmation s’appuie sur l’expérience vécue dans les années 1970 dans le secteur de l’énergie électrique. Elle prend en considération une réalité caractérisée par l’intérêt commun, par des traditions de coopération solides dans ce domaine et par un enchevêtrement de réseaux électriques et gaziers très denses entre les trois pays (Figure 1).

Fig. 1. Comité maghrébin de l'électricité (COMELEC). Source : HuffPost Maghreb

Le Maghreb bénéficie en effet  d’un acquis de taille : l’interconnexion complète des réseaux électriques et l’existence d’un organisme de coordination permanent. En 1991, le séminaire de Marrakech mettait en relief cet avantage dans ses conclusions[1]: « Le secteur électrique demeure le secteur d’avant garde dans le domaine de la coopération maghrébine. Très tôt, des actions ont été menées par les entreprises d’électricité afin d’harmoniser les règles d’exploitation des réseaux et profiter des complémentarités des systèmes pour réduire les coûts de gestion.  Il faut cependant noter qu’elles demeurent modestes par comparaison aux gains qu’engendreraient une gestion et un développement intégrés des systèmes ». L’industrie électrique apparait ainsi à l’avant-garde de ce que pourrait être à l’avenir une intégration énergétique de la région.

 

1. L’approvisionnement électrique du Maghreb

Mi-2012, la capacité de production électrique est de près de 24 GWe  dont 55% en Algérie, 28% au Maroc et 17% en Tunisie (Tableau 1). La puissance maximale appelée (ou pointe),  qui s’est déplacée  depuis quelques années de l’hiver vers l’été dans les trois pays en raison d’un appel de puissance important dû à la climatisation, a connu une croissance exceptionnelle de 14% en Algérie, un taux plus modéré de 5% au Maroc et de 2,3% en Tunisie entre 2011 et 2012. La production est principalement d’origine thermique, les centrales fonctionnant à 99% au gaz naturel en Algérie et en Tunisie, avec un mix charbon/produits pétroliers au Maroc à 90%. Si les centrales électriques sont en quasi-totalité la propriété des compagnies publiques ou de leurs filiales en Algérie et en Tunisie, les installations privées réalisées au Maroc dans le cadre de la libéralisation du secteur  interviennent pour 70% de la production totale. Il faut signaler que les échanges entre les pays maghrébins sont marginaux au regard des potentialités des interconnexions existantes. Par contre, le Maroc a importé 18% de ses besoins en électricité d’Espagne en 2012.

Du côté de la demande, la consommation d’électricité est d’environ 85 TWh, répartie à 50% pour l’Algérie, 33% pour le Maroc et 17 % pour la Tunisie. Elle a enregistré un accroissement de 10,9% en Algérie, 7,4% au Maroc et 7,7% en Tunisie entre 2012 et 2011.

Sur le long terme, on peut s’attendre à ce que le taux de croissance moyen de la consommation se situe autour de 5%, ce qui donnerait  une capacité globale installée de 60 GWe en 2030, dont 36 GWe environ de nouvelles capacités réparties comme suit : un tiers au moins en renouvelables, solaire et éolien essentiellement ; un peu d’hydraulique et du thermique charbon au Maroc ;  le reste viendrait pour une bonne part de cycles combinés gaz en raison des performances de cette technologie. La moitié de la production tunisienne et le tiers de la production algérienne actuelle sont déjà fournis par cette filière.

 

Tableau 1 : Caractéristiques du secteur de l’électricité au Maghreb

Algérie Maroc Tunisie Total
Puissance totale installée (MWe) 13 003 6 692 4 114 23 809
Puissance maximale appelée (MWe)   9 777

 

5 280

 

3 353

 

Production totale (GWh)

– Thermique vapeur

– Turbine à gaz

–  Cycle combiné

– Renouvelables

 – Hybrides gaz-Solaire

 – Diesel

54 086

9 422

24 075

18 623

389

1 159

416

26 356

15 413

1 666

6 201

2 544

 

533

16 781

5 443

2 370

8 663

306

97 223
Consommation totale (GWh) 43 150 27 561 14 066 84 777
Taux de croissance de la  consommation  2012/2011 10,9% 7,4% 7,7%
Nombre de consommateurs 7 428 843 4 716 602 3 384 131
Consommation/hab (KWh) 1 142 845 1 302
Longueur des réseaux (Km)

 – Réseau transport HT

 – Réseau distribution MT/BT

 

23 779

269 461

 

 

21 854

238 330

 

 

5 971

152 729

 

Source: Comelec. Bulletin statistiques 2012. Les puissances maximales ont été enregistrées le 11/08 en Tunisie, le 12/08 en Algérie et le 08/08 au Maroc.

 

2. L’interconnexion des réseaux électriques et la Comelec

Dès le mois de juin 1974, bien avant la constitution de l‘Union du Maghreb arabe (UMA) en 1989, les entreprises publiques d’électricité des trois pays, l’Office National Marocain de l’Électricité (ONE), la Société nationale algérienne de l’électricité et du gaz (SONELGAZ), la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg) ont décidé  la création du Comité Maghrébin de l’Électricité (Comelec), immédiatement entérinée par le Conseil Permanent Consultatif Maghrébin (CPCM) qui regroupe les ministres de l’Économie des trois pays[2]. Les compagnies des deux autres pays ont rejoint le Comité: Sonelec (Mauritanie) en 1975 et Gecol (Libye) en 1989 après la constitution de l’UMA, formant ainsi le groupe spécialisé le plus ancien de l’Union, dont les missions consistent à promouvoir et coordonner, à l’échelle maghrébine et vis à vis des institutions internationales, les relations sur les plan technique, économique, commercial, industriel, du management, de la formation et des relations sociales (Figure 2 et Tableau 2). Dans ce cadre, des actions concrètes et efficaces ont été conduites en commun :

  • renforcement des lignes d’interconnexion et développement des échanges électriques avec pour finalité d’assurer une solidarité des réseaux tout en évitant les risques de propagation d’incidents graves ;
  • programmes d’équipement et étude de projets communs, diffusion d’un schéma directeur à long terme du réseau maghrébin; projets de station de pompage ou même de  centrale nucléaire ;
  • élaboration et mise à jour permanente d’une carte du réseau électrique maghrébin, y compris le réseau de distribution impliquant l’alimentation des villages frontaliers à partir du réseau le plus proche et dans les conditions technico – économiques les plus favorables ; la première action et probablement la plus symbolique a été l’alimentation du village tunisien martyre de Sakiet Sidi Youcef à partir du réseau algérien ou du village marocain de Figuig à partir du réseau algérien à Beni Ounif ;
  • utilisation commune des structures de formation électriques et gazières ;
  • promotion de l’intégration industrielle maghrébine, de l’intervention des bureaux d’études et entreprises de travaux et de fabrication de matériel électrique du Maghreb, à travers notamment le renforcement de la fonction engineering.

Fig. 2 : Carte du réseau électrique maghrébin

L’échange constant d’informations et l’harmonisation des politiques au sein du Comelec ont créé une dynamique de la généralisation de l’électrification en zone rurale mais aussi urbaine qui a impliqué les États et les entreprises dans la mise en œuvre de mesures vigoureuses et l’allocation de moyens considérables. Il est vrai que, au lendemain de leur indépendance, les pays du Maghreb avaient à rattraper un retard colossal auquel il faut ajouter les effets de la croissance démographique. Ce n’est pas par hasard que les pays du Maghreb ont aujourd’hui un taux d’électrification comparable à celui des pays européens. Ce résultat remarquable est le fruit d’une réflexion commune, même si chacun des trois pays a ensuite suivi une voie spécifique pour la réalisation et le mode de financement des programmes d’électrification.

En outre, l’expérience de la coopération maghrébine dans le domaine électrique et l’intensité des relations entretenues de longue date avec les institutions spécialisées homologues européennes comme l’UNIPEDE ou la CIGRE ont ouvert la voie à une coopération plus large à l’échelle euro-méditerranéen et constitué des éléments déterminants dans la réflexion sur la réalisation d’une grande ceinture électrique autour du bassin méditerranéen, interconnectée au réseau européen[3]. La coopération à l’échelle méditerranéenne se fait au sein de Medelec, association qui regroupe les compagnies électriques du bassin méditerranéen. De même que Comelec a contribué puissamment à la mise en place de l’Union africaine et de l’Union arabe des producteurs et distributeurs d’électricité

 

Tableau 2 : Les interconnexions électriques au Maghreb

Pays Liaison Tension (KV) Longueur (Km) Date
Algérie – Maroc Ghazaouet – Oujda 225  47 Achevée en 1975

En service 1988

Tlemcen – Oujda 225  64 1992
Hassi Ameur – Bourdim 400 232 2009
Maroc-Espagne Meloussa-Puerto de la Cruz (1) 400   61 1997
Meloussa-Puerto de la Cruz (2)  400  61 2005
Algérie-Tunisie El Aouinet-Tadjerouine   90  60 1969
El Aouinet-Tadjerouine 220  60
El Hadjar-Fernana   90  35 1969
Djebel Onk-Metaloui 150  65 1984
Cheffia-Jendouba 400 2014
Tunisie-Libye Medenin-Abou Kammech 220 110 Achevée en 2003
Tataouin-Rouiss 220 165 Achevée en 2003

Source: Comelec

 

En 2014, les réseaux électriques des pays du Maghreb sont puissamment reliés entre eux  et sont aussi interconnectés au réseau européen depuis 1997, date à laquelle le réseau électrique marocain a été connecté au réseau espagnol par un câble sous-marin à travers le détroit de Gibraltar, doublé par un second câble en 2005 portant la capacité de transit à 1400 MWe. Il est prévu un renforcement des interconnexions électriques en 400 KV et, malgré tous les obstacles – alors que la frontière est fermée entre les deux pays depuis 20 ans – une nouvelle liaison a été mise en service en septembre 2009 entre l’Algérie et le Maroc qui permet des échanges d’électricité plus importants. Il est vrai que, pour des raisons politiques, les échanges d’énergie se situent à un niveau limité et que, globalement, l’interconnexion fonctionne bien en deçà de ses possibilités et des espérances, même si le développement des échanges sur une base marchande, en particulier, entre la SONELGAZ et l’ONE, a intensifié les échanges intermaghrébins de façon temporaire.

Les trois pays du Maghreb veulent, malgré tout, s’acheminer vers la réalisation d’un marché maghrébin de l’électricité qui permettra ensuite leur pleine intégration au marché européen. À l’issue d’une réunion du Conseil des ministres maghrébins de l’énergie qui s’est tenue à Alger le 20 juin 2010, les participants ont adopté la Déclaration d’Alger par laquelle ils s’engagent à poursuivre leurs efforts pour harmoniser les cadres législatif et réglementaire ainsi que les conditions techniques et économiques d’un marché «non discriminatoire, transparent» et qui fera «l’objet d’une tarification adéquate». L’étape suivante sera la mise en place graduelle d’un marché de l’électricité euro-méditerranéen, tenant compte de la situation particulière de chacun des pays et évitant de transposer des modèles importés. En effet, dans le cadre du dialogue euro-méditerranéen, il a été décidé lors d’une réunion des ministres de l’Énergie du bassin méditerranéen tenue à Rome, en 2003, d’accélérer le processus d’intégration du réseau électrique du Maghreb dans le réseau européen. Si l’Algérie et le Maroc ont déjà adopté un cadre législatif favorable à la création d’un marché euromaghrébin de l’électricité, la Tunisie envisage de suivre, en mettant fin au monopole de fait exercé par la Steg, opérateur historique et quasiment unique pour l’instant.

 

3. Le mix énergétique futur

L’interconnexion électrique devrait constituer le premier pas vers une intégration énergétique de la région que justifient les défis auxquels elle va devoir faire face.

 Son potentiel d’économies d’énergie et de carbone est considérable. Plusieurs estimations fiables montrent que, sur les vingt prochaines années, un potentiel de l’ordre de 20 % de la consommation est réalisable, probablement plus si les prix de l’énergie continuent d’augmenter. La Tunisie a montré la voie au cours des vingt dernières années.

Néanmoins, avec une population fortement croissante – malgré les efforts certains accomplis en matière de maîtrise démographique-  une urbanisation constante et de forts besoins en développement, la demande en énergie va croître à un taux  annuel moyen compris entre 3 % (si on tient compte de gains importants en efficacité énergétique) et 4% (moyenne enregistrée  sur la période 2000-2011). Par conséquent, elle se situera entre 120 et 145 Mtep/an pour l’ensemble du Maghreb à l’horizon 2030.

Comment faire face à une demande aussi importante ? En tenant compte des tendances passées et des stratégies arrêtées par les différents pays, on peut tabler sur un taux de croissance  annuelle de la consommation électrique d’au moins 5% avec l’utilisation du cycle combiné gaz pour la production électrique et le développement des renouvelables, entre 30% et 42% de la production d’électricité à l’horizon 2030.  À cette date, le mix énergétique pourrait alors être le suivant : 52% en gaz naturel, 35% en pétrole, 8% en renouvelables y compris l’hydraulique et 5% en charbon. Les fossiles continueraient donc à prédominer à hauteur de 92%, au lieu de 97% en 2011, mais le gaz naturel supplanterait le pétrole et la part des renouvelables passerait de 3% en 2011 à 8% (Figure 3).

Fig. 3 : Répartition prévisible de la demande d'énergie primaire par source d'énergie –source : Horizon 2030

3.1. Les hydrocarbures

Le gaz jouera sans aucun doute un rôle de plus en plus important en raison des réserves importantes existant dans la région, de ses avantages environnementaux indéniables, de ses performances technique et économique pour la production d’électricité par cycle combiné et des infrastructures nombreuses reliant les trois pays entre eux et avec l’Europe. Il peut contribuer puissamment à un avenir énergétique commun, en association avec le solaire, une technologie déjà testée au Maroc et en Algérie, par un déploiement rapide des centrales électriques hybrides dans la période de transition vers une exploitation des ressources solaires à des conditions financières acceptables. Les débats sur le fracking, liés à l’environnement et la disponibilité de l’eau, ne doivent pas être éludés mais abordés en toute sérénité et de manière pragmatique. L’Algérie est déjà à l’ère du gaz, de même que la Tunisie, qui produit une partie de ses besoins. Le Maroc envisage la construction d’un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) qui lui permettrait de recevoir du GNL du Qatar, en plus du gaz algérien arrivant par le Gazoduc Maghreb-Europe (GME) baptisé Pedro Duran Farell. En outre, les Autorités marocaines nourrissent un espoir raisonnable de faire des découvertes de gaz sur la côte atlantique[4].

La part du pétrole dans le bilan énergétique est  importante surtout au Maroc qui importe la quasi-totalité de ses besoins mais l’introduction massive du gaz naturel et des renouvelables devrait atténuer cette tendance et diminuer sensiblement la part du brut dans le mix (Lire : Maghreb, domination des hydrocarbures jusqu’à quand ?).

3.2. Le charbon

Le charbon reste utilisé essentiellement au Maroc qui a des traditions et des projets de construction de centrales à charbon. Ses partisans invoquent un coût moins élevé et moins volatile que celui du pétrole.  Néanmoins, il faut noter que le coût de la production de l’électricité à base de charbon dépend aussi de la taille du programme et des technologies envisagées et qu’il n’intègre pas les coûts environnementaux lesquels peuvent être désastreux pour un pays à vocation touristique (Lire : Charbon : les industries africaines).

3.3. Le nucléaire

Les trois pays du Maghreb s’intéressent à la technologie nucléaire  et ont engagé, chacun de leur côté, des études de faisabilité avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et avec des pays ayant une grande expérience dans le domaine (France, USA, Russie, entre autres). La question avait même été abordée au sein du Comelec au milieu des années 1970. L’Algérie et le Maroc ont installé des réacteurs de recherche pour assurer la formation des cadres et techniciens et lancé des applications dans le domaine agricole et de la santé. Périodiquement, des annonces sont faites mais il n’y aucun projet précis.

Il s’agit d’une industrie de haute technologie exigeante en compétences, en savoir-faire et en maîtrise organisationnelle qui nécessite de grands moyens qu’ils soient institutionnels, industriels ou financiers, et des ressources humaines et scientifiques de haut niveau. Elle comporte des risques connus et identifiés et exige des conditions draconiennes pour sa mise en œuvre : volonté politique et stabilité, adhésion des populations, des moyens financiers importants, une base industrielle solide, un réseau électrique de taille appropriée, une autorité de sûreté réellement indépendante qui impose de bonnes performances, la transparence et l’acceptation des contrôles (Lire : La sûreté nucléaire et Les réacteurs de recherche).

Autant de conditions qu’un pays du Maghreb seul peut difficilement réunir mais qui, dans un cadre régional, pourrait être une solution. Compte tenu des délais de réalisation, il paraît peu probable de voir sur le réseau maghrébin une centrale nucléaire d’ici 2030. Au-delà de cette échéance, cela est possible et pourrait constituer le cas type de projet structurant exigeant une coopération maghrébine complète et confiante, adossée à un partenariat industriel et technologique avec un pays développé ayant l’expérience dans ce secteur. Le réseau électrique des 3 pays qui totaliserait une puissance installée d’environ 60 MW en 2030, pourrait intégrer les tranches nucléaires les plus puissantes sans risque électrique majeur.

3.4. Les énergies renouvelables

Elles constituent une ressource importante pour le Maghreb qui s’est engagé de manière volontariste dans leur développement, même si elles ne remplaceront pas les sources fossiles (Lire : Maghreb, domination des hydrocarbures jusqu’à quand ?). En effet avec les ambitions affichées de produire entre 30 et 42% d’électricité verte en 2030, on arrive à peine à 8% de la demande globale d’énergie, y compris l’hydraulique dont les développements seront limités au Maroc et à quelques projets de stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) (Lire : Les stations de pompage -STEP).

Par conséquent, à l’instar du triptyque 20/20/20/ de l’Union Européenne, les pays du Maghreb devraient  adopter des objectifs de long terme encore plus volontaristes en matière d’efficacité énergétique et de renouvelables pour amorcer une véritable transition énergétique. Il est vrai que les renouvelables posent un problème de coût pour l’immédiat et surtout, comme le nucléaire, un  grand défi technologique et industriel. La décision de développer le solaire, et plus particulièrement le CSP (Concentrated Solar Power) au Maghreb avec un certain volontarisme, est intéressante à suivre car le CSP constitue une technologie naissante, abordable et plus accessible que les technologies conventionnelles, le nombre de patentes la concernant étant relativement moins élevé. Le solaire par concentration (Concentrated Solar Power –CSP) peut constituer pour les pays du Maghreb une nouvelle  et réelle opportunité d’intégration des systèmes énergétiques avec comme corollaire la possibilité d’être activement impliqués dans le développement d’une industrie verte[5]. De plus, l’exemple de la première tranche de Ouarzazate et celui de la centrale hybride-solaire de Hassi Rmel laissent à penser que les coûts de production de l’électricité peuvent devenir compétitifs à moyen terme avec l’augmentation de la taille des centrales et la baisse des coûts inhérente aux progrès technologiques (Figure 4.).

Fig. 4 : L'énergie solaire au Maroc. Source : Le360

 

4. Passer de la coopération à l’intégration

Si, pour l’instant, chaque pays tente de réaliser son programme seul en s’appuyant sur la coopération et les financements internationaux, les jalons d’une coopération maghrébine dans le domaine des renouvelables ont été posés  par  la cinquième conférence générale du Comité Maghrébin de l’Électricité de Tunis. Deux faits importants, survenus ces dernières années, confortent cette décision stratégique.  Le premier est la convergence des secteurs de l’électricité et de l’eau qui a conduit jusqu’à la restructuration de certaines  entreprises publiques[6], avec d’une part le dessalement, déjà fortement ancré en Algérie et qui semble se profiler dans les autres pays du Maghreb, d’autre part les STEP.  Le second est l’apparition des pointes d’été dans tous les pays à cause de la demande croissante d’électricité pour la climatisation, coïncidant ainsi avec les périodes de production maximale du solaire.

La coordination des programmes d’énergies renouvelables, particulièrement le solaire, et l’intégration progressive des systèmes permettront un déploiement à l’échelle régionale plus important que la somme des programmes dans chacun des pays individuellement pour satisfaire une demande croissante, réduire les coûts et enfin exporter les surplus sur une base marchande en tenant compte des externalités environnementales. L’intégration créera aussi une taille de marché critique qui renforcera la position du Maghreb pour négocier le transfert de technologie et mettre les efforts de recherche et développement en commun pour la maîtriser. Elle est aussi essentielle, avec une ouverture ultérieure vers le Machrek et l’Europe, pour le déploiement à grande échelle des renouvelables et le développement des capacités industrielles en partenariat sur une base régionale.

Globalement, on peut considérer que le bilan de la coopération maghrébine en matière d’énergie est positif, même s’il est en deçà des potentialités et des aspirations légitimes. Il y a des réalisations tangibles même si elles sont insuffisantes : le fonctionnement régulier du Comelec quarante ans après sa création, l’interconnexion des réseaux électriques, de puissantes liaisons gazières, le partenariat dans la recherche/exploration des hydrocarbures, les contrats d’exportation/importation d’électricité et de gaz naturel, la solidarité entre les entreprises d’électricité en cas défaillance  de l’un des systèmes. On doit reconnaître que beaucoup reste à faire au regard du formidable potentiel existant et des bénéfices significatifs à retirer d’une intégration plus complète des systèmes énergétiques de la Région. De nombreuses conférences sont organisées régulièrement sur ce thème et aboutissent à la même conclusion : les pays du Maghreb doivent passer le plus rapidement possible de la coopération à une véritable intégration. Bien conçue, cette dernière peut renforcer la coopération dans un cadre collectif d’interdépendance et d’utilisation commune des ressources et des moyens. Elle est nécessaire à l’ère de la mondialisation et des nouvelles menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité dans la région.

En conclusion, on peut affirmer que l’avenir énergétique du Maghreb est dans une véritable intégration régionale et dans une stratégie alternative devant conduire en 2030 à un mix énergétique plus diversifié et orientée vers des actions énergiques dans les domaines suivants : maîtrise de la demande en énergie et amélioration de l’efficacité énergétique tout particulièrement en Algérie ; réduction de la part des énergies fossiles par un développement intensif des énergies renouvelables (solaire et éolien principalement) ; intensification de l’effort de recherche/exploration des hydrocarbures qui seraient, pour une bonne part, préservés pour les générations futures ; lancement d’études pour l’introduction de l’énergie nucléaire qui devrait prendre le relais des hydrocarbures ; mise en place de filières industrielles dans les équipements énergétiques, en particulier  les renouvelables, en misant sur la formation, la recherche et l’appropriation des technologies (Lire : La transition énergétique, un enjeu majeur pour la planète).

Une telle stratégie nécessite un effort courageux, gigantesque dans le cadre d’une coopération loyale et surtout dans un élan collectif soutenu par une coopération à la fois Sud-Sud et Nord-Sud accrue. Naturellement, cela suppose une vision globale et concertée et un climat de confiance – qui fait cruellement défaut aujourd’hui –  et des efforts importants, orientés dans différentes directions. Il appartient aux dirigeants des pays du Maghreb de créer un tel climat, de transcender leurs divergences, de promouvoir les réformes politiques, économiques, institutionnelles et de bonne gouvernance indispensables. Dans ce contexte, l’énergie serait  un facteur décisif d’intégration et de développement significatif, en faisant jouer les synergies et en utilisant l’expérience commune. Et, dans un cadre intégré, les ressources de la région permettent non seulement de faire face aux besoins énergétiques locaux mais peuvent contribuer à ceux de l’Europe voisine qu’il s’agisse du gaz ou de l’électricité verte dans le cadre des projets en cours sur le bassin méditerranéen.

 


Notes et références

[1] Séminaire organisé à Marrakech du 10 au 14 juin 1991 par le programme conjoint PNUD /Banque Mondiale d’assistance à la gestion du secteur de l’énergie en collaboration avec les Ministères de l’énergie de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie et dont les conclusions restent pertinentes. Cette rencontre reste l’une des plus importantes tenues sur la coopération énergétique au Maghreb.
[2] Keramane Abdelnour, Les échanges d’électricité: de l’interconnexion maghrébine aux liaisons entre réseaux électriques méditerranéens in L’Energie et sa distribution: pétrole, gaz naturel,  électricité, 1996 Encyclopédie de la Méditerranée –  Editions Jaca Book (Milan) en italien- – Edisud (Paris) en français  et Alif (Tunis) en arabe -96 p.
[3] Keramane A., La boucle électrique et le marché euro-méditerranéen  de l’électricité in Medenergie  N°36 – Septembre 2011.
[4] Interview d’Abdelkader Amara, ministre marocain de l’Énergie à l’Usine Nouvelle,  février 2014.
[5] Berrah N. Déploiement des Énergies renouvelables au Maghreb: mythe ou opportunité? in Medenergie N°44 – Mai 2014.

[6] Au Maroc, l’Office National de l’Electricité (ONE) a récemment absorbé les activités de l’ancien office national de l’eau potable et est devenu l’Office National de l’Electricité et de l’Eau potable (ONEE), consacrant la convergence électricité-eau. En Algérie, Sonelgaz a créé, en partenariat avec Sonatrach, une filiale l’Algerian Energy Company (AEC) qui a réalisé une dizaine de grandes usines de dessalement combinée avec la production électrique.


L’Encyclopédie de l’Énergie est publiée par l’Association des Encyclopédies de l’Environnement et de l’Énergie (www.a3e.fr), contractuellement liée à l’université Grenoble Alpes et à Grenoble INP, et parrainée par l’Académie des sciences.

Pour citer cet article, merci de mentionner le nom de l’auteur, le titre de l’article et son URL sur le site de l’Encyclopédie de l’Énergie.

Les articles de l’Encyclopédie de l’Énergie sont mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International.

 


D'autres articles de la même catégorie :

riions glasgow paris etablissement gouvernance mondiale du climat
make ini India energie Inde
Toutes les rubriques de ce contenu.
Sommaire